Je soupire. Tout ça pour ça ? Franchement, elle est plus aussi terrible qu’avant. Si elle veut mon avis une bonne balle dans la tête et on parlerait plus… Enfin, les vieilles méthodes se perdent. Elle est devenue sentimentale et se complique la tache. Est-ce que je suis réellement en capacite de juger actuellement ? Genre, ça fait combien de temps que j’ai tué personne ? Mes anciens camarades du Centre diraient trop longtemps. Je me suis ramollie. Non. J’ai changé. Ce n’est pas pareil. Je crois.

« A son niveau tu ne risques pas grand-chose, si tu as conscience qu’il peut rentrer dans ton esprit tu peux te protéger de ses incursions pour la majore partie en te concentrant. Je ne te donnerais pour l’instant pas d’autres informations qui te seraient par ailleurs inutiles. »

Je lui souris. S’il grimpe les échelons elle ne pourra pas s’en prémunir, à moins de se mettre un autre télépathe dans la poche… Et encore là, j’serais curieuse de voir. Actuellement la meilleure défense qu’elle aurait serait de devenir master avant lui. Elle n’a pas ressenti l’Appel. Je suis presque certaine, que c’est trop tard pour elle. Nous aurait-elle suivi ? Sans doute, l’opportunité était trop belle. Est-ce qu’on l’aurait acceptée, oui. Si elle avait changé. De la même manière dont on attend d’Atumane un changement. Il aura sa chance, comme tous. A lui de la saisir.

« Ton offre est-elle limitée dans le temps ? »

C’est une règle de base, si l’offre n’est pas limitée dans le temps, on prend le temps d’y réfléchir, de peser les pours et les contres. Si elle ne l’est pas c’est que c’est un traquenard, une escroquerie, si on ne te laisse pas le temps de réfléchir et de prendre le recul pour voir la faille, c’est qu’on veut te la masquer. D’une manière générale, il faut que je réfléchisse à ce que je peux en tirer… Parce qu’Terrae ne voudra jamais commercer de près ou de loin avec une trafiquante d’armes. De même qu’on ne laissera pas évoluer Atumane s’il ne s’en défait pas.

Je porte des frites à ma bouche. C’est pas dégueux, loin de là. Je savourerais mieux en d’autre circonstances. Je n’en montre rien. Je lui souris. Il est temps de changer de sujet et lui faire perdre un peu du sien.

« Alors qu’est-ce que tu deviens ma belle ? »

Elle me prend pour une bleue en fait. J’peux pas m’empêcher de rire. C’est quand même un brin cocasse, elle est sérieuse ?

« En fait tu me demandes de te donner des informations utiles... Logique non ? » j’peux pas m’empêcher de continuer de rire.

C’est la base d’un marché, les informations partagées doivent être utilisables. Si tu transmets la position d’une milice armée il y a deux semaines, pour une action de précision c’est un peu con… Si tu donnes une formule de médicament dont le brevet est déjà passé dans le domaine commun, bien sûr que tu pers tes partenaires. C’est genre tellement mignon qu’elle ait pensé à ça… Et j’avoue que j’y avais moi-même pensé, mais en soit ce serait déjà lui donner des informations sur les terres télépathes en général. Ce qui reste un mauvais bail si elle se décidait à revendre l’information. Oui, je sais qu’à l’heure actuelle elle ne compte pas le faire et qu’elle est persuadée qu’elle ne le fera pas. Seulement j’la connais, et un jour ça risque de devenir tentant. Faut que j’fasse payer cher les infos pour ne pas avoir de regrets.

J’la regarde en souriant alors qu’elle me raconte sa vie. Enfin, non, son commerce un peu. Elle croit toujours que je n’ai pas rencontré son père. Autant dire qu’il s’est pas venté trop fort de sa première mise en contact avec le Centre… Ou p’t’être qu’il s’vante pas trop d’aimer les filles très jeunes. Enfin, c’est pas à moi d’briser des familles.

« Puis un platane est rentré dans ma vie, et j’ai appris à mieux planquer les cadavres. J’ai trouvé un CDI à Terrae, et tu sais comme moi qu’on ne dit pas non à un tel post… Sans quoi nous ne nous serions pas revues. »

Je me tourne vers Tsiuri dont les sentiments sont des plus confus pour l’instant.

« Tu as quelque-chose à demander ? »

Bien sûr que je suis attentive à ses sentiments, comme à ceux de toutes les personnes dans cette pièce et dans un périmètre de 50m autour du restaurant. Avec plus ou moins d’intérêt de l’avoue, mais avec le temps on arrive à jouer avec toutes ces informations et à les filtrer de manière efficace.

« Hm. J’pense que c’est surtout parce qu’on a déjà assez à faire à la maison. Non parce que bon, on va pas s’mentir les gens qui débarquent à Terrae c’est pas les personnes les plus équilibrées du monde. Désolée pour ton neveux, et t’envoies pas des ados déséquilibré avec des supers-pouvoir aider les gens. Le taux de fiasco serait beaucoup trop élevé.
Tu les aides eux… Et c’pas toujours easy quoi, essayez d’imaginer les conflits des ados qui ont une force surhumaine, peuvent se tazer les uns les autres, on en a même une qui une fois c’est transformée en rhinocéros pour défoncer la porte du mec qui l’avait plaquée… alors oui en théorie, Terrae c’tout beau tout gentil, mais clairement on a pas le temps de dominer le monde… Et carrément la flemme. »

Bon.

Faut pas qu’Hideko sache que j’ai dit ça… Mais en même temps c’est un peu vrai aussi, et puis niveau langue de bois c’était pas mal… Et la tronche de Tsiuri était encore plus délicieuse. Oui j’ai de suite cramé ce à quoi elle pensait, par aider elle voulait dire « apporter notre soutient à X ou Y » la vérité, c’est qu’si on voulait on pourrait faire mal au monde, mais si on a d’la force pour imposer nos idées c’est pas notre bail. Alors on est puissant, on pourrait troncher rapidement n’importe quelle grande puissance si on s’y mettait, mais on deviendrait alors une nuisance pour toutes les autres… Et clairement les terraens sont pas assez solides pour gérer une guerre. Alors on pourrait faire du mal au monde, mais à quel prix ? Se ramasser des initiés en PLS ? Puis si on aide quelqu’un ça créera des tensions, tout ça. Ce sera la merde. On nous le reprochera. Alors on fait des missions humanitaires par ci par là… Mais faudrait pas non plus qu’le réflexe du monde devienne « c’pas grave Terrae va le faire ! »

En vrai je trouve que l’meilleur argument reste : la flemme.

Je vérifie rapidement qu’il n’y ait pas d’appareil électrique d’enregistrement à portée. Non parce que ce genre de conneries que j’m’apprête à dire Hideko m’tuerait si ça arrivait sur une chaine TV.

«  Tsiuri ? J’en sais rien, je ne suis pas Terrae et j’répondrais pas en tant que Terrae. Le monde peut bien exploser que j’m’en battrais les ovaires. J’vois pas pourquoi j’serais en charge de ce fiasco qu’est l’merdier international. Alors, oui c’est égoïste, mais au pire ? Tant pis, j’suis une flemmarde et j’me sens pas concernée… Mais bon j’suis apatride, et j’ai pas d’famille alors j’suis p’t’être un cas à part ? »


Je lui souris et j’replonge dans ma potine. Sérieusement qu’est-ce qu’elle veut que j’lui réponde. Est-ce que j’en pense un traitre mot ? Qui sait, mais c’est le genre de questions auxquelles je ne peux pas me permettre de répondre sérieusement. Ce d’autant plus que cela révèlerait ma véritable allégeance, entre nous, elle n’a fait qu’aborder très légèrement le Centre. J’pense pas qu’elle vienne de leur part… J’en suis pas encore certaine à cent pour cent par contre… Dans le doute je préfère ne pas être trop catégorique.

Elles sont pas dégueux ces frites, mais en réalité je commence sévèrement à être rassasiée. J’ai une famille. Seulement, si j’en parlais je la mettrais en danger. Il est des choses qui doivent rester entre moi et moi uniquement. Je soupire longuement. J’ai plus grand-chose à dire, j’sens que Rosalina est exaspérée par son employée… J’suis presque désolée pour elle, le personnel qualifié se perd. J’lui lance un regard qui en dit long, est-ce qu’elle si bonne au pieu qu’ça ? Tout ça c’est de la provoque, bien entendu.

Sourire aimable. J’ai senti la colère de Rosa se tarir pour laisser place à de la curiosité. Elle attend quelque-chose de moi. Je ne sais juste pas quoi. Je pourrais argumenter, parler d’ma life, leur donner des pistes à creuser. Je ne ferais pas cette erreur, la nonchalance est mon rempart, et il n’est pas facile à briser. Personne en dehors de Terrae sait réellement ce que j’y suis devenue, les liens que j’y ai forgés, l’amour que j’y ai trouvé… Et c’est bien mieux ainsi, ma vie m’a déjà collé une cible sur le dos…

Et je ne suis pas certaine que Rosalina ne le sache pas déjà.

« Bien sûr, Tsiuri je suis certaine qu’on s’amuserait énormément à faire les magasins ensemble... » seulement si on parler de magasins d’armes.

La proposition de Rosalina est tentante, si on excepte le novice que je n’irais pas chercher. Tsiuri a raison, exposer les familles c’est jamais un bon délire. Pourtant il faut que je réponde encore à quelques questions, que j’essaie d’apprendre si elle est encore en contact avec le Centre et dans quelle mesure leurs intérêt seraient alors communs. Me suffirait de cinq minutes en tête à tête avec son téléphone portable pour avoir ces informations… Enfin, s’il n’est pas aussi chiant que l’ordinateur d’Aaron.

« Je serais ravie, je déshabille Rosalina du regard de manière peu subtile, de rentrer avec toi à Tokyo. »

Je ne peux m’empêcher de laisser mon regard traîner vers Tsiuri et de lui sourire. Promesse d’un vol intéressant si on me demande mon avis… Désolée Nathou, je t’aime, tu sais que je t’aime. Seulement parfois, je dois faire des choses qui nous blessent tous les deux… Parce que si les Ngwenya étaient en contact avec le Centre, avoir Atumane entre nos murs n’était pas nécessairement le meilleur des bails. Clairement pas… Et parce que j’ai besoin d’un peu plus de temps avec la femme d’affaire… Je diminue mon sentiment de culpabilité envers l’homme que j’aime pour qu’il ne me trahisse pas.

Nous nous retrouvons en peu de temps dans une belle berline noire aux vitres que je devine blindées. Cette fois-ci je me retrouve seule avec la belle mozambicaine. Cela me rappelle quelques souvenirs des plus licencieux, et à sa question je vois que je ne suis pas la seule. Nous ne parlons plus de contrat mais de nous, et je dois faire attention à ce que je révèle ou non. Quoi que je dise elle ne me croira pas, je me dis qu’à ce compte là je pourrais lui dire la vérité. Lui dire que je suis amoureuse, que j’ai trouvé l’homme avec qui je veux passer ma vie bien que je ne suis pas certaine d’être la femme avec qui il voudra passer la sienne.

« Oui et non. Je n’ai pas le bon accessoire, dis-je en désignant le fauteuil. J’ai eu quelques relations avant l’accident, puis… Bah, on va dire que j’ai rencontré quelques fétichistes… Mais franchement, je ne ressens plus rien au niveau inférieur alors que c’est celui qui les intéressait le plus. C’était un peu sans intérêt… Par contre j’aime bien… regarder ? » je souris en caressant du regard la peau d’obsidienne de Rosalina.

Je la trouve toujours aussi belle, mais je ne suis plus attirée par elle. Enfin, plus comme je l’ai été. Elle était savoureuse et tentatrice, puissante et pourtant fragile entre mes doigts. Une parenthèse agréable. Je pense que c’est l’une des raisons qui ont motivé ma mutation, je m’entendez un peu trop bien avec elle… Et puis… Le Centre avait d’autres projets pour moi. Des projets de maternité. Je n’ai pas envie d’y penser, et ce d’autant plus que je ne suis pas dans une situation où je peux me laisser distraire.

« Et toi ma belle, ce n’est pas du sérieux avec Scar, mais tu as rencontré quelqu’un ? »

Lèvres contre lèvres, je ne frémis pas alors qu’au fond de moi j’ai mal. Qui dois-je préserver ? Comment dois-je me préserver, est-ce que si je réponds à ses avances je fais plus de mal que si je n’y réponds pas. Je souris contre ses lèvres. Je pleure au fond de moi. Je joue de mes pouvoirs pour ne pas me blesser.

« Intéressant, tu as toujours eu le goût pour les étranges. Je suis heureuse que tu n’ais pas changé. »

Je me recule. Non, je ne coucherais pas avec Rosalina, plus. Cela nous fera plus de mal à Nath et moi. Je crois que je préfère encore que l’on se doute de son existence. Je hausse les épaules.

« Le ne prends pas mal, tu es toujours une femme magnifique mais j’ai zéro envie de coucher avec toi même en souvenir du bon vieux temps. C'est beaucoup trop compliqué et crois moi j’ai essayé, et j’ai appris à me simplifier la vie depuis… qu’elle est devenu bien trop compliquée. »

C’est sans doute faux, dans une certaine mesure je sais qu’elle s’appliquerait à apprivoiser mon corps comme elle le faisait jadis. Seulement ça ne m’intéresse pas, une autre personne y parvient mieux que bien. Je soupire.

« Vous regarder avec la jolie Tsiuri par contre... »

Comment-ça ? NON MAIS MERDE HEIN ? Ça c’est déjà plus gérable, et si j’l’avais suggéré. Bon en tous les cas on arrive à l’aéroport et c’est un poil gênant quand même ce qu’il se passe. Non parce qu’on en a pour une petite douzaine d’heures là, et qu’il va falloir les occuper. J’aurais du rentrer toute seule putain. Sérieusement j’creuse ma propre tombe, alors ouai ça me donne plus d’occasions de découvrir bah, le genre de relations qu’elle a avec le Centre, mais dans le fond ça reste plus d’occasions pour elle de découvrir qui je suis et à qui va mon allégeance.

     … Quoi ?
     Passé un fugace moment d’incompréhension, Rosalina se reprend et laisse échapper un rire léger et au ton volontairement énigmatique. Une d’entre elles n’a pas oublié qu’on était toujours en train de bosser.
     « Est-il seulement possible que tu ne fasses ou dises pas quelque chose prenant nécessairement la situation à contre-pied. Tu n’as pas vraiment changée. »
     Enfin, si on devait considérer la situation sérieusement, Tsiuri n’était pas vraiment une amatrice de pornographie, donc se donner en spectacle ne l’intéresserait sûrement pas. Quoique, il faudrait lui demander, mais ce ne serait certainement pas Rosalina qui le ferait.
     « Je n’avais envie que de toi, mais tant pis. »
     Ils arrivèrent à l’aéroport. Après les contrôles d’usage, Rosalina, Ipiu, Sergeï, Tsiuri, Nazenin et Archil purent rejoindre l’avion. Ils furent accueillis par un majordome on ne pouvait plus anglais dans ses manières.
     « Mesdames.
     – William, je vous présente mon invitée, Ipiu Rapsberry. Ipiu, William répondra à tous tes besoins. Contentes-toi de l’appeler.
     – Si vous voulez bien me suivre. »
     Le jet de Rosalina avait effectivement tout d’une maison, et d’un espace de travail. Les trois mercenaires entrèrent par l’arrière, où une large trappe leur permettait de faire entrer leur véhicule. L’intérieur était divisé en plusieurs pièces, comme un appartement, toutes en longueur, pour des raisons évidentes. Tapis aux sols, murs plaqués de bois laqué, tableaux de maître et pièces d’arts primitifs aux murs, mobilier hors de prix, et bien sûr une impressionnante collection d’armes anciennes ou modernes, allant du pistolet à silex au P-90 en passant par le Mosin-Nagant.
     Rosalina avait bien sûr un bureau, et comme elle n’avait pas pour habitude d’inviter des loups dans la bergerie, il n’avait pas de clef à la porte, juste Archil positionné devant, assis sur une chaise. Une précaution de Tsiuri.
     Sergeï, qui s’était déjà changé pour revêtir sa tenue de capitaine, informa Rosalina et Ipiu :
     « Le vol durera quinze heures, nous devons faire une escale à Astana pour faire le plein. Il sera quatre heures du matin, heure québécoise, et dix-huit heures, heure japonaise. »
     Pourquoi ne pas le faire dès maintenant ? Parce que le carburant est moins cher au Kazakhstan, et quitte à attendre, autant le faire pour moins cher.
     « Merci, Sergoya. Alors, Ipiu, que veux-tu faire pendant tout ce temps ? »

« Dommage. »

Mon sourire en disait aussi long sur la question que le sien. Enfin, une situation difficile évitée. Être en couple c’est définitivement pas le bon bail quand on veut faire de l’espionnage, ou alors il faut accepter de ne pas être fidèle ? C’est aussi une possibilité, est-ce que j’ai envie d’en parler avec Nath ? Non, mais il faudra que nous le fassions à l’occasion. La situation pourrait se représenter, bien que je ne sache pas trop comment. Sérieusement, le fauteuil c’est un tu l’amour, combien de chances pour que quelqu’un ne me propose des galipettes ? Rosalina a toujours aimé les personnes un peu… différentes ? Bien entendu.

L’arrivée dans l’avion se fit sans heurts, j’aurais pu demander s’ils avaient des sondes urinaires pour les emmerder, mais j’en ai encore pas mal dans mon sac. D’ailleurs va falloir que je pense à y aller.

Je prends connaissance des lieux, ils ne sont pas tout à fait taillés pour un fauteuil roulant et j’en viens à la conclusion que si je veux être discrète il faudra que je ne le sois pas. C’est chiant un peu, Rosa pourrait pas avoir prévu que des belles blondes en fauteuil roulant essaieraient d’lui soutirer des infos ? Vraiment, le monde n’est pas pensé pour moi…

C’est vrai qu’est-ce que je veux faire ? Plusieurs idées me traversent l’esprit et beaucoup sont plutôt drôles, mais j’avoue que pour l’instant je ne sais pas trop… Je fais le tour du propriétaire du regard…

« J’imagine que tu ne caches pas un jacuzzi dans le coin… A défaut si tu as un ordi et netflix… J’ai quelques épisodes à rattraper à The Good Place. »

Rien que pour voir sa gueule ça vaut le coup je la regarde avec mon sourire le plus innocent. Bah quoi ? Moi j’m’amuse beaucoup !