« Je veux que tu sois libre... »
La réponse ne fut pas celle que tu attendais. Jamais tu n’aurais imaginé entendre ça, cela t’était inconcevable. « Libre », un mot ne faisant pas vraiment partie de ton vocabulaire même si tu en comprenais le sens. À tes yeux, tu ne seras jamais livre, jamais réellement. Si ce n’est pas le conditionnement qui te lie, c’est ta maladie qui t’enferme, à travers tes démons, tes paranoïas, tes prises de médicaments. Il y aura toujours quelque chose qui fera que tu ne seras jamais tout à faire libre. Mais tu es encore trop enchaîné dans ces habitudes pour comprendre encore tout ça. C’est encore trop tôt, tu n’as pas encore réellement ouvert les yeux. Alors, tu ne comprends pas sa réponse, cette envie si philanthrope. Cela te perturbe, à tes yeux, les humains sont tous égoïstes, ne pensent qu’à eux, à leur envie, leur besoin, leur pulsion. Et lui, il pense d’abord à toi.

Tu n’as jamais croisé ce genre de personne. Gentille, c’est le mot, des personnes gentilles. Il t’offre des vêtements parce que tu as froid, te laisses entrer dans sa chambre, son espace de sécurité, et te dit qu’il veut t’aider. Il te met mal à l’aise, alors tu t’éloignes de lui comme s’il t’effrayait, te repliant sur toi-même. Quelque chose d’anormal pour toi, de nouveau, de trop nouveau.
─ Mais… Samaël est libre… maintenant.
Oui, après tout, il n’est plus dans cette cave, il voit le soleil, d’autres gens, il a moins froid, on l’oblige plus à faire ce qu’il ne veut pas vraiment faire – si on ne compte pas ses obligations de manger ce qu’on lui donne. De son point de vu il est libre. Il est libre, physiquement. Mais mentalement, ça ne suit pas, et ça, il ne le voit pas.

Heureux. Tu t’arrêtes sur ce mot, un instant. Tu te demandes soudainement à quel moment on sait qu’on est heureux. Tu en sais rien, peut-être l’es-tu en ce moment, ou peut-être pas. Si c’est une notion de plaisir, tu es heureux, à cet instant, parce que franchement, ces vêtements sont agréables à porter. Mais c’est le genre de mots terriblement abstrait que même les saints d’esprit ne savent pas cerner, parfois se complaisant d’une fausse joie. Alors avant que tu sois réellement heureux, que tu le penses réellement, il en faudra du temps.
─ Sais-tu ce qu'est un ami ?
Tu le regardes avec des yeux ronds, restant dans ton coin comme un gamin n’osant parler à un inconnu trop étrange.
─ Un… un ami ?
Non, tu ne sais pas ce que c’est, ou du moins, pas en bien. Le mot ami a bien trop été utilisé pour te mettre en confiance, pour te tromper. Alors soudainement, ton regard se referme, et même si tu restes sur place, tu sembles t’échapper de la pièce.

u restes immobile, à le regarder. Tu ne te montre pas agressif, mais fuyant, tes muscles tendus prêt à attaquer ou fuir s’il s’approche trop de toi. Tu te méfis, face à un danger inexistant. Tu as du mal, tu n’arrives pas à croire qu’il soit gentil et rien d’autre. Qu’il n’y a rien d’arrière ce comportement. La bonté gratuite, ça n’existe pas, ça ne peut pas exister. Et plus on se montre bienveillant avec toi, et plus tu te renfermes et montres les crocs. On t’a trop leurré, mis dans la tête à te méfier d’un monde qui ne te veut que du mal. Paranoïaque. Oui, totalement, car on ne t’a pas laissé le choix.
Akito ne bouge pas, restant à sa place, n’osant s’approcher de l’animal qui se hérisse dans la peur. Un silence s’installe, si expressif. Il finit par esquisser un sourire, ce sourire que tu as soudainement envie de lui arracher tellement tu ne le comprends pas, qu’il te met mal à l’aise.

Il rompt la lourdeur de l’atmosphère de sa voix claire, t’expliquant à ses yeux ce qu’est un « ami ». Tu l’écoutes, le fixant de ton regard vide. Tu as du mal à tout saisir, à bien comprendre. Tu n’as jamais eu une bride d’ami, alors comment peux-tu comprendre ce que tu n’as jamais vu ?
─ Irréaliste, lâches-tu comme une vérité.
Une telle personne ne peut pas exister. L’homme est égoïste, il ne pense qu’à lui, qu’à son petit confort. Toi-même, tu l’admets, tu l’es tout autant, préférence survivre au détriment des autres, profiter de la faiblesse des gens. Les autres ne sont qu'outils, les autres ne sont que nourriture, et jamais l’idée de te sacrifier pour quelqu’un te viendra à l’esprit. Tout ça, parce qu’on t’a appris à être comme ça, pas directement, mais tu l’as assimilé. La pure gentillesse ne mène qu’à la perte. Ô, bien sûr, tu peux l’être, mais ce ne sera jamais gratuitement.

Tu te mordilles la lèvre, déviant du regard. Croiser une telle personne, en as-tu vraiment envie. Tu ne sais pas vraiment, ça peut toujours être utile. Ah ! Si au moins il pouvait te rendre moins ferme sur tes idées noires, te faire changer d’avis sur tes pensées et tes craintes. Peut-être serait-il bon que tu la rencontres cet ami, finalement.
─ Tu sais quoi ? J'ai repéré quelque chose à la cafétéria. Ça te dirait de venir voir ce qu'il y a comme dessert ?
Son sourire était plus franc, à croire qu’il n’a que cette expression, figée dans la joie comme toi, tu es figé dans l’inexpressif.
─ Samaël n’a plus très faim… Répondis-tu. Mais… il veut bien t’accompagner.
Tu as beau te rabâcher, te méfier, mais au plus profond de toi, tu n’aimes pas non plus être seul. Tu ne veux plus être seul.

’expression d’Akito changea, se mua dans la négation. Mais tu n’arrives pas à interpréter son expression. Tu l’as rendu triste, en colère, tu l’agaces, tu ne sais pas. Incapable d’empathie, tu n’arrives pas à déchiffrer les émotions qui traversent le corps de ton interlocuteur. Pourtant, tu sens que c’est quelque chose de négatif, que tu as dit ce qu’il ne fallait pas. Alors tu te tais, ne sachant pas vraiment ce que t’as fait de mal sur le moment. Pour toi, ce que tu dis, c’est ce que tu penses, la vérité, ta vérité. Tu ne sais pas mettre de jolis mots, de la dentelle pour mieux faire passer les choses. Tu es brut et ça perturbe. Ça le perturbe. Mais rapidement, il retrouve son sourire quand il t’entend accepter son invitation. C’était donc si simple que ça que de le faire sourire ? Étrangement, tu préférais quand le coin de ses lèvres était étiré vers ses oreilles et tu lui esquissas enfin un fin sourire en réponse.
─ Très bien. Ne t'en fais pas, il n'y aura pas grand monde à cette heure-ci.
Il tendit une main vers toi et après une certaine hésitation, tu lui pris, resserrant tes doigts autour de sa paume comme un gamin qui ne voulait pas se perdre. Le monde, tu ne l’aimais pas, c’est pour cela qu’habituellement tu évité la cafétéria aux heures de points. C’était invivable, étouffant et bien trop… tentant.
─ Une mousse au chocolat. Tu connais ? Ou du moins, tu en as déjà entendu parler ?
─ Non.
Tu n’en avais jamais entendu, vu, encore moins mangé et ta réponse sembla étonner Akito. Il était clair qu’il allait vouloir rectifier cette ignorance.

Vous sortîtes de la chambre avant qu’il t’entraîne à travers les couloirs jusqu’à la cafétéria. Il y avait encore du monde, mais moins que d’habitude. Cela ne t’empêcha pourtant pas de soudainement te coller à Akito sans même en prendre conscience. Juste dans une réaction de protection. Vous vous installâtes à une table un peu isolée, parce que tu l’avais tiré dans cette direction et il te laissa quelques secondes pour aller chercher cette fameuse « mousse au chocolat ». Il te la déposa devant toi et tu la fixas avec curiosité avant de poser ton regard sur Akito, regardant ce qu’il allait faire de la sienne. Ça se mange vraiment ce truc ?