Je ris un peu. Je ferai la bouillotte quand on sortira de l'eau surement. Elle a toujours froid, c'est assez fou quand même. Il parait que c'est un truc de fille. Ou c'est juste elle, allez savoir. En tout cas faut pas chercher plus loin le pourquoi du comment je me retrouve sans couette la moitié du temps. Pas que ça me dérange vraiment non plus, hein. Je suis à un stade où avoir froid est un peu devenu un concept lointain.

Je pourrais la pousser dans l'eau là en vrai… Je crois qu'elle m'en voudrait, mais ce serait très drôle. Quand on était allés faire cette escapade au onsen l'an dernier c'était cool aussi. Je crois qu'on manque un peu de ces occasions où on peut profiter tranquillement. C'est aussi pour ça qu'elles me sont si précieuses. Je pense rarement à prendre mon appareil mais ça me va aussi. Parfois les meilleurs souvenirs qu'on se fait ne tiennent pas qu'aux images.

Elle se rapproche et je lui rend son câlin avec un sourire doux. Elle me connait trop, maintenant. Elle sait toujours quand je pense à un truc moins joyeux ou que je m'égare dans des pensées un peu déprimantes.

— Ma conduite est moins sportive que ton vol, Princesse, je rigole. Rappelle moi qui avait failli nous faire nous écraser ?

En vrai, j'aime bien voler un peu avec elle de temps en temps. A condition qu'on évite les loopings. J'ai pas un si bon estomac que ça. Je lui rend son bisou doucement avant de poser mon menton sur son épaule.

— C'est vraiment le seul truc qui me manque à Terrae, je crois.

J'ai tout ce que j'aime là bas. J'ai Aoi, j'ai mon boulot pour Terrae, j'ai des amis, j'ai la photo. Il me manque vraiment que la mer. Si un jour on part s'installer en dehors de l'institut, je voudrais une maison pas loin de la côte.

— Je t'aime, je souffle.

Est-ce que c'est mal de me sentir heureux ?

C'est avec un sourire doux que je le laisse me câliner, restant un petit moment comme ça contre lui. C'est quiet, parfois ; j'aime bien ces moments rien qu'à nous où on n'a pas besoin de s'inquiéter de ce qui peut arriver. C'est là que je vois qu'on a pu faire du chemin ; et autant ma fuite de l'an dernier n'était pas très sympa, autant je suis plutôt contente d'être partie au final. On a réussi à mettre sur le tapis tout ce qu'on n'arrivait pas encore à se dire ; à se faire plus confiance, peut-être. Et c'est quelque chose de précieux, de savoir que l'on peut se faire mutuellement confiance. Que l'on ne se juge pas, qu'on veut simplement avancer, à notre rythme, main dans la main.

Mes joues s'empourprent instantanément. Mon vol, sportif ?! C'est lui qui a un estomac de pleurnicheur ! Je ne fais même pas de loopings quand je l'emmène voler, c'est lui qui est de mauvaise foi !

—Mais n'importe quoi ! Je n'étais même pas Master encore, à l'époque, tu exagères ! Et puis, c'est toi qui essayais de me faire rougir, ça me déconcentrais, je m'amuse en jouant avec ses cheveux.

Un petit vent se lève, mais je nous protège avec une fine barrière. Mon sourire en coin ne me quitte pas pendant qu'il me câline en observant la mer. Je regarde derrière moi avec un sourire de plus, les yeux perdus dans le vague.

Lentement, je redresse la tête vers lui et effleure ses lèvres des miennes, tendre. Mon nez fait de même avec le sien et je pose mon front contre celui de mon fiancé. Nos souffles couvrent presque le son de la mer, dans la petite bulle que nous nous sommes créée.

—On n'aura qu'à prendre une petite maison près de la mer un jour, quand on aura suffisamment économisé, je ris. Bon, une maison de vacances, hein. N'abusons pas non plus.

Je lui lance un sourire mutin, les yeux brillants. C'est un peu étrange de nous imaginer plus vieux, en famille. Tous les deux ...? Ou bien...

Je m'écarte doucement et lui prends la main en commençant à marcher le long de la plage.

—Ou sinon, on demandera à nos amis à Terrae de nous aider à la construire ! Ce serait magique~

Je rigole en la voyant rougir quand je critique gentiment sa façon de voler. En vrai, je sais qu'elle me ménage. Elle fait rarement des figures acrobatiques avec moi alors que je sais que ça la gêne pas tant quand elle est toute seule. Mais j'aime la taquiner. C'est un truc qui me fait toujours sourire par rapport à notre relation. Depuis le début j'aime la taquiner sur plein de trucs mais ça me fait aussi plaisir qu'elle me le rende. Pas que j'aime me faire remettre à ma place, enfin un peu. Mais j'aime avoir du répondant en face.

Quand je pense qu'on se connait depuis… Quatre ans ? Trois ? On a tellement changé tous les deux. Et ensemble aussi. Depuis le champ de fleurs et notre premier combat tout est devenu différent. Enfin, pas tout. Mais ça me fait aussi plaisir parfois de réaliser à quel point on a changé. Et je ne regrette rien en ce qui la concerne, je crois. Certains trucs auraient pu mieux se passer, c'est sûr mais au final nous comme on est maintenant n'aurait pas été possible autrement.

J'aime l'idée de la maison de vacances. Un endroit tranquille et lumineux où on pourrait passer des week-end, tous les deux. Avec des amis ou… Un jour faudra peut-être que je lui pose la question quand même. Ca m'énerve d'y penser aussi souvent mais c'est ma mère, ça. Depuis qu'on a recommencé à s'envoyer des lettres, elle me demande tout le temps ce genre de chose. C'est affreusement gênant.

— J'adorerais l'idée d'une maison pour nous deux. Mais ne demande surtout pas à Mitsu de faire les plans, je rigole.

Je serre sa main dans la mienne avec un sourire. Ca pourrait être marrant de construire ça tous ensemble.

— J'imagine bien comment on construirait ça avec nos pouvoirs. Je ne sais pas trop ce que donnerait une maison comme ça. Pas sûr qu'elle tiendrait debout.

Ou alors on retrouverait des cadavres dans les murs. J'suis sûr que Piu en profiterait pour cacher le corps de son dernier meurtre.

Ce qu'il faut savoir et comprendre, c'est qu'Huo était vraiment imbuvable fut un temps, et que son hobby préféré était de me faire perdre mes moyens. Imaginez juste la tête qu'il a eue quand il s'est rendu compte - à ses dépends - que m'embarrasser pendant que je nous faisais voler était la pire idée du monde, hmmm ? Il a toujours du mal, depuis. À croire que le traumatisme a été profond~

Nous continuons à parler un peu et ramassons nos chaussures pour nous balader sur la plage, main dans la main. Quelque part, discuter des choses insouciantes avec lui nous fait du bien ; on ne pense pas à mes études qui nous obligent à un rythme de vie qui ne nous convient pas forcément, on ne pense pas non plus aux problèmes qu'on a du surmonter au cours de l'année et demi écoulée.

—À Mitsu ? je ris. T'es fou ! Elle ferait tout s'écrouler ! Ou alors elle mettrait des salles secrètes partout.

On se retrouverait comme dans Mr. & Mrs. Smith à s'entretuer sous notre propre toit parce qu'on s'est fait des cachotteries, hmm. Autant éviter de créer de la pagaille en engageant Mitsuki… Je ris en imaginant comment on pourrait la construire. Finalement, ça me dit bien, je crois ; tous ensemble, avec peut-être Allen et Huo qui finiraient par réussir à s'entendre. J'imagine Ariana, j'imagine Nicolas, j'imagine Ipiu, Mitsuki, Allen, Selvi, Matheo, Ys aussi, étrangement. Mon coeur s'adoucit et un sourire tendre se glisse sur mes lèvres.

—Mais si, elle tiendra debout, je souris. Avec un peu de volonté, beaucoup de raccommodage... Je suis sûre qu'on arriverait très bien à s'en sortir, tous ensemble…

Ce serait une maison où tout le monde pourrait venir quand il le veut. Une grande maison avec beaucoup de chambres, et une jolie vue ; une maison avec des décorations faites par des terres, avec des petits arbres en pot. Une cheminée pour l'hiver, une grande véranda pour l'été.

Et puis, peut-être qu'un jour, on ne sera plus obligés de se cacher. Peut-être que Terrae s'ouvrira, et qu'on pourra se permettre de vivre à l'extérieur. Que ce ne sera pas dangereux pour nous ou notre famille ; juste être capable de vivre…

Mes doigts se resserrent autour de ceux d'Huo. Cette ouverture de Terrae, déjà, c'est un espoir. Et je me rends compte qu'il faut vraiment que ça marche. Il faut que ça fonctionne… Pour nous, pour les élèves, pour notre vie.

Parce qu'on ne peut pas rester enfermés à jamais. Peut-être qu'on pourra utiliser nos pouvoirs ailleurs, être embauchés, pour ceux qui le souhaitent, dans des entreprises ; ouvrir un cabinet médical, ou avoir une permanence à l'hôpital de Tokyo. Pouvoir toucher les gens avec ce que nous faisons, en bien.

Mes yeux se ferment un instant alors que nos pas ont ralenti. Je me tourne vers Huo, à qui je renvoie un sourire très doux.

—Huo, je commence tout doucement après un temps de silence, sans trop savoir pourquoi je pose la question. C'est quoi, ton plus grand rêve ?

Je serre doucement sa main dans la mienne, mes chaussures dans l'autre, en remontant la plage. C'est bien de pouvoir prendre le temps de parler de tout et rien. ET puis penser à l'aspect d'une maison que costruirait Mitsu me fait bien rire. Un mix entre de l'arcitecture futuriste et un chateau fort, je crois ? En tout cas c'est drôle.

— L'idée me plait. Ce serait bien d'avoir un endroit comme ça, où on pourrait aller les week-end pour être au calme et inviter des gens.

On a la maison dans le village, bien sûr mais Terrae est rarement calme honnêtement. Il y a toujours des nocturnes, des gens qui passent et quelqu'un pour venir sonner. Alors ouais, une cabane au bord de la plage dans un coin désert me plairait. Pas trop longtemps parce que je m'ennuierai mais pour y passer de temps en temps. On pourrait la construire et la partager, la laisser à disposition pour ceux qui veulent.

J'suis plutôt quelqu'un de réaliste mais j'aime visualiser ça. Une petite maison en bois genre un peu bungalow à l'ancienne avec des arbres autour. J'aimerais qu'on vive tous heureux. J'aimerais qu'on arrive un jour à faire ce qu'on veut sans être regardés de travers. Je ne sais pas trop si c'est un rêve.

— Mon plus- Hmm… C'est une bonne question.

J'entrelace nos doigts un peu plus en réfléchissant un instant.

— Je ne sais pas si j'en ai un. Avant, ça aurait été quelque chose de banal. Maintenant je crois que je voulais surtout une vraie maison, un endroit où retourner où je me serais senti bien. Là… Je l'ai déjà alors je ne sais pas. Je crois… J'ai toujours voulu avoir une de ces familles qu'on voit dans les films. Et avec toi, je l'ai. Avec Nico et Piu et les autres.

Mais ça c'est ce que j'ai. Pas ce dont je rêve.

— J'suis quelqu'un de simple, au final. Mon seul vrai rêve c'est qu'on continue d'être heureux aussi longtemps qu'on pourra. J'aimerais vieillir avec toi, Princesse.

Je presse doucement sa main et m'arrête pour la regarder. Elle ne se rend pas compte à quel point elle m'a changé.

— Toi, qu'est-ce que ce serait ?

Comment en est-on venu à en parler de cette maison, au juste ? Peut-être parce que maintenant que notre vie est plus calme, on a moins de difficultés pour se projeter… Parce qu'on a réussi à surmonter plus de choses ensemble, aussi ? Une guerre, des séparations violentes, le manque de confiance... Et pourtant, malgré tout ça, on est encore là. Parce qu'on s'accepte, qu'on se comprend, qu'on s'accepte. On fait des concessions l'un pour l'autre, et cette maison, la mer, je sais que ça lui tient aussi à coeur. Particulièrement depuis qu'il est passé Master, je vois bien qu'il a trouvé cet équilibre, même si des choses ont encore l'air de manquer... Et parfois, j'ai besoin de savoir de quoi il s'agit. Je n'ai pas envie de lui imposer ma vision des choses, mon rythme de vie assez insupportable - bien que parfaitement addictif.

Alors me dire qu'on pourra sortir un peu, qu'on pourra s'ouvrir aux autres, qu'on pourra peut-être avoir une vie normale, et non plus seulement tournée autour de Terrae... Ca me dirait bien ? Pas parce que je n'en peux plus, simplement parce que je me rends compte que de faire tourner toute notre vie autour d'un seul et même lieu peut être malsain à la longue. Pour le moment, je ne me sens pas encore capable de partir. Mais un jour, je sais que j'en aurai besoin... Pas définitivement, mais par moments. Comme l'année dernière. Petit à petit...

Mon sourire s'adoucit davantage lorsqu'Huo répond à ma question, un peu sortie de nulle part, je l'admets. On ne dirait pas comme ça, mais c'est un grand romantique, Huo. Il cherche un endroit sécure, chaleureux, et... Enfin, qu'il me dise l'avoir trouvé avec moi, ça réduit aussi beaucoup mes insécurités. C'est doux, avec lui ? Avec les autres aussi. Mitsuki, Allen.

J'y repense encore une fois, mais je me dis que j'aimerais vraiment qu'Huo et Allen prennent le temps d'apprendre à se connaître. Peut-être parce que ce sont un peu les deux hommes de ma vie ; et je sais que c'est pour ça qu'Huo a autant de mal à le supporter. Allen... Je ne sais pas s'il ne l'apprécie pas parce qu'il a pu me faire du mal fut un temps, ou simplement parce qu'il le considère comme étant trop hautain et arrogant. Dans tous les cas, c'est assez drôle d'avoir le retour d'ascenseur des deux, même si je préfèrerais largement qu'il y ait coopération...

Ma main répond à la pression de la sienne. Je sens mon visage chauffer sous l'intensité de son regard, mais c'est une chaleur douce et heureuse qui me procure beaucoup d'apaisement. C'est comme être chez-soi. Je me rends compte que ça pourrait être n'importe où, tant qu'il est là.

—J'ai hâte de voir quelle tête tu auras avec toutes tes rides, je me moque doucement de lui, avant d'embrasser ses lèvres avec tendresse.

Moi, mon rêve... Je me rends compte que je lui ai posé la question, mais que je n'avais même pas réellement réfléchi à ce que je pourrais en dire de mon côté. Mes épaules se haussent, mes yeux se perdent autour de nous.

—C'est difficile de répondre... je finis par lâcher au bout d'un temps. Quand on passe Master, on pense que toutes nos problématiques sont résolues, mais on sait tous les deux que ce n'est pas le cas... Enfin, moi peut-être plus que toi, je le taquine encore.

Ce n'est pas un reproche, au contraire. On a tous une période où on est plus calme, où tout va bien, où on est sereins. C'est l'effet de la Masterisation, qui dure un peu plus longtemps dans le temps... Mais après, une autre problématique se dresse. On est humains, au final. On n'arrête pas de souffrir pour autant. On arrive peut-être simplement mieux à gérer...

—Je crois que j'avais besoin de me trouver un but dans la vie ? Je me suis toujours… sentie nulle et inutile. On me pointait souvent du doigt, et on profitait de ma timidité pour me rabaisser et m'utiliser. C'était une période un peu difficile, mais maintenant, ça va mieux. Pas seulement à cause de la Masterisation, mais aussi parce que Terrae change les gens... Et en bien.

J'ai un sourire en reportant mon attention vers Huo. On ne parle pas souvent de ces choses-là, je crois. Je lui ai toujours reproché de ne pas s'ouvrir à moi, mais au final, je ne suis pas mes propres conseils.

—Maintenant, j'aimerais rendre le bien qui m'a été fait. Parce que je sais que j'en ai le pouvoir… littéralement, je ris. Les capacités, je ne sais pas, mais j'en ai la détermination, au moins.

Je m'empourpre encore et me retiens de me passer une main sur le visage pour effacer la gêne.

—Tu vois, toi tu fais de jolis discours, et moi je dis de nouveau des bêtises. Mais je ne sais pas, j'ai envie qu'on vive heureux dans un monde où tout le monde sera bien aussi ?

Et ça vaut bien tous les sacrifices.

Est-ce qu'un jour on pourra tout se dire ? Je sais qu'on a fait tellement de progrés tous les deux. Mais parfois il y a des choses que je ne lui dis pas. Je ne sais pas bien si c'est par pudeur, par fierté ou par peur. Peut-être un mélange ? Je lui dit encore assez peu que je l'aime. En tout cas je ne le dis pas texto en général. Parce que je suis comme ça. D'un autre côté j'ai aussi ces moments romantiques dont j'ai besoin avec elle. Parce que je sais que ça la rassure et que moi ça me fait plaisir.

Un truc que j'ai compris à la longue c'est que Aoi peut paraître très sure d'elle d'un abord extérieur mais que souvent c'est le contraire. Elle n'est pas totalement insécure non plus mais je sais qu'elle n'aime pas que je ne sois pas là pour la rattraper. C'est aussi un rôle que j'accepte je crois. Et elle fait la même chose pour moi quand j'en ai besoin. Je suis pas spécialement quelqu'un de fort mais j'encaisse bien en général. Quand je n'y arrive pas, c'est vers elle que je me tourne.

Je ris doucement en la voyant rougir et lui rend son baiser. Moi, ridé… Je serais un très beau vieillard je suis sûr. Probablement plein de rhumatismes et tout rouillé vu ce que j'ai fait de mon corps mais bon on peut pas tout avoir.

Je roule des yeux doucement. C'est vrai qu'être Master ne résout pas tout. Mais je pense que la sérénité que la Masterisation nous donne ne se dissipe jamais totalement. Ca arrive, oui, mais on garde quand même un peu cette flamme intérieure qui nous relie à Terrae et à nos pouvoirs et qui nous aide à appréhender les choses différemment je crois. Même si c'est pas toujours un succès hein, faut pas se mettre à croire aux miracles non plus.

— Je me demande si un jour tu arriveras à voir le bien que tu fais déjà avant de vouloir en faire toujours plus, je la taquine. J'suis surement plus égoïste que toi alors dis pas que c'est une bêtise. C'est un beau rêve aussi.

Preuve en est que j'ai pensé à moi d'abord quand elle m'a posé la question. Mais en fait ça me convient ? Je suis celui qui pense à nous d'abord quand elle pense aux autres. On se complète.

— Tu sais, j'ai- Enfin j'ai envoyé une annonce de fiançailles à ma mère par la poste. Je ne sais pas si elle répondra. J'aurais aimé que tu la rencontres.

Il a encore roulé des yeux. Je fais la moue un instant et le pince un peu pour la peine, puis lui renvoie un sourire. Il sait que ça me gêne quand il me dit ce genre de choses. Pourtant, je ne fais pas grand-chose encore ; je suis juste là, j'apprends, et j'espère pouvoir faire plus à l'avenir, oui. Parce que je pense qu'on n'en fais jamais assez, parce qu'on peut toujours aller plus loin, plus haut, plus fort. C'est aussi ça, ce que m'a appris ma Masterisation. Même si je ne pense pas en être capable, il faut que je puisse le faire. Malgré tout ça, j'aimerais être un peu plus égoïste, parfois ? De me dire que "nous" compte plus que mes études ou mes projets en médecine, ou pour Terrae. C'est terriblement égoïste de ma part aussi, peu importe ce que lui en pense. J'appuie doucement ma joue contre son épaule, sans cesser de le regarder.

—Peut-être, j'élude. Mais sans toi, ce n'est pas aussi bien.

Mon sourire est taquin, doux. Je garde mes mains liées aux siennes sans bouger, un peu surprise lorsqu'il me parle de sa mère. Je ne sais pas trop quoi lui dire non plus. Alors je me contente d'effectuer une pression légère sur ses doigts dans un premier temps, le temps de remettre mes pensées en ordre. Huo a un rapport complexe avec sa famille. Mais c'est vrai que j'aimerais bien la voir aussi, un jour... Même si c'est angoissant ? Enfin, je lui ai bien fait rencontrer la mienne alors bon...

—C'est bien que tu l'aies fait, je souffle finalement. Je suis un peu nerveuse aussi, du coup... Mais je suis sûre que ça va bien se passer ?

Je lui renvoie un sourire, me redresse et embrasse sa joue.

—Je sais que tu m'en as un peu parlé, déjà... Mais j'ai du mal à l'imaginer. Elle ne sera pas trop offusquée que tu veuilles épouser une japonaise ? je lâche dans un rire.

Je souris doucement, un peu heureux, stupidement heureux. Une preuve d'amour, c'est toujours agréable à recevoir. Et qu'elle dise que je suis important dans sa vie, qu'elle aime savoir que j'y suis c'est une sorte de pensée rassurante qui me réchauffe un peu. Lui parler de ma mère me la rappelle et c'est un peu comme froid et chaud en même temps. Je presse un peu ma main contre la sienne en réponse.

— Même si ça ne lui plaisait pas, je ne demande pas sa permission.

J'enroule un peu mon bras autour de sa taille avant de faire demi tour lentement vers l'autre bout de la plage, d'où on est partis. Même si c'est vrai que l'avis de ma mère m'importe un peu ce n'est pas ce qui me ferait changer d'avis.

— Je veux faire ça parce que je t'aime. Pas par convention sociale ou une autre connerie du style. Et si j'avais attendu l'approbation de mes parents pour faire quoi que ce soit, je ne serais pas ici.

Je me mordille la lèvre. Je ne sais pas comment formuler ce que je veux faire avec cette lettre. Il y a peut-être un peu cette idée de vouloir son avis mais ce n'est pas juste ça. Je veux surtout renouer le contact avec elle. C'est une occasion comme une autre.

— Et toi, tu l'as dit à ta mère ? Que je sache si je dois me préparer à ce qu'elle débarque un de ces jours pour me castrer.

Je rigole doucement. Kumiko est une femme un peu effrayante mais je crois qu'elle ne désapprouve pas non plus complètement notre relation. Mais bon, j'aimerais quand même savoir ce qu'elle en dit ? J'ai jamais été doué pour les conventions sociales. Enfin, je préfère les ignorer en général.

Ca n’a pas trop l’air de le choquer de dire ça, mais pour autant, je n’arrive pas à me dire que ce n’est pas grave si elle ne l’accepte pas. Ce serait comme, je ne sais pas, comme si ma mère n’acceptait pas du tout Huo ? Je sais qu’elle ne serait pas pour qu’on se marie, pas aussi jeunes, pas en sachant que mon père est parti et l’a laissée, pas en sachant qu’elle a fait l’erreur d’aller trop vite. Et quelque part, je sais que c’est aussi ce qui me bloque. Parallèlement, si la mère d’Huo ne m’accepte pas, qu’est-ce que je suis censée dire ou faire ? “Ce n’est pas grave” ? J’ai du mal à me faire à cette idée…

J’esquisse une moue, laisse mon regard courir autour de moi. Ses doigts pressent les miens tendrement, gentiment. Et ses mots me rassurent un peu. Ne pas penser aux “et si”, c’est ça ? Le regard des autres, les conventions… C’est vrai, pourquoi on ne pourrait pas faire ça simplement parce qu’on s’aime et qu’on est bien ensemble ? Mais est-ce qu’on en a besoin, quelque part ? Est-ce qu’on a besoin de ça pour se le prouver, ou bien c’est pour le prouver aux autres ? Peut-être qu’on veut simplement partager ça ensemble…

—Au moins, on est sur la même longueur d’onde… je souris en coin. Je sais bien que c’est pour nous. C’est aussi pour toi, pour nous deux, que je veux le faire...

Malgré mon angoisse et mes insécurités. Je ne sais pas, ça paraît beaucoup moins effrayant quand on se dit ça ?

Je n'ai pas le temps de réellement me faire à l'idée de ce que je viens de lui dire qu'il renvoie directement sur un sujet qui fâche. Je. Hum. Grumblr. Comment dire. Je crois que mon visage a viré écarlate.

—Disons que je lui laisse le temps de t'apprécier suffisamment avant de le lui annoncer ....? je balbutie.

... CE N'EST PAS QUE JE N'ASSUME PAS, JE N'AI PAS DIT CA. Mais. Je. J'ai peur pour la vie d'Huo et la santé mentale de ma mère, là, d'accord ??

—Elle t'aime bien quand même, hein ! Mais je voulais pas lui faire le choc de la rencontre et des fiançailles en si peu de temps… Et après c'était jamais vraiment le bon moment ..?

Bon. Je sais. Je devrais l'appeler. Ou aller la voir. Mais. Oui, non. J'ai peur, là.

Je sais que ça peut la faire hésiter de parler de mariage alors qu'elle a seulement 23 ans mais en même temps… Enfin je sais pas, ça me semble pas si jeune ? Sa mère l'a eu très tôt et elle ne veut pas faire les mêmes erreurs, c'est normal, mais pour moi… Enfin je suis à l'âge où on pense à ce genre de chose. On habite ensemble, on a une relation stable et même si elle est encore en plein dans ses études pour moi c'est différent de parler de mariage et d'avoir un gosse ? Enfin je sais pas. De toute façon, en soi, ça me gêne pas de rester fiancé plusieurs années en vrai.

J'acquiesce doucement. C'est quand même un peu révélateur la façon dont elle le dit. Je sais qu'elle le dit aussi pour moi. Enfin, elle ne tient pas à ça autant que moi, je le sais. Ca ne me dérange pas tant que ça ? Je veux dire, tant qu'elle ne le fait pas juste pour me faire plaisir.

J'etouffe un ricanement derrière ma main quand je la vois rougir. La question qui fâche, hein. Je me doute qu'elle n'en a pas encore parlé à sa mère. Moi aussi elle me fait peur. Ouais, bon, je rigole, mais je sais que j'ai aussi peur de la réaction de Kumiko qu'elle.

— M'apprécier, hein~ Dis plutôt que tu attends de plus avoir le choix, je rigole.

Après c'est vrai qu'on a pas trop eu le temps de s'occuper de ça depuis les fiançailles. Mais bon, elle devrait appeller sa mère plus souvent, je trouve. Depuis la mort de son père, elle ne lui a pas vraiment parlé. Je ne sais pas comment elle gère ça avec sa mère mais je pense qu'elles devraient discuter aussi à propos de ça.

— Si tu comptes lui annoncer au téléphone, je suis pour. Ca m'évitera un danger physique immédiat.

J'ai rien contre sa mère honnêtement. C'est elle qui a du mal avec moi. Ce que je comprends. Aoi est sa fille, son bébé. Et moi je suis un voyou. Si j'avais une fille de cet âge, j'approuverais pas forcément non plus.

Finalement, on arrive au niveau de l'endroit où j'avais garé la voiture en continuant de discuter. L'étape d'enlever le sable et remettre les chaussures est délicat mais quand on peut se sécher instantanément ou presque ça va vite de toute enlever. J'ai comme une pointe de tristesse de voir que la journée se termine mais en même temps je sais qu'il y en aura d'autres très vite. Ce sont des moments comme ça qui me font avancer.