Est-ce que ce qui est logique peut être stupide, vous avez quatre heures. Non sérieux, je sais bien que c’est totalement stupide comme idée, enfin je pourrais lui demander de me lire un mode d’emploi pour bien m’endormir, mais bien évidemment que si je m’ennuie mon esprit va partir ailleurs, genre dans les hautes sphères de la préparation de la pâte à cookies. Ça ou autre chose, dans l’idée c’est la même chose non ? Même si j’admets que la pâte à cookie est un sujet plus abordable que la mécanique des cordes ou la théorie du complot des nouilles chinoises qui sont en fait produites en Thaïlande. Bref, j’vous en passe des vertes et des pas mures, parce que depuis trois jou j’en ai eu des sujets de réflexion débiles…

« Une histoire de bouffe, j’achète ! » moment de réflexion intense ou choc interatomique de neurones dans mon cerveau « Enfin, tout dépend le prix hein ? »

Ouai, je n’ai pas de problèmes d’argent mais tout de même ! Sérieux… J’suis pas Crésus, ni un vampire, je n’ai pas économisé sur trois vies pour être la reine du monde pendant trente ans quoi ! Donc j’peux payer, en nature s’il le faut, mais encore une fois ça dépend grave du prix. On ne va peut-être pas se lancer dans les détails de ce que je suis apte à accepter, et faut juste que je perde cette foutue expression avant qu’elle me cause des problèmes !

N’empêche qu’elle n’a pas tout à fait tort au fond. Je crois que j’passe pour une folle… On s’en étonne maintenant ou on fait comme si tout allait bien et que tout était normal ? Ouai moi aussi je préfère en fait, les questions existentielles avant de dormir c’est galère, ça empêche de dormir calmement. Je soupire, elle n’a pas tort pas dois-je ouvertement reconnaitre qu’elle a raison. Je pourrais être de mauvaise foi, je le suis toujours !

« Je t’appelle dès que je me réveille pour la fin de l’histoire ça prendra moins de temps que de l’écrire. »

Oui je pense à con confort maintenant que je l’ai un peu beaucoup kidnappée, forcée à me raconter des histoires, perturbée avec les fins que je leur donnais… NON ATTENDEZ ! C’est elle qui a proposé pour les histoires, au fond je suis responsable de rien, tout est de SA faute. Elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. J’ai l’air normale là ? Bon. Euh, je n’en sais rien et au pire on s’en fout ? J’ai sommeil, c’est tout ce qui compte actuellement, je m’allonge à nouveau dans mon lit bien résolue à m’endormir cette fois. Je prends un coussin entre mes bras et le serre comme une peluche.

Alice sourit, amusée. D'accord, la bouffe ça fonctionne toujours. Elle rit à la remarque de Piu, contre toute attente. Alice ne fait jamais rien payer, elle offre, elle donne, sans chercher rien en retour. En d'autre termes : Alice est totalement désintéressée, pour tout ce qu'elle entreprend dans sa vie. Elle n'a aucun souci avec le fait de raconter des histoires à une parfaite inconnue dans le but de la faire dormir. Elle se fiche totalement de sa réaction si jamais elle réussi.

Elle hoche la tête en signe d'accord. C'est gentil pour elle, elle pourra continuer de vagabonder tranquillement dans l'enceinte de Terrae et explorer de nouveaux endroits. Elle écrit son numéro avec son écriture fine et ronde sur un bout de papier, puis le pose sur le bureau près d'Ipiu. Elle croise ses jambes, prends une inspiration, et commence.

« C'est l'histoire du Tiramisù, ou comment l'hiver devint agréable. L'histoire se passe quand le monde était encore jeune, dans un pays où le soleil brille toute l'année, et les fleurs sont toujours fleuries. Un jour se produisit un étrange phénomène : les jours raccourcirent, le ciel se couvrit de nuages et doucement, l'air devint piquant le matin, jusqu'à en devenir glacé. La population du village, très angoissée par ce changement, fut désespérée quand la neige se mit à tomber en recouvrant le beau paysage verdoyant d'un épais manteau blanc, gelé, et glissant. »

La voix d'Alice est très calme, posée, grave. Elle parle comme une conteuse de nouveau, et de façon reposante, du moins s'efforce-t-elle de l'être. ses yeux fixent de nouveau le vide, et se pose quelque fois sur Ipiu, pour vérifier dans quel état elle se trouve. Sa voix joue avec les rythmes des phrases, elle s'amuse à faire vivre les mots  qu'elle prononce.

« La neige.. On en avait entendu parler, mais loin, au nord. Jamais elle n'était descendue jusqu'ici. Devant la gravité de la situation, on décida de consulter le sage inventeur le plus prolifique du pays : Bepi Biscotto. Bepi avait l'habitude de trouver son inspiration en ingurgitant tous les jours d'incroyables quantités de biscuits trempés dans son café trop sucré. On lui devait les inventions les plus folles : le fil à couper le beurre, le charrue qui va devant les boeufs ou encore le carrosse à cinq roue. Le Maire du village, Natale Bianco, interrogea Bepi : " Je suis désolé, répondit Bepi, je ne comprends pas du tout ce qu'il se passe. " Les gens s'affolèrent, et dans la panique commencèrent à s'éparpiller. " Si toi, tu ne sais pas, soupira le Maire, c'est qu'il n'y a plus d'espoir ! " A l'évidence, c'était alors la fin du monde. Bepi ne voulut pas perdre courage. Il compulsait tous ses livres partout où il allait, faisait beaucoup de siestes pour trouver l'inspiration dans ses rêves, se grattait la tête, consommait une quantité incroyable de biscuit. Mais il ne trouvait pas. »

Les mots volent et tes yeux papillonnent. T’es fatiguée Toumaï. Fatiguée à en crever… Mais tu n’y arrives pas, t’arrives pas à te calmer. Il y a ce truc dans ton bide qui se tord, tes pensées qui s’éparpillent et courent bien trop vite pour toi à présent. Tu n’arrives pas à te poser et ton esprit volette de fleur en fleur, d’idée en idée. Pourtant alors qu’elle compte tu essaies de suivre le rythme de sa narration de t’accrocher à ses mots et à leur chanson. Tu dois te calmer, réussir à dormir et à te retrouver un peu.
Tu ne te ressembles pas aujourd’hui Toumai, ou peut-être tu te ressembles trop ? Tu as cette habitude de vivre trois fois trop vite mais d’habitudes tu réfléchis un peu plus aux conséquences. Tous tes filtres ont volé, tous tes masques sont tombés. Tu es une tonnerre de jeune femme, un esprit affuté dans un corps que tu traines. Fermes les yeux ma grande, ferme les yeux et calque ta respiration sur le ballant de ses mots. Ils sont calmes tu ne trouves pas ? Laisse leur douceur apaiser l’incendie de ton âme. Laisse la fatigue gagner cette bataille que tu es amenée à perdre.
Laisses-toi aller ma grande, arrête ce vent qui fait tourner le moulin de tes pensées. Laisses-toi couler sur ce lit moelleux, contre ce drap si doux. Profites de ce dernier répit.
T’sais cet été a été trop calme, t’as pris trop vite goût à cette vie paisible, à ces rencontres fortuites et ses retrouvailles avec Nath. T’aimes rire avec Aaron, vivre avec les gens tout en retrouvant la solitude de ta chambre… Mais Pioupiou, tu le sais bien jamais tu n’as réussi à passer un été serein ici. Jamais… Alors tu devrais savoir que tout ça ne peut pas durer.

Pourtant tu oublies et tes paupières lourdes finissent par se souder. Tu oublies et tu ne rêves pas emportée par la voix de la jeune femme que tu viens de rencontrer. Tu te sentiras mieux au réveil. Tu ne rêveras pas, tu ne rêves plus, glissant doucement dans l’abysse sombre et chaleureux de tes nuits. Lentement ton souffle s’apaise. Ta cage thoracique se soulève en d’amples en lent mouvements. Tu t’es perdu, ne trouvant ni sens ni fin à cette histoire. Tes membres tendus se sont enfin relâchés, ta tête penchant légèrement sur le côté. Tu dors enfin…

Alice pose son regard doux sur la jeune femme. Son souffle est stable, ses yeux clos. Son visage a l'air apaisé. Tout son corps est détendu, l'énergie de fatigue qu'elle avait emmagasiné venait de la quitter. Alice est contente, elle a réussi. Comme quoi, ses histoires peuvent apaiser quelqu'un qui en a besoin. Au final, c'était une bonne solution. Alice est fière de cette partie d'elle même, et pourtant, elle n'est pas souvent fière de quelque chose quand il s'agit d'elle, ça lui est souvent égal.
Elle finit par se taire, et regarde la jeune femme dormir devant elle. Puis doucement, elle se lève tranquillement, attrape son sac. Elle ouvre la porte sans faire de bruit et se glisse à l'extérieur pour laisser Ipiu en paix. Elle s'aventure alors de nouveau dans les couloirs, sortant du territoire des tonnerres pour revenir se perdre tranquillement dans un couloir aléatoire, gris et sans décoration.

L'esprit de la jeune femme se remet tranquillement à vagabonder. Où allait-elle aller maintenant. Elle repense à sa rencontre. Quelle fille étrange. Elle était fatiguée certes, mais elle avait l'air d'avoir une vie compliquée. Et puis ses jambes, que lui était-il arrivé ? En tout cas, Alice n'est pas déçue par sa première rencontre, une tonnerre donc... Alice ne se voyait pas devenir tonnerre, elle n'est pas aussi énergique qu'Ipiu, ça, c'est certain. Même fatiguée, elle restait une pile électrique, alors qu'Alice est calme en toutes circonstances. C'est amusant que l'histoire du tiramisù soit celle qui l'ait apaisée. Peut être parce qu'elle amusante et ne demande pas une grande réflexion, contrairement à celle d'Alba. En attendant, Ipiu y a réagi, c'est un bon signe. Son père disait toujours qu'une histoire est mauvaise pour la personne si elle ne ressent rien en la lisant ou en l'écoutant. Une histoire doit provoquer un sentiment, quel qu’il soit. S'il y a de l'indifférence, ou juste de la déception, et bien c'est que l'histoire ne lui correspond pas.
Alice a soudainement envie d'aller au dehors. Ne voyant aucune sortie, elle s'approche d'une fenêtre et l'ouvre avec lenteur. Etant au rez-de-chaussée, il n'y a aucun défi à sauter par la fenêtre, mais Alice s'en fiche, elle veut seulement aller dehors. Elle sourit, amusée. En fait, elle est tout de même un peu énergique. Elle longe le bâtiment, puis se décide à rejoindre le dortoir des novices. Elle se demande si Ipiu la rappellera après s'être réveillée ou pas. Peut être qu'elle voulait seulement profiter d'elle. Ca aussi, Alice s'en fiche. Elle est contente d'avoir rendu service. Et ça ne va pas plus loin. Elle attrape la porte menant au dortoir et s'enfonce dans un autre bâtiment, à la recherche de nouvelles rencontres.