Est-ce que les clients s’étaient donnés le mot pour me faire chier ce jour-là ? Parce que c’était tout comme. Un shift de 9 heures quand tout va mal, c’est long. Il y avait même un pré-ado qui m’avait tiré l’oreille. Faut pas être gêné !! Je soupirai alors que je regardais l’horloge. Plus que 10 minutes. Je rêvais où il y avait un couple qui rentrait ?! J’avais envie de me facepalm…

Quand la fermeture vint, je vis que le couple ne partait pas. Ugh, ils n’avaient pas dû regardé l’horaire sur la porte. Je les approchai et leur dit qu’ils devaient partir, en essayant de ne pas être trop bête. Puis, j’éteignis les lumières et barrai la porte, mon sac à main sur l’épaule. 21h04. Je n’aimais pas finir aussi tard. M’enfin « aussi tard »… C’était surtout que le soleil était couché et que j’avais une phobie de la nuit quand j'étais seule.

En me retournant, je remarquais qu’il pleuvait. Ah merde, je n’avais pas vérifié la météo ce matin, donc je n’avais pas de parapluie. Je me mis donc à courir sous la pluie en direction de mon arrêt de bus. Bientôt, j’allais pouvoir être ch... HSAFHUSF ! PUTAIN ! UNE VOITURE VENAIT DE M’ÉCLABOUSSER ! Je jetai un regard meurtrier en direction de l’automobile qui continuait comme si de rien n’était. J’étais trempée de la tête aux pieds ! Je fulminai sur place quand je vis mon autobus arriver au loin… ARG ! Je me mis à courir en espérant pouvoir la rattraper, mais elle partit sans moi. Non, non, NON ! La prochaine autobus passait dans une heure !

JE N’EN POUVAIS PLUS ! CETTE JOURNÉE ÉTAIT IN-TER-MI-NA-BLE ! Bouillante, je me mis à donner des coups de pied sur le banc à proximité. Il n’y avait personne aux alentours donc qu’est-ce que ça pouvait bien faire ?

— Allez tous vous faire foutre !!! marmonnai-je pour moi-même.

J’étais tellement en colère que je sentis des éclairs se créer au niveau de mes pieds sans que je ne le veuille, en traversant même mes chaussures. En temps normal, j’aurais été contente car je n’y étais jamais parvenue avant, mais là, je m’en fichais ! Je me dirigeai alors derrière l’abribus et prit un arbre comme cible pour lui envoyer des éclairs dessus avec mes mains jusqu’à en être épuisée. Je finis par m’effondrer sur les genoux, essoufflée. Et voilà que je pleurais ! BAH OUI ! É-VI-DE-MMENT ! Je n’avais pas envie de me rendre au campus à pied sous la pluie… mais attendre ici une heure ne serait pas mieux… La nuit tombait et j’avais juste envie de disparaître.

Je sursautai à l’entente d’une voix. Non mais c’était qu’elle venait de près en plus. Je me retournai vers son propriétaire, qui se tenait près de moi, prête à envoyer des éclairs au besoin. Il n’avait pas l’air hostile… Il était même… gentil… Bon, on va se méfier quand même, hein ! Je le regardais sans vraiment le voir, le coeur serré à cause de l’émotion. Puis, je repris peu à peu conscience et je commençai à avoir honte.

D’être vue dans cet état, mais aussi de moi-même. Je détestais quand j’avais des réactions aussi disproportionnées. Je détestais ne pas pouvoir contrôler mes émotions. J’observais la main que me tendait l’inconnu, hésitante. Au final, je décidai de me lever toute seule, inconfortable à cause de mes vêtements trempés.

— Je peux me lever toute seule… franchement ! Et puis, tu viens d’où d’abord ? Je t’ai pas vu débarquer. Me mettre à l’abri..? Pourquoi ? Je suis DÉJÀ trempée de la tête aux pieds !!! Et au pire, demain je tomberai malade, j’appelle le boulot demain pour leur dire que je ne peux pas rentrer, donc j’ai un congé, bingo, je peux passer ma journée affalée sur le canapé à rien foutre… parce que c’est ce que je sais faire de mieux... et avoir mal au ventre. Et à la tête. Parce que c’est mon état de base ! T’aurais pas des Tylenol, au fait ?

J’avais vraiment pété les plombs pour parler à un inconnu comme ça. D’ailleurs, lorsque j’eus terminé de parler, j’écarquillai les yeux. MAIS FERME-LA, ELFIE ! FERME-LA ! Soit j’allais passer pour une impolie auprès d’un mec sympa, soit en réalité il n’était pas sympa du tout, il allait s’énerver et… AAAAAH ! POURQUOI IL FAUT QUE JE SOIS AUSSI PARANO ?

Ok, girl, tu t’es fait poursuivre quand t’avais 16 ans à la sortie d’un bar. Mais tu l’as semé et il n’est rien arrivé DU TOUT !!! IL SERAIT PEUT-ÊTRE TEMPS QUE TU T’EN REMETTES ! Qui m’a créé, hein ? QUI ? IL A ÉCHAPPÉ LA BOÎTE DE L’INGRÉDIENT « TROUILLARDISE » DANS LE BOL ? TSSSÉ, COMME LE MEME ?

*Respire. Calme-toi. Tu as évolué, non ? S’il essaie quelque chose, tu as des pouvoirs maintenant. Tu t’es entraînée. Tu peux être une putain de badass si tu y mets du tien.*

Je crus le voir froncer les sourcils. Moi aussi, si on m'avait parlé comme ça alors que je n'avais cherché qu'à aider, j'aurais sûrement été agacée. Il finit par soupir à la fin de mon monologue et s'exclama qu'il ne trimballait pas une trousse. Humph. Personnellement, il m'arrivait d'avoir des acétaminophènes dans mon sac, mais là, j'avais fini mon pot et oublié d'en acheter un autre. Il aurait pu en traîner, on ne sait jamais !

Il continua et dit qu'il avait des médicaments chez lui, mais que ça serait probablement déplacé. Euuuuh, oui. Bon, il avait l'air d'être un bon gars, mais c'était peut-être un rôle visant à me faire gagner ma confiance. Ai-je mentionné que je suis vraiment parano ?!!

— Tant pis ! Je devrais survivre, déclarai-je sur un ton exaspéré en posant une main sur ma tempe.

Je levai les yeux vers lui. Ah ouais, j'étais encore désagréable, hein..? Il fallait que je me reprenne en main. Je pris une grande respiration.

— Désolé pour... ça, dis-je en me désignant. J'ai eu une journée tellement... UUGGGGGGGGH.

Il n'y avait pas de mot pour décrire ma journée. J'avais encore envie de frapper et de crier, mais je devais me retenir face à cet étranger. Puis, il me proposa de l'herbe. J'écarquillai les yeux alors qu'il parlait.

— De l'herbe ?!!!

C'était pas illégal, ça ? Je ne voulais pas avoir de problèmes... Je suis pas une « rebelle ». Bon, ma réaction avait été exagérée malgré tout.

— Tu proposes de l'herbe à n'importe qui toi ? Hahahah..., dis-je pour tenter de rattraper le coup et détendre l'atmosphère. M'enfin merci mais... non merci ! C'est pas mon genre.

Maintenant que je l'observais, je remarquai qu'il avait également des cheveux blancs. À la maison, je croisais rarement des gens avec des cheveux blancs, mais ici... bizarre ! Bon,  pas autant que la population de roux ! C'était fou le nombre qu'il y avait à Terrae !

Pour revenir à nos moutons... il était plutôt canon ! Et puis, les cheveux blancs prouvaient qu'il avait bon goût !

— Pourquoi tu tiens tant à ce que je me mette à l'abri ? La plupart des gens s'en ficheraient.

En finissant ma phrase, je défis mon chignon et tordit mes cheveux puisqu'ils étaient imbibés d'eau.

À ma question, il répondit qu’il ne proposait pas de l’herbe à n’importe qui, mais seulement à ceux qui semblaient en avoir besoin. Ma tête ne devait pas être fameuse, en effet… Je devais même avoir l’air totalement lamentable. Putain, j’avais honte.

Puis, je lui demandai pourquoi il tenait à ce que je me mette à l’abri. Sa réponse m’arracha un sourire. Il marquait un point, là. Mais je n’avais pas cherché à lui reprocher, pas du tout, j’avais seulement été curieuse. Il y a plus de gens indifférents que de gens réellement gentils. Il continua en disant que ça lui permettrait de discuter avec moi sans avoir à supporter la pluie. Il voulait discuter… avec moi ? Pourquoi est-ce que ça m’étonnait, en fait ? Ah oui, peut-être parce que j’avais eu un caractère de merde lorsqu’il avait voulu m’aider, donc c’était quand même assez surprenant qu’il ne soit pas juste parti.

— Ouais, pas être comme les autres c’est bien… mais ça m’étonne toujours un peu quand quelqu’un ne l’est pas.

J’avais légèrement tendance à mettre tout le monde dans le même sac : je pensais « les humains sont vraiment des imbéciles » plusieurs fois par jour, parfois. On pouvait difficilement plus généraliser que ça. Il s’exclama ensuite qu’il y aurait des solutions plus agréables, comme aller au bar, à un café ou même se réfugier sous l’abribus. Un café me tentait bien, tiens. Mais euuuh, il m’avait invité à y aller tous les deux, c’était ça ? Ok il semblait sympathique mais peut-être que… peut-être que… arg.

Je regardai le ciel noir et je frissonnai un peu parce que j’avais froid mais aussi, cette foutue peur ne voulait pas me quitter. Me réchauffer... Aller dans un endroit lumineux…

— J’imagine que… un bon mocaccino pourrait me faire du bien... m’exclamai-je faiblement en essuyant mon visage mouillé par la pluie.

Je me sentais moins énergique tout à coup. Même figée sur place.

Épuisée ? Moi ? Naaan ! Je me demandais ce qui lui faisait penser ça. Les éclairs ? Les larmes ? Mon attitude désagréable ? Il dit qu’il ne pouvait pas me laisser rentrer comme ça. Ah bah moi, au contraire, je n’avais envie que d’une seule chose : rentrer et dormir. Mais je ne pouvais pas. Une heure encore à subir le calvaire qu’est ce monde. Il me demanda si ça allait aller.

— Non... déclarai-je sans réfléchir.

Puis, j’écarquillai les yeux et et soupirai.

— Ah oups j’avais oublié qu’il fallait répondre oui quand on nous demande ça, peu importe si c’est vrai ou non.

Parce qu’en répondant non, cela pouvait être interprété comme si on voulait en parler ou comme si on avait besoin d’aide. Mais moi, je ne faisais qu’exprimer ma pensée. Bon pas toute ma pensée, on va quand même pas lui dire que je craignais que ce soit un meurtrier ou un violeur… Quoi ?!! Ça pouvait être n’importe qui, on ne savait jamais !

Au moins, je savais que je ne réfléchissais pas clairement, encore moins que d’habitude en tout cas. On commença à progresser en direction du café le plus près. Le dos un peu arqué et les jambes endolories, ma démarche ne devait pas être fameuse. Je lâchai un petit rire à son commentaire.

— Ce serait un nom totalement legit… Mais c’est Elfie.

Il s’appelait donc Tiago. Curieuse, je levai les yeux vers lui.

— Tu es de quelles origines ?

Car je n’avais aucune idée d’où pouvait bien venir son prénom.

Ah. J’aimais sa réplique à mon affirmation. Parce que, bien trop souvent, des gens agissaient comme s’ils se préoccupaient de ton état alors qu’en réalité, pas du tout. Alors oui, effectivement, si tout le monde pouvait être comme lui et pouvoir accepter un « non » sans que ça soit incroyablement awkward, ça serait bien.

Il me demanda ensuite mon nom, puis se présenta à son tour. Je lui demandai ses origines et il me répondit qu’il venait de Colombie. Bon… ça ne m’avançait pas, j’étais une quiche en géographie donc je ne savais même pas où c’était, la Colombie. Au moins il éclairai un peu ma lumière en mentionnant que c’était latino. Et, sans surprise, lui n’avait jamais entendu mon prénom.

— Je pense pas que ce soit répandu nulle part, effectivement… Ma mère voulait me donner un nom original et comme elle est fan de mondes fantastiques, elle a décidé de me nommer ainsi.

Puis, nous arrivâmes au café et il me tint la porte. Je passai et le remerciai, même si ce n’était pas nécessaire c’était gentil. Il déclara qu’on pouvait s’installer où je le souhaitais. Je me dirigeai vers une banquette, car c’était plus confortable que de simples chaises, et enlevai mon manteau avant de m’asseoir.

— Aaah s’asseoir… c’est bien s’asseoir...

Comme première impression, je devais sûrement passer pour une énorme flemmarde. Au moins il n’y avait pas trop de mal à ça, car je l’étais même si j’étais plus active depuis que j’étais arrivée dans cette ville. Un serveur vint nous voir et je commandai un mocaccino.

Tiago s'assit à côté de moi et s'exclama que c'était lui qui offrait. Je souris alors qu'il précisait qu'il payait rarement ce genre de boissons  et que c'était pour avoir accepté de venir.

— Oh, c'est vraiment gentil, merci...

J'imaginais que par là, il voulait dire que d'habitude, il offrait plutôt des verres au bar. Or, j'allais plus souvent dans des cafés. Je ne me rendais qu'au bar qu'une fois de temps en temps, avec des amis, car j'avais trop peur pour y aller seule. Malgré tout, je m'étais déjà faite offert des verres, mais je les avais tout refusés de peur qu'on me drague lourdement. Et moi, je suis zéro à l'aise avec ça.

Je commandai, puis ce fut son tour. En attendant que le serveur revienne, il revint sur le sujet de mon nom et de ma mère. Il me demanda si je possédais les mêmes passions qu'elle. Il assumait que ce devait être le cas vu mon look et il avait tout à fait raison.

— Oui, j'adore tout ce qui est fantastique. Je lis beaucoup, joue à plusieurs jeux vidéo et écoute plusieurs films de ce style... Quand j'étais petite, les enfants m'embêtaient à cause de mon nom bizarre, j'étais timide donc c'était facile pour eux... Puis, j'ai appris à assumer et ensuite, à le montrer, dis-je en désignant mes oreilles.

C'était bizarre quand même, cette contradiction qui vivait en moi. La plupart du temps, j'avais envie qu'on me laisse tranquille, de me faire toute petite. Pourtant, j'avais également envie qu'on me remarque, qu'on se dise que je sortais de l'ordinaire, que j'étais géniale, et qu'on m'envie.

— Mais bon, des fois ça attire des gens indésirables. Comme tout à l'heure, un gars de j'sais pas, peut-être 12 ans, m'a tiré l'oreille en riant. C'est quoi ce genre d'attitude sérieux ? C'est pas parce que j'ai des oreilles différentes de la majorité des gens que ça donne le droit des les toucher. Ouais, parce que c'était pas la première fois que ça arrive. Putain, j'suis pas une exposition interactive !

Toucher mes oreilles ou mes cheveux sans permission, me dire des choses complètement inappropriées parce que je sortais du lot... J'avais envie de gifler ces gens. Je le faisais dans mon imaginaire, mais ce n'était pas assez satisfaisant.

Lorsque je lui parlai de la façon dont les autres enfants me traitaient quand j’étais jeune, il dit qu’on était tous un peu cons gosses. Il avait pas tort. Moi aussi je n’étais pas fameuse sur certains points : je boudais pour un rien… Beaucoup plus qu’aujourd’hui ! Il continua en disant que ça ne devait effectivement pas être toujours facile d’être aussi différent et qu’il trouvait ça chouette que je l’assume. Je le remerciai simplement avant de lui raconter ce qui s’était passé au travail plus tôt dans la journée.

Il rit. D’un point de vue extérieur, ça devait être drôle, en effet. Il s’excusa et déclara que les enfants de nos jours étaient mal éduqués, et probablement que ceux à Terrae l’étaient encore davantage. D’après lui, je ne devrais pas me gêner de les remettre à leur place.

— J’sais pas trop, t’imagines si après les parents me retombent dessus ? Ou mon boss et je me fais virer ? J’veux pas d’ennuis.

Il me demanda si c’était ça, la raison qui m’avait poussé à m’acharner sur l’arbre, tout à l’heure.

— C’est l’une des raisons… D’autres clients m’ont aussi fait solidement chier. Puis je me suis fait éclaboussée, comme t’as pu le voir, et j’ai manqué mon bus. Et la vie, c’est de la merde.

Il s’exclama que j’avais le droit de répliquer face aux gens qui m’énervaient, sinon ils allaient continuer et j’allais rester sur les nerfs.

— J’aime pas trop provoquer les gens, souvent ça rend la situation encore pire. Les disputes me rendent mal à l’aise.

Alors je gardais mes tracas pour moi. J’étais humaine donc c’était impossible que je ne chamaille pas une fois de temps en temps, mais c’était souvent inoffensif. M’entendre lever la voix était rare et m’entendre crier encore plus. Soit j’ignorais ce qui me tracassait, soit j’essayais de tout régler avec calme même si je bouillais à l’intérieur.