Elle avait vraiment fait n’importe quoi l’autre jour. Elle était tellement paniquée par ses pouvoirs de transformation et sa tête d’ourson qu’elle avait complètement détruit la peluche d’Ariana. La petite fille, malgré son jeune âge, avait bien compris qu’elle avait fait une grosse bêtise. Cette peluche qu’elle avait abîmée devait être très importante pour elle et la seule réaction qu’elle avait eu avait été de fuir. Elle se sentait misérable en un sens de ne pas avoir trouvé le courage d’affronter sa faute, mais maintenant elle l’avait trouvé.

Tandis que Terrae s’enfonçait dans le n’importe quoi depuis l’Eclipse. La petite fille était partie en quête d’une peluche. Ce n’était pas trop une période pour le shopping, des gens se téléportaient au hasard au milieu de la rue, parfois habillés et parfois non. Elle voyait des gens pleurer dans des coins de rue sans vraiment savoir pourquoi. Depuis que les pouvoirs avaient permuté, la petite Viviane entendait de plus en plus d’histoires étranges. Elle avait même entendu dire qu’un garçon était allé épier les filles sous la douche en utilisant son invisibilité. Non, mais quel voyeur ! La petite se jura intérieurement de ne jamais avoir affaire avec de si grossiers personnages.

Elle ignora donc les cris de surprises et les hurlements d’animaux pour commencer sa petite balade. Elle explora un petit peu les boutiques qui ne contenaient malheureusement pas ce qu’elle recherchait. Elle cherchait et cherchait encore sans rien trouver. Ils n’avaient donc rien à Terrae ? Même un centre commercial lui aurait suffi. Plus elle se promenait et moins elle voyait de boutiques.

Elle tourna en rond désespérée avant de réaliser quelque chose de très important : elle n’avait pas un rond. En effet, elle était trop habituée à l’opulence, bien qu’elle ne soit pas pourri-gâtée, elle n’avait jamais eu d’argent de poche. Bon, il est vrai qu’à dix ans c’était peut-être un peu trop tôt. Ses parents ne lui avaient rien donné, déjà qu’ils avaient été un peu obligés de la laisser partir sous peine de la voir mourir à petit feu. Elle était vraiment maudite ! Las de cette promenade sans but, elle finit par rejoindre un banc pour y déprimer comme à son habitude, s’autoflagellant mentalement pour son plus grand malheur. Un nouveau sensitif qui passait par là se mit à pleurer comme une madeleine, encore un fragile …
Elle marmonna pour elle-même :

- Comment je pourrais me faire de l’argent si je ne peux pas travailler ?

Bon, franchement... C'est plutôt pas trop mal tout ce bordel provoqué par l'éclipse vous ne trouvez pas ? Avec toutes ces initiations et ces changements de pouvoirs à gérer, les masters sont complètement débordés ! Autant dire que leurs bonnes intentions de "blablabla on va faire de la prévention contre les drogues et on va faire gaffe à la production et à la vente au sein de Terrae", eh bien elles sont totalement tombées à l'eau ! Plouf.

Et depuis hier, je commence à réussir à prendre conscience de mon corps et de son apparence. Enfin, autrement que juste "youpi j'ai un bras, des jambes et des abdos !". Non, ce que je veux dire, c'est que je commence à sentir comment fonctionne ce satané pouvoir qui était jusqu'à présent réservé aux solaires. Au lieu de me concentrer sur la présence des autres comme il était nécessaire de le faire avec le marionnettisme, il suffit de me concentrer sur moi-même. Bon, c'est facile à dire ok et la pratique reste incertaine, mais au moins je capte les bases théoriques. Disons que la progression est en bonne voie. Bref, les choses se déroulent pas trop mal pour moi en ce moment. Après la chute libre connue ces derniers mois, on dirait bien qu'il y a une légère accalmie.

Plutôt libre de mes mouvements actuellement, je continue toujours à faire gaffe à toutes mes activités borderline tout en envisageant quelques expansions qui pourraient rapporter plus gros. Il faut absolument que je réussisse à profiter de ce moment de répit pour me préparer pour le moment où tout rentrera dans l'ordre. Ou du moins pour le moment où les emmerdeurs de première recommenceront à avoir suffisamment de temps pour me garder à l’œil. C'est comme ça que j'en suis venu à me faire une après midi repérage dans les boutiques, à la recherche de tout objet pouvant me faciliter la vie.

Après deux bonnes heures passées dans les boutiques du coin, je finis par me dire qu'il est plus que temps de rentrer. Parce qu'au beau milieu de mon emploi du temps bien chargé, il y a les cours qui essaient de se faire une petite place. Ouais, cette année je suis bien décidé à décrocher mon diplôme !! Mais on dirait bien que le destin ne veut pas me laisser le temps de bosser sur ce dossier à rendre pour la semaine prochaine, puisqu'en repartant, bien décidé à rentrer à l'Institut, j'aperçois une petite tête blonde bien connue qui a l'air en pleine déprime toute seule sur son banc.

Non, je ne suis pas le genre de mec qui va essuyer les larmes des gamines qui ont un gros chagrin (dont j'ignore totalement l'origine). Et encore moins m’apitoyer sur leur sort. Mais Viviane, ce n'est pas n'importe quelle gosse. Et pas seulement à cause de son côté fragile, mignon ou je ne sais quoi d'autre. Non, disons que depuis quelques temps elle m'est plutôt utile. Intelligente et pas si empotée qu'on pourrait le croire, elle fait partie de mes solutions en préparation pour le cas où les masters voudraient me surveiller de trop près. Mais évidemment pour ça, une relation de confiance est indispensable. Bien sûr que je ne lui ai jamais dit quels projets j'ai en tête pour elle.

- "Bah alors, c'est quoi cette tête toute triste ? Allez, raconte, qu'est-ce qui t'arrive ?"

Après l'avoir saluée d'un indexe "affectueux" qui vient rebondir sur le haut de son front, je m'installe sur le banc à côté de la petite miss. Je crois bien avoir capté un bout d'explication en m'approchant, mais j'ai très envie d'avoir sa version avant. Et comme je suis quand même un mec hyper responsable, j'arrive même à me raviser d'allumer une clope, remettant ce paquet de cigarette dans ma poche à peine après l'en avoir sorti. Tu vois, il n'y a aucune raison de s'inquiéter !

Les pensées tournaient, virevoltaient, s’entrechoquaient sous le petit crâne de la fillette. Un joli capharnaüm de regret et de doute lui donnait mal au crâne. Tout ce tourbillon l’entrainait un peu plus vers la déprime. On dirait bien qu’elle n’avait pas encore assez murit pour arrêter de se culpabiliser de la sorte. Elle n’avait pas besoin de juge la réprimander, elle y arrivait bien toute seule, c’était là son plus gros problème. Une étape qu’elle n’arrivait pas à franchir, tout du moins pas toute seule.

C’était peut-être un coup du destin, mais tandis qu’elle s’autoflagellait mentalement, la seule personne qui arrivait à la faire déculpabiliser venait de se rapprocher. Ce Tiago avait un effet étrange sur Viviane. Dès leur première rencontre elle avait « emprunté » une paire de gant, mentit à un professeur et dégrader une blouse, bon ça c’était sa faute. Toutes ces actions, elle ne les aurait pas faites d’elle-même, beaucoup trop risquées … Cependant, les encouragements de Tiago l’avaient poussée à les commettre sans remords. Ce n’était pas non plus grand-chose, mais c’était à l’opposé de la conduite sage et réfléchie qu’elle avait d’habitude. Elle l’avait revu depuis, pour des cours de chimie. Elle adorait ces moments où elle était libre de découvrir à son rythme et puis voir la tête de Tiago complètement crevé à la fin du cours, après avoir été assailli de questions valait tout l’or du monde.

Le jeune homme la sortit de ses pensées d’une simple pichenette sur le front. La petite, surprise, se couvrit la zone du choc avec sa main d’un air surpris. Son visage ne marqua pas vraiment d’émotion autre qu’un « oh c’est toi » un peu déprimé. Elle le regarda droit dans les yeux lui transmettant une certaine détresse, avant de recommencer à regarder ses pieds avec insistance. Elle soupira, tandis que le jeune homme prenait place près d’elle. Devait-elle se confier à lui ? Il n’était pas vraiment LA personne de confiance dans son entourage. Enfin, ce n’était pas comme si son entourage était bien étoffé à Terrae. Elle prit quand même le risque …

« Et bien … avec l’éclipse mon pouvoirs à changer quelque peu … »

Le visage de la jeune fille se transforma pour prendre l’apparence d’un petit ourson blanc. Elle resta comme quelques secondes avant de reprendre son apparence, de toute façon elle n’arrivait pas à faire mieux pour l’instant.

« … et du coup pas j’ai cassé quelque chose d’important pour une fille … je ne voulais pas … mais je ne savait que faire avec mon corps d’ours … »

Elle s’était tue un instant avant de reprendre d’une voix plus assurée :

« Du coup je veux lui en offrir une peluche pour la remplacer ! »

Elle marqua une pause, car c’était le moment où elle arrivait au vrai problème.

« Mais je n’ai pas un sous »

Eh bah, ce n'est franchement pas la grande forme ! Entre cette attitude toute molle et ce regard de chiot abandonné, je m'attendrais presque à ce qu'elle me dise s'être fait voler son doudou. Et même si ça ne me plait pas de masses de la voir dans cet état, je suis suffisamment insensible à la tristesse ambiante pour ne pas montrer la moindre émotion, attendant simplement une explication. Ah oui, l'éclipse. Elle fait chier tout le monde celle-là. Même si je ne peux m'empêcher de sourire en voyant la tête d'ourson apparaître à la place du visage de la gamine.

Bon, ce n'est pas très grave de prendre une tête d'ours. En plus, ça lui va bien. Surtout si elle commence à suffisamment maîtriser pour le faire selon ses envies. Mais évidemment, ce n'est pas vraiment ça le problème. Et la suite, je ne m'y attendais vraiment pas. Elle veut vraiment offrir peluche pour se faire pardonner ? Pourtant, une fois de plus, les belles intentions ne m'atteignent pas du tout. Bah, je pourrais tout à fait lui filer un billet pour qu'elle aille acheter ce jouet et qu'elle arrête de pleurnicher. Ce n'est sûrement pas ce qui va me ruiner. Mais ce n'est pas mon genre. En plus avec les gamins on ne sait jamais, je ne voudrais pas que ça devienne une habitude qu'elle vienne me taxer avec des yeux larmoyants à chaque nouvelle connerie. Surtout quand j'ai une bien meilleure idée en tête.

- "Pas d'argent. Comment ça s'fait ? Tes parents ne te donnent pas d'argent de poche ? Ou tu as déjà tout dépensé ?"

Je sais bien qu'en étant à Terrae, il y a une chance sur deux pour qu'elle s'effondre en larmes pour de bon en me disant qu'elle a perdu ses parents et qu'elle n'a plus personne pour lui envoyer de fric. Mais ce n'est sûrement pas ce qui va m'empêcher de poursuivre sur un même ton toujours dénué de toute émotion.

- "Ici il y a deux façons de régler ton problème d'argent. Travailler, mais à ton âge il n'y a pas grand monde qui risque de te filer du boulot. Et de toute façon, t'as intérêt à continuer à aller à l'école encore longtemps. Ou t'arranger pour que les adultes acceptent de t'en donner."

Le regard parfaitement sérieux, je suis tout en fait dans mon rôle de monsieur bons conseils.

- "Moi, je ne donne rien aux pleurnicheuses. Mais, on dirait bien que t'as de la chance aujourd'hui. Parce qu'il se trouve que j'ai pas mal de boulot qui m'attend et que j'aurais bien besoin d'un coup de main. Alors, si tu m'accompagnes et que tu fais bien tout ce que je te dis de faire, je pourrais te donner bien assez pour pouvoir acheter une nouvelle peluche à ta copine."

On m'a toujours dit que plus les gamins comprennent tôt que l'argent ne tombe pas du ciel, mieux ils s'en sortent une fois adultes. Évidemment, il ne s'agit pas de leur demander de faire de la manutention à dix ans, mais s'investir à hauteur de leurs capacités pour gagner quelques billets, c'est une pratique plutôt courante de là où je viens. Et ça tombe bien, ce que j'ai à faire est typiquement le genre de job qui est habituellement confié aux petites têtes blondes.

- "Qu'est-ce que t'en dis ? T'es prête à quitter ton banc pour m'aider ?!"

Bon à vrai dire elle ne s’attendait pas à ce que Tiago est amélioré ses compétences en psychologie en un mois, mais bon sang, comment pouvait-on être si insensible ? Ou alors c’était elle qui en faisait trop pour pas grand-chose, ça ne serait pas la première fois … Elle avait l’habitude de se faire disputer pour ça avec ses parents. Ces parents … leur seul mention assombri le visage de la jeune fille. Non, elle n’allait pas pleurer pour eux, jamais. Le manque d’empathie de Tiago n’était rien à côté du leur. Evidemment qu’ils lui donnaient de l’argent, mais non seulement elle n’y avait pas accès parce qu’elle avait 10 ans et surtout elle ne voulait pas y toucher. C’était sa faute, à elle de se faire pardonner. Elle regarda le jeune homme avec un regard plus appuyé, voir même avec un peu de colère.

« Non, ils ne me donnent rien. »

C’était un mensonge, ce qui était rare chez elle, mais elle n’en était plus à un bobard près avec lui. Toutes façons, elle voyait clairement qu’il s’en fichait royalement. Elle avait déjà l’impression d’avoir mis le pied dans un nid de serpent et la suite lui donna plus ou moins raison. Elle savait bien qu’elle ne pouvait pas travailler à son âge, ou alors elle connaissait mal la loi japonaise. Elle failli se fendre d’un « Beinh voyons … » quand le jeune homme lui expliqua la dernière façon de gagner sa croûte. Elle lui jeta un regard ironique avant de lui lancer un :

« J’imagine que tu connais des adultes dans le besoin ? »

Bien évidemment elle avait deviné juste. Il la prenait peut-être pour une gamine, mais elle voyait clair dans son petit jeu. Cependant, même si elle savait qu’elle se faisait manipulée, elle avait bien besoin de cette argent et Tiago avait déjà tenu ses promesses par le passé. Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle lui faisait confiance, mais il était ce dont elle avait besoin à cet instant. Elle lui jeta encore un autre de ses regards ironiques comme pour lui dire qu’elle voyait clair dans son petit jeu, ce qui ne l’empêcha pas de répondre :

« C’est d’accord, mais cette fois je ne volerai rien du tout ! »

Bon à vrai dire elle n’y croyait pas elle-même. Sauf si c’était vraiment grave, elle serait capable de retourner dans cette réserve pour piquer la paire de gant si besoin. Elle se sentait plus mal auprès d’Ariana qu’auprès des institutions de Terrae. Elle se leva du banc en un bon, s’étira un peu, profitant du mouvement pour se sortir de son état dépressif. Aller, encore une après-midi avec ce chacal qui allait lui faire faire dieu seul sait quoi et elle pourrait payer sa dette morale. Elle se retourna ensuite vers lui le regard plus assuré :

« Et en quoi consiste ton travail au juste ? »

Au moins, elle ne se met pas à chialer. Une simple réponse comme quoi ses parents ne lui filent pas de fric. Ce qui n'a d'ailleurs pas l'air de lui plaire des masses. Parfait, ça m'arrange bien. C'est toujours plus simple de convaincre des gamins en manque de thunes que ceux qui réussissent déjà à extorquer de l'argent de poche à leurs vieux. Je vois bien que ça ne l'enchante pas des masses, mais elle ne doit pas avoir de meilleure solution sous la main, puisqu'elle fini par accepter ma proposition. Non sans y mettre ses conditions. Ce qui réussi à me faire sourire.

- "T'inquiète, tu n'auras rien à faire de tel cette fois."

Même si qualifier l'emprunt d'une paire de gant de "vol" est probablement excessif, je ne vais pas entrer dans ce débat maintenant. Elle est d'accord et ça fait bien mon affaire, autant en profiter. Je me redresse de ce banc à la suite de la petite miss qui parait sortir quelque peu de cet état de déprime dans lequel  je l'ai trouvée.

- "Je t'expliquerai sur le chemin, on est déjà en retard, mais avant ça, regarde moi." Je me tourne pour faire face à Viviane, sans faire le moindre effort pour réduire l'écart de taille entre nous. "Je n'veux plus de cet air triste sur ton visage."

Parce que je n'ai pas envie qu'on vienne à penser que je la force à quoi que ce soit, ne va pas croire que c'est une façon d'essayer de me montrer sympas. Je lui trouve déjà une solution à son problème d'argent, ce qui est bien assez ! Un rapide coup d’œil à ma montre, effectivement, on est en retard. Je me met donc en route, remontant l'allée principale encore bien fréquentée à cette heure-ci. Je ne fais d'ailleurs pas plus attention à la taille des jambes de mistinguette. Enfin si, j'ai bien conscience qu'elle doit faire le double de pas pour réussir à maintenir la même vitesse que la mienne, mais je suis sûr qu'elle peut tenir le rythme.

- "Là, on va avoir un simple rôle de vendeurs. On va retrouver des gens que je connais qui ont commandé certains articles un peu spéciaux."

Je fais évidemment bien attention à ne pas donner trop d'infos sur ces fameux articles. Même si connaissant Viviane, je me doute que la question ne va pas tarder à fuser. Alors je poursuis sur ma lancée sans lui laisser le temps pour ses interrogations, tournant dans une ruelle bien vide en comparaison de l'allée que l'on vient de quitter.

- "Pour cette fois, tu ne vas pas avoir grand chose à faire. Tu vas rester avec moi et bien regarder comment une vente se passe. Ce n'est pas compliqué mais il y a quelques règles à respecter pour éviter les problèmes. Donc, tu observes, ensuite on débriefe et tu me poseras tes questions. Après ça, on ira ensemble au second rendez-vous et là, tu me montreras ce que t'as retenu. Si tout se passe bien, tu pourras avoir ton argent à la fin de tout ça. Ça t'va ?"

C'est vraiment du fric facilement gagné ! Mais je préfère que tous ces types aient bien conscience que cette adorable gamine est avec moi avant de la lâcher dans les rues en possession de quoi que ce soit ayant un minimum de valeur. Quoi que tant qu'elle est capable de se transformer en ours, elle ne devrais pas avoir trop d'ennuis...

La petite fut un peu rassurée quand il confirma qu’elle ne volerait rien cette fois. Ce n’était pas synonyme de tranquillité, Tiago pouvait bien lui demander de faire pire. Elle attendit patiemment qu’il développe un peu, changeant progressivement son visage pour paraître plus assurée. On risquait de venir les déranger si elle se mettait à pleurer encore en plein milieu de la rue. Elle fit donc tout ce qu’elle pouvait pour se calmer et cela devenait plus facile maintenant qu’elle entrevoyait une lueur d’espoir.

Tiago en profita pour démarrer comme une fusée, laissant la petite un peu étonnée avant qu’elle lui court après. Il avait conscience que ses jambes mesuraient la moitié des siennes ? Tandis qu’elle s’essoufflait pour le suivre, il cracha enfin le morceau. Il voulait qu’elle devienne vendeuse, une vendeuse d’articles « un peu spéciaux » ? Il avait pensé juste car la question de Viviane fusa presque instantanément … avant qu’elle se rende compte qu’elle n’arrivait plus à respirer à cause de sa course. Le temps qu’elle retrouve son souffle, il avait déjà enchaîné sur la suite. Un point pour lui, il s’en tirait bien, mais attendons le prochain round.

Il lui expliqua ce qui allait se passer et rien ne sembla étrange à la jeune anglaise, à cela près qu’il avait parlé de problèmes ? Elle était là l’anarque ? Viviane jaugea rapidement la situation, techniquement elle pouvait toujours assister à la première venter pour de quoi il retourne et se désister pour la seconde si c’était à la limite de ses principes. Elle voyait bien qu’il lui cachait des informations et voulait en savoir plus avant de signer avec son sang. Elle était de toute façon bien incapable de lui répondre essoufflée comme elle l’était.
Elle le suivit donc sans rien dire, reprenant son souffle quand elle le pouvait. Il fallait vraiment qu’elle fasse plus de sport. Peut-être qu’en se transformant … non un ourson blanc et un homme aussi louche ne passerait pas inaperçu. Elle ne voulait pas qu’on la voit trop souvent avec lui, ne serait-ce que pour garder ses cours particuliers. La course finit enfin par s’arrêter ou tout du moins ralentir, question de point de vue. La petite fille se plia en deux, les mains sur les genoux pour reprendre son souffle. Son stock de question commençait à déborder, mais il fallait faire un peu de tri pour le moment. Elle commença donc à parler entre deux respirations :

« Tu pourrais … marcher … moins vite … la prochaine fois ! »

Elle arrivait de mieux en mieux à respirer. Elle finit donc par retrouver son souffle et demander :

« Alors où est cet acheteur ? »

Elle n’avait pas répondu à la question de Tiago qui lui avait demandé si les conditions lui allaient. Elle préférait ne pas s’engager tout de suite ; sait-on jamais.

Bien, elle suit correctement. Oh, je n'avais pas grand doute à ce sujet, mais il fallait bien que je trouve un moyen de focaliser son attention ailleurs que sur ses jérémiades précédentes. Maintenant, je sais qu'elle est dans de bonnes dispositions pour la suite ! En plus, elle pose directement la bonne question ! Sans s'attarder sur les détails futiles auxquels je me serais attendu venant d'elle. Un nouveau sourire vient étirer mes lèvres, ignorant totalement sa première demande.

- "Si j'te le dis, tu risques de le dévisager et ça s'fait pas." Non pas pour de stupides raisons de bonnes manières, mais parce qu'il y a un certain code de discrétion à respecter. "Contente-toi de marcher à côté de moi comme si... Bah comme si tu n'avais aucune idée de l'endroit où on allait en fait. Et n'oublies pas. Tu observes bien ce qui se passe."

Je ralentis effectivement le rythme alors qu'on arrive à hauteur de quelques entrepôts qui doivent servir aux boutiques du coin. Mais la raison n'est pas la voix essoufflée de Blondinette. Non, on est bien arrivés à destination. Et moi, je sais où il est notre client. Nonchalamment adossé à l'un des murs en tôle, occupé à fumer une clope, il se redresse légèrement alors qu'on arrive à sa hauteur. J'adresse un dernier regard à la miss avant de reporter mon attention sur le type tout de noir vêtu, on ne peut plus louche, qui ne parait pas hyper sûr de lui. D'ailleurs, il ne perd pas de temps pour exprimer ses doutes, détaillant d'une air sceptique Viviane.

- "Qu'est-ce qu'une mioche fout ici ?"

- "Pour l'instant, elle apprend."

Je réponds avec cet air supérieur que j'aime tant, gardant pourtant un volume sonore suffisamment bas pour éviter d'être entendu par de possibles oreilles indiscrètes, je pose une main sur le sommet de la tête de la mioche en question. Évidemment qu'il allait poser la question, ce qui m'arrange bien. Si j'arrive à mener correctement ce plan, bientôt, voir cette petite tête blonde trainer dans ce genre d'endroit ne devrait plus étonner les junkies.

- "Donc, c'est encore à moi que tu as affaire."

Tout en faisant cette déclaration, je passe discrètement ma main droite dans le revers de ma veste pour attraper le sachet qui m'intéresse, mon interlocuteur y répondant naturellement en un geste similaire, avant qu'on en vienne à se serre simplement la main, comme si nous nous contentions de nous saluer.

Sans attendre davantage, je passe un bras autour des épaules de la petite demoiselle (plus ou moins, compte tenu de la différence de taille...) et je me remet en marche. Ce geste a autant pour vocation de m'assurer qu'elle ne reste pas bloquée sur place pour je ne sais quelle raison, que d'afficher très clairement une certaine proximité qui doit être interprétée comme une protection de ma part. Avec ça, je peux être assuré qu'il en aura parlé à tous ses potes du milieu d'ici la fin de la journée. Parfait. Ce n'est qu'après avoir fait quelques pas que je la relâche, reprenant une distance plus correcte.

- "T'as compris ? C'est comme... Un simple tour de passe-passe. Nous, on leur fourni de quoi s'amuser et eux filent le fric. Rapide. Efficace. Et on se barre sans perdre plus de temps."

Bien sûr que la nature de notre petit échange doit maintenant lui paraitre clair. Enfin, j'imagine. Il faut avouer que j'ai toujours grandi dans ce milieu, je ne sais pas à quel point les gosses "normaux" peuvent être innocents. Quoi qu'il en soit, je m'arrange toujours pour lui présenter les choses de la façon la plus légère qui soit. J'ai bien conscience qu'elle peut toujours décider que ce n'est pas conforme à ce qu'on a dû lui enseigner sur le sens moral de la vie.