Je savais que j'avais dépassé les bornes. Je savais que je manquais de maturité, de recul. Mais je crois que j'en avais juste assez de toute cette merde qui s'accumulait. La maladie, les écoles, les amis qui ne m'avaient pas tous pardonné ni mon amnésie, ni mon manque de raison quant à mon état avant l'hôpital. Y en avait juste trop et je n'étais pas assez forte pour tout gérer. Je n'avais pas le courage de le faire seule. Et oui, comme Ys avait été le plus présent au moment où j'avais atterri dans mon pire cauchemar, j'en avais déduit qu'il le serait après. Au réveil. Et pour la suite aussi.

Quand il m'a posé la question sur ma capacité à raconter des conneries, je n'ai pas répondu mais on avait tous deux la réponse à la question. Je le disais parce que c'était ce que j'avais ressentis. Parce que, pendant un instant, juste un, j'avais eu l'impression que le fardeau était trop lourd à porter. J'avais cru qu'il ferait comme Liam, qu'il partirait.
Nous n'avions plus vraiment l'air d'un frère ou d'une sœur. Plutôt d'un père moralisateur face à sa fille ado, rebelle jusqu'au bout des ongles. Mais sincèrement, avais-je seulement changé un peu, en trois ans?

Il m'a dit que je n'étais pas un cas à part. J'étais juste parmi ses gens qu'il n'avait plus le temps de voir. Je comprenais qu'ils aient besoin de se retrouver avec Mitsuki et j'étais même soulagée et heureuse pour eux. Mais ça n'empêché par pour autant que je ne comprenais pas tout. Des master que je connaissais, Ys était probablement celui qui avait le plus de boulot. Les missions, l'étoile à entraîner. Putain! A côté les autres, ils foutaient quoi? Oui je sais, je suis dure. Je n'étais pas au courant de tout, je ne pouvais pas me permettre de juger.

Il a finit par proposer son aide et c'est à ce moment là que tu as relevé les yeux vers lui. Il avait dit être une sorte de tuteur pour toi et ça a fait écho. Quelque part en toi, tu avais déjà eut cette sensation.
Tu ne te souvenais pas quand, ni comment, ni même pourquoi. Et puis ça revint. A ton anniversaire, presque un an plus tôt, Ys t'avait fait ressentir ce genre de chose. Quand il t'avait permis de revenir sur tes pas, quand il t'avait permis de retrouver tes racines. Ce jour-là, tu avais vraiment pris conscience de sa place dans ta vie. Et de la tienne, dans la sienne. A l'époque, vous n'aviez pas encore le droit de sortir seuls de l'enceinte de Terrae et, pourtant, il t'avait permis de partir aux Etats-Unis, chez toi, dans ta maison. Et ce jour-là, je l'avais vraiment senti, ce lien. Il m'avait trouvé parce qu'il me connaissait. Il m'avait emmené chez moi parce qu'il savait ce qui me ferait du bien. J'avais chanté parce qu'il était ma famille. Il est ma famille. Et moi? J'étais vraiment à chier.

Ys n'était pas qu'une sorte de tuteur. Je lui avais confié tout pouvoir quand à mon avenir si la maladie venait à évoluer. J'avais fait de lui mon principal successeur. Quoi? Même à vingt ans, quand on se sait condamner, on prend ses précautions les gars. Même si on avait pas eu à en arriver à et qu'il ne le savait pas, ça comptait.
Ys était bien plus qu'un ami, il était ma famille. Et dans une famille, on pardonne.

- J'abuse hein?

J'ai eu un sourire un peu triste sur le visage, me passant les mains dans les cheveux.

- T'en fais pas pour l'école, c'est moi qui irait. Tu crois vraiment que je vais les laisser me dire que je ne suis pas assez douée? Je suis probablement le meilleur élément qu'ils auront jamais!

Oui, j'étais un peu trop confiante. Mais j'étais vraiment fière de mon talent en mécanique. Et personne ne pourrait m'empêcher de travailler là-dedans. Pas même une bande de cons élitiste pas foutu de faire la différence entre une clé de douze et un marteau.

- Tu veux bien qu'on réessaie ton truc? Peut-être que j'y arriverai mieux la seconde fois?

Je ne m'excuserai pas de mon emportement. Pas plus que je ne lui en voulais plus. Mais Ys me comprenait, il savait lire entre les lignes. Je savais me mettre en arrière quand il le fallait. Et c'était le cas. Pour une fois, ce serait lui qui compterait. Il avait besoin de temps pour Mitsuki, pour le boulot et pour se retrouver. Je le lui laisserai. Mais le jour où il voudrait parler ou juste déconner, je serai là. Comme toujours.

Ys ne m'a pas répondu, se contentant de hocher la tête. Oui, javais abusé. Oui j'avais dépassé les bornes. Oui, j'étais qu'une sale emmerdeuse. Une gamine capricieuse. Mais je restais sa sœur. Ça, ça ne changerait jamais.

Il m'a proposé de m'accompagner pour être là en soutien. J'ai souris. L'école était en dehors de l'enceinte de Terrae. Je n'avais pas vraiment d'autre choix que de d'abord me trouver un master. Autant que ce soit Ys qui m'accompagne. Et puis ça nous permettrait de rattraper le temps perdu, au moins un peu. Il était peut-être temps qu'on se retrouve un peu, nous deux.

- OK. Si tu veux. Si tu peux.

Parce que oui, ça aussi ça rentrerait en jeu. Il fallait que je demande un rendez-vous au doyen de l'époque. Auquel cas, si Ys ne pouvait pas m'y accompagner, j'irais avec un autre référant master. Et je me débrouillerai seule. Mais c'était pas grave. Je savais que si cela devait arriver, il viendrait dés son retour pour savoir comment ça s'était passé.

Il a accepté qu'on réessaie l'exercice en se contentant de joindre les mains. J'ai pris une inspiration et j'ai réessayé. Cette fois, la boule de feu était plus stable quoique encore indécise à s'approcher de celle électrique d'Ys. J'étais encore assez atteinte par tous les événements et ça se voyait, mais on ressentait les efforts que je faisais pour essayer de prendre sur moi. Cette fois, c'était Ys qui comptait. Pas moi.

J'ai entendu sa question et j'ai soupiré. Ahah ouais, la bécane.

- Elle a un soucis au niveau d'un pièce du moteur. Elle s'est encrassée et elle est fendue, faut que je la change. Sauf que ça coûte bonbon et j'ai pas l'argent nécessaire; Du moins si je veux pouvoir me nourrir jusqu'à mes 21 ans.

J'avais été furieuse de voir que je ne pouvais pas la réparer seule. Du moins, pas sans argent. C'était un cadeau d'Ys, un véritable cadeau. Et, ne le voyant que trop peu, ça te permettait de pouvoir décompresser un peu quand ça n'allait pas. Et là, elle était en rade.

- Je vais trouver une solution, mais ça prend un peu de temps. Je voulais faire cette école parce qu'elle propose une alternance, ce qui m'aurait permit de me faire un peu d'argent tout en bossant les cours.. Mais là... Pff c'est chiant.

Il y a des choses qui ne changent jamais. Ma relation avec Ys faisait parti de ces choses. Je pouvais tempêter, hurler ou le haïr, il finirait toujours par trouver la faille. Et l'inverse était tout aussi vrai. On savait se parler, comment se faire avouer.
Le jour de son étoilisation, le jour de la mienne... On avait eut du mal à revenir derrière. Et on avait été là. On avait su trouver notre propre langage. A force de provocation, en se disant simplement la dure vérité, on arrivait à se faire avouer mutuellement peurs et colères. Ça n'avait jamais changé.

- Je trouve toujours d'où vient le problème feu-follet, je te rappelle que je suis une pro dans ce domaine!

Et c'était vrai. C'était vraiment une passion, de même que la musique. Étonnant pas vrai? J'adorais mettre les mains dans la crasse, réparer des moteurs et faire ronronner ces bijoux.
J'étais un peu verte de pas pouvoir me payer cette foutue pièce. Surtout que concernant l'argent, je ne demandais jamais rien à personne. C'était seule que j'avais payé mes soins médicaux. Ce qui, vous l'aurez compris, était la principale cause de ma pauvreté de l'époque! J'avais toujours assumée seule, depuis la mort de mes parents. En soi, tenir des comptes n'est pas si compliqué quand vous êtes un minimum logique ou matheux. J'avais l'avantage que ma mère m'avait montré "au cas où". Ouais, j'ai une famille un peu bizarre, je sais.

Et puis il m'a proposé de m'accompagner pour acheter cette pièce et je l'ai regardé avec curiosité. Il était pas sérieusement entrain de supposer ce que je pensais quand même? Il était aussi fauché que moi!

- Mais Ys... Je trouverai un moyen. J'en suis capable tu sais!

Mais il savait. Sauf que c'était aussi son bébé. Et que la voir au point mort et en rade ça devait le faire chier autant que moi. Et là-dessus, je ne pouvais pas contre-argumenter.

- OK. Mais dans ce cas, tu changes la pièce avec moi! Il est temps que quelqu'un te montre ce qu'est la vraie mécanique papy!

Et ouais. On ne change pas une équipe qui gagne. Et un jour, je paierai ma dette, d'une façon ou d'une autre.

Je retrouvais enfin ma complicité fraternelle avec Ys. Ca faisait un bien fou de pouvoir enfin relancer des piques et me voir en prendre. Il y avait un côté nostalgique à tout ça. Au fond, nous n'avions pas tant changé depuis l'hôpital. Nous savions simplement que nous aurions plus de temps. Il n'y avait donc plus priorité à se voir. Cette fois, c'était Ys qui comptait, pas moi.

- Pff! J'attends de voir pour le croire feu-follet, je te rappelle que ta bécane parle pour toi!

Oui, je ne faisais que l'emmerder. Elle était nickel sa poupée et je n'avais rien à redire question mécanique. La pièce à changer n'était pas défectueuse, elle était simplement usée par le temps. Si c'était son mauvais entretien qui l'avait tué, croyez moi, ça serait déclenché bien avant.
Il m'a demandé de me tourner pour se changer et j'ai obéis sagement parce que honnêtement... Beurk. Je voulais pas voir mon frère a moitié à poil!
J'ai préféré en profiter pour regarder mes données cardiaques. J'étais un peu trop haute et j'avais eu un pic de hausse quand j'avais manqué de me tuer avec la boule de feu. J'ai soupiré. On était loin d'arriver à la stabilité mais on s'en approchait doucement. Ça prendrait du temps.

- J'ai pas revu grand monde au final tu sais? Je crois que tout le monde est pas mal occupé depuis cet hiver... Mais ouais, j'ai rencontré des gens. Un bassiste du nom de Drixx et son adorable chaton. Et puis Gal' qui est... Ben en fait c'est Galaad quoi. Je saurais pas comment te le définir. Il est cool.

Ouais, j'étais un peu sortie. Ouais j'avais peut-être légèrement craquer sur mon ami novice. Mais non je n'étais pas prête pour tout ça. Pas quand j'avais encore mal chaque fois que je tombais sur la photo qu'on avait prise avec Hero, Liam et moi, un jour où nous étions au parc. C'était la seule chose que j'avais gardé de nous, sans que personne ne soit au courant. Elle était dans ma housse de guitare, dans un faux-fond, avec une photo de ma famille. Et à chaque fois, je me demandais comment on avait fait pour en arriver là. Alors non, je n'étais pas prête à tout risquer encore une fois.

- Bon et toi alors, avec Mitsu? Ça se passe comment depuis ton retour? C'est revenu à la normal ou c'est encore un peu trouble? Et ce gars que t'entraîne, ça se passe comment? Il te supporte?

Parce que oui, je m'inquiétai pour lui. Et oui, je serais toujours son insupportable petite soeur. Et ouais, j'avoue, je voulais aussi savoir si j'avais pas été remplacé.

Je sentais le sale coups venir. Je pouvais pas lui mentir, il voyait clair en moi? Il savait parfaitement que si j'étais incapable de décrire Galaad c'est parce que moi même je ne savais pas qui il était et ce qu'il pouvait représenter.
Galaad c'était le genre de gars gentil et visiblement naïf. Mais en vérité, il analysait tout et tous et il savait se forger une opinion. Et même s'il avait l'air d'un gamin, je voyais bien qu'il était en vérité beaucoup plus mature que moi. Et ce que je pouvais pressentir pour la suite me faisait peur. Parce que je n'étais pas prête à confier mon coeur de nouveau. Parce que le souvenir de Liam était encore trop vif et bien trop douloureux.

Il s'est téléporté pour se retrouver à côté de moi et m'observer et je n'ai pas tenté de me cacher. Je ne rougissais pas et je n'avais rien à cacher. Ys savait combien j'avais pu souffrir de ma précédente histoire. Liam m'avait abandonné trois ans pour finir par disparaître quand j'avais eu le plus besoin de lui. On s'était tous trompé sur son compte et la seule qui en souffrait vraiment, c'était moi, pauvre naïve que j'avais été de croire en cette relation.
Ys ne se permettrait probablement de faire un commentaire désobligeant sachant tout ça. Parce que derrière les piques, il m'appréciait suffisamment pour ne pas vouloir me blesser.

Alors il a simplement changé de sujet pour me parler de son retour à la maison. J'étais sincèrement heureuse, quoique je l'envie un peu aussi, sûrement. Mitsuki et lui était vraiment des âmes-sœurs. Ils pouvaient aussi bien se déchirer ou s'aimer, la vérité était qu'ils étaient incapables de vivre l'un sans l'autre. Savoir que ça existait vraiment me permettait sûrement de garder un peu confiance en l'avenir. Ça devait être magique d'avoir quelqu'un sur qui compter malgré chacun des obstacles.
J'ai juste souris en hochant la tête. Ys avait fait le bon choix. Il fallait qu'il rentre à la maison. Il fallait qu'il la retrouve. Qu'ils se retrouvent. J'étais soulagée. Finalement, tout n'avait peut-être pas tant changé.

Il s'est senti vexé que j'insinue son insupportable apprentissage envers le pauvre apprentis mais quand il me dit qu'il était un bon sensei, je ne pouvais que le croire: J'en étais la preuve vivante. Officiellement, ma prof était Mitsuki, et c'est vrai qu'elle m'aidait beaucoup. Mais franchement, depuis trois ans qu'Ys m'avait pris sous son aile, pouvais-je vraiment dire que je n'avais pas évolué? En vérité, ils étaient tous les deux mes sensei. Même si je ne le dirais jamais à Ys.

Bon, comme quoi les rumeurs fonctionnent comme le téléphone arabe, on en parle du changement de sexe de son apprenti ou pas? Ouais, passons là dessus!

- Faut vraiment que je la mette en garde alors! Attends faudrait voir qu'elle t'épuise pas trop la miss, à ton âge c'est pas prudent!

Parce que oui, elle était juste là ma place. Il ne m'avait pas remplacé. Ne m'avait pas oublié. Il avait seulement prit ses distances pour soigner ses propres blessures. Et même si je m'étais sentie exclue qu'il ne m'en parle pas, même si ça continuerait de faire mal, c'était pas grave. Parce que c'était Ys qui comptait. Cette fois, c'était son aventure, son histoire. La mienne, elle avait finit dans les sous-sol, là où elle avait commencé des années plus tôt: Au moment même où pour la seconde fois de ma vie, j'avais (re)connu Ys Ochikawa. Mon frère.

- Aller accélère papy, je voudrais y arriver avant la nuit!

Ouais. Cette fois, j'avais le temps de me plaindre de mon frère. J'avais toute la vie pour le voir. Enfin, normalement.

Ys a encore tenté de se vanter de sa capacité à enseigner et j'ais ris, moqueuse, pour la forme. Il était mon frère, c'était mon rôle de le faire redescendre sur terre de temps en temps. Après tout, je n'étais jamais que sa soeur, pas son élève. J'avais des droits que cette fille n'avait pas. Et toc!

Putain. Ben voyons fallait qu'en plus, madame se la joue sans mémoire. Spèce de copieuse!
Détrompez-vous, je n'étais pas jalouse. Du moins pas dans un sens puérile. Je n'avais pas envie de l'étrangler ni même de lui montrer qui avait de l'importance comme j'aurais pu le faire des années auparavant.
Non. Tout ça c'était plus moi. Au contraire. J'avais envie qu'elle réussisse et que, comme pour moi, Ys puisse lui permettre de se révéler malgré les oublis. Si pour moi il avait permis aux souvenirs de revenir, rien ne disait qu'il en irait de même pour elle, surtout qu'ils ne se connaissaient pas avant visiblement. Mais au moins pourrait-elle apprendre à vivre telle qu'elle était aujourd'hui et non plus dans l'ombre de ce qu'elle avait été jadis.

Ys m'a dit qu'elle était plus féminine que moi et j'ai levé les yeux au ciel. C'est pas que je n'aimais pas porter des jupes ou du maquillage, j'en mettais parfois et je savais me faire jolie. Simplement, je n'avais pas eu de mère pour m'apprendre à être une fille bien apprêté et parfois, cela me manquait. J'aurais aimé qu'elle me montre comment utiliser un pinceau à lèvre ou un mascara à une époque. Et aujourd'hui, j'aurai aimé qu'elle m'apprenne comme on s'habille pour un rendez-vous professionnel ou galant. C'était des choses que j'avais apprise seule et c'était pesant. Alors, plutôt que de me sentir triste, je préférais m'habiller sobrement et me maquiller uniquement avec du mascara, sauf occasion particulière. Ça m'évitait de devoir me poser des questions. Mais bien sûr, cette nuance échappait à la plupart des personnes qui me jugeaient trop "garçon manqué".

- Fais gaffe Ys! Ca se trouve, on a tellement de point commun qu'on fera de ta vie un enfer, grand frère!

Oui j'étais joueuse. Et oui, je voulais qu'il comprenne que la hache de guerre était enterré. DU moins, jusqu'à la prochaine fois où l'un de nous deux péterait un plomb! Après tout, entre Tonnerre et Feu, on avait tous les deux le sang chaud non?

- Faudrait que je la rencontre ouais. Entre amnésique, on pourrait peut-être se comprendre. Et puis... Qui sait, peut-être que ça lui plairait de pas se sentir seule dans ce cas-là?

Parce que ouais, moi c'est ce qui m'avait manqué. Beaucoup.

- Par contre attention, moi j'ai une super prof je te rappelle! Ta petite protéger je vais en faire qu'une bouchée!

Et oui. Il ne pouvait être que d'accord avec moi: Sa compagne était une super prof. Et nous deux en étions la preuve vivante. Donc il pouvait que m'accorder raison.

Bon OK. Il est lourd le frangin. Il m'a titillé au sujet de Galaad et j'ai soupiré. Il ne lâcherait donc jamais l'affaire? Bon Dieu Ys, il faisait trop chaud pour que tu me casses les pieds!

- Oh oui très, c'est typiquement ton genre! Sauf qu'il est hétéro, désolée!

Oui, valait mieux que je l'emmerde plutôt que je ne réponde. C'était juste un copain. Une connaissance. Quelqu'un qui avait la même culpabilité que la mienne. Il était persuadé d'avoir brisé la vie de son meilleur ami en le clouant dans un fauteuil à vie. Moi, je vivais avec la certitude d'avoir pris une décision ayant condamné à mort mon petit frère. Alors évidemment, on avait vite sympathisé. Et oui, j'admets, il me plaisait. Mais lui et moi, ça n'aurait jamais aucune chance. Il était hors de question que je me jette de nouveau dans ces conneries. On ne m'y reprendrait pas deux fois.

Ys a plaisanté comme moi au sujet d'une rébellion contre lui mais j'ai bien vu son regard, et j'ai bien senti sa main sur ma tête. Il s'en voulait toujours pour ce qu'il s'était passé à mon réveil ainsi que dans les sous-sols. Ce jour-là, on avait vraiment manqué de se perdre. Et si moi je m'en voulais de ne pas avoir pu l'aider dans ses malheurs, lui s'en voulait de les avoir laisser lui plomber le moral suffisamment pour ne plus avoir la force de rien.

Bon. Ys est un crétin. Pardon. Un horrible crétin sadique.
Il a manipuler mes dires pour arriver à ses fins le fourbe! Y a vraiment des fois où j'ai pu le haïr. Je ne comprenais pas, à l'époque, qu'il cherchait simplement à me faire avancer. Je ne l'ai toujours comprit que trop tard.
On est rentré dans une boutique et je l'ai vu lancé innocemment une possible invitation. Sauf que rien n'est jamais innocent avec ce type, qu'on soit clair. Je le sais, on est les mêmes!
Et puis j'ai entendu le sous-entendu et je me suis renfrognée. Je n'étais pas prête. Je ne pouvais pas, ne pouvais plus. J'avais trop fais confiance auparavant. Mon coeur avait finit brisé et j'avais toujours aussi mal. Parfois, ça disparaissait. Et d'autres fois, non.

- Qu'est-ce-que tu essaies de me dire, Ys?

J'en avais assez qu'il tourne autour du pot. Marre qu'il ne me dise pas clairement les choses. A l'époque où je ne me rendais pas compte de mes sentiments pour Liam, il avait été beaucoup moins flou dans ces propos

- Pourquoi tu ne me dis pas clairement le fond de ta pensée? A savoir que je devrais franchement passer à autre chose? Ben tu sais quoi, il en est et il en sera toujours hors de question! Je suis pas prête et je me le refuse. Une fois, pas deux!

J'étais vexée qu'il prenne des pincettes. Qu'il joue avec moi pour m'obliger à parler, surtout sur ce genre de sujet. C'était retourner notre complicité contre moi et ça, c'était pas loyal. J'ai filé dans le bon rayon sans attendre sa réponse. J'ai regardé avec peu d'entrain les pièces présentes devant moi, sachant déjà pourtant parfaitement celle dont nous avions besoin.

- Je veux juste plus ressentir ça..

J'ai murmuré pour moi, parce que ça n'appartenait qu'à moi. Mes sentiments pour Liam, notre appel... Je n'en avais parlé à personne. Personne ne savait vraiment que l'on s'était appelé pour rompre, plus d'un mois après mon réveil. Quand j'avais retrouvé mes souvenirs. Et personne ne savait ce qu'il m'avait dit ni à quel point ça m'avait brisé. Personne ne savait. Pas même Ys ou Mitsuki. J'avais mentis, j'avais caché cet aspect de la rupture. Parce que c'était douloureux et pas éphémère du tout.

Ys ne m'a pas laissé une minute pour souffler. Il n'avait visiblement pas envie que je puisse encore une fois me défiler de cette conversation.
J'ai refusé de croiser son regard, préférant me concentrer sur les pièces de moto. J'avais changé, Ys. La maladie, ma rupture, l'amnésie. J'avais irrémédiablement changé. Pouvait-on seulement m'en vouloir de chercher à me préserver? De vouloir à tout prix conserver cette partie de ma vie qui était constante depuis mon arrivée à Terrae?

Je m'étais construite sur des ruines en me disant que faute de mieux, je ne pourrais pas connaître pire. Mais si, je pouvais. Je pouvais encore avoir mal. Je pouvais encore être déçue. Je pourrais toujours pleurer. Je n'étais qu'une humaine après tout. Qu'une fille parmi tant d'autres gens tous malheureux ou heureux à leurs heures.

Mais il a continué à me parler. Il m'a ressorti ce conseil que moi même j'avais soutenu, des mois plus tôt. Liam n'était pas le bon hein? Ouais, j'avais cru comprendre. Mais honnêtement, existait-il, le bon? Galaad ou un autre, il y aurait toujours un problème, toujours un obstacle.
J'ai soupiré et j'ai finis par regarder mon frère dans les yeux, pour lui parler, vraiment.

- C'est pas aussi évident que ça en à l'air Ys. J'ai dix-neuf ans, j'ai fêté ceux-là dans un hôpital. J'ai passé des mois dans le coma, d'autres en étant amnésique. J'ai un nouveau coeur mais rien ne me permet encore vraiment d'affirmer que je survivrai à tous ça. On sait qu'il y a moins de chance que la maladie revienne, pas qu'elle est morte. Je dois faire attention à ce que je mange, à ce que je bois, à ce que je fais. Je dois faire des visites de contrôle, je bouffe plus de cachets que de nourriture. J'ai encore parfois des vertiges, parfois encore je ne me souviens plus de ce que je faisais cinq minutes avant. Tout ça, pour le moment, je le vis seule, et c'est aussi bien.

J'ai soupiré.

- Liam n'a pas supporté le quart de tout ça parce qu'à l'époque, je n'étais pas comme ça. Etre en rémission n'a rien d'une partie de plaisir. Si lui n'a pas supporté ma maladie, explique moi qui me supportera dans un état pire encore, sans garantie de résultat, aujourd'hui?

J'ai récupéré la pièce pour l'observer, faisant le schéma dans ma tête sur la façon dont j'allais la monter.

- Ce n'est pas que j'ai peur d'être déçu de nouveau Ys, c'est que je sais que je le serais encore. Et que je ne pourrais juste rien dire. Parce que ça, c'est ma vie. Et tu vois, aujourd'hui, la seule chose que je suis prête à changer c'est mon avenir professionnel. Parce que pour ce qui est des sentiments, je ne serais clairement jamais prête à imposer cette vie à quelqu'un d'autre. J'ai vu combien ça peut briser.