Nicolas avait pris une douche. Jérémy s'était changé.

Donc ce matin, tout était normal. Nicolas sirotait un énième café comme si rien ne s'était passé et Williams est rentré. Il avait l'air fatigué mais content de lui. Les choses avaient du se tasser avec Louisa. Il a d'abord été voir Lottie pour lui bisouter les joues, avant de les rejoindre pour le petit déjeuner... Jérémy lui... Jérémy avait le regard planté dans sa propre tasse. Perdu dans ses propres questions. Il jetait parfois un regard à Nicolas ; à la fois surpris par sa capacité à ne rien montrer de la haine qu'il avait ressenti plus tôt, à la fois content de retrouver un de ces masques qu'il portait autrefois, capable d'ignorer ce qui l'empêchait d'avancer. Et puis il a posé les yeux une seule fois sur Williams... Et il a su qu'il savait. Peut-être pas qu'ils s'étaient fâchés, mais au moins que Jérémy n'était pas bien, à ce regard contrit qu'il avait.

Jérémy revint à sa tasse.

Nicolas dut partir à un moment. Il ne sait pas où, il ne sait pas pourquoi. Il n'écoutait pas. Sa mâchoire se contracta, et il se surprit à sursauter en entendant la porte d'entrée se refermer. Il ne sursautait pas, d'habitude. Pourtant il ne leva pas les yeux, il sentait sa présence. :

-Aaron...

C'est sorti tout seul... Il n'avait pas vraiment le cœur de l'appeler Willy-Wonka. Ou tout simplement Williams, ce qu'il faisait plus souvent depuis Noël. Là non, malheureusement, il ne voyait pas comment l'appeler autrement. Sans insulte ni moquerie... Juste...

Aide-moi. :

-Je me suis... fâché... avec Nicolas.

C'est un euphémisme. Mais il voyait pas du tout par où commencer.

Hier soir, Jérémy est sorti. Ce n'est rien de fou, ça ne me gêne pas ; avec Nicolas, j'ai l'habitude. Tant qu'on me prévient pour que je ne fasse pas de syncope durant la nuit parce que je ne sens pas leur énergie à la maison ou que quelqu'un est disponible pour s'occuper de Charlotte quand je m'absente. Cela étant, le fait est assez exceptionnel pour être noté. Je me suis dit "hé, cool, il commence peut-être à se faire des amis ?" ; j'ai conscience des difficultés que cela peut avoir d'être inclus dans un groupe comme celui des amis de Nicolas, surtout vis-à-vis de son passif, et de leur méfiance à son égard que je conçois. Mais je le sens seul, souvent, si Nicolas n'est pas avec lui. C'est étrange.

Ce matin je rentre, donc. Le décalage horaire, comme à chaque fois, m'abrutit un peu — je sais que j'aurai la journée à tenir, et après dodo. Ca s'est bien passé, comme à chaque fois que j'y retourne ces derniers temps ; Louisa réapprend à me faire confiance. Je suis plus honnête avec elle, elle l'est plus avec moi aussi, j'ai l'impression. Ca me fait du bien. Mais voilà. L'ambiance, pendant le petit-déjeuner, est électrique. Malaisante. Pesante. Je n'aime pas ça.

Mon regard interrogateur se pose parfois sur Nicolas, qui fait mine de rien. Mais je sens sa colère. Sa haine. C'est fort, même si elle se cache derrière un mur. Je n'ai pas très envie de lui poser la question maintenant. Jérémy, lui, est... perdu. Mal. C'est embêtant, comme situation, mais j'imagine qu'il fallait bien que ça pète. J'aurais juste préféré que ça ne pète pas juste quand je n'étais pas là. Coucou Aaron, tu n'es jamais là où tu devrais être.

Nicolas part ; je lui souhaite une bonne journée. Il n'y a plus que Jérémy et moi, qui ne sait pas comment réagir. Qui sursaute quand la porte se ferme. Je porte ma tasse à mes lèvres. Le regarde lorsqu'il m'appelle.

Ok, ça ne va vraiment pas.

Lentement, je repose ma tasse et l'observe. J'attends, je lui laisse la place qu'il faut, sans insister. Mais je suis inquiet. Ma bouche se tord à demi, dans une moue attristée que j'ai eu du mal à contenir. Je ne vais pas lui dire "je sais", alors je me contente d'acquiescer.

—Ce sont des choses qui arrivent. Comment tu te sens ?

Demi sourire. Ce n'est pas souvent que Jérémy a vraiment l'air d'un adolescent.

—Tu veux en parler un peu ?

Je te laisse la place qu'il te faut.

Aaron se contente d'acquiescer, de lui demander comment il se sent. Jérémy soupire, mord sa lèvre et ses doigts tapotent la table comme si ça pouvait l'aider à trouver une solution. Même ses yeux dorés vont de droite à gauche, ne fouillant même pas l'espace, plutôt comme à tenter de lire un livre invisible... Il frotta ses mains l'une contre l'autre... Il avait l'impression qu'elles étaient sales, mais ce n'était pas le cas. Il avait l'impression d'être sale partout en fait. Il toussota. :

-Je- euuh... Non ? Je vais pas bien...

Avouer les choses les plus simples, les plus évidentes, aurait du être plus dur que ça. Mais Nicolas l'avait terrifié comme jamais. Il inspira. :

-J'ai fait des trucs... Pause. Pas cool à Nico, avant... Nouvelle pause. Enfin non. Son regard se pose sur la tasse, ses doigts tapotent à nouveau la table. Je l'ai fait souffrir.

Son coude se pose sur la table et de sa main il cache ses lèvres, comme s'il retenait sa nausée, ou bien des mots bien pire qui retranscriraient mieux la monstruosité de ses actes. Il souffle, il peine,... Il force le venin à sortir de son système. Il repose sa main. :

-Donc je crois- Arrêt brutal. ...que tout à l'heure... il m'a rendu tout ça. Il ferme les yeux, ses lèvres tremblent à peine. Verbalement.

Il a chaud, mais il a la chair de poule. Toute la terreur qu'il a ressenti plus tôt quand Nicolas lui a dit qu'il ne le considérait même pas comme un être humain -ce que j'ai toujours pensé de Nicolas, au final- avait resurgi. Il tousse, force ses mains à s'emparer de sa tasse, touiller, faire quelque chose, occuper son corps à ne pas se concentrer sur ce qui a été mais sur ce qu'il dit. :

-Et euuh... Disons que j'étais persuadé que... ça ne lui traversait plus l'esprit. Il déglutit. Que s'il avait accepté que je vienne dans cette maison... c'était parce qu'il ne pensait plus au passé. Sa jambe se met à tapoter le sol. Il parle un peu plus vite. Je pensais qu'il était comme moi, qu'il avait oublié les douleurs et même qu'il m'avait accepté, parce que ça me paraissait naturel qu'on m'accepte parce que, je suis le meilleur mais en fait...

Silence. ...il a juste fait semblant, pour le bien des autres.

Il prend son temps, même en parlant. Ca me laisse le temps d'observer ses mimiques, de l'écouter et d'analyser ce qu'il me dit dans le même mouvement. Il est inquiet, effrayé ; mal à l'aise, triste ; globalement pas très bien, donc. Il l'avoue, et déjà cette réponse est une victoire en soi. De mon côté, je ne cherche pas à le brusquer ; je garde les lèvres closes, le dos droit, sans m'appuyer sur la table ou m'y avancer. Lui laisser la place, sinon il va se rétracter.

Je bois lentement mon café, sans vraiment le quitter des yeux ; ça m'aide à m'occuper les mains, moi aussi. Ca m'évite de hausser un sourcil désabusé, surtout. J'acquiesce lorsqu'il parle d'avoir fait souffrir Nicolas. Oui, c'est vrai. Nicolas lui a rendu tout ça. Verbalement. Petite moue. Ca devait arriver.

La pensée que Nicolas ne me parle que rarement manque de me faire soupirer, mais je suis concentré sur Jérémy pour le moment. C'est lui qui est venu me voir, alors un garçon à la fois. Si Jérémy estime que Nicolas lui a rendu toutes les saloperies qu'il a faites, j'sais pas si j'ai envie de savoir ce qu'il lui a dit. Et en même temps, Jérém perd de vue l'essentiel : ce que Jérémy lui a fait, Nicolas ne le lui aura au final jamais rendu. Je suis pas certain que ça atteigne ce degré-là, sauf si je retrouve Jérémy avec 50 coups de couteaux et la gorge arrachée avec les dents, éventuellement. Parlons pas de malheur, il va aussi falloir que j'en discute avec Nicolas. Qu'il me parle. Que je sache quand il est à bout. Je veux pas que ça devienne mauvais ou toxique pour lui. Il est étrangement conciliant avec Jérémy, mais je ne suis pas non plus stupide et je lui ai toujours laissé le choix. Mais si ça devient dangereux, il faudra bien faire quelque chose, je suppose.

Mes pensées filent à toute vitesse ; j'interprète, j'enregistre, je classe. Nouvelle moue. Il pensait vraiment qu'il n'y pensait plus, sérieux ? Il a quel âge ?

Silence.

Ouais. Bon. Ca fait un bon paquet de choses. Soyons diplomate.

Un soupir m'échappe et je repose ma tasse.

—Je vois... C'est compliqué comme situation, on le savait dès le départ.

Gagner quelques secondes. Je pose mon coude sur la table, l'index contre ma tempe et mon pouce contre la joue pour retenir ma tête, lâche une nouvelle moue.

—Ecoute Jérém, je vais pas te mentir. Penser que Nicolas aurait oublié tout ça, c'est juste de l'ordre de l'utopie ou du rêve. Y a du temps qui est passé depuis que tu es arrivé, mais ça ne change rien au fait que c'est arrivé. Il n'oubliera sûrement jamais, parce qu'on n'oublie jamais ceux qui nous ont fait du mal.

Bon, ça, c'est dit. Mais je crois qu'il vaut mieux enlever le sparadrap tout de suite.

—Par contre, ce qui est différent et plus sain, c'est qu'on peut apprendre à vivre avec, à les pardonner. Nicolas n'a pas encore atteint ce stade, il lui faut encore du temps, mais ça ne veut pas dire que c'est perdu d'avance. Pour ça, j'imagine qu'il faut te laisser le temps d'évoluer davantage, toi aussi. On évolue tous, je souris doucement, pour lui couper l'envie de m'assurer le contraire.

Et depuis qu'il est arrivé, il y en a eu, de l'évolution. Parfois agréable. Moi j'arrive à ne pas penser qu'il a fait de la merde, parce que je ne l'ai pas vécu. Parfois je sens la hargne de Nicolas. Sa colère dissimulée. Son agacement importun. C'est normal. Mais ça me ramène à la réalité. Peut-être que je suis trop conciliant, je sais pas.

Doucement, je secoue la tête.

—Ca te fait du mal qu'il ne t'accepte pas, alors que toi oui ?

Fais la moue.

—Tu n'es pas obligé de me dire ce qu'il t'a dit, je continue. Mais tu peux m'en parler si tu en as envie.

Jérémy n'arrive même pas à regarder Aaron dans les yeux. Il fixe sa tasse, obstinément, comme si c'était elle qui lui parlait. "On n'oublie jamais ceux qui nous ont fait du mal" résonne en lui méchamment. Il le savait bien, il pensait juste que Nicolas était passé à autre chose, comme lui. Et puis le père adoptif de Charlotte parle d'évolution. Jérémy grimace. :

-Évolution ? Moi ? Je sais pas j'ai l'impression d'être toujours moi ? Enfin pendant la rébellion j'étais bizarre... Je ressentais... un truc ! Je sais pas ! éluda-t-il presque en colère. Juste- Nicolas... m'a aidé à ce moment et je...

Silence. Il ne savait pas, encore une fois. Il ne savait pas et ça le tuait de ne pas savoir mais après ça, il avait été mieux... Tellement mieux qu'il n'avait pas cherché à comprendre plus loin. Parce que ce que disait le Loup lui semblait être des vérités absolues... comme lorsqu'il lui a dit qu'il n'était pas humain. Il mordit ses lèvres. :

-Ça me fait du mal... ça me fait du mal... Je crois oui ?

Ses mains se serrèrent autour de sa tasse, tendues, comme prêtes à l'éclater. :

-Je crois que ça me fait plus de mal de voir qu'il n'a pas... qu'il pense de moi ce que moi j'ai pensé de lui pendant des années et... ça me fait me rendre compte...

Il déglutit, lâche enfin la tasse d'une main pour couvrir sa bouche. Non effectivement il n'est pas prêt à dire à Aaron ce qu'il a dit. Parce qu'il avait mal ou parce qu'il a peur qu'Aaron voit Nicolas différemment après ça ? Il n'est pas vraiment sûr. Un instinct lui dit vouloir aider Nico, un autre lui dit qu'il n'est pas assez fort pour supporter ça tout seul. Mais il n'a plus son père. Il n'a plus rien.

Il n'est plus rien.

Et s'il n'est plus rien, il ne peut rien faire. :

-Aaron... J'aime pas être impuissant tu sais. Je suis sûr de moi pour être sûr que rien ne m'échappe. Pour pouvoir défendre mes valeurs, ma famille. Sauf que... depuis un moment... je ne sais plus. Y'a mon monde qui change et j'ai appris de nouvelles choses qui me paraissent plus justes... Mais je sais pas si c'est normal ou si c'est parce que je suis poussé à ça parce que je suis à Terrae.

Il dit ça pour Asbjorn, pour Elwynn... Damn, même Aria lui a apprit quelque chose sans qu'il ne s'en rende compte... Mais le pire de tous c'est Nico. Nicolas comme une espèce de "frère de l'ombre" qui lui a permis de rencontrer ces gens et de lui laisser se faire une opinion sans rien attendre... juste le voir... évoluer. :

-C'est comme si... C'est comme si j'avais trois personnes en moi qui se battent pour savoir qui a raison. Une qui me dit de me plier, une qui me dit de rester droit et une autre qui ne sait pas quoi faire entre eux sinon repousser les deux solutions et je sais plus quoi faire ! lâche-t-il presque désespéré. Je sais plus quoi faire et mes pouvoirs ne savent pas quoi faire non plus. Je suis Feu Invisible Aaron... Invisible bordel ! C'est comme si mon corps me disait qu'effectivement je n'étais rien et je ne servais à rien !

Il s'étale sur la table, comme s'il n'avait même plus l'énergie d'être en colère. :

-Et je sais plus quoi faire... Je croyais être le meilleur. Non. Un- Un meilleur grand frère, depuis la naissance de Lottie mais... Mais Nicolas c'est pas pareil. Je croyais qu'il m'avait accepté mais non, je dois faire mes preuves... Mais je suis invisible à ses yeux... Et qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je veux faire ?! ....Je sais plus.

Jérémy est un enfant. Un enfant qui ne comprend pas encore totalement les conséquences de ses actes, un enfant qui se refuse à voir le négatif de ses actions pour ne pas se sentir perdre le contrôle. Il a pris des automatismes sincèrement mauvais, et il y prend du plaisir. Y prenait ? Est-ce qu'on peut dire qu'il ne prend plus plaisir à faire du mal ? Lorsque je l'ai vu me défendre, cet hiver, je n'ai pas ressenti de plaisir à cette idée. Juste de la peur, camouflée par de la rage. Pour moi, il a changé, il s'adapte. Pas encore assez, pas encore suffisamment, mais on ne déconstruit pas dix-huit ans de violence par des bisous et des câlins en l'espace de quelques mois.

Ma main s'avance vers la sienne lentement et je la tapote juste un instant, lorsqu'il pose l'autre contre sa bouche. Ce que lui a dit Nicolas l'a vraiment marqué, hein. Va falloir qu'on parle aussi, lui et moi... Si c'est trop difficile, je peux les renvoyer tous les deux dans les dortoirs. Mais j'ai pas l'impression que ça règlera vraiment le problème, et je veux pas les priver de leur soeur.

—Evoluer ne veut pas dire devenir quelqu'un d'autre que toi-même. Ca veut simplement dire s'ouvrir des portes. En refermer d'autres. Mais tu es toujours toi, et tu le seras toujours, je le rassure d'une voix douce. Et qu'il pense ça de toi, ça te fait te dire quoi, Jérém ?

Qu'il avait raison ? Que c'était violent ? Que c'est douloureux ? Que tu as merdé ?

Je reste penché vers la table tout en l'écoutant, fronçant parfois les sourcils et grimaçant à d'autres moments. J'acquiesce, souvent. Il s'ouvre beaucoup, je vais éviter de l'interrompre cette fois. Il évolue, c'est indéniable ; il change, il grandit. Mais il est perdu, parce que son monde est totalement chamboulé, différent de l'environnement dans lequel il a grandi. Quelque part, il réagit lui aussi au changement d'univers ; pas de la même manière, mais il réagit.

Ses interrogations me laissent à la fois perplexe et doucement amusé.

—Eh, Jérémy ? C'est normal d'être perdu. (C'est la crise d'ado. Mdr. Non tg.) Tu es un bon grand-frère.

Mon sourire est sincère. Si tu me crois pas, lis-le dans mes yeux. Tu sais que j'vous mens pas. ... J'élude beaucoup, mais je ne mens pas, ok.

—Parfois on est tiraillé entre plusieurs nous qui veulent réagir différemment. Y a pas une solution qui est plus adéquate qu'une autre, ça dépend totalement de la situation. Le problème c'est que là, tu ne sais pas quoi faire… Mais rester immobile et figé, c'est généralement la pire des solutions. Si elle est transitoire ça passe, mais si non… Disons que ça peut devenir problématique sur le long terme. (Sourire.) Ce que j'veux dire par là, c'est qu'il faut d'abord essayer de voir quelles sont tes priorités. Quel est ton objectif.

Je le détaille, alors qu'il est étalé sur la table. Ma tête s'incline.

—Personne n'est jamais le meilleur, ça n'existe pas. Par contre, tu peux essayer de devenir la meilleure version de toi-même, et ça c'est possible. Pour toi, ou pour Charlotte, ou pour Nicolas si tu le veux. Ca a l'air très important pour toi qu'il t'accepte comme toi tu l'as accepté.

Lentement, je me recule sur ma chaise et prends une gorgée de café, réfléchissant aux termes que je vais employer.

—Admettons que tu doives faire tes preuves. En quoi ce serait si gênant ? Et en quoi ce serait si gênant qu'il ne t'accepte pas comme tu es ? Je pense que la réponse à "qu'est-ce que je veux faire ?" se situe entre ces deux points.

Nouveau sourire, plus mutin.

—J'ai aussi l'impression que le fait d'être Invisible te bloque, mais que c'est simplement parce que ça te hérisse le poil et que tu t'arrêtes là-dessus... Être Invisible peut t'apporter ce que tu n'as pas encore, et si ça te torture encore à ce point, c'est que c'est un point sur lequel tu devrais porter ton attention. (Du recul sur toi-même.) Mais quand tu vas mal, n'oublie pas que tu n'es pas seulement un Invisible. Tu es aussi un Feu. Un Feu Solaire.

Quelle plus pure incarnation de la puissance du feu et du soleil ?

—Tu peux briller, toi aussi, tu crois pas ?

Il faut simplement trouver la voie.

Ce que pense Nicolas de lui aujourd'hui, qu'est-ce que ça lui fait dire ? Qu'est-ce que ça emmène en lui ?... Le regard de Jérémy se perd un peu, comme s'il était perdu dans un mauvais souvenir. ...C'était si douloureux, et il s'était construit, durant toute son existence a ne plus sentir cette douleur, à ne plus s'attacher à personne -sauf quand Lottie est née-, à ne plus rien voir de beau en ce monde et ne lui rendre que la pareille pour ne plus ressentir cela... Et maintenant, ça te fait dire quoi ? :

-Ça me fait dire... que c'est de ma faute... Je voulais pas le rendre comme ça ! Je voulais juste... le croire comme ça pour m'éviter à moi... de souffrir...

Jérémy Bonnet. Tu es un égoïste.

Le visage dans ses mains, ayant à peine capté le contact se voulant rassurant de Aaron, il tente de respirer calmement. De faire le tri. De s'imposer une structure stable sur laquelle mieux évaluer la situation. Mais il n'y a rien de stable ; ne ce qu'il est devenu, ni ce qu'il a été. Puis Aaron lui dit que c'est normal. Jérémy hausse un sourcil, levant enfin la tête pour regarder le Master dans les yeux  lorsqu'il lui dit qu'il est un bon grand frère. Rire amère. Mais il n'ajoute rien devant les yeux ambrés... Il essaie de le croire.

C'est une période transitoire qu'il lui dit, que c'est un mauvais moment à passer, le tout et de ne pas rester à rien faire. Jérémy fait la moue mais Aaron sourit. C'est dur de sortir des contre-arguments quand tu sais qu'ils sont tout aussi pétés que toi. Alors qu'il est étalé sur la table, il lui parle alors d'objectif... Jusqu'à récemment Jérémy n'en avait pas. Pour lui la vie se résumait à garder de bonnes relations avec les Vikings pour avoir un soutien puissant au village peu importe l'emmerde et devenir garagiste parce que son père était garagiste... Rien que le fait de décider de faire des études était une sorte de rébellion contre tout ce qu'il avait appris jusque là. Mais d'un autre côté, c'est bien plus utile ici que là-bas pas vrai ?... c'est l'excuse qu'il se sort pour enfin faire ce qu'il aime faire le plus. Il agissait enfin un peu pour lui, le vrai moi, mais il ne l'assume pas encore complètement.

Et c'est pour cela qu'Aaron ajoute qu'il peut pas être le meilleur... mais une meilleur version de lui. Même pour Nicolas... Parce qu'apparemment il l'a accepté donc il aimerait aussi l'être en retour. :

-PFFT ! No way ! Genre pourquoi j'aurais-

Il s'arrête, les yeux ronds, alors que le Master boit une gorgée de café... Merde. Oui je l'ai accepté. Je l'ai accepté parce qu'il m'aide... comme un vrai soutien. Un des rares que j'ai jamais eu alors que je lui éclaté la gueule, plusieurs fois, et que j'ai marqué son corps, et que je l'ai privé de ses amis... Parce que malgré tout ce que j'ai pu lui faire, tout ce que le village a pu lui faire, il n'a jamais... JAMAIS... failli. Il n'a pas les mains salies comme les miennes et je suis... fier. Je suis fier !!!

Aaron ajoute un dernier point sur le fait d'être Invisible, mais Jérémy y accorde peu d'importance... pour le moment. Il promet d'y songer plus tard. :

-OUI ! fait-il en se redressant d'un coup, plaquant ses mains sur la table. Ok j'ai compris ! J'vais lui cramer les yeux avec mon meilleur !

Pause. Il bat des paupières en se rendant compte de ce qu'il vient de dire... :

-Enfin... de manière métaphorique. Hein. J'vais faire comme lui, peut importe le nombre de coups qu'il va me porter, j'vais me relever !

Ça va prendre du temps, il le sait... Après tout il lui a fallu du temps pour voir un frère dans le Loup. Il s'en va, d'abord sûr de lui, avant de faire demi-tour d'un coup. Il fait le tour de la table et attrape Aaron dans ses bras. Quelques secondes, rien de plus, est utilisé pour ce qui, chez lui, est un semblant de câlin... Il repart aussi sec, refusant de le laisser parler au risque d'entendre les couinements de bonheur du Master. :

-Merci Ronron ! J'te promets de prendre soin de Lottie et Nico ! J'ai une de ces PATATES d'un coup !

Ronron...

"Ca me fait dire que c'est ma faute." Eh bien. On y est enfin. Il arrive à le dire, le prononcer ; mettre des mots à ce sujet. Doucement, j'acquiesce et lui sourit, un peu tristement. C'est bien qu'il mette des mots dessus. C'est important. C'est douloureux, mais il faut qu'il le comprenne, l'accepte, l'intègre. C'est dur. Mais ça arrivera, je le sais, j'en suis certain ; j'y crois vraiment fort. Parce que je vois comment il a pu évoluer et grandir ; parce que je sais qu'il ne va pas stagner à ce point-là. Il a en lui les capacités de devenir meilleur, et j'y crois.

Cependant, je lui laisse le temps d'assimiler ce que je dis et ce qu'il se passe dans sa propre tête. J'ai dit ce que j'avais à dire, peut-être pas tout, mais ce sera suffisant pour la leçon d'aujourd'hui, je crois.

Haussement de sourcil et sourire amusés lorsque Jérémy essaie de me contredire. Hmm, vraiment ? Je sirote mon café avec une fierté sans nom, lorsque je suis le fil de ses émotions. Je manque de tomber de ma chaise lorsque Jérémy se redresse soudain en plaquant ses mains sur la table d'un air beaucoup trop enthousiaste, clignant des yeux, ma tasse de café encore près de mes lèvres.

—... Mais c'est qu'il est enthousiaste le Mymychouuu, daaaaaaw <3 T'as raison. Et j't'encourage pour ça, je souris en coin, pas vraiment certain que Nicolas soit celui qui "lui porte des coups", actuellement.

Doucement, je repose ma tasse... et Jérémy, qui s'est relevé, vient me faire un câlin. Un. Câlin. Wat. Wat. WAAAAAAAT. OMG. JE. JE. JE SUIS UN PAPOU FIER. RONRON EST UN PAPOU FIER. RONRON EST UN PAPOU HEUR-- calme toi, n'aies pas les larmes aux yeux s'te plait, ce serait trop bizarre. Je me contente donc de regarder Jérémy partir avec des yeux tout brillants de bonheur et un immense sourire aux lèvres. Appuyé contre la table, je secoue lentement la tête, un soupir de joie aux lèvres.

—Ahhh, ces enfants…

Ca grandit vite, ces bêtes-là.