Nathanaël se serait sûrement inquiété s'il n'avait pas vu le sourire de son amie. De l'humour... il lui sourit à son tour, mais ne dit rien. Il ne s'en sentait pas la force  et puis, il aurait préféré ne pas repenser au lendemain, mais il comprit le but de cette réflexion. Le Terre sentait qu'elle en avait besoin. La Tonnerre ne le montrait pas ou peu, mais elle devait, elle aussi, se faire du soucis pour cette épreuve et ce, peu importe la décision qu'elle prenait, celle de se battre ou non, d'essayer de relever le défi ou pas.

Lorsqu'Ipiu le remercia, il se contenta de lui caresser doucement le dos de la main avec son pouce, content de voir que son cadeau lui plaisait. Les siennes étaient toujours tremblantes et cela le gênait un peu. Ce n'était pas pratique, il fallait l'avouer, mais surtout, il aurait préféré que la jeune femme ne le voie pas. Elle pourrait se faire du soucis, alors que tout allait bien pour lui. Il ne s'évanouirait pas. Il était juste très fatigué. L'Anglais aurait aimé être plus endurant, mais il savait aussi qu'il y était allé un peu fort. Il avait attendu le dernier moment pour placer le plus d'énergie possible dans le cristal. Trop concentré, puis trop fatigué, il ne s'était pas rendu compte de l'inquiétude de la Tonnerre. Sans doute s'en serait-il un peu voulu, s'il l'avait remarquée.

Lorsque la Sensitive lui demanda de s'allonger, il ne réfléchit même pas et s'exécuta. Il se promit juste de ne pas s'endormir ainsi. Il devrait lutter contre la fatigue, mais il ne céderait pas. Enfin, il essayerait de toutes ses forces et de toute sa volonté. Il ne voulait pas que l'instant partagé se termine si tôt. Et puis, ils n'avaient toujours pas mangé de biscuits et bu de jus de pêche. Oh, ce n'était, au final, pas bien important. Il s'agissait plus là d'une excuse pour prolonger la soirée. Non, ce qui était important, c'était la discussion qu'ils avaient eue, la confiance partagée.

Nathanaël se demanda ce qu'elle allait faire. Ce n'était pas la première fois qu'elle lui proposait d'utiliser ses pouvoirs sur lui, mais la dernière fois, elle n'y était pas arrivée et il avait eu droit à un massage à la place. La situation était évidemment bien différente à présent. Ils avaient tout deux évolués, changés. Et le lendemain... Ipiu allait peut-être devoir passer une grande épreuve, La grande épreuve.

Promets-moi de me réveiller si je m’endors.

Oui, parce qu'on ne savait jamais...

Si tu le souhaites, tu peux rester ici cette nuit, si tu ne veux pas rester seule. Je dormirai par terre, j'ai un matelas de sol roulé dans mon armoire et une couverture supplémentaire.

Il murmurait. Le Terre doutait que son amie accepte, mais il avait eu envie de proposer. Il avait aussi précisé qu'il lui laisserait son lit et qu'il dormirait par terre pour éviter tout quiproquo gênant.  Cela n'aurait sans doute pas été nécessaire, mais il préférait être prudent et puis, la fatigue embrumait légèrement son esprit, alors il ne parvenait pas à réfléchir aussi bien qu'à l’accoutumé.

« Je ne te promets rien du tout, tu as besoin de dormir. »

Il est sérieux, il croit vraiment que j’vais l’empêcher de dormir ? La grosse blague. Il ne m’a pas retenue, il ne m’a pas demandé de m’abstenir. Toujours penchée au-dessus de mon fauteuil je serre doucement sa main dans la mienne, c’est toujours plus facile avec un contact, c’est Aaron qui me l’a appris. Pour une fois qu’il se rendait utile. Faudra que j’aille le frapper. J’promets que si j’deviens master je séduit George et j’le lui vole. Ce sera ma vengeance. Actuellement je lui en veux, pas parce qu’il m’a recommandé, j’ai bien capté à leurs attitudes qu’Hideko avait décidé le truc… Juste j’aurais aimé qu’il ne me fasse pas toute cette mise en scène. Ça aurait été plus fairplay. J’aurais pas eu envie de le foutre dans la merde s’il m’avait dit qu’il n’avait pas le choix. C’est un ami cher, et je tiens à lui, mais là pour le coup il prendra cher, déjà demain dans l’arène j’compte bien le faire passer pour un pignouf.

Je me concentre à peine, je ne veux pas un antalgique pour mammouth. Je veux juste l’aider un peu. Je me concentre pour lui envoyer un sentiment de repos, tout doucement. Je ne peux peut-être rien pour son corps, mais je peux dissiper la fatigue qui règne dans son esprit. Je le fais doucement, minutieusement, avançant peu à peu. Je gomme sa fatigue. Qu’il ne se méprenne pas, son corps lui fera payer ce premier cristal… Demain ce sera sans doute lui le plus courbaturé.

Je souris de la proposition presque indécente de Nathanaël, je sais qu’il n’est pas dans son état naturel. Je lui souris amusée, a-t-il réellement conscience de ce qu’il me demande ? Bien sûr que oui, et ce n’est pas la première fois non plus que nous partageons une chambre. Pourtant il a cru bon de préciser qu’il dormirait par terre. Tu sais Nath, j’aurais aucune crainte à dormir dans le même lit que toi, je sais que tu me respectes trop pour qu’il s’y passe rien que je n’aurais désiré. Tu es un chic type.
N’empêche que tu es mignon quand tu es comme ça, ça me donne envie de te taquiner. Je me retiens souvent sur ce genre d’indélicatesse avec toi, j’ai peur d’aller trop loin, de te blesser… Mais si ce n’est qu’un peu, ça va non ?

« Tu sais que je ne suis pas bien grande, on passe largement à deux dans ton lit. »

Nathanaël se retint de grogner. Cela n'aurait pas été très poli et élégant de sa part. Il était presque un peu déçu, même s'il savait que son amie avait raison, dans le fond. Il était exténué, autant physiquement que psychiquement, mais il ne voulait pas dormir, un peu comme la plupart des enfants, quand on y pensait. Cette pensée traversa d'ailleurs l'esprit du Terre qui se trouva soudain bien immature. Il fut un peu déçu de lui-même, mais la déception fut de courte durée. Ipiu serra doucement sa main et bientôt, l'Anglais sentit la fatigue se dissiper progressivement. Il ne se leurra cependant pas. La Sensitive n'avait aucun pouvoir sur son épuisement physique. Il sentirait donc encore les effets de la création de son cristal le lendemain, malgré une bonne nuit de sommeil. Ce n'était pas la première fois et ce ne serait pas la dernière. Il s'était souvent entraîné, surtout depuis son Étoilisation. Il avait le projet d'offrir ce cadeau à son amie depuis quelques mois déjà et il n'avait pas chômé. Il ne possédait cependant pas de stock de cristaux, puisqu'il s'arrangeait pour les utiliser dans son travail de jardinier. Ne pas utiliser son énergie pendant le travail lui avait permis de s'exercer plus souvent encore. Mais ce jour-là, il avait vraiment atteint sa limite et il en avait conscience.

À présent que Nathanaël se sentait mieux et bien plus lucide, il s'apprêta à remercier Ipiu, mais la réflexion soudaine de cette dernière le laissa coi un instant. Avant son Étoilisation, il n'aurait sans doute pas su où se mettre. Il fallait dire, qu'à l'époque, il n'assumait pas ses sentiments et était persuadé de perdre la femme qu'il aimait s'il les lui avouait. Heureusement, cette époque était révolue et, bien que les deux amis n'en parlent pas nécessairement plus qu'avant, la situation avait été clarifiée et tous deux savaient à quoi s'en tenir. Le Titan acceptait que ses sentiments ne soient pas partagés, car, finalement, la jeune femme lui offrait bien plus que ce que la plupart des couples partageaient au niveau de leur discussion, de leur confiance mutuelle. Une belle et solide amitié les unissait et elle acceptait ses quelques gestes de tendresse sans être mal à l'aise. La fatigue, cependant, avait quelque peu obscurcit le jugement du Terre. À présent, cependant, il se sentait tout à fait réveillé. Il passa son bras libre derrière sa tête pour la relever un peu et pouvoir regarder la Tonnerre avec plus de facilité.

Ce n'est pas très gentil de te moquer de moi, tu sais.

Ipiu se permettait de le taquiner, alors il avait estimé avoir le droit de faire de même, un doux sourire aux lèvres.

Plus sérieusement, je ne préfère pas prendre le risque de faire quelque chose que je regretterais. Autant je me fais pleinement confiance lorsque je suis éveillé, autant j'aurais trop peur de commettre des impaires pendant mon sommeil, d'avoir des gestes déplacés.

Nathanaël était redevenu sérieux, trop sans doute, d'autant plus que la Sensitive n'avait finalement lancé qu'une boutade. Il avait cependant vraiment essayé de parler d'un air détaché, mais il n'avait pu lutter contre la légère rougeur de ses joues qui l'avait trahi. Bien qu'il assume pleinement ses sentiments à présent, parler aussi ouvertement le mettait encore un peu mal à l'aise. Il s'agissait là surtout d'un manque d'habitude et de repères.

Et merci, je me sens beaucoup moins fatigué maintenant.

Ce n'était pas vraiment une tentative pour changer de sujet. Il n'avait juste pas encore eu l'occasion de la remercier d'avoir utilisé son don sur lui.

Ce fut ce moment de bref silence que son ventre choisit pour gargouiller bruyamment.

Il est trop, sérieux. J’aurais du attendre un peu avant d’éclaircir son esprit, pourtant quand je le vois qui rougit je sais que j’ai réussi mon coup. Nath est encore trop… Jeune ? Ce n’est pas vraiment ça le problème, je ne peux pas dire immature bien que sur certains points il puisse l’être. Non, il est juste peut-être trop coincé ? Et s’il se laissait vivre un peu ?
Je ne peux pas m’empêcher de lui faire un grand sourire innocent. Si je ne profite pas de lui quand il est fatigué il ne se laisserait jamais taquiner. Et puis qui sait si tu avais accepté, peut-être que j’aurais dormis avec toi… Mais maintenant on ne saura jamais. Je ne reviens que trop rarement sur une parole, même lorsqu’elle est dite avec humour. Cela m’a déjà joué bien des tours et m’en jouera sans doute à nouveau. Je n’en doute pas.

« Des gestes déplacés, qu’es-tu en train d’imaginer petit fripon ?! » mon sourire s’élargit, j’espère bien qu’il prendra une teinte de plus.

Je ne pense pas que nous ayons la même définition de ce que sont des gestes déplacés, et je ne pense pas que ce que j’appelle geste déplacé puisse être fait en dormant, et je ne suis pas vraiment l’innocence incarnée. Ce que je fais est mal, je joue avec le feu… Et avec ses sentiments. Même si on a décidé d’arrêter de les nier, ce n’est pas fairplay de ma part. Je devrais faire plus attention, lui montrer plus de respect ? Je suis pas certaine que me retenir niveau vanne soit lui montrer du respect, j’me suis régulièrement posé la question. Si je m’empêche de réagir avec naturel, puis-je prétendre être son amie ?

« Tu n’as pas besoin de me remercier, c’est tout à fait normal. Bouge pas j’attrape tout ce dont on a besoin. »

Son ventre a parlé plus fort que lui. Je me déplace et reviens avec les biscuits qu’il a préparé, le jus de pêche et deux gobelets. Je suis venue assez souvent ici pour savoir où trouver ce genre d’objets.

« Le gouter de monsieur est avancé. » lui dis-je en lui tendant les biscuits.

Alors qu’il s’en saisit je commence à remplir un verre que je pose sur sa table de chevet. J’aime bien le jus de pêche, j’ai découvert ça cette année. C’est sucré et doux, ça coule tout seul dans l’gosier. Je crois que j’viens de me troller moi-même, heureusement que personne ne m’entend penser... OH PUTAIN CON ! Je suis chez les terres, et certains pourraient m’entendre penser non ? Alors Z, Y, X, W, V, U, T, S, R, Q, P… L’alphabet à l’envers c’est bien pour ne penser à rien.

Ipiu avait un grand sourire innocent qui ne trompait pas Nathanaël, mais la réflexion de la jeune femme suite à son bref monologue le surprit... et c'était peu dire. Son cerveau cessa de fonctionner quelques secondes. Il ouvrit, puis ferma la bouche à plusieurs reprises. Souhaitait-elle vraiment qu'il explicite ses propos ? Non, bien sûr que non, elle le taquinait encore, pour preuve son large sourire. Pourtant, le Terre ne put empêcher des images d'apparaître dans son esprit. Que se passerait-il si, pendant son sommeil, sa main venait se poser sur l'un des seins de son amie ou s'il avait une érection ? Ce serait dramatique ! Non, il ne préférait pas prendre de risque... et il chassa ses idées inappropriées de son esprit. Autant il assumait pleinement ses sentiments pour la Tonnerre, autant il n'assumait pas encore les envies qui en découlaient. S'il avait été seul dans sa chambre, il aurait pu gérer ses pensées sans trop de problèmes, mais la femme qu'il aimait se tenait juste à côté de lui. Il ne put donc empêcher ses joues de rougir davantage. Il n'était pas pivoine, l'Anglais rougissant très peu d'ordinaire, mais la différence de teinte était visible. Il devait pourtant répondre quelque chose, essayer de se donner une contenance peut-être, si c'était possible, ou du moins se sortir de cette situation inconfortable.

Je... préfère garder cela pour moi...

Bon, ce n'était pas une réussite. Il aurait préféré trouvé un bon mot avec une pointe d'humour, mais aucune idée n'était venue à son secours. Au moins avait-il été honnête. Puis, pour éviter qu'elle n'en profite encore pour le taquiner, il la remercia. Malheureusement pour lui, son ventre se manifesta. Nathanaël se redressa d'un sursaut. À présent assis sur son lit, il lâcha un soupir non contenu. Décidément, même son estomac se liguait contre lui.

Navré, ce n'était pas très élégant.

Il la regarda rassembler les biscuits, le jus de pêche et deux gobelets. Le temps qu'elle revienne vers lui, la rougeur de ses joues s'était presque complètement dissipée.

Merci.

Le Terre ne se fit pas prier pour croquer dans l'un des biscuits. Il ferma les yeux un bref instant, appréciant le goût délicieux qui lui manquait tant parfois. Des souvenirs lui revinrent à l'esprit, de bons souvenirs. Lorsqu'il reposa son regard sur Ipiu, il réalisa qu'elle semblait s'être figée après avoir rempli le premier verre.

Ipiu, est-ce que tu vas bien ?

Inquiet, Nathanaël avait laissé retomber sa main sur ses genoux. Le biscuit à moitié entamé lâcha quelques miettes dans le mouvement.

Je vois le bug dans son regard… Répondra-t-il répondra-t-il pas ? Vraiment, il est trop prude. Vous croyez que je devrais lui conseiller quelques pornos pour se décoincer ? J’suis pas certain qu’il le prenne bien… P’t’être quelques ouvra… Ok non on est d’accord c’est pas la meilleur idée que j’ai eu… Et puis j’avoue que c’est tellement drôle de le voir rosir, que je n’essaierais pas de gâcher son innocence.
J’imagine sans mal les images qu’il doit avoir en tête, toucher ma poitrine ou avoir la trique, rien de très indélicat. Perso j’me moque de l’un et j’pense que l’autre est physiologique, donc j’dois avouer que ça ne me perturbe pas le moins du monde de l'imaginer. Euh. Ah. Euh si en fait. Ok j'm'y attendais pas. On va penser à une orange, une orange bleue. Tout va bien.
Finalement hésitant il me dit qu’il préfère ne rien partager de ses pensées. Je ris joyeusement, me moquant à peine de lui. A peine. Ce n’est pas mon genre voyons. Le pauvre, s’il savait.

« Je pense qu'on a dépassé le stade de l'élégance et de ses faux semblants depuis longtemps. »

Je ne suis pas japonaise, je n’ai pas d’éducation, j’m’en contre balance que son ventre gargouille tant qu’il a de quoi manger. J’suis pas une fille élégante j’crois. C’est grave ? Sans doute pas assez pour que j’ai envie de remettre cette partie de moi en question. En fait vu que j’suis pas élégante je devrais rien en avoir à foutre que quelqu’un lise dans mes pensées.

« Non tout va bien… Tu sais si tes camarades télépathes ont l’habitude d’écouter l’intérieur des têtes de leurs voisins ? »

Chez les sensitifs on ressent facilement les sentiments des autres. Parfois on n’y fait même pas attention et c’est plutôt difficile de s’en protéger au début, alors quand on contrôle assez bien nos pouvoirs on essaie, du moins moi j’essaie, de dresser un pare-feu autour de moi quand je ressens des émotions trop violentes. J’aimerais pas faire du mal aux petits nouveaux par manque de considération. Quelles sont les règles chez les télépathes ? ça mériterait un article. Faudra que j’investigue. Si j’me fais pas dégommer la tronche demain. Si j’ai l’droit de rester à Terrae même si je perds. Si… On va arrêter de penser avec des si d’accord, tout va bien se passer. Demain j’essaierais de limiter la casse, je ne sais juste pas encore trop comment. J’ai pas envie d’y penser, j’vais pas me stresser pour ça. On verra demain. Je bois une gorgée de jus de pêche avant de croquer dans un des biscuits. C’est bon, je n’en doutais pas.

« J’accepte les leçons de cuisine. »

Comment ça je ne réponds pas aux questions au bon moment ? Je suis bordélique dans ma tête si je veux.

Ipiu rit et Nathanaël se détendit un peu. Il aimait la voir rire et tant pis si c'était à ses dépends, surtout qu'il savait que ce n'était pas méchant. La réflexion de la jeune femme suite au bruit provoqué par son estomac le fit sourire. Elle avait raison, évidemment, mais le Terre avait été bien éduqué. Ses parents lui avaient appris à être poli et bien élevé et ce genre de choses restaient profondément ancrées. Ce devait être aussi un peu pour cela qu'il ne parvenait pas vraiment à assumer ses envies, parce que la société lui avait appris que ce n'était pas bien d'en parler. Il lui faudrait du temps, probablement, pour se décoincer un peu.

Le Titan fut rassuré lorsque la Sensitive lui annonça aller bien et il comprit ce qui l'inquiétait. Il devait avouer qu'il s'était habitué à vivre entouré de Télépathes et qu'il n'y pensait même plus.

Les Initiés ont souvent de la peine à contrôler leur pouvoir au début. Ils ont donc tendance à tout entendre, mais comme ils ne focalisent pas sur une personne, c'est assez brouillon et flou. Les autres préfèrent généralement poser leurs barrières mentales pour ne pas être intrusif, mais aussi pour se protéger, parce que ce n'est pas forcément agréable d'écouter les pensées de quelqu'un, d'après ce qu'on a pu me dire. Je ne pense pas que nous ayons grand-chose à craindre. Surtout que mes deux voisins sont Titans. Cela te fait du soucis ? Nous pouvons aller ailleurs, si tu préfères, pour être plus à l'aise.

Nathanaël comprenait que le risque d'avoir un inconnu fouillant dans vos pensées n'était pas réjouissant, mais il faisait suffisamment confiance à ses camarades pour ne pas se sentir « en danger ». Il se demanda un bref instant si Ipiu aurait aimé garder ses pensées secrètes pour une raison particulière, mais il chassa cette hypothèse, ramenant à ses lèvres le biscuit qu'il avait momentanément laissé de côté. Ipiu en prit un à son tour après avoir bu une gorgée de jus de pêche. L'Anglais guetta sa réaction. Il lâcha un petit rire.

Très bien. Il faudra qu'on organise cela alors. Dis-moi si tu as un souhait particulier pour la première leçon.

Faire des projets... Était-ce vraiment une bonne idée d'en faire ce soir-là, alors que le lendemain... peut-être que le lendemain, tout allait changer ? Non, le Titan ne souhaitait pas penser à cela, pas à présent, pas encore, pas tout de suite. Il reprit un biscuit et croqua dedans. Il devait avouer être assez fier de lui. Peut-être était-ce la saveur de la nostalgie, mais il en avait rarement mangé d'aussi bon. Était-ce prétentieux ? Peut-être...

Une fois le deuxième biscuit finit, Nathanaël prit le verre que son amie lui avait versé. Il n'avait encore jamais goûté de jus de pêche. Il était donc intrigué. Il en observa d'abord la couleur, puis sentit le liquide. Il apprécia l'odeur, puis se résolut à en boire une gorgée. Il dégusta le breuvage avec délectation.

C'est délicieux. Je ne connaissais pas. Merci.

Il offrit un doux sourire à Ipiu, avant de reprendre un biscuit. Heureusement que la boîte était pleine, parce qu'à ce rythme-là, une demi-boîte n'aurait pas suffi.

Je devrais plus souvent essayer de nouvelles choses. J'ai trop tendance à choisir la sécurité, je crois.

Le Titan ne cherchait pas spécialement à découvrir de nouveaux goûts, il n'était pourtant pas difficile. Il aimait la bonne cuisine, mais pas la grande gastronomie. Pour lui, manger servait avant tout à remplir l'estomac. Il n'avait pas besoin que ça soit beau ou complexe, mais se nourrir restait un plaisir.

« Non t’inquiètes, je m’inquiétais juste de savoir s’ils avaient pu voir ce que tu imaginais. » je le taquine.

Je m’en sors avec une pirouette. Je ne reconnaitrais jamais les raisons réelles de mon bug, ne réussissant par ailleurs pas à les identifier. J’ai pas prétendu me comprendre tout le temps. Souvent j’essaie de donner du sens à ce que je fais et je n’y arrive pas. J’me demande « han mais pourquoi t’as fait ça ? » et la réponse est la même « je sais pas, ça me semblait bien sur le moment. » Les moments sont parfois trop brefs pour que je sois toujours astucieuse.

« Quelque-chose de simple ? Ou plutôt quelque-chose que tu as envie de partager ? »

Je sais cuisiner, je sais doser, je sais faire des plats nutritifs. Je ne sais rien. C’est quelque-chose de banal pour moi, je le fais machinalement… Je sais qu’il peut m’apprendre à y prendre du plaisir, alors plutôt que de demander quelque-chose de précis, je préfère le laisser faire. Je sais ce qu’il pense, ce n’est pas le bon moment pour faire des projets. Personnellement je pense que si, c’est le moment ou jamais. Non pas car on ne sait pas de quoi demain sera fait, mais parce qu’ils donnent un objectif. Si on construit des projets ensemble, peu importe les embuches on voudra les réaliser. Alors c’est exactement le bon moment.

« Je peux te proposer une sécurité relative : je pourrais essayer de te faire découvrir pleins de choses que j’ai déjà testé et approuvé ! P’t’être à commencer par l’alcool… »

Je le taquine à nouveau, mais avouez que c’est drôle d’imaginer un Nathanaël pompette. Je me demande s’il a l’alcool joyeux ou triste. Si j’me fais pas défoncer demain j’promets que j’l’invite à fêter ça rien que pour voir. Bon après, j’avoue que je sais pas s’il a déjà bu, mais vu que j’l’ai jamais croisé dans un bar, et que j’en ai fait beaucoup… Mais attends, il est mineur ! IL EST GRAVE MINEUR AU JAPON. Du coup il pourrait de na pas aller dans des bars car il n’aurait pas le droit d’y boire ? Bon… Au même âge ça ne m’a jamais dérangé, et personne n’a jamais pensé à me demander ma carte d’identité… Je suis certaine qu’Erik le fait lui, c’est bien son genre. Enfin, s’il n’a pas l’habitude de boire il est fort probable qu’il passe du statu de sobre à celui de « je dors merci. » Bon, et peut-être que j’vais attendre un peu avant de le trainer dehors… Le temps qu’il récupère de son cristal par exemple…
Tu m’diras, ça serait aussi très drôle d’arriver complètement ivre dans l’arène. Ce serait risqué, mais très drôle… C’est donc une bonne idée.

Décidément, ce soir-là, Ipiu avait décidé de ne lui laisser aucun répit. Ses joues reprirent une légère teinte rosée lorsqu'il s'imagina ses voisins d'étage en train de scruter son esprit. Il lâcha cependant un petit rire, l'air de rien.

Je te remercie pour ta sollicitude, mais je doute que cela les intéresse.

Bon, il n'en était plus tout à fait certain, mais il essayait de s'en convaincre plus qu'il n'essayait de convaincre son amie, car cela le mettait mal à l'aise. Était-ce lui manquer de respect que d'avoir ce genre de pensées à l'égard de la Tonnerre ? Le Terre ne savait pas. Il manquait de repères. Si les choses s'étaient passées différemment, il aurait pu en parler à son père. Il n'aurait eu aucun mal à en discuter avec lui, mais c'était impossible et il se retrouvait bien esseulé face à ce qu'il ressentait. Les deux seules amies qu'il possédait encore était Ipiu et Alice. Il était manifestement hors de question d'en parler à la première et il s'imaginait difficilement en discuter avec la deuxième. Peut-être était-ce là un reliquat de cette société patriarcale qui trouvait bien indélicat d'aborder ce genre de sujet avec la gente féminine. Nathanaël soupira mentalement. Il réfléchissait beaucoup.

Il se permit un instant de réflexion avant de répondre à la question de la Sensitive. Quelque chose de simple qu'il aurait envie de partager. Un doux sourire se dessina sur ses lèvres. La réponse lui semblait si évidente, alors pourquoi devrait-il chercher plus loin ?

Le ragoût Lancashire... On en faisait souvent le week-end. Toute la famille se réunissait à la cuisine pour donner un coup de main. C'était de bons moments et ce n'est vraiment pas compliqué à faire. Il y a juste un long temps de cuisson. Est-ce que cela te plairait ? Je ne sais pas si tu connais. Il faut de l'agneau et des rognons, des oignons, des carottes et des pommes de terre, principalement.

L'Anglais sourit, un peu nostalgique de cette époque révolue. Lorsqu'Ipiu lui proposa  de lui faire découvrir des boissons alcoolisées, il se contenta d'abord de secouer la tête négativement, ne comprenant pas qu'elle le taquinait à nouveau.

Je veux bien que tu me fasses découvrir des choses que tu as appréciées, mais l'alcool ne m'intéresse pas, je dois l'avouer. Je n'ai encore jamais goûté de boissons alcoolisées. Je te rappelle qu'ici je n'ai, légalement, même pas encore le droit d'en boire, mais cela ne me gêne pas. Je préfère garder l'esprit alerte et la maîtrise de mes paroles et actes.

Pauvre Ipiu, elle allait avoir bien de la peine à dévergonder ce jeune homme bien trop sérieux.

« Ouf ! Quitte à être en petite tenue j’préfère que ça reste dans ta tête… »

Ok ce soir je suis déchainée. D’habitude je suis vachement plus calme avec Nath, j’dois être sur les nerfs à cause de demain alors j’dis beaucoup plus les choses qui me passent par la tête. Ça doit être ça. Je dois avouer que j’ai un peu déconnecté ce que je dis des choses que j’imagine, c’est plus safe. J’admets que si j’pouvais lire dans les pensées des gens voir leurs fantasmes ça serait bien mieux que du porno… Ce serait sans doute ouf, faut que je trouve des télépathes qui seraient chauds, j’suis sûre que j’tiens une idée là. On a entre nos mains l’avenir du porno à Terrae !

On change de sujet et c’est pour le mieux, je crois ? J’suis un peu en train de déraper là, faut vraiment que j’me calme. Genre vraiment maintenant, parce que sinon il va finir par m’en vouloir. Pourtant quand il me propose un ragout dont l’évocation ne me dit rien de plus qu’un passage d’un vieux bouquin et qu’il me l’explicite, j’ai bien envie de continuer à le taquiner en lui disant que je suis devenue végétarienne récemment et que j’ai peur de retomber dans le carnisme. Bon, c’est tout à fait loin de la vérité, la viande quand on peut pas bouger son cul ça apporte pas mal de protéines et ça évite les escarres.

« Si ça se fait en famille il faudra qu’on demande à Alice de se joindre à nous et qu’on fasse assez à manger pour plein de monde. Ce serait chouette une soirée en famille. »

Terrae c’est ma famille. Ici j’ai rencontré Nathou et Aaron qui m’ont fait me sentir chez moi, j’ai rencontré des gens comme Alice et Boubou qui ne m’ont jamais demandé de changer. Nico qui a parfois mérité des baffes pour ne pas s’être rendu compte qu’il était génial. J’dois en oublier certains, beaucoup que je considère maintenant comme des amis, Aria et Sibylle qui à deux sont attachiantes. Mitsu qui est en train de devenir une droguée. Selvi dont la douceur fait du bien, Huo dont le soutient compte beaucoup… J’ai fait ma vie ici, et ça me ferait mal d’en partir. Ici je suis à la maison. AZY COMMENT JE ME FOUS LE MOURON TOUTE SEULE.

« T’sais qu’en théorie technique j’ai pas l’âge de boire au Japon non plus… d’après mes papiers je n’ai que 19 ans… Ce qui ne m’en a jamais empêché … Si tu veux connaitre de nouvelles sensations il faut que j’arrive à te faire sortir de ta zone de confort… »

Et plus je te parle plus j’ai envie de voir comment tu es quand tu es ivre… Tu pourrais être excessivement mignon si tu disais tout ce qu’il te passe par la tête et que tu arrêtais de te retenir.

« Je ne te forcerais pas, mais je te le reproposerais, parce que j’me dis que ce serait sympa de boire un coup avec toi un jour, pas pour se mettre minable, mais juste pour se détendre. »

Nathanaël ouvrit la bouche, mais la referma finalement sans rien dire. Ne pas imaginer Ipiu en petite tenue, ne pas imaginer Ipiu en petite tenue. Voir la Tonnerre en chemise de nuit, puis en bikini lors de leur voyage à Singapour avait été deux grands moments de sa vie, situations qu'il avait gérées avec un certain brio, ne montrant que peu son trouble. À présent, il fallait qu'il arrête de prendre tout ce que son amie disait avec sérieux. Cela faisait un moment qu'elle le faisait marcher... et il courait.

Heureusement pour le Titan, ils changèrent de sujet pour parler gastronomie. Il apprécia l'idée d'inviter Alice le jour où ils cuisineraient. La perspective de passer un bon moment en compagnie des deux femmes de sa vie avait une saveur particulière, mais la Sensitive voulait manifestement inclure d'autres personnes à leur petite réunion familiale. Soit, il accepterait, évidemment. Elle avait l'air si enthousiaste à cette idée. Il savait qu'Ipiu avait plein d'amis, plein de gens qu'elle appréciait et l'Anglais était heureux pour elle. Lui n'avait pas vraiment réussi à créer de contacts. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Il était aimable avec tout le monde, ou presque, mais seules la Terre et la Tonnerre avaient réussi à capter son attention, gagner son affection. Et il fallait dire que cela ne lui manquait pas.

Oui, tu as raison. C'est une excellente idée. Il ne nous reste plus qu'à fixer une date. J'en parlerai à Alice et lui dirai de venir avec Hamilton si elle le souhaite. Je te laisse inviter qui tu veux.

Nathanaël lui offrit un doux sourire. Ce n'était pas le genre de soirée qu'il s'était imaginé, mais ce n'était sans doute pas plus mal. Il rencontrerait de nouvelles personnes, probablement, et reverrait des connaissances. En tous les cas, cela ne lui ferait pas de mal.

Le Terre lâcha un petit rire quand son amie lui annonça être « mineure » au Japon. C'était vrai. Il avait oublié ce détail. La question qu'il se posait à présent était : souhaitait-il vraiment connaître de nouvelles sensations ? L'Anglais aimait les choses simples, se contentait généralement de peu, mais peut-être que de découvrir de nouvelles choses lui permettrait d'avoir une plus grande ouverture d'esprit ? Il se souvenait avoir lu une citation, mais ne parvenait pas à se souvenir du nom de l'auteur : la vie commence lorsqu'on sort de sa zone de confort. Peut-être devait-il se lâcher un peu, peut-être... mais l'idée de boire de l'alcool, au-delà de son caractère répréhensible au Japon, ne l'enchantait guère.

Écoute, l'année prochaine, pour mon anniversaire, on s'organise quelque chose, toi et moi, et promis, je goûterai une boisson alcoolisée. Mais je goûterai... et seulement une boisson.

Nathanaël restait strict. Il ne comptait pas sombrer dans la débauche et risquer un comportement inapproprié. Il avait déjà vu ce que l'alcool pouvait créer comme problème et ne souhaitait en aucun cas se retrouver allongé dans une flaque de liquide plus ou moins épais provenant directement de son estomac. Il fronça le nez à cette simple image.

Et puis, tu sais, quand je veux me détendre, je me rends généralement au parc pour travailler, ou en salle de musique. Je ne me sens pas le besoin de boire de l'alcool pour me sentir bien, tu comprends ?

L'Anglais espérait ne pas vexer son amie d'une quelconque manière en lui tenant ce discours. Il était simplement sincère avec lui-même.

« Han mais j’pensais qu’on cuisinerait tous les trois et qu’on inviterait les autres à nous rejoindre pour déguster… J’inviterais Tjay, Aaron et ses enfants s’ils veulent, qu’on soit en petit comité. Ce serait cool. J’imagine que cuisiner pour des gens qu’on aime a une autre saveur. »

Une soirée loin des soucis. J’aimerais ça. Par contre hors de question d’inviter Aaron à cuisiner. Aaron dans une cuisine on ne lui obéit jamais assez bien pour qu’il n’ait pas envie de nous jeter dehors parce qu’on lui fait perdre du temps. Soit on cuisine pour Aaron, soit il cuisine pour vous, mais cuisiner ensemble s’est chercher les problèmes. Ou alors ce n’est qu’avec moi ?

« il ne faut pas mélanger les alcools de toute manière, ça c’est vraiment l’erreur de débutant qui fait dégobiller en un rien de temps. Je ne te ferais jamais boire plus que de raison, je ne prendrais pas le risque de rendre malade… Mais le rendez-vous est pris pour tes vingt ans on sort tous les deux et avec ou sans alcool je te ferais découvrir plein de choses. »

Pourquoi la première chose qui me vient à l’esprit c’est le lit trampoline du love hôtel ? P’t’être parce que l’anecdote date de seulement quelques jours.

Je lui souris doucement pas le moins vexé du monde, je comprends ce qu’il veut dire, mais…

« Mais Nath, même quand tu te laisses aller tu gardes le contrôle… Et je sais pas comment t’apprendre à perdre le contrôle sans alcool. Je sais pas comment t’aider à te détendre assez. Perdre le contrôle parfois ça fait du bien… mais j’voudrais que tu le fasses en toute sécurité. »

Tu aimerais que je sois libre, et moi j’aimerais que tu prennes un peu de liberté. Que tu arrêtes de penser « ça ne se fait pas. » mais que tu commences à te dire « j’ai envie de le faire. » je sais que c’est à double tranchant, c’est pour cela que j’aimerais être là pour t’empêcher de faire des choses que tu regretterais plus tard. Je sais pas si tu as déjà réellement fais des erreurs, mais c’est aussi comme ça qu’on grandit. C’est triste de ne pas faire d’erreurs et de toujours s’en préserver. Tu peux être bien plus libre que je ne le serais jamais. Si seulement tu acceptais de retirer les chaines dont toi seul détiens les clefs.

Oui, je te le confirme... Ton idée me plaît. Je suis certain que ça leur fera plaisir.

Nathanaël sourit avec douceur. Cuisiner en famille et inviter des amis à manger, voilà un excellent compromis. Il se demanda un bref instant si se retrouver dans la même pièce qu'Aaron et Ipiu en même temps lui ferait quelque chose ou non, mais il chassa cette idée qui était de l'histoire ancienne. Il n'y avait aucune raison qu'il se sente mal à l'aise. Tout se passerait bien. Il écouta les explications de la Sensitive. Il trouvait touchant qu'elle prenne soin de lui ainsi, même si cela ne le surprenait pas outre mesure. Cependant, le savoir et le constater étaient deux choses différentes et il appréciait chaque attention de la Tonnerre à sa juste valeur.

Je me réjouis d'avance de fêter cela avec toi. Merci.

Peut-être devrait-il avoir peur, Ipiu n'ayant pas explicité quel genre de nouvelles choses elle souhaitait lui faire découvrir, mais ce n'était pas le cas. Il avait confiance, tout simplement. Il écouta la jeune femme reprendre la parole. Elle avait raison. Il gardait le contrôle, tout le temps. C'était quelque chose d'important pour lui. Il s'observait, s'analysait pour que son comportement soit le plus irréprochable possible. Il tâchait de tirer des leçons des erreurs qu'il faisait pour ne plus les répéter, pour devenir meilleur. Il avait toujours été la fierté de ses parents et tout le monde le complimentait pour sa bonne éducation. Toute sa vie, cela avait été son repère.  

Pourtant, perdre le contrôle n'avait pas nécessairement de conséquences désastreuses, pour preuve son Étoilisation. Ce jour-là, il avait réussi à complètement lâcher prise, à se laisser aller et rien de mauvais n'était arrivé, au contraire. Il avait créé de belles choses. Cependant, il avait pleinement conscience qu'il n'y serait pas arrivé sans l'aide de la femme qu'il aimait. Sans le savoir, elle l'avait guidé, protégé. Il n'avait, finalement, pas eu peur.

Tu as raison, mais je dois avouer que c'est un peu effrayant.

Il marqua une courte pause avant de continuer.

J'ai confiance en toi Ipiu, alors si tu me promets de veiller à ce que je ne fasse rien d'inconsidérée, j'essayerai...

Nathanaël n'était pas certain de savoir ce qu'il venait d'accepter et dans quelle aventure il se lançait, mais s'il cheminait avec la Tonnerre, alors rien de mal ne pourrait lui arriver. Et puis, il avait conscience qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre sur la vie.

On peut faire de nombreux projets, je sais pas si aujourd’hui on ne se précipite pas un peu… Si j’en profite pas pour dire pleins de choses et promettre pleins de choses que j’ai en tête depuis longtemps finalement. Si elles sont dites, c’est qu’elles doivent arriver, quels que sont les moyens que j’aurais à employer. Demain j’me ferais pas tout à fait défoncer, j’essaierais… mais est-ce que ça suffira pour m’en sortir ? Je n’ai pas envie d’être master, c’est une certitude, alors je ne suis pas certaine d’être assez pugnace pour tenter de coller une trempe à Ys. C’est bien ça que je devrais faire hein ? J’ai pas envie de lui en coller une, j’trouve ça juste inutile. Pourquoi toutes les masterisations doivent-elles êtres violentes ? C’est pas fair. Moi j’veux la douceur d’un repas en famille. La vie c’est d’la merde voilà.

Nath est juste mignon. La mignonitude incarnée. J’vous jure, cherchez mignon dans un dictionnaire et vous trouverez sa photo. Faut que j’pense à l’uploader sur l’article wiki définissant ce therme. Il le prendrait peut-être mal par contre. En tous les cas, même quand il rend les armes je n’ai pas l’impression qu’il ait perdu le combat. Juste qu’il a eu la sagesse de l’éviter. J’ai toujours l’impression qu’il prend la bonne décision, et j’vous jure c’est compliqué d’être amie avec quelqu’un d’aussi parfait. On se sent bien trop nul à côté.

« Je n’irais pas jusqu’à dire que je t’empêcherais de faire des choses inconsidérées… Juste celles que tu regretterais trop fort. »

Je lui tends mon petit doigt, c’est une promesse. Est-ce qu’on fait ça aussi en Angleterre ? Je n’ai pas le souvenir d’avoir fait ça dans mon enfance. Je devrais demander à Tjay à l’occasion. J’espère qu’il ne viendra pas dans l’arène demain. Il risquerait de décompenser et ça lui ferait du mal. Faut que je lui dise de pas venir, mais si j’lui demande il va vouloir venir. Je vais bien trouver quelque-chose. Je sais. C’est absolument une mauvaise idée, mais ça l’occupera. Je vais lui demander de retrouver mon fils… Ahahah. Non, ce terme j’y ai pas droit. Ahahah. On va juste arrêter de penser. Genre maintenant. Changer de sujet.

« C’est quoi ta couleur préférée ? Ton livre préféré ? Ton film préféré ? Ton sport préféré ? »

J’ai quelques idées sur es réponses mais je ne lui ai pas encore posé directement toutes ces questions. Je vais le saouler de questions. Genre plein beaucoup, et comme ça j’lui préparerais un anniversaire aux petits oignons.

Nathanaël ne dit rien et se contenta de sourire à la réflexion de la Tonnerre. Il n'arrivait pas à se représenter le genre de choses inconsidérées qu'il pourrait faire sans les regretter par la suite, mais il décida de ne pas se poser la question ce soir-là. Le Terre fut surpris du geste de son amie, mais leva sa main à son tour, croisant leurs petits doigts.

Tu sais que c'est une tradition japonaise à la base ? Ils appellent cela « yubikiri », mais je ne t'en explique pas davantage.

Le Titan préférait éviter d'aborder l'histoire qu'on prêtait à cette tradition. En effet, il avait lu que la mafia japonaise avait inventé ce geste pour sceller une promesse. « Yubikiri » pouvait se traduire par « le doigt coupé ». En cas de non respect de la promesse la personne trahit pouvait réclamer le petit doigt du traître. Cette histoire n'était pas très réjouissante à raconter, c'était pourquoi l'Anglais ne souhaitait pas en parler davantage. Ce qui ne fut pas compliqué, étant donné qu'Ipiu le harcela de questions. Il resta bouche bée un instant, surpris de ce tsunami d'interrogations. Que s'était-il passé dans la tête de la jeune femme pour que cette dernière ait cette réaction ? Le Terre hésita un bref instant.

Ipiu, que me vaut cet interrogatoire ? Quelque chose ne va pas ?

Nathanaël observait la femme qu'il aimait avec inquiétude. Ne se faisait-il pas trop de soucis ? Peut-être que la perspective du lendemain le poussait à se préoccuper davantage du bien-être de la Sensitive. Il décida cependant de lui répondre.

Laisse-moi réfléchir un instant.

Son premier réflexe aurait été de répondre violet à sa première question, son regard rivé sur celui de son amie, mais il se retint. Le Titan la contempla un instant, sans réfléchir. Oui, il aimait la couleur de ses yeux, dans lesquels il pourrait se perdre indéfiniment. Il tâcha cependant de ne pas céder à la tentation et réfléchit sérieusement.

Je pense que ma couleur préférée est le vert, parce qu'elle représente la nature. J'y associerais le brun pour les mêmes raisons. Je trouve, qu'ensemble, ces deux couleurs présentent une certaine harmonie.

Il sourit avec douceur. Le vert avait de nombreuses significations. Il s'agissait, comme dit précédemment, de la couleur associée à la nature d'une manière générale, au printemps, mais aussi à la bonté, l'espérance et la chance. En contre-partie, elle pouvait aussi représenter la jalousie, l'envie ou la maladie. Le brun avait quelque chose de doux, rassurant et il était aussi associé à la nature. Cette couleur évoquait la durée et la stabilité, mais pouvait aussi représenter la pesanteur et la stagnation.

Je ne pense pas avoir de livres préférés. Il n'y a en tout cas pas d'ouvrages qui s'imposent à mon esprit comme était Le livre qui m'a marqué. Cependant, j'ai beaucoup apprécié Une brève histoire du temps, de Stephen Hawking, que j'ai lu il y a quelques années. C'est ce livre, entre autre, qui m'a intéressé aux sciences. Dans un autre registre, j'ai aimé La Guerre éternelle, écrit par Joe Haldeman. C'est un livre de guerre et science-fiction. Je ne sais pas si tu l'as déjà lu. J'aurais préféré y trouver un peu plus de contenu scientifique, mais j'ai apprécié le développement et l'évolution des personnages. La critique de la guerre par l'auteur est intéressante. Cet ouvrage a été une très bonne surprise.

Nathanaël aurait encore pu citer le dernier livre qu'il avait lu, Les Anglais et leur histoire, de Robert Thombs, mais il s'abstint. Il s'agissait-là d'un ouvrage condensant l'histoire anglaise. Il avait appris énormément en le lisant.

Je ne pense pas non plus avoir de films préférés, mais deux long-métrages me sont venus directement à l'esprit : 2001, l'Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick, un classique, et La vie est belle, de Roberto Benigni. J'ai trouvé l'histoire du deuxième très touchante, malgré le contexte lourd dans lequel elle évolue.

L'Anglais sourit avec douceur. L'histoire de ce père cherchant à protéger son fils de l'horreur de l'holocauste en lui faisant croire qu'il jouait à un jeu l'avait marquée.

Et pour répondre à ta dernière question... j'aime tous les sports, mais je n'ai persévéré que dans les arts martiaux, bien que je ne les considère pas comme des sports à proprement parlé. Je dirais qu'il s'agit plus d'une sorte d'art de vivre. Je pratique toujours un peu, mais avec beaucoup moins d'assiduité qu'auparavant...

Il s'arrêta un bref instant, avant qu'une idée lui traverse l'esprit.

Ipiu, rassure-moi. J'espère que tu ne comptes pas écrire un article sur moi... je sais qu'il est parfois difficile de trouver de bons sujets, mais là, tu me semblerais un peu désespérée...

Toutes ses questions pouvaient-elles avoir ce but ? L'Anglais n'avait pas honte de qui il était, bien au contraire, mais il n'aimait pas se mettre en avant plus que nécessaire, alors l'idée de paraître dans le journal de Terrae ne l'enchantait guère. Pourtant, une évidence vint le frapper de plein fouet et avant que son amie ne puisse répondre, Nathanaël reprit la parole.

Excuse-moi. Ce que je viens de dire est idiot. Je te demande pardon.

Comme si elle pouvait penser à écrire un article alors que le lendemain... Pendant un instant, il avait oublié le lendemain, complètement. Avec ses questions, la Tonnerre avait détourné son attention, mais l'incertitude n'en était revenue qu'avec plus de force, plus présente. Une vague de tristesse l'atteint. Ce soir-là, les deux amis faisaient de nombreux projets, se faisaient des promesses, mais quelle était leur valeur ? Pourquoi promettre ce qu'on n'était pas certain de pouvoir réaliser ? Pourquoi se faire du mal ? Le Titan n'envisageait pas que ces projets pouvaient être un moteur, un but à atteindre et qu'il pouvait donc être essentiel. Il ne voyait que les deux fins possibles de la journée du lendemain : soit Ipiu restait, soit elle partait... et cette deuxième perspective lui était insupportable.

Soudain, il eut une pulsion, une folle envie de l'embrasser, savoir ce que cela faisait de sentir les lèvres de la femme qu'il aimait contre les siennes. Le Terre se pencha légèrement, mais il se bloqua net, se maîtrisa, réfléchit et finit plutôt par prendre la main de son amie dans la sienne. Nathanaël ne ferait jamais cela. Il respectait trop Ipiu pour l'obliger à faire quelque chose qu'elle ne souhaitait pas et jamais elle ne voudrait l'embrasser. Elle avait été claire. Elle l'aimait, mais pas de cet amour-là et jamais l'Anglais ne la forcerait. Et puis, c'était mieux ainsi. Comment leur relation aurait-elle évoluée s'il avait cédé ? N'y aurait-il pas eu de gêne par la suite, si la Tonnerre restait ? Il aurait été dommage de briser une si belle amitié sur un coup de tête. Il chassa cette idée, puisque rien n'était arrivé.

L'Anglais lui sourit avec douceur. Si la Sensitive s'ouvrait à ses émotions, elle saurait ce qui venait réellement de se produire, mais, étrangement, le Titan n'en était pas effrayé. Il avait gardé le contrôle. Elle ne craignait rien et elle le saurait aussi, alors tout allait bien. Enfin... tout irait bien jusqu'au lendemain et après... après, rien n'était moins certain.