Il avait trouvé son idée plutôt intéressante, ils s’étaient séparés car il avait besoin de se changer, elle n’en voyait pas vraiment l’intérêt, elle aimait bien les fringues qu’elle portait et de toute manière n’avait pas transpiré tant que ça. Au pire elle se changerait après s’être baigné dans le lac, et encore… Le pari était fait qu’elle se contenterait alors de sécher ses affaires en faisant s’évaporer l’eau et ne se changerait qu’une fois rentrée et propre. Et puis elle aimait bien ce short en jean et cette chemise ample, bien trop large pour elle. Ils étaient confortables et Ariana lui avait dit qu’ils lui allaient bien et lui donnaient un air seventies… L’ivoirienne n’avait pas compris ce que cela voulait dire sur le coup, mais elle avait cherché plus tard dans un dictionnaire.

Elle avait profité du temps qu’il avait mis à se changer pour passer acheter des biscuits et une bouteille de thé glacé… Oh, il n’était pas glacé avant qu’elle fasse apparaitre des glaçons à l’intérieur. C’était bien moins difficile qu’au début, elle devait toujours se concentrer pour le faire mais cela se faisait sans difficulté. Elle soupira.

Quand elle arriva au lac elle ne trouva pas Akkiko sur la plage bondée par les étudiants venus profiter de la fraicheur du lac… Elle n’en fut pas étonnée, son ami aimait la tranquillité, elle avait donc longé la berge, s’éloignant de la foule pour le retrouver bien plus loin dans un coin où l’herbe descendait un peu plus abruptement dans l’eau. Il se retourna pour la regarder.

« C’est par ici qu’on s’est rencontrés non ? » elle lui demande, pas vraiment sur d’elle. « Moi au moins je ne te surprends pas en plein milieu de l’hiver ! » elle le charie.

Elle n’est pas assez joueuse, et malgré leurs multiples rencontres ne le connait pas assez bien pour tenter la facétie qui lui vient à l’esprit. L’éclabousser ne serait pas une bien vilaine blague, elle songea un instant à l’arroser… Ne le fit finalement pas, se contentant de sourire et d’une mise en garde plutôt que d’un passage à l’acte.

« Ne me tente pas ! » elle accompagna ses paroles d’un sourire.

Elle se défit de ses souliers, d’étranges baskets colorés qui étaient bien utiles en cela qu’elles étaient adaptées à toutes les circonstances… Si ce n’est peut-être à la baignade que l’ivoirienne projetait de faire. Oh, bien entendu qu’elle aurait pu les garder et les sécher en sortant de l’eau comme elle comptait le faire pour ses autres vêtements, mais le plaisir aurait été bien moindre.

« En ce moment je m’entraine surtout à la précision et à l’endurance, j’aimerais réussir à illustrer plus régulièrement les contes que je raconte aux enfants le soir… Hier, je leur ai narré l’histoire d’un poisson qui voulait nager dans le ciel…. »

Et alors qu’elle entre dans l’eau un petit poisson aqueux s’en échappe, il est plus étincelant que la veille maintenant que c’est la lumière du soleil qui l’éclaire et non plus celle de la lune. Les raies de lumières éclatent à son contact, l’eau est un peu plus trouble que celle qu’elle fait apparaitre habituellement mais difracte tout aussi bien la lumière. Elle lui fait faire un looping dans le ciel avant de le laisser retomber dans l’eau…

Il faut avouer que des fois en tant que narratrices sont plus compliquées que d’autres, en cela que j’ai déjà échappée une fois à la rédaction de ce compte et que les choix de mots et les tournure de phrases n’avaient pas d’importance alors. Pourtant, cette histoire est demandée à Afya et il me faut donc trouver ses mots pour la narrer.

« Je ne sais pas quand cela s’est passé, si ce fut le mois dernier ou à la naissance du temps, mais écoute l’histoire que m’a conté le vent.

Il était un jeune alevin qui venait de naitre, dans le creux d’une vasque entre deux montagnes. Ses yeux brillaient de curiosité et chaque instant il demandait « C’est quoi ça ? » ou « Pourquoi ? » Même la grenouille qui aimait s’entendre parler en avait assez de répondre à ses questions. Elle répondait d’une voix lasse.

« Dis comment c’est là-haut ?
- Vert et rempli d’herbes.
- C’est vrai qu’il y a des animaux avec des plumes ?
- On appelle ça des oiseaux, tiens-t-en éloigné si tu veux vivre vieux.
- Et c’est bien de vivre vieux ? »

On pouvait les entendre ainsi dialoguer toute la journée, et toute la nuit jusqu’au jour où la grenouille ne put trouver la réponse à sa question. Elle n’était pourtant pas bien compliquée cette question…

« Dis, comment on fait pour rendre visite aux étoiles ? »

Il demanda à tous les animaux du val, mais de l’araignée d’eau aux têtards, personne n’avait la réponse. Alors le jeune alevin décida d’aller par le monde pour poser sa question. Il descendit la rivière et passa les remous. Un jour qu’il voyait un ours brun, il tenta de lui poser la question mais ce dernier tenta de le croquer. Il s’en fallut d’une nageoire pour qu’il ne finisse embroché. »

Elle arrêta un instant son récit, regarda l’homme au bord de l’eau et lui sourit. Il n’était pas un enfant, et pas un auditoire à lui seul. Juste un ami. Elle pouvait donc lui demander son avis.

« D’après toi, comment l’histoire se finit-elle ? »

Il réfléchit un instant à la fin qu’il veut donner à l’histoire de l’ivoirienne en regardant le ciel. Elle ne tire pas ses histoires de là, elle ne tire plus ses histoires de là pour être exact. Maintenant le plus souvent elle écrivait en pensant aux gens qu’elle avait rencontrés. Elle s’inspirait des histoires qu’elle vivait, oh bien entendu tout se mêlait pour ne former qu’une trame ténue liant la fiction et la réalité. Elle trouvait cela plaisant, peut-être qu’au fond l’histoire ne voulait dire qu’au final on ne voyait pas les trésors qu’on avait à portée de main ou que parfois il fallait mieux partir pour mieux revenir.

Elle fut un peu triste en en même temps heureuse qu’il ait trouvé la fin de son histoire, oh cela n’auraient pas été ses mots. Elle aurait rajouté plus de péripéties et soupoudré de magie. Elle aimait les descriptions des lieux calmes et sereins. Ceux où l’on ne se serait pas étonné de voir une fée naitre d’un goutte de rosée. Pourtant il avait bien trouvé la fin de son histoire, aussi ne la raconterait-elle pas… Cela signifiait-il que l’histoire était trop simple ? Trop prévisible…

« C’est presque cela, le petit poisson rentra chez lui par une nuit sans lune, triste et désemparé. Il se laissa flotter dans une vasque et ne répondit pas aux questions de la grenouille qui lui demandait comment s’était passé son voyage… Ce n’est que quand les étoiles se levèrent enfin et qu’elle s’exclama « regarde comme c’est beau » qu’il réalise qu’il est en train de nager parmi les étoiles. »

Elle sourit. Peut-être un peu embarrassée qu’il ait ainsi découvert la chute de son histoire. Elle ne lui en teint pas rigueur, mais préféra tout de même changer de sujet.

« Tu comptes rester sur la berge ? »

« Tu es bien un terre ! » réponds-elle un sourire dans la voix alors qu’elle se détourne pour s’enfoncer un peu plus profondément dans l’eau.

Si elle lui lapait les chevilles elle caresse maintenant ses genoux et bientôt ses hanches. Elle ne s’est pas dévêtue pour entrer dans l’eau, en quelques années à Terrae elle a appris la pudeur presque puritaine de l’occident. Il est loin le jour de son arrivée quand elle se baladait la poitrine fière et dressée. Elle n’ose plus aujourd’hui ne serait-ce que se mettre en maillot, et de toute manière elle peut sécher ses vêtements en une pensée. L’eau arrive au niveau de son short et noircit son coton.

« En réalité je n’ai jamais appris à nager, ce qui est un peu ridicule pour une eau… Mais ce n’est pas bien grave, maintenant je peux m’en sortir autrement. »

Elle fait référence aux langues d’eaux qu’elle réussit de mieux en mieux à diriger et qui la portent si elle fait l’effort suffisant. Certes pas bien longtemps, mis il est devenu plus aisé pour elle de le faire. Elle sourit en regardant la plage un peu plus loin où les terraens se baignent.

« Mais ça a l’air agréable à les regarder… Tu en penses quoi ? »

Elle s’est retourné vers lui pour lui poser la question. Elle s’est éloignée de la rive et l’eau a gagné sa chemise, si le bas de cette dernière flotte librement autour d’elle le haut encore sec reste éclatant, contrastant avec l’ébène de sa peau. L’eau s’élève en volute autour d’elle, c’est difficile de maitriser une telle quantité, au moins ne l’a-t-elle pas fait apparaitre. Si le lieu est agréable elle n’a pas oublié le marché qui les a conduit ici, c’est un lieu où il pourra se délasser et elle s’entrainer… Le tout en profitant de la présence l’un de l’autre.

C’est un petit peu étrange que de vouloir être avec quelqu’un sans partager une activité précise, juste pour le plaisir d’être ensemble. Elle se dit qu’elle est heureuse de ressentir cela et de le considérer comme un ami.

Elle aime la sensation de l’eau, son contact avec son élément lui fait du bien… Elle se sent, puissante ? Le terme est un peu fort, mais approprié. Ici elle n’a peur de rien, l’eau a englobé son corps et le protège d’un cocon aqueux devenu chrysalide. Elle reste là où elle a pied pour l’instant. Elle n’a sans doute pas noté qu’il a ôté son tee-shirt, ne l’ayant pas regardé entrer dans l’eau elle l’a tout de même senti approcher… Il perturbe son élément et peut-être qu’il la perturbe un aussi. Elle ne l’admettra pas.

« Tu pourrais ? Ce serait gentil ! »

Elle se retourne vers l’homme et découvre son visage éclairé. Elle le trouve lumineux, mais encore une fois elle n’en dira rien. Les apparences et les goûts qui y sont liés sont des choses personnelles qu’elle ne saurait exprimer… Ou si, elle le saurait. Elle a des mots pour tout, elle trouve des mots pour tout mais… Encore faut-il les laisser franchir ses lèvres souriantes.

« C’est la première fois que je te vois sans ta casquette je crois… Elle a une signification particulière ? » demande-t-elle alors qu’il gagne ses côtés.

Elle sait que l’on s’attache souvent à des détails, infimes et rassurant. Comme ses pagnes qu’elle garde précieusement pour se rappeler chez elle, mais qu’elle ne porte plus car elle n’aime pas que l’on la regarde comme une étrangère. Ses quelques années à Terrae ont fait d’elle une femme cosmopolite. Elle n’aime pas sortir du lot, et n’a jamais aimé cela.

Elle essaie de reproduire les gestes que lui montre le jeune homme. Cependant elle ne s’allonge pas dans l’eau, n’ayant guerre confiance en son pouvoir de flottaison. Bien entendu qu’elle pourrait utiliser son pouvoir. Ce serait aisé mais inutile. A quoi bon tricher quand il s’agissait d’apprendre ? Elle lui avait demandé de l’aide, il semblait logique qu’elle tente de le faire… Mais non, décidément s’allonger dans l’eau pour se laisser porter… Elle n’arrive pas à s’y contraindre.

« J’ai un pagne que j’ai choisi avec ma sœur Adjambo, mais je ne le porte plus. J’ai un pouvoir qui me permet de me perdre à loisir dans mes souvenirs sans les idéaliser... Mais je comprends que cela te permette de te sentir proche de ton aïeul . »

C’est une chose qu’elle apprécie énormément avec son pouvoir, quand elle avait commencé à oublier le visage de sa sœur et de sa mère elle avait été étoilisée. Elle avait utilisé cet afflue de pouvoir pour revoir leur visage, elle s’entrainait même régulièrement pour voir le futur proche de sa jumelle et de sa mère. Cela lui donnait un sentiment de proximité qu’elle ne possédait plus. Elle n’a pas de tels objets transitionnels. Elle garde son pagne, certes, mais ne le porte plus.

Toujours droite dans l’eau, elle reproduit les mouvements de brasse d’Akkiko avec ses bras, lentement, rapidement, elle ne flotte pas ses deux jambes ancrées dans le sol vaseux. Elle sait pourtant qu’elle ne se noiera pas, mais c’est une peur sans fondement que celle de couler. Celle de ne plus avoir d’appuis et de s’enfoncer dans l’eau sans jamais en retrouver la surface. C’est absurde, l’eau est son élément, l’eau ne la blessera jamais. Elle ne mettra pas sa tête dans la gangue aqueuse de peur de s’y enfoncer.