Et voilà qu’Atumane s’était trouvé détenteur d’une chambre bien plus à son goût, en terme de classe. Son propriétaire lui avait laissé des meubles de bois d’essences sombres, rouges et imputrescibles : wenbé, azobé, teck. Des fauteuils gravés de motifs, des étagères en bois massif, des bibelots de caractère, des tapis. L’ensemble était à la fois raffiné, chic, mais aussi exotique. En fait, il aurait manqué un portrait d’empereur européen, une tête empaillée avec un fusil à rhinocéros accrochés au mur et un salacot au portemanteau pour qu’on soit dans la demeure typique d’un gouverneur colonial du XIXème siècle.
     Toujours était-il que pour les besoins et activités très particulières d’Atumane, il y avait besoin d’importer toute une série d’équipements divers et variés. Son ordinateur, ses dossiers – tous écrits en makua, convention mise en place par Rosalina, afin d’éviter que des regards indiscrets ne comprennent de quoi il en retournait –, ses disques durs, sa garde-robe, sa bibliothèque, sa toilette, et tant d’autres choses encore.
     S’il s’était écouté, Atumane aurait amené, en pièces détachées, chacune dans un carton différent et insérés en différents endroits, comme son unité centrale ou un livre creux tapissé de plomb, un exemplaire ou deux de ce qu’il commerçait, mais il ne fallait pas tenter le diable. Plus tard, quand il serait plus en mesure de contrecarrer la télépathie – si tant est qu’il y arrivait un jour.

     Bien entendu, il allait être très difficile de continuer à travailler pour sa trafiquante d’arme de tante. Déjà qu’à distance, cela compliquait les choses, mais maintenant qu’il vivait entouré de personnes pouvant, sans même le vouloir, entendre ses pensées, cela devenait complètement impensable. Déjà, il n’avait pris que les dossiers ne comportant aucune information compromettante.
     Rosalina lui avait dit, quand il l’avait mis au courant, que pour l’instant, elle prendrait en charge ses frais, et qu’il devait concentrer son énergie à trouver un moyen de passer outre ce danger d’une manière ou d’une autre, plutôt que de penser à gagner sa vie. Elle faisait là un investissement. Comme toujours.

     Heureusement que Terrae était vaste. Pour survivre entouré de télépathes, la technique qu’utilisait pour l’instant Atumane consistait en focaliser sa pensée, à laisser le moins de prises possibles à ceux qui tenteraient de le lire. C’était un travail mental sur soi éreintant, et qu’il n’arriverait sûrement pas à maintenir sans problème. Et qui n’était pas garanti de fonctionner.
     En y réfléchissant, isolé, quelque part dans la nature environnante, Atumane était arrivé à cette conclusion : il devait tester un spécimen Terre Solaire. Quelqu’un qui serait aisé à manipuler, à faire tomber dans ses pièges cérébraux, et qui serait en outre aisé à analyser. Une bonne poire serviable et honnête, du genre à être franc et ne pas pouvoir tenir d’arrière-pensées.
     Et bien entendu, pour que sa manipulation et son test fonctionne sans accroc, il devait agir selon un rébus dans un mystère enveloppé d’une énigme. Il y était habitué. Ce serait là presque un exercice de cas d’école. D’abord, trouver une raison qui le pousserait à entrer en contact avec un Terre, et qui l’obligerait à écouter ses suggestions, ses questions, ses demandes, et à en formuler à son tour. L’obliger à coopérer avec lui sur des tâches simples, car on apprend le plus sur les faiblesses à exploiter de quelqu’un quand on est son allié – encore un paradoxe tactique oriental quelconque –, et nombreuses, afin d’offrir tout un panel d’opportunités pour faire des tests.
     Après quelques instants à cogiter, Atumane avait son cobaye, repéré dans le trombinoscope ; Charlie-Ange, et son procédé d’expérimentation ; son emménagement. Au vu de sa bouille, il avait l’air de l’idiot qui accepte volontiers d’aider quelqu’un à déménager pour le simple plaisir de faire connaissance avec un nouveau voisin. Il avait ensuite fallu préparer le mensonge, et surtout, se préparer soi à y croire, à y croire tellement fort qu’il devenait la vérité.
     S’étant auto-conditionné mentalement comme il fallait, Atumane se dirigea vers les chambres des Terres.

     Ainsi, Atumane était bien embêté. Il avait maintenant un chariot rempli de cartons dans l’entrée, qui aurait du mal à passer dans les couloirs, sans parler des escaliers ou de l’ascenseur. Avec des bras en plus, ça irait bien plus vite. Il avait repéré quelqu’un qui lui semblait sympathique, et comme il ne connaissait pas grand-monde, ses critères de recrutement d’aides étaient assez sommaires.
     Il se pointa donc devant la porte de la chambre de Charlie-Ange, et resta là, à attendre. Il voulait le voir, il avait besoin de lui, mais s’il n’était pas là, que ferait-il ? Atumane concentra sa pensée sur les autres personnes qu’il avait vu et qu’il pourrait aller voir, ou sur les différentes manières qu’il avait de s’enquérir de la position de Charlie, afin d’interdire à une pensée bien moins avouable de cheminer dans son esprit ; le rappel qu’Atumane ne frappait pas tout de suite à la porte que pour tester si sa cible pouvait ressentir la présence de quelqu’un qui désirait le voir, à quelques mètres de lui – car assurément, Atumane s’était assuré que son cobaye était bien à son domicile, mais avait fait en sorte de l’oublier.