Afya inspire. Expire. Elle n’est pas sensitive. Elle est sensible. Elle sent la détresse des deux femmes. Elle ne la ressent pas. Elle est calme, à l’intérieur. Elle a compris ce qu’il se passait. Elle l’a accepté. Intrinsèquement. Elle est morphe. C’est un fait, pourquoi ? Elle n’en sait rien, mais elle ne lute pas. Elle ne nie pas. Elle est morphe.

Elle encourage la petite en caressant son dos. Elle sent à la réponse d’Ariana que quelque-chose ne va pas et cela l’inquiète. Elle connaît bien la rousse depuis le temps. C’est auprès d’elle qu’elle se réfugie la plupart du temps quand elle ne comprend pas le monde. Quand le monde ne la comprend pas. Elle ne lui dit pas tout. Elle tait ce qu’elle n’accepte pas, ce à quoi elle n’arrive pas à faire face… Lui dit le reste, et l’espagnole fait de même. Alors elle sait rien qu’en la regardant que quelque-chose ne va pas. Ce n’était sans doute pas apparent pour l’enfant cela dit, Aria malgré un ton plutôt morne agissait en adulte, cachant son trouble aux enfants. Les deux femmes ont eu la même éducation.

Elle aimerait la prendre dans ses bras comme elle le fait avec la petite. La rassurer… Mais elle n’a que deux bras.

« Je m’en… Oui j’ai besoin d’aide, tu veux bien couper le chocolat ? »

Occuper les mains de son amie pour vider son esprit. C’était une façon comme une autre de faire face. Elle lui tendit donc les mugs et le chocolat tout en gardant Viviane dans ses bras. Elle sentait confusément qu’une présence la rassurait, elle ne la laisserait qu’à sa demande.

« Ah. »

Elle sait que la présence de Viviane ne devait pas aider le moral de son amie.

« C’est comme pour les griffes je crois, il fait que tu imagines le passé et le futur. Tu les mets dans un sac ! Ton astuce était très bonne elle m’a bien aidée ! »

Elle était vraiment nulle comme prof.

La petite fille blonde n’était pas dupe. Perchée comme elle l’était, elle se rendait bien compte que tout n’était pas rose. Elle voyait bien que ce n’était pas « qu’une » peluche et elle voyait bien qu’Aria faisait tout pour le cacher. Pourquoi les adultes faisaient-ils tout pour lui cacher des choses ? Cependant, elle savait d’expérience que les adultes n’aimaient pas non plus que les enfants leur fassent remarquer leur stupide comédie donc elle joua le jeu et ne démentit pas. Elle se contenta de répondre du haut de son perchoir :

« Je m’appelle Viviane. Enchantée … »

Sobre et direct, il ne faudrait pas trop remuer la shitstorm émotionnelle qui venait à peine de se calmer. Elle regarda la jeune femme un peu plus intensément avant de se rendre compte qu’elle empêchait Afya de préparer son chocolat. Elle ne pensait décidément qu’à elle ! Elle fit signe à l’ivoirienne de la poser pour lui libérer les bras tout en écoutant leur conversation. Elle ne put s’empêcher de sortir un :

« Qui est lol … ? »

Elle se rendit compte assez vite que ce n’était pas le moment d’en parler. Tout dans l’attitude d’Ariana indiquait que c’était un sujet tabou. Toutefois, pour ce qui était du sujet de la voyance, elle s’y connaissait un peu mieux. Bon, elle n’était pas une experte vue que ses pouvoirs n’étaient apparus qu’il y a une semaine, mais les masters l’avaient beaucoup aidée. Elle marcha donc jusqu’à Ariana et s’assit devant elle, avec cette fois un regard plein de bienveillance.

« Moi quand j’avais des visions, je n’arrivais pas à les mettre de côté et plus j’insistais et plus elles revenaient. Alors, j’ai essayé autre chose avec l’aide d’un master. Il faut essayer de se focaliser sur une seule chose, mais ce n’est pas grave si on perd sa concentration. Il faut juste le noter et revenir à l’objet de focalisation. Moi, je crée des gouttes en rythme. »

Elle accompagna la parole d’une petite démonstration. Une petite goutte se forma en l’air et atterrit sur le nez d’Ariana. La petite espérait qu’elle ne s’énerve pas pour ça. Elle tourna la tête vers la jolie flaque d’eau près de la porte et s’empressa d’ajouter :

« Enfin … ça marchait pour les visons, mais pas pour l’ours … Pourquoi j’ai changé de pouvoir ? »

Une idée lumineuse lui traversa l’esprit soudainement :

« Vous pensez que je pourrai devenir une air en fin de compte ? »

Elle acquiesce à sa chère amie. Elle lui sourit, même si le coeur n'y est pas vraiment, même si elle sait qu'Afya voit en elle comme dans un livre ouvert; Elle aimerait être capable de mieux cacher son trouble, surtout pour ne pas inquiéter la petite ; mais le traumatisme est trop lourd, trop présent, et il s'est ouvert en grand. Alors elle lui propose de l'aide. Ca lui occupera le cerveau. Elle suit les instructions d'Afya comme un robot, prenant ce qu'il faut pour le chocolat, mais elle lui lance un regard de pure reconnaissance. Ariana n'a plus trop l'impression de réaliser tout ce qu'il se passe. Par contre, les visions, le passé, le futur, le sac… Elle ne comprend pas. C'est pas physique, ça n'a aucun sens de ranger quelque chose qui n'existe pas dans un sac. Sans doute comme de "ranger ses griffes" ne veut rien dire pour Afya et la petite fille… Elle se rend compte que sa bouche est sèche.

—Ca marche, merci.

La petite se présente, alors elle lui sourit, acquiesce. C'est joli, Viviane. Ca lui fait penser à la dame du lac. Il paraît qu'elle était une fée… Cela étant, lorsqu'elle commence à poser sa question sur Lola, Ariana l'ignore. Comme si la phrase n'existait pas, comme si la question n'existait pas. Viviane se stoppe d'elle-même, et c'est tant mieux. Sa respiration est difficile, mais elle fait de son mieux pour donner illusion. Elle est douée pour ça, mais sans son pouvoir de Morphe, elle se sent un peu trop mise à nue. La goutte qui tombe sur son nez lui tire un demi rire.

—Merci pour les conseils toutes les deux, j'essaierai d'y penser. Pour le sac, tout ça… Tu pourrais presque faire de la musique, avec tes gouttes.

Pas sûr que ça marche. Parce qu'en gros, il faut méditer ? Très peu pour elle, merci. Elle se sent pas capable pour le moment, il faut d'abord qu'elle se stabilise. Un haussement d'épaule lui échappe. Les larmes menacent d'inonder ses yeux ; elle est contente de leur tourner le dos à demi. Sa gorge se serre à la plainte, puis l'exclamation joyeuse de la petite fille :

—Peut-être, lâche Ariana d'une voix blanche. Peut-être qu'on va tous changer d'affinité.

"Définitivement", c'est le mot qu'elle veut lâcher, mais qui la terrorise. Perdre son affinité serait pire qu'un cauchemar. Dans un moment d'inattention et de maladresse, elle se coupe dans le bout du doigt avec le couteau ; un couinement surpris lui échappe, mais elle porte son index à sa bouche par réflexe. Ca fait pas vraiment mal, mais ça saigne toujours beaucoup au niveau des doigts, c'est chiant. Elle fait comme si rien n'était arrivé pour ne pas inquiéter les filles, et rassemble de sa main droite le chocolat qu'elle a déjà mis en morceau.

—Tu aimerais être Air ? demande-t-elle à Viviane. Et toi, Afya ?

Elle dit cela sur un ton léger. Pour penser à autre chose, aider Viviane à se sentir un peu mieux. Mais l'horreur de la situation ne fait que s'imposer à elle, plus fort encore.

Ce qui est beau dans la vie c’est quand les enfants sont meilleurs professeurs que les adultes. En d’autres circonstances Afya aurait sans doute trouvé ça très drôle, la tension de la situation l’empêchait d’éclater de rire. Un sourire cependant naquit sur ses lèvres. Elle trouvait cela touchant, et très juste d’une certaine manière.

Elle fait chauffer de l’eau, elle rajoutera un peu de lait pour donner du goût après. Elle suit les échanges, et une chose finit par lui apparaître. Il faut séparer Ariana et la petite Viviane, sinon elles vont se blesser l’une l’autre. Non intentionnellement, mais Ariana craquera, et Viviane craquera aussi. Tout ça est trop difficile à gérer pour elle, mais qui choisir ?

Elle verrait une fois les chocolats bus, elle se donnait ce répit. Ce temps de réflexion pour savoir qui aurait le plus besoin d’elle ? Passé le choc, elle imaginait que Viviane n’aurait plus besoin d’elle, mais pouvait-on laisser une enfant dans de telles circonstances ? Sans doute pas. D’un autre côté, elle ne pouvait pas laisser Ariana seule. Que c’était compliqué ! Et ce d’autant plus qu’elle ne pouvait pas à son habitude se pencher sur le futur pour savoir quel serait le meilleur choix.

Quand la question fut poser, Afya n’avait que peu écouté le reste de la conversation, tout à ses questionnements intérieurs et contrairement à d’habitude elle ne pouvait pas la revoir. C’était quelque-peu énervant, mais elle essaya de n’en rien montrer et de raccrocher les wagons.

« Je sais pas, je ne me suis jamais posée la question. »

C’était vrai et ce d’autant plus qu’elle ne savait pas quelle question avait été posée en réalité. Elle sourit pour masquer sa gênée, et du y parvenir. Elle fait couler l’eau chaude dans les mugs. Heureusement qu’elle en avait un dans la salle de bain sinon elles n’auraient pas toutes pu prendre un chocolat. Elle versa l’eau chaude sur les chocolats jusqu’à obtenir une pâte et rajouta alors un peu de lait pour délayer avant de tendre la boisson ainsi obtenue aux deux filles. Elle se demandait si elle devait dire quelque-chose comme « à la votre ! » mais ne le fit finalement pas.

« Bon appétit ! » dit-elle, bien qu’il ne faille pas manger le chocolat tiède.

Bon là la petite Viviane était perdue. Elle ne comprenait vraiment rien aux adultes. Ariana avait autant de conversation qu’une pierre tombale et Afya semblait dédier toute son attention à faire son chocolat. Pourquoi elles étaient aussi silencieuses ? C’était super de changer de pouvoir. Elles allaient pouvoir découvrir d’autres choses ! La petite fille qui était venue en pleurant s’émerveillait maintenant en regardant sa main se transformer et se recouvrir de poil. En étant plus calme, c’était bien plus facile à contrôler ! Elle remercia intérieurement la master qui l’avait aidé après son initiation.

La petite anglaise se désintéressas un peu de la conversation vue que personne ne disait rien d’intéressant. L’odeur du chocolat commença à lui chatouiller les narines et elle se souvint qu’elle n’avait pas encore petit déjeuner. Elle accepta donc volontiers la tasse qu’on lui tendit. Elle attendit bien sagement qu’Afya soit prête et commença à boire à son signal. Elle était bien éduquée voyons ! Elle soupira gaiement quand le liquide doux et sucré vint lui réchauffer la langue. C’était une super idée qu’avait l’ivoirienne !

Elle sirota tranquillement tout en jetant des regards à droite et à gauche. C’était un peu trop silencieux. Aryana ne disait rien du tout et Afya semblait plongée dans ses pensées. La petite blonde ne put s’empêcher d’analyser la situation. Elle voyait bien que quelque chose n’allait pas avec la rousse et qu’Afya semblait gênée. Elle tourna le problème dans tous les sens et n’arrivait qu’à une conclusion : elle dérangeait. Elles semblaient toutes les deux amies et elle qui ne connaissait Afya que depuis une semaine s’incrustait parmi elles. Plus le silence durait et plus la petite ne se sentait pas à sa place. Elle voyait les regards fuyants et les émotions qu’ils tentaient de cacher. C’était surement à cause d’elle, c’était toujours à cause d’elle.

Elle se retint une nouvelle fois de pleurer, ce n’était pas le moment de les déranger encore plus avec ses simagrées. Elle rapprocha ses genoux sous sa tasse et se tassa pour se cacher. Elle trempait ses lèvres dans la tasse en broyant du noir, vu que tout le monde ici semblait ne pas vouloir lui parler. Elle allait finir sa tasse et partir poliment. Puis, elle irait dans sa chambre pour évacuer sa solitude. Oui, dès qu’elle aurait fini sa tasse dans un avenir proche, c’est ce qu’elle irait faire.

Encore une fois, elle a tout loupé, pense amèrement Ariana, alors que la petite ignore une fois de plus sa faible tentative pour lancer une conversation. Elle s'efforce ne pas jeter un regard défait à Afya, mais se contente de lui sourire avec un peu de peine. Son coeur se serre au vu de la discussion ; mais quelque part, parler de stupidités est plus intéressant que le silence embarrassant dans lequel les trois eaux s'enferment.

—Moi non plus… Ce serait vraiment bizarre si tout changeait, aha !… Enfin… C'est sans doute temporaire ! Comme quand on avait nos pouvoirs bloqués, la dernière fois, aha…

Ouais, c'est pas très drôle non plus. Elle se souvient de ce moment où Afya et elle se tenaient la main, les larmes aux yeux, inquiètes quant à l'évolution. Elle se souvient de la lueur inquiète dans son regard alors qu'elles se barricadaient dans sa chambre. L'image lui revient soudain devant les yeux, très forte, et elle s'y perd quelques instants. Qu'elles ont changé… Comme c'est étrange, de se revoir de l'extérieur… Est-ce que c'est ça, ce qu'Afya ressentait ?

Perdue dans ses pensées, Ariana attrape la boisson que son amie lui tend, la remercie avec chaleur et lève sa tasse dans un sourire.

—Bon appétit, répond-elle doucement.

Le coeur en miettes, mais avec autant de bonne foi que possible. Et alors que le silence se réinstalle, elle peut voir le visage de la petite se tendre. La rouquine se mord la lèvre, incapable de savoir quoi faire avec elle. De toute manière, à chaque fois qu'elle lui parle, elle l'ignore ou se met à pleurer ; c'est qu'elle ne sait vraiment pas y faire avec les enfants, hein… Peut-être qu'elle devrait les laisser ?

Ariana désigne discrètement Viviane de la tête à Afya ; l'air de lui dire "tu devrais t'occuper d'elle, elle va pas bien". Evidemment, la communication par les yeux ne fonctionne pas aussi bien que ce qu'elle imagine, donc qui sait ce qu'elle va comprendre.

Pour accélérer un peu les choses, Ariana termine vite vite sa tasse (elle est tellement barbouillée que cela n'arrange en rien son état, mais elle déteste gâcher et surtout pas quand il s'agit d'un truc fait par amour avec Afya omg) et s'étire de manière un peu exagérée en baillant.

—Woaaahhh c'était bon Afya, merci pour le chocolat !! Il est bon, hein Viviana ?!

La terminaison en -a est sortie toute seule. Oups. Elle leur fait un grand sourire et s'approche du lavabo pour rincer sa tasse.

—Du bon chocolat, ça règle toujours tout ! Bon, par contre, je suis vraiment, vraiment crevée, donc je vais vous laisser, hein ?! En plus mon chéri m'attend chez les Airs, je venais juste récupérer ma peluche à la base…

… Bon du coup la peluche est en miettes, c'est pas grave, loul. La rouquine pose sa tasse et fait un bisou sur la joue à Afya, avant de récupérer sa peluche. Elle se tourne vers Viviane, arborant malgré l'épuisement cette expression qu'elle se force parfois à avoir face aux autres :

—Reste un peu avec Afya si tu te sens pas bien ok ?! Maintenant que tu as l'air de mieux gérer les transformations, ça devrait aller ! Si vous avez des soucis, je serai dispo demain !! Allez, bonne fin de nuit à toutes les deux, je retourne me pieuter !!

Et elle disparaît par la porte et la referme derrière elle, perdant son sourire à la seconde où elle se retrouve seule dans le couloir. Le coeur battant, elle inspire et ferme les yeux très fort, serrant les dents. Elle a vraiment été nulle. Inutile. Un vrai boulet. Autant partir et laisser gérer Afya, elle n'a rien à faire ici, de toute manière.

Avant de retourner voir Allen, elle reste un moment toute seule dans sa chambre pour se calmer, jetant sa peluche toute déchirée dans un coin. Il y avait plus important. Et elle voulait juste, pour l'instant, que ces foutues visions cessent.

La petite se renfermait. Ariana se forçait à être Ariana ? L’ivoirienne connaissait bien trop son amie pour s’y tromper ou pour ne pas comprendre le regard qu’elle lui avait fait. « Occupes-toi d’elle, elle est plus fragile. » C’était le genre de personne qu’était l’espagnole, faire passer les autres avant elle… Et l’ivoirienne était du même bois, malheureusement pour elles-deux. Elle lui sourit alors qu’elle s’en allait. Se leva et la pris dans ses bras pour lui faire une bise et lui glisser.

« On se retrouve demain pour rire de la situation quand tout sera rentré dans l’ordre ? »

Elle ne pouvait pas plus se tromper, mais l’avenir lui était fermé alors elle ne pouvait qu’espérer que tout rentrerait au plus vite dans l’ordre. L’équilibre était souvent précaire pour son amie et si elle remontait la pente, le moindre imprévu pouvait tout fiche en l’air. Elle avait très peur de retrouver la belle Ariana dans les choux comme l’année passée, mais elle lui faisait confiance. Si ça n’allait pas elle n’hésiterait pas à venir lui parler.

Elle relâcha son amie et alors que cette dernière partait se retourna vers la petite avec un sourire doux, celui des adultes qui se préoccupent des enfants mais ne savent pas forcément comment les aborder.

« ça te dit de rester avec moi cette nuit ? Enfin, une fois que j’aurais rangé un peu... » dit-elle en désignant les draps éventrés par ses griffes et son manque d’attention.