Journée absolument banale. J'suis encore arrivé tout juste pour mon premier rendez-vous (c'est mort j'arriverais jamais à me lever dès la première sonnerie de ce foutu réveil) et la matinée s'enchaine assez vite. Je fais le tour des patients en rééducation, m'assure de leur état d'avancement, ajoute quelques exercices physiques pour les moins amochés, et la pause de midi arrive rapidement.

L'aprèm est un peu plus diversifiée, puisque je donne quelques coups de main à mes collègues qui sont toujours débordés ici. L'avantage de bosser en hôpital. Il y a toujours du boulot ! Comme quand l'une des infirmières se pointe pour demander si quelqu'un a le temps de s'occuper d'un type qui s'est déboité l'épaule. Aucun rendez-vous précis de prévu jusqu'à la fin de la journée, pas de soucis je m'en charge.

Mais je perd un peu de mon assurance et sent mon visage se décomposer légèrement quand j’aperçois Akkiko dans la salle d'attente. Pas parce que je flippe pour lui. Je sais qu'il est résistant, et il s'agit seulement d'une épaule déboitée. Enfin, si c'est bien lui, après tout il n'est pas seul dans cette salle d'attente. Pourtant je n'arrive pas à regarder qui que ce soit d'autre. Tout en sentant mes yeux chercher à l'éviter à même temps. Ce qui est assez étrange.

- "Monsieur Tomoaki, vous pouvez venir, Tiago va s'occuper de vous."

Je déglutis difficilement tout en essayant de garder un air à peu près naturel. Je sais très bien que c'est raté. Je ne suis pas très doué pour faire semblant. Et si j'essayais de l'éviter ces derniers jours, ce n'est pas pour rien. Je l'adore Akkiko, c'est pas le problème. Mais je sais que sur beaucoup de points, nos visions diffèrent. Et malheureusement, la logique et la morale lui donnent systématiquement raison ! Ce qui est un peu insupportable. Surtout quand en plus j'enchaine les conneries...

- "Bah alors, comment t'as réussi à faire ça ?"

Tentative pour me décrisper : échec. Putain, j'suis pas habitué à être aussi mal à l'aise ! Forcément, je ne sais pas du tout comment gérer, mais en même temps, là j'ai la moindre échappatoire.

- "Suis moi, on va remettre tout ça en place."

Évidemment que je ne vais pas le laisser avec son épaule déboitée ! Puis si je me comporte seulement en tant que toubib, il acceptera peut-être d'endosser le seul rôle de patient hein. Allez, respire. Pas de raison que ça se passe mal hein.

Tombé d'une échelle, je trouve ça assez comique pour un ancien militaire. C'est plutôt cool comme raison pour arriver à l'hosto ça. Mais en même temps je suis content pour Akkiko. Ça veut quand même dire qu'il a bien réussi à se faire à Terrae, à se détacher de son ancienne vie et de tout ce qui fait généralement que quelqu'un arrive dans cet endroit. En plus, ça me permet de me détendre légèrement cette conversation. De faire mon taff correctement aussi. Parce qu'elles sont quand même rares les occasions où c'est moi qui peut lui filer un coup de main !

Mais ce moment de répit prend fin assez vite en fait. Pourtant j'ai espéré l'espace de quelques secondes qu'il ne fasse aucune remarque... Je savais bien qu'il ne fallait pas trop que j'y compte. Il est toujours aussi franc. Direct. Ça ne me dérange pas normalement, sauf quand c'est parce que je déconne. Et... Son discours me rappel étrangement les paroles qu'avait pu avoir Baxter la première fois qu'on s'est rencontrés. Oh, je sais bien qu'ils n'ont rien à voir ces deux là, c'est peut-être justement pour ça que ça me frappe davantage.

- "C'est pas que j'en ai pas conscience Akkiko. Seulement, dans les faits, c'est pas toujours aussi simple de se conformer à cette logique. Beaucoup de gens ici étaient accro bien avant d'arriver. C'est plus facile de supporter certaines choses. Ça n'a rien à avoir avec le fait de se croire en vacances. De vouloir planer juste pour le fun. Alors ouais, j'ai appris à jardiner, ou a cuisiner depuis... Longtemps, donc ouais, c'est vrai que je propose de dépanner ceux qui ne savent pas forcément faire mais qui en ont besoin. J'crois pas qu'il y ait qui que ce soit qui ait commencé à Terrae. Enfin, pas parmi ceux que je fréquente en tout cas."

Un soupire las, bien sûr que j'aimerais que les choses soient différentes. Ne jamais toucher à ces merdes. Mais cette sensation de manque qui arrive inévitablement me rattrape toujours bien vite. Et je serais incapable de continuer à avancer sans ça aujourd'hui. Ne serait-ce que le boulot. Comment bosser correctement avec de tremblements incontrôlables et des sueurs froides ? Mais ça, j'suis peut-être pas encore prêt à lui avouer.  

- "Ça te dis qu'on aille à l'extérieur ? J'ai besoin d'une pause clope. Et d'un café ! Tu veux un truc à boire ?"

Franchement j'ai beau chercher, c'est difficile de lui trouver des vices ou des défauts à Akkiko !! Il ne boit même pas de café ! Bon, moi j'me gène pas pour un expresso et allumer une clope à peine un pied posé à l'extérieur. Bien sûr, il a toujours une vision très tranchée sur ces produits illégaux. Il ne s'en est pas caché, mais comme à son habitude, ne me fait pas vraiment la morale. Alors, je ne peux pas trop lui en vouloir.

- "Ouais, j'sais bien... J'peux pas t'assurer qu'il n'y ait jamais aucun problème, mais j'ferais gaffe."

Non, balancer de belles promesses en l'air, c'est pas mon genre. Enfin, pas à quelqu'un comme Akkiko. Tirant sur cette cigarette en attendant que mon café refroidisse, j'avoue que j'suis toujours pas à l'aise avec ce genre de conversation avec lui. Parce qu'on ne pourra jamais être d'accord. Alors, j'suis un peu soulagé quand il change de sujet. J'ai pas vraiment envie de m'engueuler avec lui.

- "Ah, ouais, après j'me suis spécialisé en rééducation, donc j'ai pas vraiment le même niveau d'étude qu'un chirurgien hein ! Mais, j'aime bien bosser en hôpital. J'ai besoin que ça bouge. J'suis pas fait pour les boulot reposants."

C'est vrai que la plupart des gens sont étonnés de savoir que je travaille ici. Mais j'suis pas qu'un branleur hein ! Puis, ce n'est pas comme si la vue du sang m'effrayait... Et étrangement, j'ai toujours aimé m'occuper de ceux qui revenaient blessés. Alors pour moi ça a toujours été une évidence. Enfin, à côté de ça, on ne peut pas dire que je mène une vie hyper saine. Celle que je recommande aux gens qui je vois...

- "Et toi alors ?! Tu te retrouves à jouer les jardiniers ?! T'as toujours l'air aussi parfaitement à l'aise à Terrae, c'est vraiment ouf. Enfin j'veux dire, c'est pas comme si tout roulais à la perfection quand on a atterrit ici. Pourtant, j'ai toujours du mal à comprendre c'qui pouvait ne pas aller chez toi."

Ca manque de tact, ouais, je m'en rend compte au moment où je prononce ces mots. Mais j'suis pas très doué pour ça. C'est vrai que ça commence à faire un bout de temps qu'on n'a pas discuté tous les deux. C'était plus facile à l'époque où  on partageait un même dortoir c'est vrai, mais si j'arrêtais de l'éviter ça pourrait être pas mal non plus... Parce que clairement, c'est un type que j'apprécie.

Mais du coup, je me rend compte que je ne sais pas vraiment comment il a évolué depuis. Même si l'environnement actuel n'est peut-être pas le mieux choisi pour une discussion improvisée. Les cris et les ordres qui fusent de partout ne sont pas hyper propices à la tranquillité. Ouais ouais, ça va, j'ai le droit de prendre quelques minutes de pause. Puis j'suis pas dans les urgences vitales non plus !

Akkiko ne parait pas mal prendre ces questions. Cela dit, il évite quand même soigneusement le sujet "avant Terrae". Ça va, je comprend bien que ça veut dire que je ne dois pas insister. Alors j'écoute seulement ce qu'il accepte de me raconter, tout allant écraser le mégot dans le cendrier à disposition. Toujours fidèle à lui-même, à s'inquiéter des autres avant lui-même.

- "C'est cool que tu t'en sortes bien. Même si ça m'étonne pas vraiment, t'es du genre mec sérieux."

J'en reviens d'ailleurs toujours pas que je l'apprécie autant vu comment on est différents tous les deux. On vient de mondes complètement incompatibles, on a des caractères opposés, et pourtant j'accepte sans problème de discuter avec lui de la sorte, de l'entendre me dire que je déconne (encore) sans avoir envie de lui en mettre une. Tellement un bon gars qu'il va même direct filer un coup de main à des types plus loin avec une roue crevée.

Je termine mon café d'un trait, dépose le gobelet dans la poubelle, et rejoint Akkiko derrière l'ambulance, aidant les infirmiers à sortir un blessé pour qu'ils l'emmènent direction les urgences.

- "Les mettre de côté... C'est pas évident. Mais, disons que j'arrive de mieux en mieux à faire avec. A accepter que j'peux pas changer le passé. Savoir c'que j'vais faire plus tard en revanche, c'est pas le genre de question que j'me pose. Si j'arrive déjà à prévoir c'que j'vais faire de ma soirée, je trouve déjà ça hyper cool !"

C'est clair que la prévision c'est pas mon fort. Et dans le contexte actuel, je préfère pas trop me poser ce genre de question. Je sais même pas si j'ai vraiment envie de rester longtemps à Terrae. Ou si je déciderai pas de me barrer quand je me sentirai un peu mieux. Ce qui n'est pas franchement gagné vu l'orientation que prend ma vie en ce moment...

- "Et toi alors ? T'as des plans pour le futur ? Sur ce que tu feras quand t'auras réussi à trouver c'que t'es venu chercher ici ?"

Parce que je me rend compte que décidément, Akkiko n'est vraiment pas si facile à cerner comme type. Et pourtant, généralement j'suis assez doué pour juger les gens rapidement, mais avec lui c'est toujours aussi difficile !