Il faut avouer qu'attraper un chat qui ne veut pas du tout être attrapé est loin d'être facile. Surtout si le chat en question a été abandonné dans la rue il y a quelque temps. Dans ces conditions, même toute l’expérience du monde ne va pas aider.

Je soupire et me gratte la tête, perplexe. Le petit s'est enfuie de l'animalerie justement au moment où  je suis arrivé pour commencer mon travail et il a profité pour se barrer. Du coup, mon premier boulot de la journée est de l'attraper. La bonne nouvelle, c'est qu'il s'est pas caché bien loin. La mauvaise, c'est qu'il n'y a qu'un seul angle par lequel je peux l'attraper : par devant, la direction par laquelle il est entré dans sa cachette. Ce qui implique qu'il va forcément me voir et soit s'enfuir à nouveau, soit se défendre de ce qu'il considère un danger. Le seul moyen d'être sur de pouvoir l'attraper, c'est s'il sort de là par lui-même, mais quelque chose me dit que je pourrais attendre longtemps avant que cela n'arrive.

Bon, réfléchissons. Ce n'est quand même pas la première fois que je suis dans une situation pareille. Liryo s'est enfui comme ça quelques fois aussi quand il pensait avoir aperçu un danger, après tout. Comment j'ai fais dans ces cas-là pour l'attraper ? Certes, après un certain temps il me connaissait et me faisait confiance, donc je n'avait qu'à l'appeler et il venait. Mais ceci n'était pas toujours le cas, surtout pas quand il était stressé ou terrifié.

Après un instant, il y a une idée qui me vient à l'esprit. Le petit doit être affamé. Si je lui pose un peu de nourriture devant sa cachette, il  va sûrement en sortit. Je reviens donc à l'animalerie et explique ce que je compte faire à mon patron avant de prendre un peu de nourriture pour chat et retourner devant la cachette du petit pour poser l’appât, puis je recule. Évidemment, il ne sort pas toute de suite, il attends quelques instants avant d'oser s'approcher. Je le laisse tranquille un moment de plus avant de faire un, puis deux pas vers lui. Il se tend de suite et me regarde avec des gros yeux terrifiés. Mais il ne part pas. Il est bien affamé, il ne veut pas abandonner la nourriture. Donc, il essaye de me chasser en feulant.

Acceptant l'avertissement, je ne m'approche pas plus. Je m'agenouille et tend ma main lentement vers le chat pour qu'il puisse la sentir. Il me regard un moment d'un air méfiant mais finit par me sentir et puis même me laisser le toucher. Je le caresse brièvement, puis le laisse tranquille le temps qu'il finit de manger. Ce n'est qu'à ce moment que je le prends dans mes bras.

« Voilà. Tout va bien maintenant. Allez, on va rentrer à l'animalerie, qu'est-ce que t'en penses ? »

Ce n'est que le matin, mais il fait déjà chaud. Comme je n'ai rien à faire avant cet après-midi, j'ai décidé d'aller un moment à la piscine. Je suis arrivée à l'ouverture et j'y suis restée une heure environ. Un peu de sport me fait toujours du bien et même si je ne suis pas une bonne nageuse, je profite quand même de la fraîcheur de l'eau. Je reste un maximum sous l'eau. C'est là que je me sens le mieux. J'ai découvert ça l'été passé, avec Elio. Je ne peux retenir un sourire. Ça a été une sacrée journée.

Je me retrouve à présent dans les rues du village de Terrae, les cheveux encore mouillés. Je soupire de satisfaction. Qu'est-ce que je fais maintenant ? Sans vraiment y réfléchir, je commence à marcher. J'observe les personnes que je croise, matinales comme moi. Les magasins sont en train d'ouvrir pour la plupart. Les cafés le sont depuis un moment déjà. Soudain, je vois une boule de poiles traverser la rue un peu plus loin devant moi. Je m'arrête en voyant un homme s'en approcher. Ahah, le petit filou s'est certainement échappé. Je compatis... pour les deux, en fait. Je recommence à marcher lorsque je vois l'individu rebrousser chemin. Il disparaît rapidement de mon champ de vision. Il revient cependant après un instant et pose quelque chose par terre. Je comprends. Il essaie d'amadouer l'animal. Je m'arrête à nouveau. Je ne suis plus très loin, quelques mètres. Je m'adosse à un mur et observe la scène. Quelque chose me tracasse, mais je n'arrive pas à savoir ce que c'est.

Je vois le chat sortir, l'homme essayer de s'en approcher, la bête feuler... décidément, ces deux n'ont pas l'air de très bien s'entendre. Je retiens un rire. Ça n'aurait pas été très sympa et ça aurait peut-être effrayé le félin. L'individu m'en aurait probablement voulu. Alors je regarde en silence, amusée. Je crois... que ce qui me gêne, c'est ce sentiment de l'avoir déjà vu, l'inconnu, pas la boule de poiles. Je cherche, mais rien ne me vient à l'esprit. C'est étrange cette sensation, c'est rare.

Lorsque l'animal a fini de manger, l'homme le prend dans ses bras et lui parle. Sa voix... sa voix ! Elle est grave. Elle me rappelle un peu celle d'Elio. Attends ! Je crois... je crois que je sais. Je m'avance de quelques pas pour me rapprocher un peu d'eux.

- K... Kurei ?

Je rougis. Je ne suis même pas sûre que ce soit son nom. Tout est assez confus et flou dans mon esprit. La seule chose dont je suis certaine, c'est que c'était lui, à l'hôpital, après ma première mission. Cela doit faire deux ans qu'on s'est rencontré et je ne l'ai jamais revu... jusqu'à aujourd'hui.

- Désolée... je ne suis pas très sûre... je suis Selvi. J'étais à l'hôpital. C'était toi, n'est-ce pas ?

Je souris, embarrassée. Je n'aime pas ce genre de situation. Ce gars m'a sauvé la vie, disons ma santé mentale. Il est apparu au moment où j'en avais besoin et m'a donné tout ce qu'il me manquait, une présence humaine et la chaleur, la lumière du soleil. Je me souviens de ce que j'ai ressenti, mais c'est à peu près tout. On a discuté un peu, je crois... et on est sorti. Oui, dans le jardin à l'arrière de l'hôpital. Oh, je ne sais plus. J'espère que c'est bien lui. Maintenant je commence à douter. Manquerait plus que je me sois trompée...

Quand j’entends quelqu'un appeler mon nom, je lève la tête en direction d'où la voix venait. Bien que je me sois habitué au fait que la plupart des gens sur Terrae ne vont jamais me vouvoyer, il est encore rare que quelqu'un m’appelle par mon prénom. Même au travail, à l'animalerie, ils acceptent le fait que je sois distant, il acceptent de m'appeler par mon nom de famille. Entendre mon prénom est très rare. Même mieux, que je sois appelé tout court par quelqu'un est rare.

En face de moi, je vois une jeune fille qui me parais un peu familière. J'ai dû la croiser quelque parts, mais à vrai dire, je n'arrive pas à le placer si c'est le cas. Elle semble réaliser ma confusion vu la façon dont elle rougit soudainement. Elle semble embarrassé quand elle s'excuse et se présente. Son no me dit quelque chose. Selvie... Selvie... J'ai en effet croisé une jeune fille avec ce nom, non ? Ça expliquerait pourquoi elle semble si familière. Mais je l'ai croisé où pour le coup ? Et quand ? Mes rencontres avec les gens depuis que je suis sur Terrae sont tellement peu en nombre que je peux me rappeler de toutes. Et pourtant, cette jeune fille me dit presque rien...

Attends. Elle a dit à l'hôpital ? Pas possible. Je hais cet endroit et je l'évite comme la peste. Et puis, les seules fois où je vais à l'hôpital, c'est pour Liryo. Il est donc impossible que je sois la personne à laquelle pense cette jeune fille. Mais pourtant, elle connaît mon nom...

Ça me revient tout d'un coup. C'est vrai, j'ai visité l'hôpital il y a deux ans complètement par hasard. J'avais visité le village autour de l'établissement et puis, m'ayant perdu dans mes pensées, j'avais finit par me retrouver à l’intérieur de l'hôpital. Et là, je suis tombé sur une des patientes là bas qui m'a demandé de rester avec elle. Son nom, c'était... Sa.. Say... Selvi, oui, mais son nom de famille ? Ah oui, Sayanel. Mademoiselle Selvi Sayanel.

« Bonjour, mademoiselle Sayanel. En effet, c'était moi. Je m'excuse, je ne vous ai pas toute suite reconnu. »

En quelque sorte, c'est tant mieux. Si je ne la reconnais pas, c'est qu'elle a changé et vu notre première rencontre, cela implique qu'elle s'est bien remis de ce qu'elle avait. C'est qui est assez visible du premier coup d’œil, en fait.

« Yataro ! Ca y est ? Tu l'as attrapé ? »

Je tourne la tête vers l'entré de l'animalerie d'où vient le voix qui m’appelle. Dans mes bras, le chat essaye de fuir à nouveau, effrayé par le cri soudain, mais j'arrive à le retenir. Ses griffes laissent des traces dans mes vêtements et sur mon épaule, mais ce n'est rein de grave. Il y a des jour où même Liryo avait fait pire au début.

« Oui monsieur, c'est bon. J'arrive. »

Puis je me tourne vers mademoiselle Sayanel, inclinant un peu la tête en signe d'excuses.

« Veuillez m'excuser, mademoiselle. Je dois ramener ce petit à l'animalerie à présent. À moins que vous ayez de temps libre et que vous voudriez m'accompagner ? »

L'homme me regarde, perplexe. Eh voilà, je suis sûre que je me suis trompée. Je n'aurais pas dû l’interpeller, mais c'était plus fort que moi. J'aurais tellement aimé pouvoir remercier Kurei pour ce qu'il a fait ce jour-là. Je n'ai pourtant jamais essayé de le retrouver. Il va falloir que je change ça. Je ne sais pas trop comment je vais m'y prendre, mais je vais le faire. J'ai déjà bien trop attendu. Je m'apprête à m'excuser à nouveau et à prendre congé de l'inconnu, lorsque je remarque un changement dans son regard. Il me répond enfin et s'excuse. C'est bien lui ! Je ne réponds rien, surprise par le « Mademoiselle Sayanel » et le vouvoiement. Est-ce qu'il m'a toujours parlé ainsi ? Je trouve ça vraiment bizarre. Et soudain, je me sens mal à l'aise. Je l'ai appelé par son prénom et je l'ai tutoyé. J'ai l'impression d'avoir été terriblement mal polie. En même temps, je ne me souviens absolument pas de son nom de famille, mais ce n'est pas une raison...

Tout à coup, j'entends quelqu'un crier. Kurei retient le chat dans ses bras tant bien que mal et répond. Je souris, au moins, je connais son nom de famille maintenant. Enfin, si j'ai bien compris. Le jeune homme s'excuse encore et me propose de l'accompagner. Je hoche la tête et le suis dans l'animalerie. C'est la première fois que je viens ici. Ça peut paraître étonnant, car Elio travaille ici de temps en temps. Ça serait marrant qu'on se croise ici aujourd'hui. Je souris en jetant un coup d’œil dans le magasin, mais ne l'aperçois pas. Tant pis, ça sera pour une autre fois. Je reporte mon attention sur Kurei, lorsqu'il revient vers moi après s'être occupé du chat. Je l'observe, un peu gênée. Il est le seul à m'avoir vu dans cet état de délabrement avancé et ça m'embête un peu. Je me sens intimidée.

- Je... je voulais juste vous remercier pour ce que vous avez fait il y a deux ans.

Je marque une courte pause. Ouai, disons que, comme je viens de le revoir, ça serait bien que je le remercie. Ce n'est pas non plus comme si cela faisait des mois que je le cherchais. Ma formulation est maladroite. Tant pis, c'est sortie maintenant, autant continuer.

- Et... vous demander pardon. J'ai sans doute abusé de votre bonté et de votre temps. Je n'étais pas... vraiment moi-même ce jour-là.

Je m'arrête. Je ne sais plus quoi dire. J'étais déboussolée, seule, angoissée, choquée... 4a fait beaucoup d'adjectif et je pense qu'il l'avait remarqué de toute manière. Je retiens un soupir. Pourquoi est-ce encore si difficile de communiquer ? Je pensais, qu'étant donné ce qu'on avait partagé tous les deux, ça allait couler de source, mais non. Au contraire, je crois que c'est même pire que d'habitude. En plus, son comportement distant et un peu pompeux me trouble. Je ne suis pas habituée à être face à quelqu'un faisait preuve d'autant de déférence.

Soudain, j'avise son vêtement déchiré à l'épaule et me rappelle qu'il a été griffé par le chat.

- Si vous le souhaitez, je peux soigner ces quelques griffures. C'est le moins que je puisse faire pour vous remercier. Pour le pull par contre, je ne peux rien.

Je tente un petit rire timide.

Mademoiselle Sayanel semble un peu gênée par quelque chose. Je retiens un soupir. Ça doit encore être mon comportement. Autres nobles tells que mademoiselle Hamilton ne sont pas du tout gênées par ça, au contraire, c'est ce qu'ils attendent. Mais j'ai déjà remarqué que tous les autres ont un problème ou un autre avec mon comportement. La distance que je mets entre moi et les autres. Le fait que je sois si refermé. Je le sais tout ça. Cela ne veut pas autant dire que je vais changer ma façon d'être, ceci dit. Après tout, je *veux* garder les autres à distance. Je préfère la solitude.

Soudainement, elle me remercie. Je cligne les yeux une seconde en la regardant. Des remerciements... c'est bien la dernière chose que j'aurais imaginé qu'elle va dire. Et les excuses qui suivent ne sont pas beaucoup plus hauts sur la liste de ce à quoi je m’attendais. Je détourne le regard et frotte mon cou, gênée à mon tour. Mon expression reste neutre, comme d'habitude, mais je peux sentir mes joues s'enflammer.

« Rien de ce que j'ai fait n'est quelque chose qui mérite des remerciements. Tout ce que j'ai fait était de passer une après-midi avec vous. »

Ce que je dis est vrai et c'est réellement ce que je pense. Elle n'a pas à me remercier du tout. Ou à s'excuser. Bien qu'elle m'avait demandé de rester à ses côtés, c'était au final ma décision à moi de le faire ou non. C'est moi qui ait décidé de rester et de faire le peu que je pourrais pour lui aider. Et puis pour la plupart de mes actions, c'était moi qui ai proposé, alors pourquoi s'excuserait-elle ?

« Je n'ai rien à vous pardonner non plus. Alors ne vous en faites pas. »

D'ailleurs, notre rencontre date de deux ans, putain ! Pourquoi ressortir ça maintenant ? Si je serais allé la voir le jour ou la semaine suivante, d'accord, j'aurais rien dit, mais deux ans après ? Et lors d'une rencontre complètement aléatoire en plus ? A moins qu'elle soit comme moi, qu'elle pense que je veux quelque chose en retour. Mais si c'était le cas, elle aurait essayé de me trouver plus tôt. Et puisque de mon côté, je ne l'ai pas cherché non plus, alors il devrait être assez évident que je ne veux rein en terme de récompense.

Avant que je ne puisse me perdre complètement dans mes pensées, mademoiselle Sayanel prends la parole à nouveau et mes yeux se tournent vers mon épaule, où le chat m'avait griffé. Normalement, j'aurais poliment refusé une offre de soins. Non seulement parce que je n'aime pas quand d'autres gens m'approchent trop, mais aussi parce que des griffures comme ça sont une bonne cible pour mon propre entraînement. Certes, j'ai encore à réussir à soigner même des petites plaies comme celles-là, mais c'est un entraînement. Cependant, mademoiselle Sayanel est déjà assez mal-à-l'aise avec moi. Et puis, contrairement à plein d'autres gens, quand elle s'est rendu compte que je la vouvoie, elle a commencé à faire de même, bien que le tutoiement d'origine montre qu'elle ne le fait pas normalement. Elle fait ça pour que je sois plus à l'aise, moi. Ou pour que je ne pense pas qu'elle est impoli. Ou les deux. Alors il est normal et même attendu que je fasse un effort à mon tour moi aussi pour la rendre plus à l'aise.

« Si cela ne vous embête pas, je vous prie. Concernant le pull, il a survécu bien pire. Et il va devoir supporter encore plus, je crains, vu certains des nouveaux venus. Alors autant le laisser tel quel jusqu'à la fin de la journée. »

Son rire me fait ressentir quelque chose de bizarre. Waouh. C'était quand le dernière fois que j'ai entendu quelqu'un rire en ma présence ? Je crois bien que c'était avant cette nuit-là. Et la personne en question n'était personne d'autre que ma grande sœur. Elle riait tout le temps, même. Et étrangement, le rire de ma mémoire me semble très proche de celui de mademoiselle Sayanel. Mais ce n'est probablement pas vraiment le cas. C'est juste dans ma tête.

N'empêche que je n'aurais rien contre entendre ce rire encore une fois. Dommage que je doute fort d'être capable de faire rire qui que ce soit. Et quelqu'un que je connais à peine ne fera certainement pas l'exception à la règle.

Pendant que je pense, mademoiselle Sayanel se met au travail sur les petites griffures. Elle est donc une guérisseuse comme moi, mais visiblement bien plus avancé. C'est logique, elle est certainement bien plus longtemps sur Terrae.

« Si ce n'est pas impoli de ma part de demander, combien de temps cela vous a pris à apprendre à contrôler vos pouvoirs aussi bien ? »

Kurei me dit que je n'ai ni à le remercier, ni à m'excuser. Autant je peux comprendre sa seconde réflexion, autant je n'y arrive pas pour la première. C'est vrai. J'avais besoin de lui demander pardon, mais je sais qu'au fond, comme je n'étais pas vraiment moi-même, ce n'est pas trop grave... et puis, je n'ai pas non plus commis un crime. J'ai juste profité de la situation, j'ai abusé de sa bonté. Alors oui, je trouvais ça important, mais je comprends sa remarque, je l'accepte. Par contre, je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas lui dire merci. Il a été gentil, attentionné avec moi, une personne qu'il ne connaît pas. Tout le monde n'aurait pas réagi de cette manière. Beaucoup, même, seraient partis en courant, j'en suis certaine. Donc oui, j'ai envie de le remercier et je trouve ça normal. La seule chose qui ne l'est pas, c'est le temps que j'ai mis à le faire et pour ça, je vais m'en vouloir un moment. Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas cherché à le revoir plus tôt. Je... c'est dur à admettre, mais je crois que j'avais oublié... Je pourrais me trouver des excuses : j'étais confuse, je ne me souviens pas de grand-chose de cette période, mais non, ce n'est pas une raison. Il faut que j'admette que j'avais purement et simplement oublié ce magnifique acte de bonté. Je me déçois profondément. Je me mords les lèvres et sens ma gorge se serrer. Bon sang ! Je ne vais pas me mettre à pleurer quand même ?!? Culpabiliser, ok... mais pleurnicher, ça non !

Je tâche de me reprendre en me concentrant sur la tâche que j'ai à accomplir. Je suis contente que Kurei ait accepté d'ailleurs. Je n'étais pas certaine qu'il le fasse. J'ai tenté de cacher mon trouble en observant les animaux présents dans le magasin, mais à présent, je dois lui faire face. J'ai lâché un nouveau petit rire à sa réflexion. Je me rends soudain compte que je ne lui ai pas expliqué ce que je devais faire si je souhaitais le soigner. Il faut que je le touche avec ma main, si possible à l'endroit blessé. Je me pince les lèvres. Je ne suis pas sûr qu'il soit prêt pour ça, vu la distance qu'il met entre nous. Tant pis, je lui ai proposé mon aide, je vais le faire... mais je vais le prévenir avant. Je prends une brève inspiration avant de parler. Pourvu que ma voix ne tremble pas, pourvu que ma voix ne tremble pas, pourvu que ma voix ne tremble pas...

- Très bien. Pour vous soigner, je dois vous toucher avec ma main. Vous allez ressentir une douce chaleur pendant le soin, puis cela va disparaître. D'accord ?

Je lui souris timidement, avant de lui saisir délicatement la main. Bon, je n'ai jamais essayé de le faire comme ça, mais qui ne tente rien n'a rien. Si je n'y arrive pas, je pourrai toujours poser ma main sur son épaule, là où le tissu est déchiré. Étonnamment, je ne me fais pas trop de soucis. Mon don de guérison a toujours été instinctif. Je n'ai jamais eu de problème à le canaliser, à en faire ce que je voulais. Je trouve rapidement en moi la chaleur dont je parlais et je la dirige vers ma main. J'hésite un instant. Je ne sais pas quel va être le résultat, ce qu'il va se passer une fois que je l'aurai transmise. Tant pis, il faut que j'essaie. De toute manière, il ne peut rien lui arriver de mal, n'est-ce pas ? Je laisse le flux de chaleur se répandre dans la main, puis le bras du jeune homme. Il me faut plus de temps, plus d'énergie aussi, car il faut que j'atteigne l'épaule. Je ne sais pas trop comment cela fonctionne, je réfléchis tellement peu lorsque je le fais, mais ça marche ! Je sens la chaleur disparaître. Je sais qu'il est soigné. En fait, je crois qu'il n'y a rien à comprendre, il faut simplement ressentir.

J'offre un beau sourire satisfaite à Kurei, après lui avoir relâché la main. Je sens le contrecoup de l'utilisation de mon pouvoir, mais peu. J'ai bien progressé et j'en suis fière. Le malaise que j'ai ressenti tout à l'heure a momentanément disparu. Je n'y ai plus pensé et mon interlocuteur m'aide à ne pas y revenir.

- Ne vous en faites pas, ce n'est pas impoli du tout. Cela fait plus de trois ans que je suis ici, à Terrae, trois ans et demi pour être exacte.

Je marque une brève pause.

- Je n'ai jamais eu de problème avec mon don de guérison. Je fais cela de manière instinctive. L'air m'a posé plus de problèmes par contre. Mais je me suis faite aider par une amie et, à présent, je me débrouille plutôt bien.

Je souris au jeune homme et rougis légèrement. Depuis quand est-ce que je me vante de la sorte ? Ça serait bien que je recommence à utiliser mon cerveau et à contrôler ce que je dis. Je retiens un soupir et chasse ses pensées de mon esprit. Je me demande de quelle affinitée est Kurei. Certainement pas Feu ou Tonnerre, il est trop calme et... poli. Non, c'est un peu méchant de dire ça. Disons que je le vois plus Eau ou Terre, voilà tout. Je ne lui pose cependant pas la question. Il me le dira s'il le souhaite. Je pense tout de même qu'il n'est pas Air guérisseur, autrement il se serait probablement soigné lui-même, non ? Ça serait marrant qu'il m'annonce être comme moi. Je me sentirais un peu bête sans doute.

Je cligne mes yeux quand mademoiselle Sayanel m'annonce qu'elle va devoir me toucher pour me soigner. Le don de la guérison nécessite donc un contact direct pour marcher ? Cela expliquerait pourquoi toutes mes tentatives jusqu'à présent se sont transformés en mouvements bizarroïdes de l'air autour de moi. Soit ça, soit je suis juste le contraire de mademoiselle Sayanel et j'ai moins de problèmes avec le contrôle de l'air qu'avec la guérison. Mais cela m'étonnerait un peu. J'aurais imaginé l’inverse.

Bien que je ne n'aime pas trop, voir du tout, être touché par quelqu'un d'autre sauf les exceptions bien précises, je hoche la tête et laisse mademoiselle Sayanel le faire. J'avais déjà dit que j'accepte son offre de l'aide, il serait impoli de refuser maintenant juste pour ça. Et puis, pour être honnête, je veux utiliser cette opportunité pour faire l'expérience du pouvoir de la guérison. Peut-être que si je ressens une fois comment le ressens celui sur lequel le pouvoir est utilisé, je saurais mieux comment l'utiliser ? On sait jamais...

Au final, mademoiselle Sayanel ne touche pas mon épaule, elle prends juste ma mains dans la sienne délicatement et me soigne à distance. Comme elle l'a dit, je ressens une chaleur à l'emplacement des griffures alors que ces dernières se referment sans laisser de trace. C'est un don impressionnant, je dois l'avouer. Et c'est encore plus impressionnant d'imaginer que je puisse avoir le même don.

La jeune fille en face de moi semble légèrement fatigué après m'avoir soigné, mais avec quelques secondes de réflexion, je me dis que c'est tout-à-fait normal. Après tout, elle vient de décompenser sa propre énergie pour accélérer ma capacité de soins (ou du moins je crois que c'est ça le fonctionnement de la guérison), donc c'est normal qu'elle le ressente.

Elle réponds à ma question avec un sourire. Trois ans et demi, elle m'a dit. Je pense que je peux espérer arriver à son niveau dans au moins le même laps de temps. J'ai un long chemin devant moi, alors. Pas comme si je m'attendais à autre chose. Tout dans ce monde nécessite du temps pour être maîtrisé et la magie n'échappe pas à la règle. Aussi stupide que cela ne peut sembler quand on l'entend, vu que c'est de la magie.

« On dirait que je suis le contraire de vous, alors. Je commence déjà à maîtriser l'air un petit peu, mais je n'arrivais pas à soigner quoi que ce soit... Peut-être je ne m'y suis pas pris comme il faut. »

Je dis finalement, mes pensées partant directement dans cette direction alors que je me perds dans la réflexion. J'avais essayé de me soigner avant, de toute façon j'ai plein d'opportunités vu qu'il est rare de sortir de l'animalerie sans une ou deux griffures ou morsures, mais ça n'a jamais marché. Je n'ai jamais vraiment ressenti cette chaleur non plus. Ce n'est pas comme le contrôle de l'air, cela demande plus que de la concentration et de l'imagination de ce qu'on veut faire. (Pas comme si je serais un professionnel, mais je commence au moins à pouvoir changer un peu la vitesse ou le direction de l'air autour de moi, bien que ce n'arrive pas à le faire tout le temps exactement comme je veux.) Sinon, j'ai pensé que peut-être mes pouvoirs de guérison ne peuvent pas fonctionner sur moi-même. C'est possible aussi, en fait. Mais dans ce cas, je serais un peu dans la merde, vu que je n'ai pas vraiment quelqu'un à qui je pourrais demander 'dis, tu vieux bien me laisser 'entraîner à guérir tes blessures quand tu en auras ?' Et même dans le cas contraire, je ne l'aurais jamais fait.

Mais maintenant, j'ai une autre guérisseuse juste en face de moi, et une qui semble être beaucoup plus à l'aise avec son don de guérison que moi. Je pourrais en profiter. Normalement, j'aurais essayé de ne pas demander de l'aide à qui que ce soit, parce que la plupart des gens t'aident uniquement quand ils ont quelque chose à te demander en retour, et dans la plupart des cas, ce quelque chose n'est pas un truc que j'aimerais faire sous aucun prétexte. J'ai appris cela à ma dépense. Mais mademoiselle Sayanel se sent déjà comme si elle me devait quelque chose. Je n'aime pas trop exploiter la situation, mais je dois avouer que savoir qu'elle se sente endetté me permets de lui demander ce que je veux plus facilement. Je m'attends moins à être exploité à mon tour. Ce n'est pas poli, mais bon. Je suis comme ça et la seule chose que je puisse faire, c'est l'accepter.

« Pourriez-vous me donner peut-être quelques conseil concernant l'utilisation du don de la guérison ? Ou est-ce tellement instinctif que vous ne sauriez pas l'expliquer à quelqu'un d'autre ? »

Kurei répond à ma question muette sans le vouloir. Je suis d'abord étonnée d'apprendre qu'il est Air Guérisseur comme moi. Pourquoi ne s'est-il pas soigné lui-même alors ? Cela aurait fait un bon exercice ! Mais je comprends bien vite le sens de sa première phrase. Il n'y arrive pas, voilà pourquoi il m'a laissée faire. Il marque un temps. S'il m'en avait parlé plus tôt, j'aurais essayé de lui expliquer comment faire et il aurait pu tester. Maintenant, c'est un peu tard. Je ne sais pas s'il est comme moi, mais si c'est le cas, il refusera catégoriquement que quelqu'un se blesse, même légèrement, pour qu'il puisse s'entraîner. Alors, ces possibilités d'exercices ne sont pas très élevées. Je retiens un soupir. Va-t-il oser me poser des questions, demander mon aide ? Je ne sais pas, je ne pense pas. Et puis, est-ce que je pourrais l'aider ? Honnêtement ! Mon don est plutôt instinctif, comment veux-tu expliquer ça ?! Mon interlocuteur me sort de mes pensées. Ah, il me demande des conseils. Finalement, je suis heureuse. Je pourrai certainement l'aider, je lui dois bien ça. En tout cas, je vais tout faire pour que ça fonctionne !

- Eh bien, je vais essayer, avec plaisir.

Je souris à Kurei et prends un instant pour réfléchir à ce que je peux lui dire. Ok, commençons par les bases.

- Bon, je ne sais pas ce que vous savez déjà sur la guérison, donc je vais commencer par le début. On ne peut pas tout soigner.

Je fais une pause, le temps qu'il assimile ce que je viens de dire. Je repense au jour où j'ai appris ce « détail ». Quelle déception... J'étais persuadée qu'avec ce don, on allait pouvoir sauver le monde, mais non. Il y a des limites à tout. Je repense à Destan. Je ne l'ai jamais revu. Peut-être est-il... je pince les lèvres. Non, je ne préfère pas y penser. Il était très malade, un cancer... c'est tellement triste. Bon, reprends-toi, tu as du boulot.

- On peut guérir les plaies, mais pas un os brisé par exemple. Enfin, je ne crois pas... Je n'en suis pas certaine.

Sourire gêné... Halala... mais bravo. Il te demande des conseils et tu lui réponds que tu en as aucune idée. Fé-li-ci-ta-tion !

- Enfin bref ! Comme je vous l'ai dit, je fonctionne beaucoup à l'instinct. Généralement, l'intention suffit. J'ai tellement envie de guérir la personne, de lui enlever cette souffrance, que ça fonctionne tout seul. Mais je vais quand même essayer de vous expliquer. Contrairement à l'Air qui se base sur la réflexion, la guérison passe plutôt pas les émotions. Enfin, c'est ce que j'ai expérimenté.

Je laisse encore un petit silence pour essayer de rassembler mes idées.

- La chaleur dont je vous ai parlé tout à l'heure. Au départ, je la trouve en moi, c'est là que l'intentionnalité et les émotions sont importantes... c'est pour la trouver. Après, j'arrive... à la guider vers mes mains. Je ne sais pas si ça peut fonctionner différemment, mais j'ai toujours fait ça ainsi. Je pose mes mains à l'endroit exacte de la blessure. C'est plus simple. Ce que j'ai fait il y a quelques minutes, je ne l'avais encore jamais tenté avant. Donc je sais à présent que c'est aussi possible, mais cela demande plus d'énergie et de temps.

Je marque un temps. J'ai l'impression d'être tellement brouillon ! J'espère que Kurei va comprendre quelque chose.

- Après... je projette cette chaleur vers la blessure, un peu comme un transfert vers le blessé et c'est comme si c'était la chaleur qui réparait la blessure. Quand le soin est terminé, la chaleur disparaît d'elle-même.

Je souris gênée.

- Voilà... je ne sais pas si ça va vous aider, mais c'est tout ce que je peux dire. Cela ne m'étonnerait pas que je fasse des choses inconsciemment pendant que je soigne. Peut-être vous faudra-t-il demander de l'aide ailleurs si cela ne vous aide pas.

Je doute de mon efficacité, mais j'aurai au moins essayé.

Alors même le don de guérison ne peut tout guérir. Quelque part je m’y attendais. Cela me semblait trop bien pour être vrai qu’on puisse tout soigner. Bien que ce soit de la magie, j’ai toujours pensé qu’il y a des limites. On n’est pas un dans un romain, après tout, mais dans la vraie vie. Et dans la vraie vie, il n’y a pas des solutions miracles. Il y a toujours des limites à ce qu’on peut faire. Même dans la magie.

L’explication qui suit m’éclaire sur le pourquoi je n’arrive pas tellement à utiliser le pouvoir de guérison. Si c’est comme mademoiselle Sayanel le dit et que cela repose plus sur les émotions, c’est sûr que cela me poserait problème. Les émotions, c’est quelque chose que je ressens, mais je ne les montre jamais. Je ne les laisse jamais diriger mes actions. Alors du coup, quand je veux utiliser le don de la guérison, il est possible que je me bloque moi-même.

Le reste ressemble à la théorie pure de la magie. Trouve l’énergie, canalise-la et utilise-la. Simple à dire, difficile à faire quad on ne sait pas exactement comment s’y prendre. Dans ce cas, la seule chose qu’on peut faire est de s’exercer. Si la théorie ne t’aide pas à avancer, il faut passer en pratique.

Un court silence règne après que mademoiselle Sayanel finit son explication pendant que je digère tout ce qu’elle m’a dit. Au final, je n’ai rien appris de précis, certes, mais elle m’a donné des idées comment en finir avec mon problème.

« Je vous remercie. Je pense savoir ce qui peut être mon problème grâce à votre explication. »

Je dis finalement à mademoiselle Sayanel en inclinant la tête un peu en remerciement.

Evidemment, avoir une idée de mon problème et savoir comment le contourner sont deux choses complètement différentes. Je sens que je vais avoir quelque chose à occuper mes pensées pendant un moment. Surtout que les possibilités de vraiment s’exercer sont assez rares. Et quelque part, je préfère que cela reste ainsi.

J'attends en silence le verdict de Kurei. Est-ce que j'ai pu l'aider ou pas ? Je sens le stress qui monte. C'est bête, mais je n'y peux rien. Je crois qu'il est simplement en train de digérer toutes les informations que j'ai voulues lui transmettre et... sans doute qu'il réfléchit, se remet en question même. Je ne sais pas. Je n'ai pas l'impression d'avoir dit des choses fantastiques. Rien n'est clair, rien n'est précis. Comment voulez-vous expliquer quelque chose que je ne comprends pas moi-même ? C'est... compliqué, mais pourtant, j'ai essayé. On ne pourra pas me reprocher de n'avoir rien tenté, au moins. Je retiens un soupir. Le jeune homme finit par parler, me libérant de mes soucis. Oui, j'ai servi à quelque chose, quand même.

- Eh bien, je suis contente si ce que je vous ai dit vous a un peu aidé.

Je souris. Un silence s'installe entre nous. Aucun de nous ne semblent vouloir relancer la discussion. Enfin, dans mon cas, c'est plutôt que je ne sais pas quoi lui dire. Je l'ai suivi pour pouvoir m'excuser, c'est fait. J'en ai profité pour soigner son épaule, c'est fait. Il a saisi l'opportunité de me demander comment soigner, c'est fait. Et c'est quoi la suite logique ? Rien... non, c'est faux. Il y en a une, la pratique, mais je ne pense pas qu'il le souhaite et je ne me vois pas le lui proposer, puisque je refuse qu'on le fasse pour moi... se blesser intentionnellement. L'idéal serait que ça se fasse accidentellement, mais... euuuh, si c'est un accident, ça ne se prévoit pas. Genre, bravo, ça c'est intelligent à dire... enfin à penser. Pathétique.

Mon regard se perd sur les différentes parties du magasin. Je ne suis pas si mal à l'aise que ça. Ce silence ne me semble pas pesant. J'observe le rayon de la nourriture pour animaux, puis celui des jouets. Je ne sais pas si je dois rester ou pas. Après tout, si j'ai bien compris, Kurei travaille ici, alors je dois l'embêter plus qu'autre chose. Mais, il ne m'a pas non plus chassée. C'est vrai, il aurait pu me dire quelque chose du style « Merci pour vos conseils, désolé, mais maintenant je dois retourner travailler. » Ok, c'est peut-être un peu brutal, il ne l'aurait certainement pas dit comme ça, mais j'aurais compris. J'ai aussi un travail. Alors, ce n'est pas impossible à appréhender. Je pourrais aussi tout simplement lui poser la question. J'hésite, encore. En fait, je me rends compte que je n'ai pas envie de partir, pas tout de suite. Je trouve ça bête d'en rester là. J'aimerais apprendre à le connaître, qu'on dépasse ce stade de n'être que deux inconnus qui se sont rencontrés par hasard à un moment spécial. Je ne sais pas si je souhaite qu'on devienne amis, et puis, ça ne dépend pas que de moi. C'est juste que... je ne sais pas... il m'a tellement aidé ! Ça a été bref, mais si important ! Je n'ai pas envie qu'on se quitte comme ça et qu'on oublie, qu'on reparte chacun de notre côté. Sauf que... je ne peux rien lui imposer. C'est aussi sa décision.

- Je me rends compte que vous êtes au travail et que vous n'avez certainement pas le temps de rester bavarder avec moi.

Je fais une pause. Je ne suis pas certaine que le terme « bavarder » convienne vraiment à la situation, mais tant pis. Je pense qu'il aura compris le concept.

- Donc je vais vous laisser tranquille, mais... j'aimerais bien qu'on se revoie, si vous le voulez bien.

Pourquoi est-ce que je suis si hésitante ? Est-ce si terrible à avouer ? Est-ce mon orgueil qui vient me taquiner ? Impossible à déterminer.

- On pourrait, par exemple, aller boire un verre, une fois, pour discuter. En toute amitié, hein !

J'ai rajouté la fin trop précipitamment et je sens que je rougis. Râaa, c'est malin. Il va se faire des idées maintenant. Ce n'est pas ça du tout ! J'ai un copain d'abord ! Et je ne m'intéresse pas à Kurei ! Reprends-toi, cocotte ! Ce n'est pas si difficile, non ? Si, ça l'ait.

- C'est juste que vous m'avez aidée dans un moment très difficile et que je trouve bête de se quitter comme ça.

J'aimerais lui dire que, aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai l'impression que cette expérience nous a liés d'une certaine manière. Même si je ne m'en souviens pas vraiment, même si tout est flou... peut-être est-ce simplement l'impression de lui devoir quelque chose qui me retient, m'empêche de partir ainsi. Je ne sais pas, je ne comprends pas.

Un silence s’installe à nouveau, mais c’en est un qui ne dérange aucun de nous. Quelqu’un d’autre aurait peut-être cherché quelque chose à dire pour relancer la conversation, mais honnêtement, je ne vois pas quoi dire. Ou pourquoi. De toute manière, mademoiselle Sayanel m’a uniquement suivie pour me remercier, apparemment. Ceci étant fait, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit dont on pourrait parler. Je l’ai rencontré déjà une fois, certes, mais cela ne veut pas autant dire que je la connais assez pour avoir une idée de quoi discuter. Et puis de toute manière, je ne suis pas le genre à lancer une conversation. Quand je parle avec quelqu’un, c’est surtout parce que la personne en question me fait parler. Cela été toujours ainsi et je ne pense pas que cela changera de sitôt. Ou du tout.

Cela me semble assez soudain quand mademoiselle Sayanel m’adresse, me tirant de mes pensées. Apparemment, elle semble penser qu’elle me dérange. Eh bien, certes, je suis au travail, mais c’est clame en ce moment. Si cela n’était pas le cas, on m’aurait déjà appelé pour finir ma pause non-officielle. En même temps, je ne peux pas lui dire de rester si elle ne veut pas. Surtout que de toute façon, on n’a visiblement plus rien à ce dire. Ce sera une perte de temps pour elle de rester. Ce qui ne change pas le fait que mes manières ne me permettent pas de la laisser penser qu’elle soit une gêne.

« Vous ne me dérangez pas, ne vous en faites pas. »

Je finis par dire, sans autant la demander de rester. Ceci n’est pas le but. Si elle veut partir, je ne vais pas la retenir. Mais je ne veux pas qu’elle parte juste parce qu’elle pense qu’elle me dérange.

Ce qu’elle dit ensuite me surprends un peu. Elle veut me revoir ? C’est la première fois qu’on me dit une chose pareille directement. Les autres que j’ai rencontré, c’était plus du style ‘laissons notre deuxième rencontre au hasard, on finira bien par se rencontrer à nouveau’. Mademoiselle Sayanel est la première à me dire qu’elle voudrait réellement me revoir. Et à vrai dire, je ne sais pas trop ce que ses mots me font ressentir. À condition qu’elles me fassent ressentir quoi que ce soit. Certes, je remarque la signification de ses mots et du fait qu’elle est bien la première à dire une chose pareille, mais… ça s’arrête là, j’ai l’impression. Je constate le fait, mais je n’y réponds pas émotionnellement.

En même temps, à y réfléchir, c’est normal. Je ne suis pas social, après tout. La solitude, ça me va très bien, même mieux que de socialiser avec qui que ce soit. Alors c’est un peu normal que je n’y réagis pas. Je crois. Ceci dit, cela n’est pas une raison pour lui dire non.

« Cela me ferait un grand plaisir de vous revoir. »

Je dis en réponse. Ce n’est pas tout à fait vrai. Honnêtement, étant l’asocial que je suis, je m’en fous. Mais mademoiselle Sayanel est une jeune fille bien gentille et je ne vois aucune raison de lui dire non. Et puis, les manières obligent à dire un truc du genre. Surtout que je ne veux réellement pas la blesser. C’est peut-être partiellement à cause de la condition dans laquelle je l’ai vu la première fois qu’on s’est rencontré. Elle me semble presque fragile à cause de cela, bien qu’en même temps, je sente que ceci n’est pas vraiment le cas.

Après, peut-être un jour je vais réellement vouloir la revoir, que je vais m’ouvrir envers elle comme les gens normaux le font. Peut-être que la façon dont on s’est rencontré pour la première fois nous a lié en quelque sorte, qu’on est destiné à devenir amis. On verra bien. De toute façon, même si c’est le cas, cela va prendre longtemps, je le sais.

« Voulez-vous que nous échangions nos informations de contact dans ce cas ? »

Disons que si elle veut qu’on se revoit, il faudrait bien d’avoir nos numéros de téléphone ou adresse e-mail ou quelque chose pour trouver un moment où on a tous les deux du temps. Et en même temps, je ne sais pas quoi lui demander. Alors je lui laisse le choix et je m’adapterait.

Je me sens un peu mal à l'aise. Peut-être n'aurais-je pas dû... Ne suis-je pas égoïste ? Je ne comprends même pas ce qui m'arrive. Peut-être Kurei, n'a-t-il pas envie de me revoir ? Et ça ne m'étonnerait même pas... après le spectacle lamentable que je lui ai offert la première fois. Je dois certainement lui faire pitié. Peut-être même qu'il n'osera pas refuser. Je me sens mal, je n'aurais pas dû... Il m'a pourtant dit que je ne le dérangeais pas, mais est-ce sincère ? Je n'arrive pas à savoir ce qu'il pense vraiment. J'ai tellement l'impression de m'imposer, de le forcer à faire quelque chose qu'il ne veut pas. L'Air me dit que ça lui ferait plaisir, mais je sens un malaise. Cela sonne un peu faux à mon oreille. Je me mords les lèvres. Qu'est-ce que j'ai fait ? Est-ce qu'il se sent obligé, comme je le pense ? Est-ce parce qu'il m'a vue, toute fragile, non, cassée même, à l'hôpital ? Je n'arrive pas à le cerner. Son attitude est tellement... froide ? Je ne sais pas, il met de la distance entre nous, alors que je n'ai même pas vraiment cherché à m'approcher. Enfin, je n'en ai pas l'impression. Je ne sais pas, si je lui avais fait du rentre-dedans, j'aurais compris, mais là... je l'ai tutoyé au début, est-ce que ça compte ? Je n'ai encore jamais rencontré quelqu'un comme lui. Le Guérisseur ne semble pourtant pas timide, mais est très poli. J'ai d'ailleurs l'impression qu'il se cache derrière cette politesse, c'est comme une barrière, une protection. Et puis, c'est quoi cette manie de m'appeler « Mademoiselle Sayanel » ? Bon sang, je suis juste une étudiante, je ne suis personne, il n'a pas besoin de me témoigner autant de respect, ce respect qui me met si mal-à-l'aise. C'est étrange, non ? Que ce trop plein de respect me gêne. Je suis généralement polie avec les gens que je ne connais pas, mais ici, à Terrae, on est assez cool. Bien sûr, je vouvoyais mes profs lorsque j'allais en cours, mais c'était normal. En fait, j'ai l'impression qu'il joue un rôle, mais je ne sais pas si c'est conscient, ou pas, si c'est « contre » moi, ou pas. Sa bouche dit une chose, ses yeux une autre. C'est assez déconcertant. Je ne sais plus comment réagir. Dois-je battre en retraite ? Abandonner ? Je n'en ai pourtant pas envie, mon instinct me murmure que je ne dois pas partir, que ce n'est pas le chemin à prendre. Est-ce qu'il me faut simplement être patiente ? Peut-être que mon interlocuteur n'est simplement pas encore prêt ? Pourquoi je me pose toutes ces questions d'abord ? Je n'en sais rien, je ne fais que des suppositions sur des impressions. Parfois, pourtant... je tombe juste.

Kurei me propose d'échanger nos infos. Je hoche la tête. Au fond de moi, je suis encore indécise, partagée, mais je tâche de masquer mon trouble. Qui suis-je pour le juger ainsi ? Ce n'est pas parce qu'il est une énigme pour moi que je dois voir le pire. Après tout, il a accepté et même s'il le fait à contre cœur, y suis-je pour quelques choses ? Il a fait un choix. Je ne suis pas dans sa tête, je ne peux pas savoir ce qu'il pense. Il faut que j'arrête de réfléchir pour les autres. Qu'est-ce que je veux, moi ? J'ai envie de le revoir. C'est tout. Alors, on va essayer. Et puis, on verra ce que ça va donner. Peut-être qu'on va se rendre compte que ça ne sert à rien, peut-être que ce sentiment que je ressens est biaisée, peut-être que, finalement, on n'est pas du tout fait pour s'entendre et que le revoir est une erreur. Tant pis, je veux expérimenter la chose. Si on n'est pas fait pour être amis, je ne vais pas en mourir.

Je lui souris.

- Oui, avec plaisir. J'ai toujours l'adresse mail de l'institut et...

Je fouille dans mon sac pour y trouver un stylo et un bout de papier sur lequel j'écris mon numéro de téléphone portable.

- Voici mon numéro. Contactez-moi, par le moyen que vous préférez, quand vous aurez un moment de libre.

Je lui tends le papier. Toutes les adresses mails de l'école sont créées de la même manière avec le prénom et le nom séparé d'un point. Je sais que l'Air connaît les deux et au pire, il y a moyen de rechercher l'adresse voulue si on ne connaît que l'un des deux. Je ne vois donc pas l'intérêt de l'écrire sur le papier. Si le jeune homme souhaite vraiment me revoir, il me contactera, autrement tant pis. Ainsi, je lui laisse le choix. Je me sens mieux. Ce n'est pas à moi de décider, alors je ne peux rien lui imposer, pas vrai ? Pourquoi j'ai cette peur tellement puissante de forcer les gens à faire quelque chose ? Pourquoi est-ce que je ressens ça avec lui ? Sans doute, parce que j'ai l'impression qu'il ne me dit pas ce qu'il veut, lui. Peut-être est-ce un reste de ce qu'on a vécu à l'hôpital... ou du moins, ce que je crois qu'on y a vécu. C'est tellement flou.

- Bon, je vais vous laisser. Encore merci ! Au revoir.

Je m'incline légèrement devant lui, comme je l'ai vu faire. Je sais que les asiatiques utilisent ce genre de gestuelles, alors je m'adapte. Je quitte le magasin et me mets en route, sans but. Je me sens vraiment bizarre après cette rencontre. Je suis à la fois contente d'avoir revu le Guérisseur et d'avoir pu le remercier, et en même temps, je ressens une sorte d'amertume, de choses inachevées. Je ne sais pas... je ne sais toujours pas...

Hrp:

Elle semble hésiter un instant, mais au final, mademoiselle Sayanel me donne son numéro de téléphone et adresse mail. Je prends le petit papier et le mets dans mn portefeuille pour ne pas le perdre tout en écoutant la jeune fille en face de moi.

« D’accord. »

Le fait qu’elle me demande d’être celui qui fait le premiers pas ne me surprends pas vraiment. Pas parce que je m’attendais à cela d’elle, mais parce que j’étais appris que dans ces conditions-là, même pour une amitié simple et rien de plus, ce doit être le garçon qui fait le premier pas. Après, j’avoue que je n’ai pas pensée que d’autres gens s’y tiendraient forcément et je crois tout de même que la raison pour laquelle tel est le souhait de mademoiselle Sayanel est différente. N’empêche que je ne suis pas surpris.

Alors qu’elle s’apprête à partir, la jeune demoiselle me remercie encore. Je ne comprends toujours pas pourquoi, mais cette fois-ci, j’accepte ses remerciements sans insister. Selon moi, je n’ai rien fait pour quoi elle devrait me remercier, mais apparemment, mademoiselle Sayanel pense autrement. Je ne vais pas essayer de la convaincre d’avantage. Cela ne pourrait mener qu’à un malentendu ou une dispute et je préfèrerais éviter les deux. Je ne suis peut-être pas très social, mais cela ne veut pas autant dire que je vais faire exprès de mettre les gens en colère contre moi pour qu’ils se fâchent et me laissent tranquille. J’ai déjà appris que cette technique ne marche pas, merci.

« Je vous remercie aussi. Et bonne journée. »

A vrai dire, je ne suis pas trop sûre pourquoi je lui remercie alors que je m’incline devant elle, tout comme elle le fait. Peut-être pour m’avoir supporté et pour s’adapter tellement à mon comportement ? Ou tout simplement pour le simple fait de vouloir me revoir, bien que je ne peux pas vraiment dire que cela me fait ressentir quoi que ce soit de particulier. C’est assez étrange.

« Yataro ! Si ton amie est partie, retourne au travail ! Ces petits ne vont pas se nourrir tout seuls. »

Je suis tiré de mes pensées par l’appel de mon patron. Je peux réfléchir à tout ça plus tard. Maintenant, au boulot.