- Aaah saleté !

Je pestais et fis craquer mes doigts, à bout de nerf. Mon manque d'heures de sommeil tuait ma patience, qui n'était déjà pas bien élevée habituellement. M'enfin, pourtant, généralement, quand il s'agissait de bricoler, je savais me détendre, mais là...

Un soupir m'échappa et je recommençai à essayer de retirer le fusible abîmé sans casser la structure de la caméra. Pourquoi faut-il qu'il ait fondu ? C'est hyper chiant, ça rend l'opération un milliard de fois plus délicate.

Après de longues minutes minutieuses, je parvins à le retirer.

- Youhouuu enfin ! m'exclamai-je en brandissant mon trophée. J'ai cru que j'allais y passer la soirée ! Tu t'en sors toi ? lançai-je à l'intention d'Aaron qui travaillait sur la plateforme d'à côté.

Je m'accordai quelques minutes de pause et m'assis pendant que j'enroulai le câble pour le ranger.

-En vrai, j'en ai trop marre de pas dormir, ça me tue cette situation. Tu penses qu'Hideko a vraiment levé les voiles comme ça toi ? C'est dingue quand même, sans prévenir, ni rien, c'est abusé.

—Tu commences à me chauffer Claudette, je chuchote. Non, mais je m'en fous que tu sois pas d'accord, tu pourrais ne pas m'agress- mais aïe ! C'est bon, j'essaie juste de voir comment je peux te réparer, je suis pas mécano moi, à la base, sérieux, je gronde à l'attention de la caméra. On devrait juste vous mettre à la casse et pas chercher à vous rép- aïeuh !

Bien échauffé comme il faut, j'essaie de ne pas arracher la caméra de son socle pour la jeter de toute la force de ma rage par terre. À côté, Mitsuki s'en sort beaucoup mieux que moi. En même temps, elle n'est pas tombée sur la caméra la plus vénère de la liste…

Lentement, je tourne la tête vers Mitsu et lui jette un regard blasé, les cheveux dressés sur le crâne à cause de l'électricité statique.

—Ouais, ouais. Tout baigne, j'articule lentement.

Après avoir donné un coup de jus anesthésiant à cette chose et réussi à  retiré les composantes abimées sans tout détruire, je fais comme elle et m'installe, les jambes dans le vide et les yeux levés vers le ciel. Il fait moche, y a presque pas d'étoiles ce soir. Ca saoule.

—Parle pas de dormir, j'sais plus c'que ça veut dire, j'ricane à moitié, pas sûr de savoir si ça me fait rire ou non. Franchement, au point où on en est, j'aurais presque envie de croire qu'elle s'est fait enlever, au moins on aurait une raison d'être inquiets.

Mon estomac se tord immédiatement à mes paroles et je souffle longuement en me passant une main sur le visage.

—Je devrais pas dire ça. Désolé.

Lentement, je tourne la tête vers elle pour la détailler à la lumière des lampadaires. On est vraiment pas aidés depuis le début de la crise, hein... Elle aussi est épuisée.

—La connaissant elle s'est sûrement pas cassée sans raison, donc je suppose qu'il faut juste qu'on soit patient. J'serais mal placé pour lui faire une remarque sachant que j'ai déjà fait la même.

On sait comment ça a terminé. Mes sourcils se froncent et je soupire, me masse les yeux. Le manque de sommeil et le stress me rendent vraiment exécrable.

—J'crois que le pire, c'est qu'y a vraiment aucun signe extérieur de danger… On est censé gérer comment si on sait pas ce qu'il se passe ?

Sérieux, ça me démange d'allumer une clope, là. J'essaie de me retenir en pensant à Charlotte - faut pas que je reprenne.

Un mince sourire étira la coin de mes lèvres quand je sentis un peu d'énergie émaner de la plateforme voisine. Ronron et les objets électriques, hein... C'est toujours aussi bizarre de me dire qu'il me fait penser à mon père quand il est dans ce genre de situation. Parce que si j'avais fait avec mon père tout ce que j'ai déjà pu faire avec Aaron, ce serait vraiment, VRAIMENT, bizarre. Mais ça pourrait être drôle, qu'ils se rencontrent, tous les deux.

-C'est clair qu'au moins ça permettrait de la pardonner plus facilement. Parce que si un jour elle finit par rentrer en mode tranquilou bilou, j'crois que j'pète un câble. J'irai lui arracher les yeux pour bien lui faire comprendre ce qu'on a vécu pendant tout ce temps-là.

Et si, tu devrais dire ça, parce que franchement moi ça commence à me gonfler de ouf cette situation. C'est n'importe quoi, tout le monde fait n'importe quoi, les gens sont tous timbrés et/ou cons. Ca commence vraiment à me peser cette ambiance.

-T'as fait la même mais ça n'a pas entraîné le chaos comme là. Elle a des responsabilités, elle a pas le choix, elle est obligée de les tenir, sinon ça sert à rien de prendre des engagements.

Bon, Mitsu, faudrait peut-être que tu te calmes. Mais après, c'est vrai aussi, perso elle est toujours là pour me reprocher mes faits et gestes, mais elle faudrait rien lui dire quand elle merde ? Tout le monde va accepter ça facilement ? Enfin, après, j'dis ça, si ça se trouve on la retrouvera dans 5 ans, morte au fin fond de l'univers. Tout est possible, non, maintenant qu'on sait que la magie existe ?

-Bah ouais. P't'être qu'en fait on a aussi mal pris le problème. Y'aurait peut-être justement rien fallu faire. On s'est tous emballés là, à chercher des problèmes là où y en avait pas...

Je soupirai.

-Bon, après, c'est la faute de Ryu au final. Personne n'aurait rien remarqué s'il avait fermé son clapet. Il aurait suffi qu'il dise qu'elle pouvait pas bosser car elle était malade, petite grippe qui va bien, et c'était réglé, pas besoin de s'alarmer. Mais avec ses conneries on se retrouve dans la merde à chercher quelque chose qui va pas alors qu'il y a encore deux semaines tout roulait parfaitement bien à Terrae.

Je commençai à fouiller dans ma sacoche pour trouver un nouveau fusible intact et compatible avec la caméra.

-Au fait, comment tu arrives à gérer tout ça toi, avec le bébé et tout le tralala ? Ca doit être encore plus dur pour toi, t'as tellement de responsabilités maintenant...

Qui l'aurait cru, hein ?

Bon, visiblement ma virulence n'affecte pas trop Mitsu ; elle est déjà dans un état d'agacement suffisant, donc ça la choque pas. Elle en rajoute même une couche de son côté. Quelque part, je peux comprendre sa colère—on court tellement dans tous les sens, j'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on a pas réussi à poser nos fesses dans un vrai lit. De mon côté, j'imagine bien que la situation d'Hideko ne doit pas être très joyeuse non plus, mais... Enfin, j'ai un peu du mal à croire qu'elle se soit barrée pour aller prendre quelques vacances, quoi.

—C'est sûr, je réponds sobrement, sans réussir à trouver quoi répondre dans un premier temps.

Parce qu'en soi, elle a bien raison : quand on gère une école de dégénérés (oui, on a le droit de le dire, là, non ?) on doit être là, on doit tenir le bateau, ou au moins avoir un plan d'urgence pour si jamais on disparait brusquement. Mais visiblement, ça faisait pas partie du programme d'état d'alerte trolol. Comment on a pu être con pour jamais envisager cette possibilité ?  

—En soi, je pense qu'on n'a pas eu tort de réagir, je rétorque immédiatement. Mais oui, c'est Ryu qui a foutu le feu aux poudres, clairement.

De là à dire que tout roulait parfaitement bien... Bon, on a eu quelques incidents ces derniers temps, mais rien de dramatique non plus. Et surtout rien qui nécessitait de partir sans prévenir qui que ce soit... Bon sang.

—Je gère pas, je réplique à nouveau du tac au tac, à demi cynique. Nan, en vrai ça va, les garçons m'aident, ils sont top. Là j'ai pas trop le temps de gérer Charlotte mais je sais que je peux la leur confier pendant le boulot, au moins, même si ça me stresse et que j'ai envie de leur envoyer un message toute les heures pour vérifier que personne est venu pour lui faire du mal pendant que j'étais pas à côté aha. (Ouais, nan, c'est pas drôle. Haussement d'une épaule.) En soi tu m'as déchargé de pas mal de responsabilités quand t'as repris la sécurité. Ca faisait trop. Et là... Là, disons que j'crois que je suis juste rouillé.

Et peut-être pas aussi bon que ce que je pensais, aha. Je continue en fronçant les sourcils :

—J'ai l'impression de servir à rien et pas savoir comment gérer tout ça.Les responsabilités j'les avais déjà, mais maintenant c'est un peu différent... Disons que je peux pas faire de gaffe, ou encore moins qu'avant. Déjà avec le combat contre Ys, j'suis allé trop loin.

Je lève les yeux vers elle, qui est à nouveau en train de bidouiller les caméras. Je me décide enfin à me remettre debout et au travail, cherchant comment réparer ces machins. Je sais que je me risque sur un terrain glissant, mais c'est plus fort que moi.

—On en a pas trop parlé, d'ailleurs. J'avais un peu peur que tu m'en veuilles, je crois ?

Ouais, bon, je sais, j'suis con, mais voilà. C'est encore tout frais, et on a fini assez amochés tous les deux alors... Ouais, je sais pas.

La conversation change et ça me va aussi bien. Finalement, même si je suis à bout et très énervée, je pense que c'est mieux qu'on ne s'étale pas sur le sujet, parce que je me connais, je connais mes pulsions, et je sais que je suis capable de faire n'importe quoi quand je suis à cran. Alors autant s'en tenir à cet échange bref et parler d'autre chose.

Aaron m'expliqua qu'il ne contrôlait rien du tout. Je sentis mon estomac se tordre un instant, comprenant parfaitement ce sentiment. Quand tu crois que tout te glisse entre les doigts, que tu avais l'impression de gérer et que tu réalises finalement que tout t'échappe et que tu ne sers finalement à rien du tout.

Je soupirai, lui adressai un léger sourire accompagné d'un "c'est rien" quand il m'expliqua que je l'avais pas mal déchargé. Je secouai la tête quand il affirma être rouillé. Il ne l'était pas. Il n'était juste plus fait pour ça. Il avait une autre vie maintenant... De nouvelles responsabilités. Qu'est-ce que je deviendrais lorsque j'aurais des enfants, un jour ? Mouais bah on va attendre, hein. Moi j'suis pas prête pour ça. J'pourrais pas gérer. J'arrivais même pas à imaginer comment Aaron pouvait être là avec moi et parler si calmement. Si j'avais eu un enfant - un bébé qui plus est - dans une période comme on la vit actuellement à Terrae, je crois que j'aurais tué tout le monde pour être sûre qu'il est en sécurité.

-Nan, j't'en veux pas... Enfin, j'sais pas. J'ai juste eu très peur, sur le coup. Je crois que je n'avais jamais eu aussi peur de ma vie. J'ai vraiment cru que vous alliez y rester. Vraiment. Et tous les deux... Enfin. Vous êtes les personnes les plus importantes de ma vie. Avec Aoi. Et si j'vous avais perdu, j'aurais... tout perdu en fait.

Mes doigts jouaient avec le fusible que je n'avais toujours pas installé, pensive. Je n'arrivais juste pas à imaginer.

-J'pense que je vous en ai voulu. Mais j'ai eu tellement peur, j'ai été tellement terrifiée à l'idée de vous perdre que ça a pris le dessus...

Je soupirai et rejetai ma tête en arrière, fixant le ciel.

-Et puis... Chais pas. Je sais que c'est un passage au rang de Master. Ca peut être violent, mais là c'était juste...

Un rire étrange s'échappa du fond de ma gorge.

-Bref. J'pourrais jamais tenir comme tu tiens. Tu gères tellement de choses. T'as l'impression que tu fais rien, mais c'est pas vrai. Tu portes tellement de poids sur tes épaules, c'est incroyable.

Elle dit que ce n'est rien, mais c'est beaucoup, pour moi. J'ai du temps à accorder à ma fille, du temps pour moi, aussi ; je peux voir Lou de temps en temps, même si maintenant c'est compliqué, avec cette histoire d'état d'urgence. Elle demande de mes nouvelles, et je suis bien incapable de lui en donner… Couper les contacts, ça vaut parfois mieux. Je n'ai pas envie qu'on intercepte le message, qu'on lui fasse du mal ?

Mais j'ai espoir que les choses redeviennent comme avant, que tout se passe bien. Comme ça, Mitsuki pourra continuer à briller dans son job, moi à m'occuper de Charlotte… Tranquillement, sans problème. Mais est-ce que Terrae est vraiment un endroit où on pourra vivre de cette manière ? On a déjà eu des emmerdes dans le passé, et ça a pas l'air près de s'arrêter. J'sais juste plus quoi faire, au final. Ne serait-ce que nous, on arrive à foutre la merde ; il suffit de voir l'état dans lequel on s'est mis après notre combat, Ys et moi. GG moi.

Demi sourire.

—Tu sais bien que tu peux pas te débarrasser de nous aussi facilement, j'essaie de plaisanter.

Pourtant, je le pense. J'm'accrocherai. J'me suis accroché des années à la vie alors que j'étais au fond du trou ; c'est pas maintenant que je vais mieux que je vais tout laisser s'effondrer. J'peux retrouver un équilibre. J'ai réussi à ne pas le perdre depuis le début de la semaine dernière, c'est déjà ça, au moins... Mitsuki, elle, a l'air un peu... Je sais pas. Elle est tendue, à fleur de peau ; quelque part, je la reconnais bien dans cette impulsivité. Mais autrement... Je ne sais pas, je l'ai aussi connue moins en colère.

—J'suis désolé pour ça.

La voir comme ça, cynique, désabusée, à retenir tout ce qu'elle ressent, ça m'fait mal. Je reste silencieux un instant, les yeux perdus dans le vague, une caméra en main. J'ai une grimace. Je sais pas à quel point elle m'idéalise, mais c'est chaud quand même. Je gère rien du tout, j'donne juste mes cours, et encore pendant un temps je faisais tout mon possible pour pas y aller. Maintenant, les responsabilités... elles sont différentes, je suppose ? J'ai l'esprit large, et j'essaie de tout anticiper, de gérer ce que je peux où je le peux, mais c'est pas bon non plus. C'est pas censé être mon rôle.

—Tu le fais déjà, pourtant, je la contredis. Toi aussi, tu penses ne rien faire, mais tu gères beaucoup de choses—et tu as beaucoup de casseroles, toi aussi. Tu fais juste encore mieux semblant. Et c'est pas non plus parce que tu as pas de bébé et deux grands cons à la maison que tu fais rien.

Demi sourire.

—Ça ne s'est pas arrangé, avec Allen ?

Depuis leur dispute, elle n'en parle plus vraiment, et elle ne l'a pas évoqué tout à l'heure non plus. Mais je pensais... Enfin, j'imaginais qu'ils finiraient par se reparler. Lentement. Avec un peu de temps… Mais quand on a été proche de quelqu'un comme ça, on ne s'éloigne jamais vraiment.

Je secouai nonchalamment la main en signe de désinvolture. C'est plus la peine de t'excuser, va. C'est passé maintenant. Pourtant, quand on y pense, ce n'était pas il y a si longtemps que ça, mais finalement, avec tout ce qu'il s'est passé récemment, j'ai l'impression que c'était il y a des mois.

Je terminai de raccrocher le fusible en écoutant les paroles d'Aaron. Je vérifiai en même temps que tous les câblages étaient correctement assemblés, et commençai à lancer le programme de reconnaissance de la caméra manuellement, pour la raccorder correctement au système.

-Peut-être que tu as raison. Mais j'ai pas franchement l'impression de porter plus de choses que toi, ni même de mieux le cacher. J'enchaîne constamment les conneries, et j'ai pas l'impression qu'elles passent vraiment inaperçues... Quand je finis par tomber trop bas ça se termine toujours autant en bain de sang - Aoi t'en dira des nouvelles - et quand je suis au meilleure de ma forme je mets en danger la sécurité de Terrae en étant repérée comme terroriste dans une gare à Londres simplement parce que j'ai eu l'idée saugrenue de croire que le quai du train d'Harry Potter existait vraiment... Nan vraiment, je cache bien moins les choses que toi, contrairement à ce que tu pourrais croire !

J'ai un petit rire malgré tout, parce qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer, surtout que maintenant c'est fait et que j'connais personne qui pourra revenir en arrière pour changer les choses.
La question d'Aaron me déstabilisa un peu et je manquai de faire tomber la tablette que j'utilisais pour reconfigurer la caméra.

-Mouais... Nan, pas trop. Je n'ai pas cherché à les arranger en fait... J'ai bien trop souffert la dernière fois qu'on s'est vues et j'ai pas envie de recommencer la même chose. J'imagine que le temps s'occupera de cicatriser les plaies et, s'il le veut bien, de nous rabibocher... Mais en attendant, ce n'est plus trop ça.

Je soupirai.

-J'étais quand même contente de le voir, le jour du rassemblement. Il avait l'air bien... C'est tant mieux, parce que j'imagine que Terrae n'aurait pas eu que ça à faire de gérer un alcoolique dans ces temps chaotiques. Mais j'ai pas d'autres nouvelles. Et je n'en prends pas.

Je terminai mes dernières manip' avant de me téléporter aux côtés d'Aaron. Je lui tendis la tablette.

-Tiens. Dis-moi, ça fait un moment qu'on a pas parlé de ce genre de choses, mais... J'avais cru comprendre que tu n'étais plus avec Gaetano. Mais j'ai aussi l'impression que tu as retrouvé quelqu'un, j'me trompe ?

Un soupir m'échappe alors que je réinstalle les bonnes composantes, un peu maladroit à cause de mes mains engourdies par le froid. Haussement d'épaule. Mitsuki a pas conscience de son potentiel ; le problème, c'est aussi qu'elle est impulsive. C'est une tonnerre, certes, mais elle est encore jeune, et c'est avec le temps qu'on apprend dans quels moments cette impulsivité est bonne à utiliser, et dans quels moments il faut peut-être se poser et réfléchir. Ca m'a pris du temps aussi, et j'en suis même pas encore tout à fait au bout ; j'apprends encore, et pourtant ça fait dix ans que je suis ici.

J'ai une moue boudeuse pendant qu'elle parle, rallumant la caméra pour voir si elle fonctionne toujours (visiblement oui, c'est bon signe, elle ne m'a pas explosé dans les mains). Ouais, j'ai vite fait entendu parler de tout ça, mais bon. Des conneries, on en fait tous. J'rappelle que c'est pas elle qui a un blobfish chez elle, hein !

—Hmm. Je comprends, même si c'est dommage. Avec un peu de temps, ça s'arrangera sans doute.

Ce genre d'amis, on devrait pouvoir les garder pour la vie. Même si ça prend un peu de temps... C'est un peu comme entre un frère et une soeur. Puis, ça avait l'air d'être un type bien, Allen. On s'était bien amusés le soir où on a picolé ensemble... Ahh... Si j'avais su qu'il était alcoolique, sérieux.

—Tu sais que tu peux venir me voir quand ça va pas ? je me sens obligé de rajouter, au cas où ce n'était pas assez clair. T'as une tendance à l'explosion et à l'auto-destruction assez marquée quand tu vas mal. … Ça m'inquiète.

C'est pas forcément utile de dire ça, j'le sais, mais j'le vois bien depuis le temps que je la connais. On s'est entraînés ensemble, elle m'a montré une partie de ce qu'elle cachait durant son passage à Master… Et c'est effrayant. De ne pas savoir quand ni comment ça va ressortir.

Elle se téléporte à côté de moi et je récupère la tablette en la remerciant, avant de commencer à raccorder la caméra au système... et grimacer. Avant de dire aux autres "ouais mais viens me parleeer" faudrait p'tetre que je songe à leur expliquer les choses au bout moment, et pas huit mois plus tard, peut-être ?

—Oh- Euh... Ouais, à peu près.

Un jour j'arriverai à être éloquent, quand on en parle. J'ai une hésitation. J'aime pas trop l'évoquer, surtout que là... J'ai vraiment peur qu'elle soit mise en danger. Mais je pense que je lui dois la vérité ? (D'autant que je pique vachement plus de cristaux de téléporteurs, ils vont forcément finir par se rendre compte d'un truc.)

—Ça fait un moment qu'on est plus ensemble par contre, ouais, depuis… début février je pense ? Enfin à ce moment-là j'avais encore espoir qu'il arrête de se planquer en mission, mais non, c'était beaucoup plus drôle de pas me donner de nouvelles et d'me laisser m'faire un sang d'encre, je grommelle en fronçant les sourcils, comme en aparté. Entre Charlotte et lui, le choix était vite fait, de toute manière. Je regrette pas.

Parce qu'on n'a pas à demander à quelqu'un de choisir entre la famille qu'il a toujours voulu avoir et des concessions, encore des concessions, toujours plus de concessions à faire. Quelque part, c'est aussi elle qui participe à cet équilibre que je construis. Le fait d'avoir de nouvelles responsabilités, de m'occuper de Nicolas et Jérémy aussi. C'est presque apaisant.

—Désolé, je sais que c'est le genre de trucs dont il faudrait que je parle, mais- enfin c'est pas trop mon truc, je grimace. C'est gênant.

... À peu près aussi gênant que le fait que j'ai contourné soigneusement sa seule question, trolol. Je toussote un peu, le visage en feu, et termine de raccorder la caméra au système.

—Enfin, du coup (c'est bon c'est pas si compliqué, regarde ailleurs, t'es pas obligée de lui dire en la regardant, tu vois, c'est pas si duur) euh, voilà.

… O-k.

Ouais. Je sais bien que ça finira par s'arranger. Au début, j'ai eu tellement mal, j'étais tellement désespérée que j'avais le sentiment que ça ne s'arrangerait jamais. Et puis finalement, le temps fait tout de même effet puisque je sais, au fond de moi, qu'un jour ça finira par aller mieux. Ca ne sera jamais comme c'était avant, mais ce serait quelque chose de nouveau, de plus sain pour lui peut-être ? Mais je sais que je ne le détesterais pas. Je ne le pourrais pas. La preuve étant que malgré ça, je me suis inquiétée pour lui, lorsque les pouvoirs ont été bloqués.

Je souris lorsqu'Aaron me rappelle qu'il est et sera toujours là pour moi, d'une certaine façon. Je détournai le regard un instant.

- Je sais. Ca me fait peur parfois, quand j'y pense...

Un frisson me parcourut l'échine alors que je repensais à la foi où, en discutant avec Ys, j'avais fini par laisser échapper que j'avais peur de mourir. Comment est-ce que j'aurais pu finir, si je n'avais pas eu ces pouvoirs ? Et Allen me dirait sans doute "Est-ce que tu aurais mis ta vie autant en danger si tu n'avais pas eu ces pouvoirs ?".

Un rire jaune m'échappa.

- Le problème, c'est que je n'arrive pas à contrôler. Je finis toujours par en avoir conscience, mais trop tard. Sur le coup, je prends tout sur moi, j'accumule, et je n'arrive pas à sortir les choses. Et après bah... Quand ça sort, ça sort mal. Et ça explose.

Je soupirai.

- Je n'arriverais pas à avoir la démarche d'aller voir un ami, même toi, pour en parler. J'arrive pas à le faire parce que je n'arrive pas à reconnaître que les choses vont mal...

Aaron me parla ensuite de sa séparation avec Gaetano. Je sentis mon coeur se serrer. Même s'il avait l'air mieux, et même s'il avait visiblement dépassé ça, je sentais que c'était encore dur pour lui. Le comportement qu'avait eu Gaetano à son égard n'était pas franchement top... Et je lui en voulais un peu -beaucoup- pour ça, à vrai dire.

Un nouveau sourire étira mes lèvres, plus sincère cette fois-ci, légèrement teinté d'amusement.

- Et tu me dis qu'il faut que moi, je parle, hein. On est pas sortis de l'auberge, tous les deux, si on arrive pas à s'ouvrir quand il le faut. Le petit "Fais ce que je dis, pas ce que je fais", il est bien placé là, hein...

Je rigolai et lui ébouriffai légèrement les cheveux.

- Allez, parle-moi un peu de ton nouvel amour ! J'veux savoir ! Et après, tu pourras me poser la question que tu veux, promis ! Genre, tout ce que tu veux ! Promis, j'répondrai sans mentir ! C'est quelqu'un que je connais ? Ca dure depuis longtemps ? Comment vous vous êtes rencontrés ???

Si ça te fait peur, alors pourquoi tu continues à tout garder ?... J'ai envie de le lui dire, mais je me contiens. Je veux pas la faire culpabiliser, et c'est comme ça qu'elle peut le ressentir. Même sa Greffe montre à quel point elle ne s'aime pas assez pour se tenir hors de danger : sa Greffe ne la protège pas, au contraire, elle la détruit. Elle la rend immortelle sous les coups, les attaques ; mais le prix à payer derrière est fort. Plus fort que le prix que je paie pour la sur-utilisation de ma propre Greffe ; plus fort que ce qu'elle est au final prête à supporter aussi. Et moralement, elle agit un peu de la même manière. Elle est Tonnerre, impulsive ; bien sûr qu'elle fait des erreurs. Mais elle ne les reconnaît pas forcément non plus, et c'est parfois un problème.

Elle m'en parle elle-même : le manque de contrôle, mais "trop tard". Je me mords la lèvre et soupire, me passe une main mal à l'aise sur la nuque.

—J'comprends ça. Mais penses-y ? Quitte à taper dans un sac de frappe à la place, je ris à demi, sans vraiment en avoir le coeur. Ca aide, parfois.

Même si je ne fonctionne pas à la colère comme elle, mais plutôt à l'auto-destruction plus pure. Alcool, drogue, sexe et compagnie. J'me suis un peu calmé ces dernières années, et heureusement. Déjà, j'crois qu'avoir été avec Gaetano, même si ce n'était pas la relation qu'il me fallait, ça m'a aidé à me stabiliser petit à petit. Retrouver une vie plus saine, et surtout apprendre à me reposer un peu plus des autres sans en avoir honte. Dans ma tête, se reposer sur les autres est tout de suite synonyme de dépendance ; mais c'est pas le cas. C'est juste qu'on ne peut pas tout gérer tout seul. J'commence à le comprendre, et ce de plus en plus.

Et comme forcément parler de mes relations amoureuses c'est plus marrant, j'essaie de ne pas me refermer comme une huître. C'est pas que j'aime pas en parler, mais bordel qu'est-ce que c'est bizarre comme discussion omg. Pour dire quoi en plus ???

—Nan mais euh, moi je parle, hein, on me dit même que je parle trop, tu vois ?! Et- m'ébouriffe pas les cheveux omfg y a que moi qui ait le droit de te faire ça !

Non non non je n'essaie pas de dévier la conversation vers autre chose c'est faux putain. Rire nerveux.

—T'es chiante omg. J'ai jamais dit que c'était mon-, ma-, "mon nouvel amour", t'as dit ?! Sérieux...

Je boude un instant et croise les bras, gonfle une joue... puis finit par étirer un sourire en coin.

—Bon, allez, j'suis magnanime... J'vois quelqu'un mais on n'est pas- enfin, je sais pas ok ??

Je crois que oui. Je sais pas. ARRÊTEZ DE ME JUGER.

—C'est, euh, tu la connais pas. J'l'ai rencontrée à Boston cet été, je grimace.

Tu sais, quand j'ai disparu de la circulation pendant deux-trois semaines parce que Nico se droguait ? ... À ce moment-là.
Bisous.

Un rire bizarre, mélange d'amusement et d'ironie, m'échappa alors qu'il me conseillait de m'essayer à l'évacuation des pulsions en m'acharnant sur un sac de frappe. Je me contentai d'hocher maladroitement la tête, pas franchement convaincue que je parviendrais vraiment à me défouler de la sorte - mais bon, après tout, qui ne tente rien n'a rien. Maintenant qu'il m'a évoqué l'idée, peut-être que j'aurais une petite chance, même infime, de réussir à le faire.

En revanche, lorsqu'on commença à parler de sa nouvelle conquête, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire.

-Calme-toi, personne va te juger ! m'exclamai-je entre deux éclats de rire avant d'essayer de me calmer pour l'écouter parler.

J'affichais une moue curieuse et taquine, le voir si embarrassé était tellement étrange pour moi, et si attendrissant à la fois, que j'aurais donné tout l'or du monde pour que cet instant dure toujours. Et puis, j'étais tellement heureuse pour lui, c'était tout ce qu'il méritait, quelqu'un d'autre, une relation naissante, les prémisses de, peut-être, quelque chose de plus grand à venir. C'était ça aussi qui était beau dans une relation ; les débuts, quand tu te cherches, tu te tâtonnes, tu ne sais pas vraiment où tu en es, tu ne sais pas vraiment ce que l'autre pense de toi ; tu es hésitant et maladroit, mais tu essaies quand même, et quand tu sens une réponse, même légère, tu te sens tellement bien que c'est juste... AH mais oui, c'est vraiment le mieux !

Je déposai un baiser sur sa joue.

-J'suis contente pour toi en vrai. J'espère que j'aurais la chance de pouvoir la rencontrer un jour ! Mais en vrai, c'est cool. T'avais besoin de quelque chose comme ça j'pense.

Je lui adressai un sourire avant de lui reprendre la tablette des mains.

-C'est bon, tout est ok ?

Pourquoi ça choque personne, quand j'en parle ? Là, on est en période de crise, je dis "hey, elle vient de l'extérieur de Terrae !", ce serait pas le moment de me dire "tu crois que ça pourrait être une espionne infiltrée pour essayer de te soutirer des informations, peut-être que c'est à cause d'elle qu'Hideko a disparu ?!" ?? Non ?? Nan mais je comprends pas les gens, ok, je, je comprends pas !

Je souffle un peu fort pour essayer de faire redescendre la pression cocotte-minute sous mon crâne. Mon cerveau bout complètement, c'est infernal ; j'suis bien content que la lumière soit pourrie à cette heure-ci, ça lui évite de voir que j'ai pris quatre teintes de rouge.

Malgré tout, je peux pas m'empêcher de sourire. Je lui rends la tablette et acquiesce à sa question.

—Avec un peu de chance j'pourrai te la faire rencontrer, ouais. Elle est cool, tu verras. Enfin, tout compte fait… J'ai vraiment peur que vous fassiez alliance pour prendre votre revanche sur moi, vous allez être infernales toutes les deux ! je m'amuse en imaginant ma jolie blonde rejoindre les délires de Mitsuki. Mais en plus, elle est super avec Charlotte, et… enfin tu vois ? C'est pas trop bizarre, on force rien.

Un rire m'échappe alors que je m'étire un peu pour débloquer mes muscles endoloris.

—Par contre, j'retiens ! Tu m'as dit que je pouvais te poser la question que je veux ! J'en ai pas encore de bonne, là... mais ça va venir ! je m'amuse.

Je lorgne en bas de la plateforme et, vu que j'ai la flemme de descendre, je lui tends la main.

—Bon, on va dire que tu me dois au moins une téléportation pour la peine, j'ai pas envie de crapahuter~

Quand même, ça fait du bien de pouvoir parler un peu de tout et de rien comme ça ? Je me passe une main dans les cheveux et souris, un peu plus vague.

—Faudra qu'on aille boire un verre, quand tout ça sera terminé. Ca nous fera du bien. Et je te parlerai un peu plus de Lou~

Mais seulement un peu plus tard. Pour le moment, on a des trucs à gérer.

Mon coeur se gonfla alors qu'un sourire se dessinait sur les lèvres d'Aaron. C'était marrant, parfois, de constater à quel point on pouvait être heureux simplement en voyant quelqu'un qu'on aime se sentir bien dans sa vie.

-Infernale ? Moi, jamais !

Je souris davantage quand il continua à me parler d'elle. Ca avait vraiment l'air d'être une chouette fille et si en plus elle s'entendait bien avec la fille d'Aaron, c'était encore mieux. Elle avait l'air d'être parfaite pour lui, simple, naturelle ; il n'y avait rien de surfait, tout était clair entre eux. Nan, c'était vraiment bien.

-Heuuu...

Ouais, bon, d'accord, j'avais un peu oublié ça. Nan mais lui il finira par oublier qu'il a le droit de me poser n'importe quelle question. C'est sûr.
Il me tendit une main et je levai les yeux vers lui avec un petit air amusé.

-J'te dois au moins ça ? Genre ça te dérange tant que ça d'en parler, alors que c'est la fille la plus géniale que tu as rencontré de ta vie...

Je lui offris un clin d'oeil taquin avant de saisir sa main pour nous téléporter au sol. Je hochai vigoureusement la tête.

-Ouaip. C'est clair que ça nous fera du bien... En espérant bien sûr que ça ne se terminera pas dans dix ans, hein.

Nan mais c'est vrai, on est tellement bloqués là-dedans, c'est terrible.

-On rentre en se téléportant ou tu préfères marcher ?

J'avoue que je suis personnellement claquée et que marcher me semble une option bieeen secondaire. Mais bon, combien on parie qu'une fois rentrée, je vais mettre je ne sais pas combien de temps avant de réussir à m'endormir ?

Petit regard en biais vers Mitsu, alors que j'essaie vainement de retenir le sourire qui étire mes lèvres. C'est quoi ces insinuations, là ? Et puis j'ai rien dit de tel à son sujet, hein, j'ai juste dit qu'elle était cool et qu'on se voyait, j'ai pas dit qu'elle était si géniale. (Bon, c'est le cas, hein, mais ça c'est à moi de le dire, pas à elle de faire les suppositions, ohlala, mais comme elle me laisse pas m'exprimer quoi.)

—Pff, n'importe quoi, je roule des yeux avant qu'elle ne nous téléporte.

Je lâche un baillement et m'étire un peu alors que nous atterrissons au sol. Ah bah putain, dix ans, elle est optimiste ce soir la Mitsu. J'essaie de ne pas me laisser envahir par le stress que sa remarque fait naître en moi et me contente de grimacer. C'est sûr qu'on ne tiendra pas comme ça pendant encore plusieurs semaines ; mais j'espère que, dans le cas hypothétique où on ne retrouve pas Hideko, on sera tout de même capable de faire fonctionner Terrae. Sinon quoi, on n'aura plus qu'à… faire sortir tous ceux qui nous tannent pour qu'on les laisse partir ? Mais fondamentalement, comment on pourrait faire ?

La proposition de Mitsuki me fait réfléchir quelques secondes et me permet au moins de déconnecter de mes pensées négatives. J'hésite une seconde à lui demander de nous téléporter avant que mon visage ne s'éclaire. Je lui donne une petite tape à l'arrière du crâne avant de me mettre à courir.

—Le premier arrivé !! ET T'AS PAS LE DROIT DE TE TP.

OUAIS SI TU TRICHES TU VAS VOIR C'QUE T'AURAS.
Par contre, vu comme j'ai craché mes poumons à l'arrivée, sérieusement, la prochaine fois que j'ai cette idée, dites-moi de fermer ma gueule.