Elle n'a pas peur... Elle a vécu pire... Je l'écoute en silence m'expliquer ses sentiments, ce qui la pousse. Je l'écoute aussi tenter de me rassurer, me donner sa vision des masters et de ce qu'il devrait faire selon elle. La tête toujours baissé, les yeux rivés au sol, j'écoute simplement, en silence. L'idée de parler ne me vient même pas, alors que tout le monde s'accorde sur mon statut d'incorrigible bavard. Ses mots me touchent, mais résonnent étrangement à mes oreilles. Ils ne sonnent pas faux, mais je me souviens encore ce qu'elle a dit sous le coup de l'énervement... "C'est pas ma faute si tu sers à rien"... D'une certaine manière, même sans qu'elle est forcément conscience, si elle l'a dit sous le coup de l'émotion, c'est que quelque part elle le pense. Pourtant l'écouter m'apaise pour le moment. Un fin sourire étire même mes lèvres.

-Ça me touche ce que tu dis, vraiment... Plus que tu ne peux l'imaginer...

J'inspire un grand coup, relève un peu la tête pour accrocher quelques fragments de ciel de mes prunelles puis reprends la parole, le menton posé sur mes mains.

-T'as de la chance de pas avoir peur tu sais... Car moi je suis mort de trouille je crois. Pas des gens, les gens me font pas peur. Pas de l'éclipse non plus, ça donnera ce que ça donnera. Mais... J'ai peur qu'après tout ça... Quelque chose se casse à Terrae, que rien ne soit plus comme avant.

Un rire nerveux m'échappe. Mes propres mots m'amusent maintenant hein ? Sûrement parce que je dis que de la merde surtout. C'est le comble pour un voyant d'avoir peur des conséquences de quelque chose... Jusqu'au bout j'assure pas décidément ce soir.

-C'est vrai... Je fais ce que je peux à mon échelle... Mais ce n'est jamais assez! Ce n'est jamais suffisant! Il... Il se passe toujours trop de trucs ici! Des trucs que même nous nous ne pouvons pas gérer. Sauf qu'on est blâmé dès les premières conséquences parce que, étant les membres les plus puissants de Terrae, on doit avoir la solution, on doit pouvoir sauver tout le monde, on doit pouvoir intervenir! C'est notre job! C'est pour ça qu'on est là! Et en fait... Tu sais pourquoi je t'envie ? Parce que tu es mille fois plus libre que moi de faire ce que tu veux! Mon statut me prive de toute liberté! Je ne peux pas agir comme bon me semble. Ne prends pas les choses dans le mauvais sens hein, j'adore être master, j'aime ce que je suis et ce que je fais. J'ai juste découvert que... c'était beaucoup de contraintes, très peu de marge de manœuvre, et encore moins de reconnaissance. On cristallise la haine des gens ici pour le moindre problème... Tu as raison, je suis jeune. J'étais peut-être trop jeune quand je suis passé master... Mais tout ce... ces mauvaises ondes... C'est dur à prendre. Franchement.

Je ne peux pas être parfait oui... Mais je dois l'être au maximum. Je n'ai pas droit à l'erreur ici, je n'ai pas le droit de me tromper. Vous imaginez les conséquences ? Vous imaginez si je ne parviens pas protéger quelqu'un ou à faire correctement mon job ? Qu'est-ce que je deviendrai ?

-Je suis le plus jeune des masters... je dois constamment faire mess preuves, je ne peux pas me permettre de flancher! Si on me retire ça, je ne serai plus... Hum... Je suis déjà un moins que rien parmi les masters, je suis déjà en dessous du lot... Alors Je dois assurer! Je n'ai pas le choix.

C'est à mon tour d'avoir les larmes aux yeux. Je ne m'en étais même pas rendu compte tiens. J'essuie mes yeux d'un geste rageur avec ma manche, tournant la tête à l'opposé d'Aria pour ne pas être vu. Manquerait que ça tiens...

-Tes conseils marchent aussi pour toi hein... Qu'est-ce que ça fait si les gens s'inquiètent de savoir que tu peux parfois être calme et pensive ? Envoie-les chier! Amis ou pas! Comme ça ils sauront! T'as le droit d'être ce que tu veux sans pour avoir à te soucier des autres...

Un détail me frappe alors, quelque chose d'évident mais qui n'avait pas tout son sens malgré tout pour moi. Je prenais ça pour une fantaisie quelconque mais...

-C'est pour ça que tu te déguises ? Parce que tu ne veux pas qu'on s'inquiète pour toi ou te fasse la morale ? lui demandais-je cette fois en la regardant du coin de l’œil, un sourire amusé au coin des lèvres.

J'ai dû l'agacer alors avec mon discours de master à deux balles. Un jour, j'apprendrai à la fermer... Ou à l'ouvrir tout simplement quand il faut...

Ariana inspire longuement alors qu'elle termine son long discours. Elle ne sait pas bien où elle voulait aller non plus, mais rassurer Akihiko semble au moins avoir eu l'effet escompté. Elle lui renvoie le même type de sourire que lui : léger, apaisé, mais aussi un peu attristé. Elle incline la tête, lâche seulement :

—J'ai peur aussi, tu sais. Ce n'est pas parce que je n'ai pas peur d'eux que je n'ai pas peur du reste. Et même si ça m'angoisse, j'y vais quand même. Ou du moins, j'essaie. (Elle marque une pause.) Mais je comprends ta peur. Moi, j'essaie de croire qu'on pourra tout reconstruire ensemble. Il faut juste y mettre du sien, tous ensemble.

Elle pose sa main sur la sienne dans un geste de réconfort, et le laisse continuer sagement. Il se passe toujours trop de choses, ça, c'est bien vrai. Honteusement, Ariana baisse les yeux. Elle comprend qu'elle est allée trop loin tout à l'heure ; les Masters font de leur mieux, après tout. Tout ne peut pas aller si vite tout le temps. Son coeur se serre alors qu'elle comprend à quel point Akihiko est blessé par tous ces on-dit, par ces reproches, ces critiques incessantes. Elle le comprend tellement.

—Pourtant, vous représentez aussi un espoir. Je pense qu'il y a une majorité de personnes qui vous admirent, qui sont heureux de ce que vous faites. Mais c'est plus facile pour les gens de se concentrer sur ce qui n'est pas fait que de voir tout le travail accompli. En quelques années, je trouve qu'il s'est passé plein de choses à Terrae, et que les Masters font vraiment de leur mieux. Ca ne veut pas dire que vous êtes parfaits. C'est normal aussi d'être mécontents, je pense, mais… Je pense aussi sincèrement que vous représentez un idéal pour des gens cassés. Si l'idéal échoue, alors à quoi peut-on se raccrocher ?

Ses yeux se lèvent vers le ciel dégagé, puis ouvre de grands yeux surpris à son ton un peu larmoyant. Elle reprend la main d'Akihiko dans la sienne pour la serrer, inquiète.

—Pourquoi tu dis que tu es un moins que rien ? chuchote-t-elle, attristée.

La mâchoire serrée, elle baisse les yeux, puis les relève vers lui. Elle se tourne plus franchement vers lui sur le banc. Sourit faiblement.

—Je ne peux pas les envoyer bouler, ou rester trop calme, ou distante, ou je sais pas. Sinon, ils me laissent toute seule ou m'oublient derrière, et je n'existe juste plus. (Son rire est mouillé.) Pour la question du déguisement… C'est un peu des deux. Et aussi parce que… être morphe me manque. Je n'aime pas trop être juste moi. C'est vraiment débile, hein ?

Faire de notre mieux... tous ensemble... Un soubresaut amusé agite mes épaules une courte seconde, les yeux toujours plongé sur le sol de la cour. Je suis tellement de son avis, je suis tellement d'accord avec elle. C'est sûrement pour ça que ça me fait mal, parce que moi, j'ai encore du mal à y croire. Ou trop prisonnier que je suis de mes petits problèmes, j'ai du mal à voir au-delà et à imaginer que des gens puissent effectivement travailler ensemble.

-Tout le monde est pas con... C'est vrai. Peut-être qu'il y a encore de l'espoir pour ces imbéciles, dis-je en désignant d'un coup de menton la direction dont elle venait.

J'y croyais moyen pourtant. Même elle doutait des masters, peu importe combien elle se rattrapait, elle l'avait dit, je ne pouvais m'empêcher d'y penser. La plupart des gens ici sont adultes mais ils attendent qu'on vienne les gérer nous-mêmes. Les gosses encore ok, les ados à la limite... Mais quand t'as plus de 18 ans démerde quoi! T'as pas besoin d'être baby-sitter! La plupart ont vécu des choses horribles avec leur vide, mais ils savent toujours pas se prendre en main. Tsss. Ouais ouais je sais, je deviens injuste là... Mais c'est vrai aussi bon sang! Si on ne leur dit rien, ce n'est pas par volonté de les tenir éloigner, mais parce qu'on ne sait rien!!

-Un idéal ? répétais-je, éberlué.

Oui... j'imagine... je voyais les masters comme ça quand j'étais jeune mais... j'avais 10 ans à l'époque!

-C'est ridicule... On est puissant, c'est vrai, mais on est pas des Dieux ou quoique ce soit, on reste des humains. On a rien de parfait, c'est stupide de penser ça, crachais-je presque, les poings serrés.

Surtout moi... l'éternel bon dernier. Plus fort qu'on master, mais toujours dernier quand même. Je ne vois quel genre d'idéal on peut représenter. La puissance ? Gérer Terrae ? Pfff, il suffit de voir les périodes de crises pour comprendre qu'il tout bon sauf d'être master dans ce genre de cas. Servir de bouc émissaire est pas un choix de carrière évident.

-Et lorsque l'on a autant de responsabilités, seules nos erreurs comptent j'ai l'impression. Regarde l'autre gars, Ryu, après son petit de force lorsque la directrice à disparu... Les gens s'empressent toujours de trouver une cible à blâmer. C'est humain, mais c'est chiant. Et épuisant,soupirais-je.

Je me tourne légèrement vers elle en la voyant me faire face. Je reste de profil, mais lui offre mon visage tandis qu'elle parle. Je la fixe tristement, sans rien dire. Je ne peux pas vraiment comprendre ce qu'elle ressent, car je n'ai pas d'amis. Mais je peux l'imaginer.

-Tu as des amis bizarres...

Ce n'était pas vraiment très fin de dire ça, mais je ne voyais pas quoi dire et, dans tous les cas, ça m'a échappé. Mais c'est vrai quoi... Quand on l'entend parler, on se demande vraiment si c'est de ses amis qu'elle parle. Je ne sais pas de quoi je parle moi-même, mais ce n'est pas comme ça que j'imagine mes amis en tous cas.

-Ca n'a rien de débile, loin de là. C'est triste en revanche, car je vois une belle demoiselle moi! Sauf avec les bleus mais ça, ça va qu'à Rocky bichette, dis-je dans une tentative d'humour. Être soi c'est déjà difficile, alors quand t'es morphe... j'imagine pas. J'aurai jamais pu avoir ce pouvoir à vie!

J'avais délibérément ignoré sa question sur le pourquoi je me considère comme un moins que rien. Je ne savais pas ce que je pouvais répondre, ce qu'elle savait. Je serrai sa main à mon tour, puis la relâchais, mal à l'aise. Au bout d'un moment, je finis pour souffler.

-Parce que je ne suis pas un vrai master.

De l'espoir pour ces imbéciles… Oui, sans doute. Peut-être. Ariana essaie d'y croire, très fort, mais pour le moment, la flamme a été quelque peu soufflée. Il lui faudra du temps pour l'accepter, du temps pour y croire, du temps pour le construire, à son échelle, à son rythme. Peut-être que cela n'arrivera jamais, mais au fond, si elle ne faisait rien, ce serait tout simplement pire.

Akihiko répète soudain ses mots, visiblement confus et choqué par ses paroles. La rouquine hausse un sourcil à cette réaction quelque peu disproportionnée — elle ne comprend pas ce qu'il y a de si étrange à celà, au fond. Elle recule légèrement dans son siège, choquée, en le voyant s'énerver de la sorte. Elle reste immobile quelques secondes, à le fixer avec de grands yeux.

—Oui, bien sûr, vous n'êtes pas parfaits, et l'objectif n'est pas que vous le soyez…? Mais vous représentez quelque chose, c'est un symbole ? Et il est important pour les gens qui viennent ici, je crois ? essaie-t-elle d'expliquer, la voix un peu hésitante.

Elle détourne les yeux et fixe le sol. Son message n'est peut-être pas passé comme elle le voulait. Elle ne sait pas trop comment le lui exprimer, mais pourtant, c'est réel. Terrae est pleine de gens cassés. Et les Masters ont réussi à dépasser une partie de tout ça. Elle ne pense pas à la puissance, elle ne pense pas à l'assurance. Elle repense juste à cette main qu'on lui a tendue quand elle avait tout abandonné. Et c'est ça ce qu'ils représentent : l'espoir. Forcément, ils seront idéalisés, malgré eux. Les gens en attendront plus. Et c'est triste. Elle aussi en attendait beaucoup, quelque part, se rend-elle compte. Ariana se mordille la lèvre, essaie de le rassurer.

—Bien sûr que non, il n'y a pas que vos erreurs qui comptent… Elles jouent, et elles nous influencent. Elles ont des répercussions, c'est sûr, mais… je veux dire, vivre ici, ça reste notre choix. Si on veut partir parce qu'on n'est pas satisfait, on le peut aussi. C'est dur de s'occuper d'un gros groupe…

Elle baisse les yeux. Elle ne sait pas non plus comment faire pour que ça aille mieux. Pour qu'elle puisse dire "j'ai confiance en ce que vous faites, mais j'ai juste vraiment très peur, parce que j'ai déjà été blessée et j'ai vu des amis se faire blesser à cause de certaines décisions". Pourtant, ils ne peuvent pas tout gérer, et eux aussi sont humains. Elle aimerait simplement que tout s'arrange, et être en colère et sa seule manière de ne pas s'effondrer en ce moment, même si elle est injuste. Si elle pouvait le rassurer… Lui assurer qu'ils sont essentiels (car ils le sont), tous ! Mais… Mais en ce moment, croire est difficile. Espérer aussi. Au final, elle est juste sotte.

Enfin… Parler d'elle est toujours une affaire compliquée, mais Akihiko rend les choses plus faciles à vivre. Elle rit un peu, s'essuie les yeux avec un sourire quand il la complimente.

—C'est un joli pouvoir, pourtant. On peut faire plein de choses.

Il n'a pas totalement répondu, mais elle se dit qu'il a besoin de temps. Visiblement, elle a raison puisqu'il reprend un peu plus tard. Ariana hausse deux sourcils, un peu perdue :

—Hein ? Mais si ! Non ?… Pourquoi tu serais pas un vrai Master ? Il y a des vrais Masters et des faux Masters ?

Un symbole... Je laisse ma tête tomber sur la paume de ma main, accoudé à mon genou. Elle a raison, évidemment, je comprends ce qu'elle veut dire. Pourtant... je ne sais pas. Peut-être que je ne suis pas capable de penser clairement aussi, que je pense un peu extrême, mais ça me dérange d'être perçu comme un symbole... Aussi parce que je conçois ça pour les autres, pour les plus "âgés" en quelque sorte, pas pour moi.

-Je ne suis pas un symbole... Je voyais les masters comme ça quand je suis arrivé mais j'avais dix ans... Je ne pensais pas qu'on pourrait nous percevoir comme ça en étant plus âgés, sincèrement. C'est... perturbant, lâchais-je en fermant les sourcils.

C'est aussi à ce moment-là que je me dis enfin "Ca va pas toi mon gars ce soir". En temps normal, l'idée d'être un symbole, une sorte de figure idéale destinée à ouvrir le chemin de la lumière pour les jeunes nouveaux m'aurait tout simplement fait vriller la tête, j'aurai été carrément d'accord et carrément à fond. Là... ça me semble soudain dur à porter, et si peu approprié dans mon cas.

-Exact, vous pouvez partir quand vous le souhaitez... ce pourquoi je ne comprends pas l'attitude des gens. Si c'est juste le pouvoir qui les intéresse, je trouve que c'est une mauvaise raison. Si c'est avoir un foyer... C'est bien... mais faut aussi accepter le fait que, à Terrae comme ailleurs, Ya des choses qu'on contrôle pas. Encore moins à Terrae qu'ailleurs j'ai l'impression d'ailleurs... même si c'est très paradoxal, dis-je en lâchant un rire bref.

On en revient toujours au même point alors... Pourquoi s'en prendre à nous ? Si vous êtes pas contents, partez! Si vous voulez rester, restez, mais aidez au lieu de faire ou dire des conneries. Je ne comprends pas les gens... Ce n'est pas... Ce n'est pas comme je m'y attendais. Au final, moi qui avais hâte de grandir, je commence presque à regretter mon innocence d'avant. C'était tellement plus simple à l'époque.
Aria aussi semble perdue dans ce tourbillon d’événements. Je parle beaucoup, je douille beaucoup aussi mais elle ne semble pas épargner. Son mal-être est plus personnel que le mien dans un sens puisque ce sont ses "amis" qui la mettent dans un drôle d'état.... ou l'injustice ? Difficile de savoir.

-Dis-moi... Tout ce délire de justicière Sia... C'est pour rendre justice comme tu dis ou pour t'émanciper de tes amis au final ? demandais-je en la regardant cette fois directement.

Je ne juge pas, je me permettrais pas. Je veux juste comprendre. J'arrivais peut-être à la comprendre mieux que je ne me comprends. Mais la conversation revient sur ce que j'ai dit. Je me mords les lèvres, regrettant mes paroles. C'est un sujet tellement délicat, dont je ne peux et ne veux pas tellement parler. Un voile de tristesse couvre mon visage avant que je ne lui réponde.

-Il y en a un oui... Moi... Je ne suis pas comme les autres. Je suis... incomplet.

Dit comme ça, à haute voix, la brique qui alourdit mon estomac semble peser tout à coup quinze tonnes. Je porte instinctivement une main à mon ventre, comme pour tenter de calmer tout ça. Incomplet...

Les yeux de la rouquine se baissent. Elle ne pensait pas que ça pourrait être si détestable de s'entendre dire qu'on est un symbole d'espoir. Alors elle ne dit rien et acquiesce simplement, désolée pour lui, et désolée de l'avoir froissé.

La discussion continue ; Ariana ne peut qu'être d'accord avec Akihiko. Elle lui offre un bien pauvre sourire, qui ne doit pas davantage aider.

—C'est pas vraiment paradoxal, d'où tu as vu que des pouvoirs ça simplifiait la vie ?! rit-elle, à demi seulement. Mais… Oui. Après je pense qu'aucune raison n'est mauvaise, parce que chacun a la sienne. L'important c'est de ne pas faire n'importe quoi, et de pas tout mettre sur le dos des mêmes. On a qu'à faire une ligue de protection des Masters, t'en dis quoi ?

Elle lui met un léger coup de coude, espérant l'adoucir un peu par l'humour, malgré l'ambiance bien déprimante qui s'est installée. Face à sa question, elle rougit fort…

—Pourquoi je voudrais m'émanciper de mes amis ?!

Et elle comprend. Elle comprend que ses amis, eux, sont forts. Que ses amis, eux, ne sont pas sous-estimés. Ils peuvent tout faire, et personne ne les regardera avec de grands yeux. Personne ne lui dira jamais "mais tu ne peux pas faire ça". Ce n'est pas qu'elle veut se cacher. C'est juste qu'elle… aimerait être quelqu'un d'autre. Alors elle baisse les yeux… Se pince les lèvres. Inspire en tremblotant.

—Je. C'est… Ils ont tous la classe. Et moi je suis juste. Moi.

Elle lui lance un regard rempli de larmes, compatissant, et lui tend la main gentiment.

—On est incomplets tous les deux, alors. Tu es pas tout seul.

Elle a envie de lui faire un câlin, mais elle ne le connait pas assez pour ça. Puis, elle risquerait de pleurer…

Malgré le poids qui alourdit mon estomac et mes yeux yeux qui picotent sans cesse, je ne peux m'empêcher de lâcher un rire bref quand elle parle des pouvoirs. C'est clair... Déjà que la vie, c'est monstrueusement compliqué alors si on y ajoute des pouvoirs tout pétés qui te font aller dans tous les sens, on comprend que la moitié de Terrae déprime. En plus elle enchaîne sur la ligue de protection des masters. Je pouffe légèrement, sans joie, avant de hocher distraitement la tête.

-T'as raison... On en aurait bien besoin...

Sa question soudaine me tire un léger sourire, parce qu'elle dépareille totalement avec la rougeur que, malgré la noirceur de la nuit, je parviens à capter sur son visage. J'ai touché juste on dirait. La suite me donne d'ailleurs raison. Je me redresse, comme piqué par un insecte, lorsqu'elle prononce LA phrase qui résume le mieux mon état d'esprit : Ils sont tous forts, spéciaux, et moi non... Cette fois, je rigole, pour de bon.

-Bordel... T'as le don de lâcher les pires phrases toi... Surtout celles qui sont les plus vraies et que j'aime pas dire à haute voix..

Je lui adresse toutefois un pauvre sourire et, finalement, lui donne un gentil coup de point dans l'épaule (un gentil j'ai dit, je la bats pas!). Je me tourne pour lui faire face et me place juste devant elle. Je me penche légèrement pour m'assurer qu'elle me regarde dans les yeux.

-Allez! Je crois qu'on a assez pleuré pour aujourd'hui! En plus, ça fait des rides de s'inquiéter...

Je lève la tête, comme si je reniflais l'air en quête de quelque chose puis, embarqué par une idée soudaine, je commence à taper dans mes mains pour me donner une allure plus joyeuse.

- Tu sais quoi ? On va dire que c'est l'heure de bouffer! Non mieux même, de s'empiffrer! Si on doit déprimer, autant le faire dans les règles! Glaces, couvertures, canapé, films ou séries! Ca te branche ? J'ai touuuuuut ce qu'il faut à l'appart!

Allez dis ouuuuuuui, tu sais que t'en as enviiiiiie!

Avec un sourire, Ariana lui frotte gentiment le dos, l'air de lui dire que ça va aller. Tout va s'arranger à un moment donné, elle y croit… Elle en a fortement envie, en tout cas ! Mais Akihiko ne s'arrête pas là… Au final, elle a l'impression qu'ils ressentent un peu la même chose tous les deux ; cette sensation d'être moins que les autres. Est-ce qu'ils le partagent parce qu'ils sont Eaux tous les deux ? La rouquine se passe une main sur la nuque, embarrassée. C'est vrai que c'est pas quelque chose de très joyeux, elle n'aime pas le faire non plus. Pourtant, c'était ce qui sonnait le plus juste ici. Avec le Master, ils échangent un regard… puis il se place face à elle. Surprise, elle cligne des yeux.

—De s'empiffrer ? s'amuse Ariana. Oh mais carrément !! Enfin, ça te gêne pas ?

Elle a un instant d'hésitation, puis regarde autour d'elle. Elle se fixe sur l'institut durant quelques secondes, puis son visage se déride et elle sent ses épaules s'affaisser. Bondissant sur ses pieds, elle montre son magnifique biceps à son nouvel ami :

—Avec plaisir cher compère !! Tiens, ça te fait quoi de vivre seul en appartement ?! J'connais plus trop ces dernières années, je t'avoue... Enfin !!! Tu as de quoi, ou il faut qu'on passe au kombini pour acheter à manger ?! Et qu'est-ce que tu as envie de regarder, surtout ?! T'es plutôt film d'action ou comédie romantique niaise ?

Ou dessins animés, hein, pourquoi pas… !!!! Elle continue à l'assommer de questions comme ça sur le chemin, riant avec bon coeur. Au moins, leur soirée sera un peu plus douce que la discussion qu'ils viennent d'avoir !