Perché sur son pied gauche fléchis, Senri frappait frénétiquement le sac de frappe de son pied-droit, tentant de conserver son équilibre. Il frappait à son point d’attaque le plus haut, à quelques centimètres de l’attache du sac. Les coups n’étaient pas toujours puissants, le manque d’équilibre y était pour beaucoup. Ponctuellement, il sautillait sur son pied fixé au sol, contournant le sac et se remettait à frapper. Jusqu’à maintenant, il avait réussi à ne jamais reposer son pied-droit.

Il avait perdu le compte des heures depuis qu’il avait foulé le sol du gymnase. Son pantalon de survêtement bouffant était le plus inconfortable de sa garde-robe sportive, pourtant, il ne sentait même plus gêné par le tissu. Les épaves lui servant de baskets qui abîmaient la plante de ses pieds, qui écorchaient ses talons étaient devenus des prolongations de ses jambes. Les muscles de ses bras se pressaient sous sa peau luisante, leurs reliefs dessinaient un circuit pour le surplus de transpiration s’illustrant en goutte. Son débardeur noir dévoilait des clavicules et le haut d’un poitrail taillés par l’effort et tout aussi brillant de sueur. Le tissu s’était collé à la peau du garçon dévoilant le dessin d’abdominaux et de pectoraux trop saillants pour ne pas être inquiétant. Son dos n’était pas en reste non plus. Ses omoplates se rencontraient ponctuellement, écrasant l’espace entre elles à la manière d’une mâchoire béante. Sous ces épaules imposantes et ces omoplates affamées, la silhouette s’affinait en muscles secs et superposés les uns sur les autres.

Soudainement, il jeta son pied en arrière et brandit ses deux poings enfermés dans d’épais gants de boxe noirs. Des lignes bordeaux délimitaient les coutures. Ils étaient striés de multiples plis, marques en tout genre, la matière était éraflée à certains endroit. Le gant gauche s’écrasa contre le sac, le repoussant vivement. La jambe et le pied gauche en avant, le boxeur commença à tourner autour du sac le plus vite possible. Il s’arrêtait pour enchaîner des coups-de-poing. À mesure que le temps passait, les coups s’intensifiaient et étaient de plus en plus variés. Alternant les coups du droit, du gauche, du gauche, du droit. Puis il ajouta les pieds. Tapant de bas en haut, puis de haut en bas, agrémentant le tout de direct, de crochets. Très vite, le catalogue de tous les coups du garçon avait harcelé le sac. Puis, il commença à ralentir, repassant aux poings. Ses jambes étaient lourdes, sa respiration haletante.

Soudain, un silhouette blonde apparut sur le côté, il ne l’avait vu que du coin de l’œil, mais elle semblait attendre quelque chose. Agacé qu’on le dérange dans son enchaînement, il se figea, bifurqua légèrement sur sa droite, propulsa son pied gauche le plus haut possible et frappa le sac du talon dans un râle exténué. Lorsque son pied regagna le sol, il expira longuement et se pencha un instant, mettant les mains sur ses genoux. C’était toujours difficile de placer ce mouvement. Il se redressa rapidement, la silhouette blonde s’adressait à lui.

Il posa son regard sur elle. Sourcils froncés et moue colérique sans même y faire attention, il reconnut Amy, une novice rencontrée au bar. Pas japonaise visiblement. Tous les étrangers, étaient-ils des goujats qui s’appelaient par leurs prénoms sans se connaître ? Cela étant, Senri n’était pas non du genre à se gêner avec les familiarités.

-Salut. C’est bien Senri, ouais. Toi, c’est Amy, pas vrai ?

Il avait particulièrement appuyé la première syllabe, celle qui avait trop souvent était moquée dans son enfance.

-Je viens quelques fois, ouais.

Euphémisme, il passait sa vie ici. Senri était une sorte de nerd du sport, d’un certain point de vu. La jeune fille et son sourire parvinrent à légèrement adoucir le visage du garçon. Elle dégageait une aura bienveillante. Et Senri se sentit… à la fois heureux, fier et affreusement flatté quand elle désigna le sac et prononça formula sa demande. Ses joues rosirent légèrement, chose qui était assez imperceptible pour le coup, en raison de la teinte que son visage avait pris suite à l’effort. Néanmoins, un sourire qui bien qu’un peu gêné, témoignait d’une réelle fierté et joie commençait tout juste à naître sur son visage.

-Euh… Ouais… Pas de problème.

Il regarda les mains de la jeune fille. Pas de protection, ni de gants. Il lui fit signe d’attendre et se dirigea vers un sac de sport posé en vrac sur le sol. Il arracha la lanière de ses gants des dents et fit sortir ses mains couvertes de bandes noires. Il plongea ses mains bandées dans son sac, pour en sortir une paire de mitaines de sport qu’il lança à Amy.

-Tiens, tu vas en avoir besoin. Ça protège et c’est un peu plus hygiénique quand tu mettras les gants.

Il se redressa, attrapant son portable au préalable, il arrêta le chronomètre qu’il avait lancé pour son propre exercice et revint auprès de la blonde.

-Je sais pas trop ce que tu veux faire. Mais, je te conseille de bien échauffer tes jambes, si tu veux mettre des coups de pied, ça les sollicite beaucoup…

Il parlait vite, avec beaucoup de passion. Il était toujours très enthousiaste à l’idée de parler de sport et en particulier de boxe, mais là, s’ajoutait l’excitation et la fierté qu’on lui demande des conseils. Il ne pouvait pas le croire ! On lui demandait des conseils ! C’était le plus beau jour de sa vie !

-Et, aussi, t’es souple comment ? Tu sais faire le grand écart ? Tu es droitière ou gauchère ?

Non vraiment, il ne pouvait plus s’arrêter.

-Une fois que tu es bien étiré, mets toi en garde et tape dans le vide. Faut que j’observe comment tu te mets en garde !

Senri souffla légèrement du nez et laissa poindre un discret sourire crispé, mais néanmoins amusé sur son visage lorsque la demoiselle déclara qu’elle était déjà dans la salle depuis quelque temps et ses motivations.

-On n'est jamais assez échauffé des jambes, j’t’assure. On sollicite des muscles dont on a pas l’habitude.

Quand elle lui dit gentiment de se calmer et s’inquiéta de sa respiration, Senri se sentit très honteux. Il n’aimait pas montrer son excentricité. Il se gratta compulsivement la tête en murmurant de discrètes excuses. Puis, quand la jeune fille lui montra ce qu’elle était capable de faire en matière de souplesse, elle lui donna tort quant à ce qu’il avait dit plus tôt. Il se gratta rapidement la tête, une nouvelle fois avant de reprendre la parole.

-Vu ta souplesse, ça devrait aller pour toi, finalement.

Il devait bien avouer qu’il était un peu jaloux. De son côté, il devait passer dix minutes à échauffer une jambe pour qu’elle soit opérationnelle. Amy représentait un modèle de personnalité que Senri admirait et jalousait ; elle semblait n’avoir peur de rien, n’avait aucun problème à interagir avec son entourage et à être naturel. Le clou de sa démonstration l’avait bien prouvé !

Néanmoins, quand elle commença à essayer des gardes et à mettre des coups dans le vide, Senri se rendit compte qu’il y allait avoir un peu de travail. Il croisa ses bras contre sa poitrine et plissa les yeux observant avec rigueur les mouvements de jambes de son élève improvisé. Lorsqu’elle s’arrêta et lui demande son avis, un peu gêné, il secoua négativement la tête.

-On ne commence pas de rien, non. Avec ta souplesse, tu vas avoir quelques facilités. Mais, le plus important pour le moment, c’est ta garde.

Il vint se mettre à ses côtés et se mit en garde à son tour. Jambe et poing gauche en avant, sur la pointe des pieds.

-Donc, cherche la position où tu es la plus à l’aise. D’ordinaire, notre main directrice est à l’arrière. Par exemple moi, je suis droitier, donc ma garde est à gauche.

Il donna quelques coups-de-poing dans le vide pour étayer ses propos.

-Avoir la main où tu es la moins habile devant, c’est pratique dans le sens où avec, tu vas frapper vite, que ce soit pour repousser ou harceler ton adversaire.

Il donna quelques coups dans le vide, jetant son poing en avant et le ramenant vers lui rapidement.

-Tandis qu’avec ta main directrice, tu auras plus d’élan et de puissance. Donc, il te faudra de la précision et de la maîtrise, c’est un peu ton arme principale.

En réaction à sa phrase, il donna un puissant direct arrière dans le vide. Il laissa ses mains retomber contre son corps et se redressa, se mettant face à la blonde.

-Tu veux qu’on essaye de se mettre en situation ? On va commencer doucement. Colle tes doigts ensembles, paume vers le sol et tu tentes de toucher mes épaules, mon ventre et au niveau de la poitrine. On ajoutera le front plus tard.

Senri se remit en garde, mais face à la jeune fille cette fois. Sur la pointe de pied, en sautillant énergiquement sur place.

-Pour plus d’aisance et de rapidité, essaye que tes talons touchent le sol le moins de fois possible.

Puis, une fois qu’il eut dit ça, il se mit à bouger. Tourner autour de la blonde pour la forcer à aller chercher la touche.

Il y avait quelque chose de bizarre avec cette fille. Tantôt, Senri avait l’impression d’avoir une demoiselle enjouée en face de lui, dont la joie donnait parfois l’impression au jeune homme qu’elle ne cherchait pas vraiment à en apprendre plus sur la boxe, mais plutôt à s’amuser, et d’autre fois, elle avait l’air plus contrarié. Lorsqu’ils s’étaient mis en situation de combat, la chose était apparue un peu plus nettement à Senri. Elle avait d’abord grimacé, mais le jeune homme avait mis ça sur le compte de l’entraînement qui s’intensifiait. Pourtant, la jeune fille fit preuve de beaucoup plus de concentration durant l’exercice, mais elle ne touchait pas. Pour tout dire, le garçon n’était qu’à peine essoufflé quand la jeune fille capitula. Pourtant, ses mouvements étaient bons et elle avait quelques occasions.

Ce n’était pas parce qu’elle était essoufflée. Elle dit quelque chose d’étrange, qui fit grimacer Senri. Avant qu’elle n’explique, il se demanda si elle n’avait pas un pouvoir bizarre, comme c’était souvent le cas ici, comme faire pourrir les choses qu’elle touchait. À cette idée, Senri blêmit, il avait failli s’empaler sur un de ses coups pour la réveiller un peu.

Lorsque la jeune fille expliqua sa précédente phrase, la peur laissa place à de la colère. Le visage de Senri se ferma, dans une expression tendant vers l’impassibilité.

-Un titan ?

À bien y regarder, elle n’avait rien en commun avec un quelconque « titan ». À moins que ce ne soit un des pouvoirs présents à Terrae. C’était du moins ce que laissait suggérer les mots de la jeune fille.

-Tch.

Il passa un ongle sur son nez tout en expulsant sa colère par ce court soupir. Il reporta son regard sur la jeune fille, les sourcils foncés, les lèvres serrées.

- Tu peux pas apprendre à contrôler tes coups avec un sac. Mais si tu y tiens, on va faire un peu de sac pour que tu prennes l’habitude.

Il avait dit ces mots relativement calmement, bien qu’il ait dû prendre sur lui pour ne pas les cracher plus férocement. Il détestait ça qu’on le sous-estime. En un mot, elle avait balayé l’excitation de Senri. Néanmoins, s’il n’était pas doué pour discerner les émotions, il n’était pas assez bête pour ne pas percevoir l’ennui qu’Amy ressentait en disant ça. Elle pensait bien faire, mais lui, ça l’énervait. Il était frustré. Frustré, car il voulait expérimenter cette force.

- Viens, on va aller prendre des gants et des protège-tibias.

Il avait tenté de paraître un peu plus sympathique, un sourire avait déformé son visage, il avait aussitôt baissée les yeux et reprit sa moue colérique, qui mélangeait à la honte, donnait une expression boudeuse, relativement enfantine. Senri traversa la salle, menant Amy jusqu’à un local où se trouvait divers équipements de boxe.

-Y a plusieurs tailles… Toi… J’pense que cette paire t’irait bien.

Il lui tendit une paire, sans pour autant la regarder dans les yeux.

- Derrière, y a des casques d’Anglaises, tu peux nous en prendre. Je vais chercher les protège-tibias.

Il osa un regard cette fois-ci. S’assurant qu’elle était d’accord pour ça.

Senri remuait les diverses paires de protège-tibia espérant en trouver qui ne soient ni trop abîmés ni trop sales. Finalement, il trouva deux paires en plus moins bon état. Il aurait pu s’en réjouir si une légère pression contre ses côtes ne l’avait pas surpris au point de lui faire faire vivement volte-face. Lorsqu’il découvrit le visage d’Amy compressé dans le casque, il fut à la fois amusé par la situation, mais aussi gêné d’avoir réagi comme il l’avait fait.

Très vite, l’ambiance redevint un peu plus sérieuse. La jeune fille s’excusait de ne pas avoir prévenu plus tôt qu’elle était dotée d’une force surhumaine. Senri secoua négativement la tête faisant mine de dire que ce n’était rien, alors que son expression restait celle d’un pou vexé. Néanmoins, quand elle ajouta les mots : « Surtout quand c’est vivant » en parlant des choses qu’elle cassait, il ne put se retenir de souffler du nez.

Ce qu’Amy proposa ensuite arracha un sourire d’une autre nature à Senri. Un sourire d’excitation qui disparut aussitôt qu'il fut apparu. La gentillesse d’Amy le touchait, mais surtout, l’optique de se confronter à une force dépassant l’entendement… C’était pour ce genre de chose qu’il vivait ! Néanmoins, il avait conscience et se sentait coupable d’avoir réagi de manière aussi enfantine.

- C’est moi qui m’excuse. Je supporte juste mal qu’on me sous-estime ou… qu’on me ménage.

Il avait eut un peu plus de mal à dire la fin de sa phrase. Le fait que cette jeune fille se soit souciée de lui et de ses potentielles blessures heurtait toujours son égo. Il avait travaillé si dur et pourtant, une personne qui lui demandait des conseils s’inquiétait des blessures qu’elle pouvait lui infliger. Dans un autre contexte, ils seraient directement passés à la case combat. Mais ils n’étaient pas dans un autre contexte.

Elle acceptait un combat selon ses conditions à elle. Chose qui avait eut l’air de la déranger malgré tout. D’autant qu’elle était venue pour chercher des conseils pour ne pas casser des gens en deux et Senri voulait la pousser à le casser en deux. Ayant un très bref instant de lucidité et de pédagogie, il se mit à sourire un peu plus naturellement en tendant les protège-tibias à son élève de fortune.

-Si tu préfères, pour aujourd’hui, je me contenterai d’un bras de fer !

Là encore, il n’avait pas réussi à cacher convenablement son entrain qui avait fait vibrer sa voix. Il reprit rapidement une expression sérieuse, pour essayer de sauver les apparences. Guettant les réactions de la demoiselle, il attendit qu’elle prenne sa paire de protège-tibias avant de la délester de son casque. Il ajusta ce dernier et le tendit de nouveau à Amy.

-Il est un peu plus lâche, ça devrait aller. Si jamais il bouge, on le resserrera directement sur ta tête.

Après cela, il enfila ses protège-tibias. C’était inconfortable au possible. Il songea que, pour débuter, il n’y avait sans doute pas besoin de toutes ses protections. En temps normal. Il cessa de penser à la force surhumaine d’Amy – qui était hypothétique pour le moment – et lui proposa de retourner auprès du sac. Une fois qu’ils y arrivèrent, Senri demanda à Amy de se placer sur le côté pendant qu’il se mettait en garde face au sac.

Il leva son genou gauche vers le ciel, restant quelques secondes en équilibre, puis il le déplia subitement. Le plat de son pied vint marteler plusieurs fois le sac à différentes hauteurs.

-Essaye de bien observer le mouvement. Quand le pied s’arme et quand il frappe.

Il frappait tout en parlant, faisant parfois valser le sac avec un coup suffisamment fort et doublant d’autre fois ses coups pour privilégié la vitesse à la puissance. Lorsque sa jambe retomba au sol, il se tourna vers Amy, haletant légèrement.

-Essaye d’abord de donner des coups-de-poings. Puis, place un coup de pied entre quelques coups. Oublie pas de reculer un peu, tu dois toucher avec tes lacets.

Puis sur ces mots, il céda sa place à la demoiselle. Sur le côté, il croisa les bras contre sa poitrine, guettant les futurs coups de la blonde. Il avait hâte de voir cette fameuse force à l’œuvre.

Sans décroiser les bras, Senri acquiesça quand son élève de fortune manifesta l’envie de privilégier sa vitesse plutôt que sa force. Il n’ajouta rien d’autre, il devait d’abord savoir comment elle envisageait la vitesse. Multiplier les coups ? Beaucoup bouger pour perdre son adversaire ? Mélanger ces deux façons de faire apparaissait à Senri comme le meilleur moyen de développer tout le potentiel d’un style de combat axé sur la rapidité. Amy avait visiblement choisi de multiplier les coups. Si au début, elle tapait le sac de façon brouillonne, elle gagnait en précision. Senri fronça les sourcils en analysant plus précisément les coups de la jeune femme. Il était naturel d’être assez peu précis quand on misait sur sa vitesse. Pourtant, elle arrivait à coupler rapidité et précision, ce qui comblait sa position encore trop statique.

Le jeune boxeur était néanmoins impressionné par la facilité qu’avait Amy à s’habituer aux différents enchaînements. Son premier coup de pied avait été précipité, mais elle avait vite rattrapé le coup. Ceci dit, jusque-là, il n’avait pas vu le moindre signe d’une quelconque force. C’était surtout ça qu’il cherchait à voir. Comment cette force se manifestait-elle ? Il commençait à se demander si son élève ne lui avait pas menti. Elle avait pourtant paru sincère à Senri, dans le local. Lorsqu’elle donna un nouveau coup de pied, il fut arraché à ses pensées. Au lieu de rester sur le même coup et de taper de nouveau le flanc du sac, elle ramena son genou vers elle. Sa jambe se rétracta alors que son coup se transformait. Il n’y eut qu’un instant. Un instant fugace.

Quand le bruit du sac contre le plafond raisonna, les bras de Senri retombèrent mollement contre ses hanches. Interloqué, il oublia pendant un instant comment respirer. Si bien qu’il ne pût réussir à intercepter le sac avant qu’Amy ne le renvoie avec son nez. La chute de la jeune femme fit enfin réagir Senri, le sortant de son état de choc, il attrapa le sac pour le stabiliser et se jeta auprès de la blonde. Qui semblait enjouée. Surtout pour quelqu’un qui venait de rencontrer un sac de frappe.

-C’était un super coup, ouais ! Quand ton pied s’est déplié, j’l’ai à peine vue ! Ça a fait « shwouh » et « Schaw » !

Comprenant qu’il s’emportait un peu trop, se racla la gorge et tenta de contenir son admiration. Bien qu’inquiet pour la jeune fille, il ne pouvait s’empêcher de partager son entrain. Ça avait été si impressionnant ! Ça n’avait rien à voir avec le géant russe ou le barman binoclard qui transpirait la puissance de part leur apparence. Non, là, on ne pouvait se douter qu’Amy abritait en elle une force capable de repousser un sac de frappe jusqu’au plafond – et accessoirement de se le manger en pleine figure après.

Senri invita Amy à se redresser en position assise et l’aida si besoin.

-T’as pris un sacré coup, quand même. Ça va ? Tu devrais boire un peu !

Il se leva rapidement pour ramener la bouteille que la jeune fille avait amenée avec elle. Il fit un crochet par son sac et récupéra une barre vitaminée. Revenant en lui tendant l’eau et la nourriture, il s’assit devant elle, toujours relativement secoué par ce qu’il venait de voir.

-Tiens, si tu veux, c’est aux fruits. Dès que tu te sens d’attaque, on reprend tranquillement, histoire que tes jambes se disent pas que l’entraînement est terminé !

Bizarrement voir tout ça l’avait rempli d’énergie et la positivé contagieuse d’Amy le poussait à se réjouir pour et avec elle.

-J’ai bien analysé comme tu tapes et bouge ! Tu maîtrises bien les enchaînements et la précision, donc je pense qu’il faut que tu bosses ta mobilité, genre tourner autour de l’adversaire et tout ça.

Il fit une courte pause, détournant le regard un instant.

-Hm, nos protections vont nous servir, je pense. Après que tu te sois remise, on pourra essayer de travailler tes esquives. Comme j’ai un style offensif, ça va être intéressant pour toi de bouger de manière à éviter mes coups, t’en penses quoi ?

Lorsque Amy bomba le torse après avoir ricané, quelques instants, Senri détourna le regard en se grattant vivement la tête, il approuva les dires de la jeune fille avec un discret sourire. L’entraînement reprit avec plus d’entrain que Senri ne l’aurait espéré. Amy avait un tas d’énergie à revendre. Elle lui faisait penser à sa grande sœur, bien que Kaiko était plus du genre à envoyer le sac de frappe sur son frère.

Senri renfila rapidement ses gants pendant que la Titan se mettait en garde. En voyant son sourire et entendant le ton provocant de la blonde, Senri ne put s’empêcher de sourire à son tour.

-J’espère que t’es endurante, je vais pas te faire de cadeau.

Sur ces mots, il commença à sautiller avant de se mettre à bouger un peu plus rapidement autour d’Amy, il s’arrangeait pour adopter un rythme assez lent pour commencer. Qu’elle puisse le suivre. Il leva son gant gauche en indiquant qu’il allait commencer avec des directs avant. À chaque coup, il s’arrêtait pour laisser le temps à Amy de venir voir le coup. Assez vite, il commença à doubler ses coups, les rendant plus rapides mais moins puissants. Il ne cherchait de toute façon pas à taper. Il ne faisait que toucher, mais, avec leurs mouvements à tous les deux, il faisait attention à bien s’arrêter pour contrôler correctement sa puissance.

Même une touche pouvait faire mal si Amy s’empalait dessus. Ça arrivait souvent à ceux qui se précipitait trop. Le jeune homme la mit en garde à ce propos avant d’ajouter des feintes à ses coups. Il faisait mine d’armer un direct arrière pour cacher l’attaque de son poing gauche.

-On va accélérer un peu le tout, je vais bouger plus vite et faire des arrêts plus courts. Et si je m’arrête un peu plus longtemps, enclenche juste le mouvement d’un coup, pour « visualiser » une riposte.

Il attendit qu’Amy lui indique qu’elle était prête pour se remettre à bouger. Comme promis, ses mouvements étaient plus vif, mais aussi plus complexes, il n’hésitait pas à aller dans une direction puis soudainement se jeter dans l’autre. Il ne se cantonnait plus seulement aux directs, mais aussi aux crochets. Visant les côtes, flancs et épaules de la demoiselle. Parfois, quand le timing était bon, il allait toucher le casque. Il s’arrêtait souvent, pour encourager Amy à mimer l’amorce d’un coup après le sien. Il n’hésitait pas non plus à enchaîner différents types de coups en un court laps de temps pour forcer Amy à réagir rapidement. Jamais ses yeux ne quittaient la silhouette svelte de la Terre.

Il observait chacune des fuites, chacune des esquives, chaque mouvement de la demoiselle. Il cherchait à déceler tous les apports que la technique pourrait lui apporter.

Les échanges de coup s’intensifiaient entre l’initiée et le novice. Senri tentait d’emmener Amy sur son terrain, la forcer à faire des erreurs. La phase d’observation était terminée, il avait décidé de passer à la vitesse supérieure depuis un moment déjà. L’ennui étant qu’emporté par la fièvre de l’effort, il en avait oublié les restrictions sur lesquelles Amy et lui s’étaient mis d’accord. L’espace d’un instant, la force surhumaine de la blonde avait été mis de côté par le jeune homme.

Ainsi, lorsque Amy leva le pied pour l’abattre sur le sol, Senri ne put profiter du déséquilibre de la jeune femme comme il aurait dû le faire. Une puissante vibration venant du sol secoua ses appuis tandis qu’un bruit sourd venait d’envahir la pièce. La poussière accumulée sur le sol de la salle avait été balayée par l’impulsion du coup de pied. Senri s’était figée, les yeux écarquillés, les dents serrées.

Lentement, ses bras étaient retombés le long de son corps. Ça avait été quelque chose de voir le sac de frappe voler au plafond, mais ce n’est qu’à cet instant que Senri s’était rendu compte de la monstruosité de cette force. Bien qu’il ne comprenait pas pourquoi elle avait soudainement tapé du pied au lieu de le frapper, il était finalement reconnaissant. Lui qui avait l’habitude d’encaisser les coups, subir celui-ci lui aurait été fatale.

Pour la première fois depuis longtemps, Senri avait expérimenté la peur. Il la sentait lui tordre le ventre, remuer ses entrailles. Il sentait les coulées de sueurs d’effroi se frayaient un chemin entre celles d’effort.

Le souffle court, les joues cramoisies, les yeux dans le vague, il n’arrivait plus à penser à autre chose. C’est après quelques instants qu’il tourna la tête vers Amy, encore sous le choc, tentant tant bien que mal de l’écouter. Il se mit à acquiescer, presque mécaniquement. N’étant pas encore tout à fait capable de s’exprimer. Fort heureusement, il retrouva un minimum de contenance quand Amy eut fini de parler.

- Oui, c’est vrai que c’était sympa. J’espère ne pas avoir été trop nul comme prof. Si t’as rien les mercredis, vendredi et samedi, y a le club de combat qui peut être bien. La prof est vraiment forte et… c’est une vraie prof.

Maintenant qu’il avait vécu une expérience si singulière et que le « combat » s’était arrêté, il peinait à reprendre son attitude de caïd. Envoyant sa main racler le dos de son crâne, il détourna le regard en reprenant. Visiblement, la timidité était contagieuse.

-Mais, ça me va pour demain. On peut reprendre quand tu veux.

Néanmoins, lorsque la jeune femme mentionna le bras de fer promis, Senri reprit du poil de la bête. Arrachant les scratchs de ses gants avec un sourire plus franc, il répondit sur un ton bien plus enjoué et enthousiaste.

-Toujours ! Tu veux qu’on le fasse avant de ranger le matériel ou après ? Y a des tables devant la salle aussi, ce sera p’tet plus adaptée. Mais j’imagine qu’on doit pouvoir dégotter une table ici aussi !

Il parlait vite, sans même se rendre compte du sourire qui étirait son visage alors qu’il allait jusqu’à son sac pour ranger toutes ses affaires - en continuant de parler. Il n’attendait plus que la réponse de la jeune femme pour aller se mettre en place.