Une poupée, ta maman ? Peut-être bien, avec un regard un peu différent. Toi, tu sais juste qu'elle est la douceur même. Toi, tu sais juste que tu t'en veux chaque jour un peu plus d'avoir abîmé ce petit cœur fait seulement de tendresse, ce bout de femme qui ne demandait qu'à te tendre la main.

- Oui, elle est belle, ma maman. Elle est belle dehors, ajoutes-tu en posant le bout de ton index sur le visage fin, mais elle l'est encore plus dedans, Afya.

Sourire authentique en caressant du regard tes parents. Oui, oui, de la chance, tu en as eu, et tu en as encore car ils ne t'ont pas rejeté.
Tu commences à être plus calme, à parler moins vite. Tu as moins envie qu'avant, tu ne sais pas trop. Quand tu fais ça, les gens pensent que tu voiles quelque chose, que tu te caches derrière ton énergie. Alors à quoi bon ? Même Afya se refuse à y croire, autant garder tout ça pour toi, alors. Pour ne pas trop t'agiter, pendant que vous parlez, tu parfais les traits, gribouilles un peu. Tu te demandes ce que cela ferait, si tu donnais une petite impulsion au crayon avec un tout petit éclair ?
Mais la question de l'Eau te ramène à des préoccupations plus...préoccupantes ? Tu fronces un instant les sourcils, étonné, avant de retrouver des traits détendus.

- Mmh… J'suis pas certain que ce soit aussi simple, Afya.

La mine de ton crayon suit encore les cheveux de ta mère. Oh et puis, autant tester non ? Un minuscule éclair glisse de ton index au niveau du bout du crayon, celui-ci déraille légèrement, fait un trait plus dur, plus énergique. Tu souris, content de ce que ça donne, même si ta mère a au passage perdu ses yeux.
C'est les lèvres étirées avec douceur que tu retrouves le visage de la Voyante :

- Si c'était aussi simple, tout l'monde le f'rait. C'est pas facile d'accepter qu'sa famille de sang, celle qu'on a toujours connu, veuille plus d'nous, ou a jamais voulu d'nous. C'est encore moins facile de s'dire « Alley, on y va, go, j'me fais ma famille ». Quant à trouver des gens avec qui construire ça…

Tu hausses des épaules.

- C'est d'jà un peu plus simple à Terrae, mais...Mais dans l'vrai monde, ça l'est encore plus, Afya.

T'as eu combien de famille, Boubou ? T'as eu tes parents. Tallev et Anna. La Cool Patrol. Il t'en reste deux et demi. Oui, Tallev est pour toi toujours un frère, et ne cessera jamais de l'être. C'est pour ça que tu te permets de tout encaisser, parce que toi, t'as mille frères et sœurs, parce que pour toi, tout le monde a cette même importance. T'aimes Jérémy qui t'aime pas tant que ça autant que Nicolas qui t'adore. T'aimes les gens, Asbjorn, et c'est pour ça que des fois, tu te sens dépassé. Parce que quand ça va pas, que tu connaisses ou pas, ça devient personnel, et tu sais pas comment faire. C'est pour ça que tu as foiré une première fois, pitié, ne déraille pas une seconde fois.

Tu inspires profondément et tes ambres sereines trouvent les pierres sombres de la jeune fille :

- T'as réussi, toi, à te faire une famille à Terrae, Afya ?

Tu voudrais lui dire que, si non, toi tu veux bien être son frère. T'as déjà pris tant de gens sous ton aile, tu as déjà accepté tant...Mais tu as brisé Anna, alors tu peux pas lui dire de se laisser protéger. Tu sais pas protéger, t'as jamais su. Tu fais juste semblant. T'en as cassé une, laisse l'autre entière, non ?
Enfin, surtout, ce que t'as pas compris, c'est qu'Afya parle d'une véritable famille. Genre, avec des enfants et tout ça. Du coup, là, la discussion commence à devenir un peu chelou, en fait.

Manque de chance pour toi, la narratrice d’Afya a pris des congés et comme j’suis un peu saoulée aujourd’hui parce que celle de Charlie-Ange a démissionné, j’t’assure pas du niveau d’la réponse. J’préférais te prévenir, histoire que tu sois pas trop déçu.
Le blondinet doit avoir un putain de complexe d’Œdipe, dommage qu’Afya n’en connaisse même pas l’histoire. Il parle de sa mère comme étant belle en dehors, premier pas dans l’complexe d’Œdipe, mais aussi en dedans. Ça devient crade j’vous jure. Ah ? On me souffle dans l’oreillette qu’il parlait sans doute de sa douceur et de sa tendresse. Hm. C’est pas beaucoup mieux, enfin, on va arrêter de s’appesantir sur ce genre de détails, c’est grave malaisant. Surtout quand la fille aux cheveux crépus elle semble avoir compris ce qu’il veut dire. Ça lui fait penser à sa maman à elle, gentille autant que belle, forte autant que gentille, usée par la vie, elle n’a jamais trouvé la force d’être méchante.

Il semble choqué par ses paroles mais ne les comprend pas dans le fond, il les comprend avec son vécu à lui, et non au travers des yeux de la rêveuse. Elle non plus elle ne comprend pas vraiment. Pour faire une famille il suffit d’une personne, une personne que l’on aime et avec qui on aura un enfant. C’est pas dur de créer sa famille, c’est un choix parmi d’autres, il suffit de le décider. En réalité pour une femme pense-t-elle, pas besoin de trouver de mari, tomber enceinte semble être d’une facilité déconcertante.
La différence entre leurs points de vue n’est pas que marginale, ce qu’il appelle famille, elle nomme amis. Des amis elle en a peu, ils se comptent sur les doigts d’une main, une famille elle n’en a qu’une.

« Je n’ai pas besoin de nouvelle famille, la mienne me convient. Pourquoi voudrais-je en changer ? »

C’est assez évident dans l’fond. Elle n’a pas besoin d’une nouvelle famille, elle ne veut pas en fonder une nouvelle. Cela ne fait nullement parti de ses projets. Elle secoue la tête, elle a la sensation de ne pas avoir été comprise.

« Il suffit d’une personne tu sais ? Une personne et tu peux fonder ta propre famille. »

AZY AFYA COMMENT TU GERES. T’as trop réussi à l’faire exploser de rire. T’es trop une warrior. Là il est à moitié mort et il va pas s’en remettre. Ou pas. Enfin, il pleure de rire quand même et t’en es presque vexée. D’abord il ne te comprend pas, et ensuite il se moque de toi. Finalement Boubou c’est comme tous les autres, un type qui se moque de ce qu’il ne comprend pas. Pourtant t’avais pas cru, tu pensais que c’était un gars gentil. Ah. Mauvaise voie de narration, attends j’switche.

Alors elle dit rien, pas parce qu’elle est blessée, mais parce qu’elle est en colère un peu. Elle pensait que Boubou c’était un gentil et en fait on l’a trompée sur la marchandise. La vie c’est d’la merde, elle devrait le savoir pourtant. Pourquoi elle refuse de s’en rendre compte ? Ah. Parce qu’Afya est une optimiste. Bon azy il s’excuse c’est un bon début.

« Alors ce sont des amis pas une famille, enfin. Tes enfants ne sont pas toi, de la même manière que tu n’es pas tes parents. Ils ne seront pas comme toi, ils te ressembleront peut-être même pas… Pourquoi tu n'en veux pas ? »

Et elle sait pas trop si c’est dommage ou pas, elle sait plus beaucoup de choses la petite Afya. Elle croyait que Boubou il était gentil, et là elle sait pas s’il vient pas juste de se moquer d’elle…. Elle aime pas beaucoup trop ça quand on se moque d’elle. Alors elle préfère juste ignorer ce fait, et oublier sa colère d’un instant. La colère c’est pas un sentiment important, la colère ça rend les gens méchants et Afya elle est pas bien méchante. Trop sincère pour son bien peut-être, mais c’est tout.

« Non, je ne peux pas en avoir. »

Ce n’est pas la question Afya. C’est peut-être pas la question mais c’est ta réponse. Qu’importe que tu en ais voulu à un instant ou à un autre, tu n’as pas le droit. On te l’a dit, le sexe pour toi c’est pas possible, avoir des enfants t’es donc interdit et tu refuses de désirer quelque-chose que tu penses ne jamais pouvoir avoir. T’es comme ça Afya, tu désires pas l’irréalisable, tu te contentes de ce qu’on te donne, quand bien même cela est éloigné de ce que tu ressens. Oh tient j’ai encore changé de voie de narration tant pis. On va faire avec.

« Je comprends pas les gens qui cherchent ce qu’ils ne peuvent pas avoir, et refuse ce qui est à porté de main… » dit-elle plus pour elle que pour le tonnerre.

La narratrice est de retour, désolée les gars on arrête de se fendre le poire et on respecte un peu Afya merci.

Faire de la merde, c’est une expression grossière qu’elle-même n’utiliserait jamais bien qu’elle la comprenne. Il a peur de ne pas être à la hauteur, et c’est un peu sot, car elle a bien conscience qu’on est le parent que l’on peut et jamais celui qu’on aimerait-être. Combien de fois sa mère s’est-elle excusée de ne pas pouvoir leur accorder le temps ou l’attention qu’elle pensait leur devoir ? Combien de fois a-t-elle eu l’impression de les négliger, combien s’est-elle sentie coupable de les avoir envoyé travailler après… ça. Trop sans doute, pourtant que se soit dans ses lettres ou oralement quand elle était auprès d’elle, l’ivoirienne n’avait eu de cesse de dire à sa mère combien elle l’aimait et la respectait… Bien qu’à présent et avec du recul, elle se reproche de ne pas l’avoir dit assez souvent.

« Peut-être que tu changeras d’avis avec le temps… » dit-elle doucement.

Pour elle, il est inconcevable que quelqu’un qui puisse avoir des enfants n’en est pas. Avoir des enfants c’est le but de toute vie, tout être vivant tend à se reproduire. C’est dans la nature humaine, et c’est vrai aussi qu’elle ne se sens plus tellement femme depuis qu’elle sait qu’elle n’y a pas droit. Qu’importe, elle s’est fait une raison. Certaines choses sont hors d’accès, alors à quoi bon les désirer ? Il est désolé pour elle, elle hausse les épaules à son tour, peu importe maintenant. Peu importe…

« Il n’y a pas plusieurs réalités mais plusieurs visions du monde, j’en suis consciente, mais je ne vois pas l’intérêt de compliquer ce qui se présente comme simple et c’est bien là mon reproche, les gens se compliquent la vie pour le plaisir de se la compliquer et parfois de se plaindre. Et tu as utiliser le bon terme « ils pensent. » Ce n’est nullement quelque-chose de définitif et d’arrêté, c’est une conviction qui ne tient qu’à sois de changer, ce n’est pas car quelque-chose est difficilement accessible que c’est impossible… Mais désirer l’impossible en sachant qu’il ne se réalisera jamais, c’est creuser sa propre tombe. Rejeter le bonheur présent pour une hypothèse de bonheur futur c’est prétentieux. »

Elle ne répond pas non plus qu’elle n’a plus de raison de se battre, car au fond, c’est ce qu’elle ressent, ne se rendant pas bien compte qu’elle passe sa vie à se battre, pour apprendre à lire, pour apprendre à écrire, pour se devenir, pour être heureuse. Elle lutte, mais elle lute bien plus souvent contre elle-même que contre le destin ou l’état du monde. Elle a appris à accepter ce qu’elle ne pouvait pas changer.

« Quand on est satisfait, on n’a besoin de rien de plus, on ne cherche pas plus. C’est le principe de la satisfaction. C’est plus difficile parfois de se changer soi, mais c’est souvent le seul choix que l’on a. » dit-elle un peu blasée par le tour que prennent les évènements.

C’est tellement facile de toujours vouloir plus, de toujours se dire qu’on n’a droit à plus. C’est se condamner à être continuellement déçu de ne pas obtenir ce que l’on veut que de trop vouloir. Ça elle l’a appris bien trop tôt, alors elle n’a jamais demandé, jamais espéré trop de choses. Afya elle est comme ça, elle se contente de ce qu’elle a, même quand elle sait que d’autres ont plus. Elle l’a appris, elle ne peut pas avoir plus. C’est ancré en elle, fait indélébile, et quand on lui offre plus elle remercie le monde, mais elle ne l’a pas espéré, elle n’a pas envié. Elle était heureuse avant, elle l’est après. C’est simple. C’est triste. C’est tristement simple que de se préserver de la frustration en ne désirant jamais trop.

Il change de sujet et elle le suit, pas certaine d’avoir encore envie de continuer à défendre ses idées. Au fond elle sait qu’il a raison, qu’être idéaliste c’est beau. Elle ne l’est pas. Elle n’a pas appris à l’être. Elle, elle a appris à raconter le monde comme s’il était plus beau pour adoucir la réalité qu’elle ne pouvait fuir. Alors quand elle rencontre des gens comme Boubou, elle sait pas quoi leur dire.

« Ah, oui maintenant que tu le dis. C’est vrai. Allons étendre ce linge ! »

Sitôt dit, sitôt fait. Les voilà sur le toit qui étendent le linge. Elle aime bien sentir le vent à cet endroit. Elle aime bien l’odeur du linge propre. Elle sait plus trop quoi dire par contre, elle s’est perdue dans ses pensées. Etre seule avec elle-même n’est pas de tout repos, alors elle réfléchis à nouveau à un conte, qu’elle oubliera sans doute avant de l’avoir écrit. Elle ébauche simplement un plan, et c’est un vilain conte.

« Fini ! »