## Dim 2 Sep 2018 - 22:54 | ||
Ariana Vicente Messages : 2508 Date d'inscription : 29/05/2015 Emploi/loisirs : Couturière, café maid, préfète des Morphes ! Humeur : YOLO !!!!! | *Je suis le désespéré, la parole sans écho, celui qui a tout perdu, et celui qui a tout eu. > musique < le 23.08.18 L'odeur de la cire chaude et les parfums floraux apaisants qu'elle libère dans l'air embaument la chambre. Une composition de quelques brins de lavandes et de fleurs colorées cueillis dans les champs le jour-même sont posés à même le sol. La lumière argentée de la lune, qui filtre par la fenêtre, éclaire en partie le visage de la petite morphe, assise à genoux devant son minuscule autel improvisé, les mains rassemblées contre son cœur. Celle dorée et dansante des quelques bougies disposées là crée des ombres mouvantes dans la pièce. Autour n'existent que la pénombre et le silence, ponctué par les rires des terraens encore à l'extérieur et du chahut dans les couloirs. Elle n'est pas vraiment seule, ce soir. Sa respiration est calme. Les perles de bois de son chapelet roulent lentement entre ses doigts, dans un geste qui dénote l'habitude. La chaleur douce des flammes lui paraissent comme une étreinte rassurante et cruelle. Elle n'aura pas vraiment de réponse à ses nombreuses questions, ce soir. Sans doute aurait-elle souhaité être guidée davantage ; mais qu'y peut-elle ? Elle est comme une Ariane perdue dans le labyrinthe, après avoir tenté d'en sortir tous ceux à qui elle tenait. Abandonnée et effrayée, rattrapée par les monstres qui se nourrissent de ses peines. Elle ne sait pas trop ce qu'il lui a pris, ce soir. Eviter ses amis toute la journée, trouver des excuses bidon pour garder un semblant de paix ; et soudain, les quelques fleurs et les bougies… Le calme, c'est de calme qu'elle a besoin. Elle a besoin d'être, seule, entièrement, pleinement — comme une sanction pour avoir parlé et ressenti. Quelle simplicité de s'en vouloir de son absence, de la distance qu'elle a mise ; s'en vouloir de cet abandon dont elle ne pourra jamais se pardonner. Elle a besoin d'être seule, entièrement, pleinement — elle a besoin d'être seule pour ressentir qu'elle ne l'est pas totalement. Les larmes coulent sur son visage mi-or mi-argent, comme les deux facettes qu'elle s'efforce de d'effacer et qu'elle ne parvient pas à accepter. Elle cherche encore à savoir qui elle est, sans comprendre qu'elle n'a pas besoin de choisir, et qu'elle a juste à vivre. Elle sera moitié-moitié, ce soir. Le sourire lumineux et les larmes intarissables ; le rire à demi retenu et la prière silencieuse. Amour et culpabilité mêlés, entrelacés. Elle est la vie qu'elle a donnée il y a huit ans, et celle qu'elle aimerait reprendre ; elle est ces mots qu'elle aimerait hurler et qu'elle ne prononcera pour autant jamais. Pour la première fois depuis longtemps, elle s'autorise à Être et vivre ; ça ne lui ramènera jamais son bébé, et pourtant elle a l'impression de la percevoir près d'elle lorsqu'elle souffle son nom, comme le chant des coquillages nous ramènent à la mer… Les larmes perlent à ses lèvres et gouttent sur le sol frais ; elles ont le goût du sel et des anges. Elle les appelle à protéger cette enfant et la couvrir de lumière d'or et d'amour candide et sucré. "Même si je ne peux pas la voir, prenez soin d'elle à ma place. Faites qu'elle soit heureuse." Elle aurait aimé ajouter "faites que je ne lui manque jamais", mais la douleur est si vive qu'elle ne peut que sangloter en se recroquevillant. Ce soir, Ariana est calme. Elle n'est pas vraiment toute seule non plus. C'est le seul mensonge qu'elle s'autorise encore à penser. saudade |
## Mar 23 Aoû 2022 - 23:58 | ||
Ariana Vicente Messages : 2508 Date d'inscription : 29/05/2015 Emploi/loisirs : Couturière, café maid, préfète des Morphes ! Humeur : YOLO !!!!! | 23.08.22 Il y a un air de déjà-vu, comme toujours. Ariana a passé la journée seule. Evité ses amis. Demandé à Tina, hier, si elle pouvait passer la journée dehors, peut-être avec Nicolas et ses autres copains, mais que promis, promis, ce n'était pas de sa faute, et qu'elle pouvait bien sûr revenir le soir. Elle a juste beaucoup de travail, beaucoup de choses à faire, et elle a besoin de concentration et de paix… Pour le travail… Pour le travail… Pourtant, elle n'a pas travaillé. À la place, elle s'en est allée cueillir quelques fleurs fraîches, patiemment choisies, qu'elle a placées dans un joli vase, et construit son petit autel au sol, près de la fenêtre. Cela devient une habitude, maintenant ; déposer un tissu, le plus beau de sa collection ; quelques bougies parfumées ; de l'encens ; des pétales de fleurs ; une musique calme, mais un peu entraînante, pour qu'elle ne soit pas complètement déprimante. Et puis les photos. Elle les cache bien, les photos qu'elle a de Lola. Elles sont vieillies, un peu usées à force d'être tenues et trimballées. Elle les a encore sur son téléphone et pourrait les réimprimer ; ce serait simple de les remplacer. Mais c'est comme si les photos avaient un peu de vie, elles qui sont immobiles, immuables. Lola ne vieillira jamais sur ces photos, elle. Si les photos vieillissent, ça veut peut-être dire que ce moment a existé. Que Lola existe, malgré la distance, malgré l'énergie qu'elle a dépensée — qu'on a dépensé — pour l'obliger à oublier. C'est toujours la même chose. Les mains jointes, une respiration profonde. Cette fois, elle a laissé tomber son chapelet en même temps que la conviction profonde envers sa foi, mais elle prie quand même par habitude, par besoin. Même lorsqu'elle ne croit plus, faire un peu semblant l'aide à traverser les moments les plus difficiles, ou à s'en rappeler. Elle se souvient de l'heure de sa naissance, puis de ces instants magiques où elle était dans ses bras. Cet instant où elle l'a appelée, pour la première fois, ma Luz. Ma lumière. Elle voit encore sa propre mère et son visage sec, ferme, incisif, qui donne les ordres aux infirmières. Elle peut encore sentir quand on lui a arraché la petite des bras. "Voilà, c'est fini", lui avait dit sa mère. "Maintenant, on n'en parle plus." Et elles n'en ont plus reparlé. C'est le tabou suprême, la honte qui a entaché la famille. Ses tantes ne lui parlaient plus, mais sa mère lui disait "Personne ne voudra jamais de toi, si ça se sait. Ne t'en fais pas, je serai toujours là pour toi, moi". Et elle l'a été, là pour elle, sûrement. Elle a toujours été là. Dans l'ombre, pas très loin, avec son regard sévère, la réprobation pinçant ses lèvres. Quand Ariana pleurait, sa mère la fixait sans rien dire ; elle devait alors sortir, et pleurer seule. Puis la vie reprenait. Aujourd'hui, Ariana ne pleure pas. La tristesse sonne différemment dans sa poitrine. Elle lui étreint la gorge, toujours, mais les larmes ne viennent pas. Sans doute car elle y repense plus souvent, le chagrin ne s'est pas volatilisé mais il peut s'exprimer, au moins ; il est moins acide, il l'attaque moins de l'intérieur. Distillé goutte après goutte ; parfois, c'est à se demander si ce chagrin aura une fin. Aujourd'hui, Lola a douze ans. C'est le premier des anniversaires qu'elle fête pour sa fille depuis qu'elle a arrêté les anti-dépresseurs, il y a quelques mois. C'est aussi la première fois que l'amertume est plus forte que le regret, et la colère plus forte que la culpabilité. Mais pour l'instant, c'est une colère qu'elle n'est pas prête à nommer. Reconnaître la faute de sa propre mère, ce serait renoncer à s'en vouloir à elle-même ; ce n'est pas encore possible. Ce serait trop facile. Et plus elle fixe cette flamme, qui tremblote et vacille dans le courant d'air, plus elle presse ses mains jointes l'une contre l'autre, et plus cette chaleur caractéristique prend le dessus. Gonfle dans son ventre, remonte dans sa poitrine, jusqu'à son visage… Finalement, elle pleure peut-être un peu. Elle sait qu'elle a le droit, mais quand on pleure si longtemps sur la même tragédie, on finit par s'en épuiser soi-même. On se lasse. Alors cette colère qui l'anime, tout neuve ; cette colère qu'elle ne connaît pas, et ne comprend pas trop non plus, elle se demande ce qu'elle peut en faire. Elle est forte pour ça, en général, créer des projets qui n'ont rien à voir pour occuper son petit cerveau, transformer le désespoir en espoir. Mais en quoi on peut transformer la colère ? Pour l'instant, Aria n'est prête à pardonner personne. Ni un dieu, ni sa mère, ni elle-même. Alors sans rien dire, elle dépose ses prières sur les photographies en même temps que ses larmes, le regard fixé sur la flamme plutôt que sur leur image brouillée. La flamme, son ancre ; elle ferme les yeux. Lorsqu'elle est perdue, elle retourne toujours vers ce qui la rassure. Peut-être qu'un jour, cela aussi changera. Finalement, un sourire s'étire sur ses lèvres. Elle tente un ton joyeux, bienveillant. —Bon anniversaire, Lola. J'espère que tu vas bien et que tu es heureuse. Que tu as pu manger de ton gâteau préféré. Je me demande bien ce que c'est, ton gâteau préféré… Tu dois avoir tellement grandi, maintenant. Mais sa voix finit dans un souffle. Durant un temps, elle reste immobile. Puis en se relevant, gorge serrée, elle traîne des pieds jusqu'à la salle de bain pour se laver le visage. Dans la pièce à vivre, la bougie se consume toujours, sa flamme virevoltant au rythme des courants d'air. Peut-être qu'un jour, elle parviendra à ressentir du bonheur le jour de cet anniversaire. |