• Prénom : Pricie
• Nom : Allay
• Âge : (entre 10 et 25 ans) 13
• Affinité et pouvoir : (élément + lunaire ou solaire) Eau / Soleil : Voyant (évent)

Pricie entra dans « sa » chambre et se regarda dans le grand miroir collé à l’armoire. Elle avait des bandages sur ses mains fines qui avaient saigné, elle avait refusé d’être soignée par la Magie. Elle regarda encore un instant ses mains, enfantines encore, petites malgré leur finesse, élégance que le début de l'adolescence commençait à leur donner.

Puis elle laissa retomber ses bras minces et fins le long de son corps. Observant ses baskets bleus et blanches, se laissant aller à ce moment de découragement.

Elle releva la tête apercevant au passage son pantalon noir pratique et élégant à la fois, elle aime pouvoir se mouvoir librement tout en se mettant en valeur bien que discrètement . Puis son corps mince aux débuts de formes couverts d'une veste rouge à capuche et d'un tee-shirt blanc à rayures noires.

Elle expira pour reprendre des forces, ses épaules se soulevèrent un peu. Sur celles-ci tombaient de longs cheveux fins couleur encre jusqu'au milieu du dos qu'avec le temps elle avait enfin réussi à dompter et à rendre très doux. Eux si bouclés et durs à coiffer quand elle était petite file.

Elle pencha la tête vers l'arrière révélant un cou aux courbes délicates. Son visage fixa à nouveau le miroir. Ses yeux noirs comme la nuit cachaient en eux cette étincelle de vie et de chaleur que si souvent elle étouffait. Et ce qui venait de se passer ne lui donnait pas l'occasion de la révéler. Sa bouche était déjà adolescente et accueillait un très léger et timide rouge à lèvre, à la fois coquet, fier  et discret qui était gardé souvent en sa poche.

Ses joues semblaient encore douces et fragiles, des traces de larmes les couvraient encore. Mais son  visage était plus long que celui d'un enfant à présent, bien moins rond plus fin aussi, son nez assez petit et ses hauts sourcils froncés révélaient que ce visage avait malgré tout des traits encore d'enfance.

A treize ans, son corps mélangeait les deux.

Elle passa une main sur sa peau chocolat, la glissant sur son front dégagé jusqu'au haut de ses cheveux, où elle passa ses doigts et soupira. Elle se sentait fatiguée, sa constitution fragile ne l'y aidait pas et si en plus elle attrapait encore, comme de nombreuses fois, un petit virus qui passait par là ce serait le pompon !

Elle étira sur la pointe des pieds son corps plutôt agile d'une taille dans la moyenne pour son âge et décida d'aller faire une sieste. Juste une dizaine de minute pour que tout lui tourne moins en tête si cela était possible, ou au moins pour reposer ce corps que les événements précédents et proches avaient exténué.

Elle quitta le miroir, toucha son oreille comme pour apprivoiser la puce traductrice qu'on lui avait donnée, mis sur une chaise proprement les uniformes donnés, le sac d’affaires de bases et le plan , trop fatiguée, elle les rangerait plus tard.

Elle s'allongea sur son lit sans se changer et s'endormit presque aussitôt , son cahier de poésies où était accroché son stylo, son appareil photo et son chien en peluche assez petit et brun clair, museau blanc, yeux noirs tout ronds contre elle .

Pricie aime vivre, elle aime photographier le monde dans lequel elle a tant voyagé avec son père, elle aime écrire aussi, très douée en poésie, que ce soit en français ou en anglais. Elle aime chanter, surtout Pink, aussi, bien que sa jolie voix cristalline soit maladroite. Mais sa timidité trop grande et le cercle restreint affectivement qu'avait été son monde jusque là lui fait garder tout ça pour elle, à part pour Victor mais Victor est une ombre du passé. Et pour « Zéphyr » son chien en peluche. Mais pas devant les autres de Terrae.

Loyale, Pricie ferait tout pour ceux qu'elle porte en son cœur, elle croit de manière ancrée aux préceptes qu'on lui a inculquée. Aux yeux de Terrae, les Masters sont comme des demi-Dieux, aux yeux de Pricie, ses parents le sont.

Pricie a développé une immense colère contre Terrae, depuis ses cinq ans, et au fur et à mesure des préceptes de son père est certaine d'une chose, ce que disait si souvent son Père : « Terrae n'est pas un monde pour nous, Pri. » et « C'est à cause de cela que ta maman va mal Pri ! » puis plus tard à dix ans après la disparition en classe de mer de Victor du même âge : *  cette école n'avait pas été fichue de sauver Victor, mon ami, mon seul ami.*

En parallèle, un sentiment refoulé d'admiration fascine et blesse en même temps l'adolescente face à l'institut. Ce monde magique, plein d'espoir, ce monde pour qui elle a erré dans les rues new-yorkaises, à sa recherche du haut à l'époque de ses cinq ans, aurait pu sauver sa mère, elle en est sûre encore aujourd'hui, mais elle n'a pas trouvé Terrae ou plutôt en son esprit Terrae ne l'a pas trouvée, ne l'a pas aidée à soigner sa mère. Terrae a abandonné la petite fille qu'elle était. Alors maintenant à treize ans c'est trop tard, sa maman doit oublier ce monde qui l'a  meurtrie, elle doit oublier sa  tante, elle doit oublier, même Pricie, Maman doit peu à peu guérir. Pricie est extrêmement têtue et il lui faut du temps pour démordre d'une décision.

Il lui faudra du temps pour démêler cette ambiguïté vis à vis de Terrae, pour s'ouvrir aussi.

Car Pricie s'efface mais ne se déteste pas, elle s'aimait à chaque court instant de tendresse père-fille et les moments finaux où il l'a appelée « Pricie » et non « Pri », elle aime ses poèmes, ses photographies, sa peluche toute douce, sa douceur et son courage face au monde. Oui Pricie aime tout ça en elle et en est consciente.

Pricie aime exister, s'exprimer, créer, sourire. Mais Pricie n'a que peu eu l’occasion de le partager au delà du cercle familiale. Et ici, il lui faudra bien des remises en questions pour partager son univers.

Car ici Pricie ne s'aime pas, ici Pricie ne se sent plus elle, comme dévorée de l’intérieur par une école qui l'a recueillie et sauvée , ambiguïté la faisant sentir perdue. Et puis, il y a ce pouvoir en elle dont elle a honte autant qu'elle en est curieuse. Pricie l'étant énormément, voulant comprendre avec son intelligence éveillée encadrée cependant par l'éducation propagande de son enfance. Ici, Pricie a l'impression d'être une autre et cela lui fait peur.

Mais elle se rebelle en silence, dans cette rébellion silencieuse, elle se moque bien d'apprendre ici, que ce soit avec son don ou les cours lambda, qu'ont-ils à lui apprendre ? Cette colère la protège, elle est son courage, sa force de vivre pour le moment.

Car Pricie possède aussi un grand courage.

Mais pour grandir Pricie devra beaucoup se remettre en question et accepter ce nouveau monde, quitter cette naïveté encore enfantine,  trouver le courage ailleurs que dans la colère.

S'ouvrir tout simplement et se redécouvrir autant que (re)découvrir l'histoire merveilleuse de Terrae qu'elle a laissée à ses cinq ans chez sa tante.

Pricie était assise dans sa nouvelle chambre, son « Zéphyr » ( un chien en peluche) sur les genoux. Elle n'avait pas décroché un mot depuis son arrivée même face au psychologue. Elle ne voulait parler à personne ici. Sa tante avait bien tenté de lui téléphoner mais elle avait hoché la tête pour dire non. Sans un mot, ceux qui avaient détruit sa vie ne méritaient pas qu'elle parle. Mais il y avait autre chose, elle le savait.

« Zéphyr... C'est ma faute n'est ce pas ? Pas vraiment celle de Terrae, hein ? »

Elle caressait sa peluche, des larmes coulèrent bientôt, diamants d'eau pleuvant en bruine fine, doucement, lentement, silencieusement de son visage jusqu'au pelage brun de la peluche.

« Papa est mort Zéphyr... Ça veut dire que nous ne sommes que tous les deux à présent... »

Pricie avait toujours été isolée, n'ayant pour lien affectif qu'un Père trop enfermant et strict mais qui l'aimait, oui, qui l'aimait malgré tout.

« Tout ira bien, bientôt ! » murmura Pricie, comme son père dans ses moments de tendresses. Mais dans sa bouche ça sonnait tellement faux sans lui qu'un frisson en elle la parcourut. Elle se souvenait chaque détail de l'explosion, de la quête de son père pour sauver Maman, oui Maman toujours à l'hôpital.

« Quand Maman ira mieux, elle viendra nous chercher « Zéphyr » ne t'en fais pas ! » tenta de sourire Pricie, sachant se rassurer elle même enfin tenter. « Mais ce n'est pas possible... Même si elle va mieux ça lui ferait trop de mal de venir ici, il ne faut pas que Maman ait encore plus mal. »

Pricie eut un tendre sourire un peu plus courageux : « Si je fais de mon mieux pour que personne ne me remarque, comme invisible, peut-être que Maman oubliera son passé, oubliera Terrae et sortira un jour de l'hôpital, construisant une vie nouvelle loin de ma tante. » Le sourire de la si bienveillante adolescente qui s'oubliait trop pour ceux qu'elles aimaient, sa famille, ce cocon qui pour le moment n'avait jamais longtemps eu l'occasion de s'agrandir, disparut. Elle caressa encore plus doucement sa peluche continuant d'une voix douloureuse : « Loin de moi. »

Pourquoi avait-elle acceptée de venir ? Au début son instinct de survie lui avait fait ressentir une impression de trahison personnelle face à sa famille, d'autant plus culpabilisante qu'elle venait de voir mourir son père. Intérieurement, elle s'accablait d’égoïsme. Maintenant elle comprenait, ce n'était qu'un élément de plus de son sacrifice pour sauver sa Maman. Et honorer la mémoire de Victor son ancien ami et camarade avec qui elle avait tant aimé jouer au ballon et aux châteaux de sable.
Malgré sa santé fragile, Pricie adore crapahuter, malgré son passif, Pricie aime la liberté mais elle sait que pour le bien de sa famille elle n'en a que parfois le droit, plus que des moments cela dépend des situations. Du moins, le pense t'elle pour le moment. Soudain, la porte s'ouvrit brusquement en sa chambre sans décor.

« Eh la nouvelle viens aider à l'entretien ! Tout le monde fait de son mieux ici ! »

Surprise, Pricie hurla, quelques secondes une petite flamme sortit de sa main, ce qui la fit crier de peur à nouveau, un sentiment de colère l'envahit. Sans le vouloir elle fit reculer l'élève en courant à reculons hors de sa chambre  et lui fit lever la main et claquer la porte sans tourner la poignée. Cela avait duré à peine trente secondes mais ce fut un moment fort pour ses émotions.

Stupéfaite, terrifiée par ce qu'elle venait de faire, horrifiée même elle regarda ses mains de longues minutes. Puis sa colère et donc son courage reprirent le dessus et elle se bloqua de nouveau.

L'autre élève n'avait eu qu'à frapper à la porte !

Il Était une Fois à New York City


Pricie regardait son père s’affairer sans un mot. Elle tenait contre elle son chien en peluche, seul ancrage de son enfance.


Sa tante de vingt-cinq ans chez qui elle vivait depuis ses deux ans, sœur aînée de deux ans de sa mère, lui avait donnée, elle n'avait alors que cinq ans. A cet âge, elle lui avait racontée un joli conte.
L'histoire d'une terre puis d'une école où elle avait été qui l'avait aidée à vivre, une terre avec des personnes extraordinaires, de magie, de rêves et d'espoirs.
«  Tu vois ces êtres avaient chacun des pouvoirs , l'un l'eau  et la métamorphose, l'un l'air et la capacité de guérir les autres, l'une le feu et le pouvoir d'être invisible. Philos mon directeur maîtrisait l'air. Mais un jour, il perdit le contrôle de ses pouvoirs et tua la dame du Feu. Le Monsieur de l'eau Zane était son nom, était amoureux de la princesse du feu Alia. Il eut tant de tristesse en son cœur que cela se transforma en colère. Mon directeur Philos reprit le contrôle de ses pouvoirs et créa une école merveilleuse où chacun surmontait la souffrance et retrouvait le sourire. J'ai vécu en cette école avec d'autres enfants et adolescents. Mon pouvoir était lié à la terre, j'étais très très forte. J'ai grandi là bas avec des dons puis je les ai laissés, et j'ai quitté Terrae car bien plus que mes dons j'avais réappris le plus grand des pouvoirs celui de pouvoir aimer la vie et celui d'aimer. Philos avait guéri tant de gens, il avait mené tant de batailles pour y arriver mais il était temps pour moi de rentrer à la maison en laissant ma force surhumaine et la Terre qui m'était liée, de reprendre ma vie ici très loin de Terrae. »
La fillette s'était frottée les yeux et bailla comme un petit chiot du haut de ses cinq ans : « Mais Tata, pourquoi ? »
La tante avait caressé la joue de l'enfant en un doux sourire : « Car j'avais un pouvoir encore plus grand à protéger. » L'enfant avait serré son chien en peluche contre elle dans un souffle : « A tout à l'heure Tata, Zéphyr et moi on va rêver de Terrae. » La tante avait posé la fillette sur son lit et l'avait recouverte d'une couverture fleurie jusqu'au cou, il était temps pour l'enfant de faire la sieste jusqu'au goûté.
Pour la fillette dont la mère hospitalisée tombait dans une dépression de plus en plus sombre et le père absent pour un travail dont elle ne comprenait rien , ce fut une révélation.  Le soir même elle décida d'aller chercher ce monde merveilleux. Elle avait regardé longuement son chien en peluche tout en faisant distraitement un sac bâclé quelques vêtements, un paquet de biscottes et une brique de jus de fruit.  Puis elle avait fermé ce sac vert avec une licorne bleue en porte clef qui était aussi son cartable de maternelle, mis sa casquette « Doudou » qui avait appartenu selon sa tante à son père enfant,  avait pris le chien de tissu et de coton sur son lit dans un : « On y va Zéphyr ! » Elle avait attendu que tout soit éteint dans la maison et avait doucement tourné la clef subtilisée dans la soirée dans la serrure de l'entrée en se mettant sur la pointe des pieds.

Un grognement ramena Pricie à la réalité : « Pri ! Tu as fini ton sac ? » Pricie soupira, son père n'avait jamais prononcé son prénom en entier, cet homme rigide, bâti comme un buffle et cadré comme une horloge, impatient aussi, ne se laissait que peu aller à ce genre de détails, il fallait faire vite, très vite alors une syllabe valait mieux que deux. L'adolescente de treize ans savait que cette demande n'en était pas une. Elle monta dans la mezzanine de l’appartement qui lui tenait lieu de chambre et commença à flanquer des affaires dans un sac brun comme la veste de cet homme ce jour là.


Elle le voyait patiner avec ses enfants et sa femme. Ses petites jambes grelottaient près de la patinoire new-yorkaise. Elle avait atteint elle ne sait connaît le Rockefeller Center, complexe de magasins immenses devant lequel s'élevait un sapin grandiose et une patinoire qui même à cette heure était toujours animée. La petite fille de la famille qui patinait tomba et éclata en larmes, elle semblait à peine plus âgée que Pricie. Pricie avait sursauté à cette chute et sentait ses yeux s'humidifier à son tour. Mais très vite elle fut rassurée, la femme consolait sa fille et le père semblait faire le pitre avec un garçon de milieu de primaire à vue de nez l'accompagnant. Pricie rit, ce qui dévoila sa présence, l'homme se retourna vers elle. Elle eut peur mais réunit son courage pour demander : « Je cherche Terrae, Monsieur, c'est où ? » Il se mit à pleuvoir très fort et l'homme sembla oublier sa présence, il appela un taxi qui abrita sa famille et partit. Pricie resta seule, de gros sanglots l'envahirent. Peu après elle fut ramenée chez sa tante par des policiers l'ayant vu errer près d'une grande route. Elle avait alors réalisé du haut de ses cinq ans que...


« Terrae n'est pas un monde pour nous, Pri. » dit son père alors que l'adolescente mettait sa ceinture. Voici ce qu'il lui racontait depuis ses cinq ans où il l'avait retirée à sa tante pour traquer ce qu'il appelait des monstres. « C'est à cause de cela que ta maman va mal Pri ! Elle a refusé de les suivre contrairement à ta tante, alors sa vie a été chamboulée, ils lui avaient pris sa sœur ! Tu comprends Pri ? Tu comprends ça ? Sa propre sœur ! Et elle, elle avait dû rester, elle avait bien fait de rester ! Elle ne voulait pas abandonner sa famille, la famille de ta maman était sur le bord du vide, une faillite de l'entreprise qui avait amené de fortes disputes entre tes grands-parents. Bien sûr, les enfants en souffraient autant qu'eux ! Et quand le type est venu, la famille a laissé le choix à leurs enfants, partir ou rester, on a toujours le choix Pri, toujours ! C'est pour ça que j'ai donné une nouvelle chance à ta tante à tes deux ans, ça et à cause d'eux ! Mais elle a encore fait une faute, la dernière, comment une ancienne de Terrae n'aurait pas pu en faire ? Elle a failli te perdre, Pri, toi la chair de ma chair ! Tu comprends ça hein Pri ? Ces monstres ! Pri ! Tu comprends ? » Sur ces mots il écrasa un mégot sur une carte routière, Pricie hocha positivement la tête sans un mot.



Toi et moi, on est deux amis

Elle prit un cahier dans son sac et commença à écrire des poèmes comme autrefois...

« Qu'est ce que tu fais Pricie ? » demanda Victor, huit ans. Pricie laissa tomber son cahier et rougit. Le garçonnet le ramassa et lut tout haut un poème en français puis tourna les pages pour en découvrir d'autres, certains en anglais d'autres en Français,  Pricie habitait chez son père à Paris depuis ses cinq ans, très douée en langues, aidée de son père bilingue (Il a grandi en France avec un père anglais et une mère française) , elle parlait et écrivait aussi bien l'anglais que le Français. Du moins avec autant d’expérience qu'une enfant de huit ans peut avoir si elle avait grandi dans ces deux pays. Pricie huit ans avait fermé les yeux de honte, c’était sûre que Victor allait se moquer autant que les autres se moquaient de sa crédulité et sa timidité, ce qui la renfermait à l'écart un cahier et un stylo à la main sur un banc de récréation la plupart du temps. Mais Victor ne se moqua pas au contraire. « C'est de toi ça Pricie ? »  avait-il demandé. Pricie avait ouvert grands ses yeux surprise puis un sourire inhabituellement épanoui avait éclairé son visage et elle avait acquiescé de la tête.


La voiture cahota, la pluie s'était presque transformée en neige. Pricie regarda la destination sur l'assistant de navigation (GPS), il restait encore de la route avant la ville de Tokyo. Elle ne demanda pas pourquoi ils prenaient cette destination, un bateau les attendrait et les mènerait avec leur voiture en son sein vers le Japon c'est ce qu'il avait dit et tout ce qu'elle avait besoin de savoir. Depuis ses onze ans ils déménageaient souvent. Elle était passée par de nombreux pays, avait rencontré de nombreuses personnes, tout cela avait été fantastique mais avait creusé quelque chose en elle, une douleur qu'elle ne définissait pas mais qui ne faisait que grandir depuis ses cinq ans. Une douleur qu'elle taisait comme toute question depuis...

« Regarde ! » Victor s'était mis le banc où écrivait comme à son habitude Pricie huit ans. Il tenait fièrement face à elle un cahier où trônait un poème maladroit et débutant:
« Bonbons c'est bon,
École oh non,  
Jouer c'est fait,
Devoir après,
La récré c'est mieux,
Pour jouer à  deux ! »
« Moi aussi je fais de la poésie ! Alors je peux jouer avec toi à présent aussi ? » s'était écrié Victor tout heureux. Son manque de discrétion avait attiré les regards d'autres camarades surtout que par son énergie et son enthousiasme, sa bonne confiance en lui aussi, Victor était assez populaire à l'école . Il l'avait remarqué et avait dit en se retournant avec un grand sourire : «  Bah quoi ? C'est ma copine, si c'est pas la votre tant pis pour vous ! » Et il avait pris Pricie par la main pour l'emmener au bac à sable de la cour de récréation dans un tout content: « Faisons un château, Pricie ! » se moquant bien des regards brûlants dans son dos. Pricie elle les avait sentis et la fillette toute rouge de timidité avait dit dans une petite voix : « Tu n'es pas obligé tu sais... » Victor leva la tête de son début de construction et demanda : « Obligé de quoi ? » Pricie baissa la tête murmurant: « De jouer avec moi... » Le garçonnet eut alors un fou rire qui avait perdu la petite de huit ans ne sachant plus quoi penser. « Pardon, c'est juste que cette question m'a étonné, je joue avec toi car je t'aime bien, pas toi Pricie? » Pricie avait acquiescé dans un : « Si » tout doux, émue.

L'océan apparut dans le paysage. De derrière la vitre Pricie se tassa sur son siège. L'adolescente avait peur de l'eau depuis ses dix ans. Son père finit par le remarquer. Il dit sèchement : « Il faut t'endurcir Pri, si tu as peur de l'eau encore aujourd'hui malgré mes nombreuses tentatives de te réconcilier avec, comment on fera une fois à Tokyo ?  Il faudra m’aider cette fois, pour Maman ! Tu comprends ?  » Pricie se tut encore apeurée. « Tu m’ignores Pri ? » menaça le père. « Non Papa, j'ai bien compris. » répondit avec calme Pricie. Le père soupira : « Ah ces adolescents toujours un cran de retard ! » Pricie ne savait pas ce qui les attendait à Tokyo, ni pourquoi son père lui disait cela, d'habitude il travaillait seul, elle avait vaguement compris que c'était contre les « Monstres » de Terrae et Pour le Bien de sa Maman. Mais elle n'en savait pas plus, restant à l’hôtel ou se promenant dans les alentours ou elle faisait ses devoirs d'école, des cours à distance sur internet, ayant quitté l'école à  sa onzième année. Une vie bien solitaire mais dont elle ne se plaignait pas. Elle devait s'en contenter, son père lui avait fait comprendre que le sacrifice qu'ils faisaient était pour la famille, pour sa mère et que... « Tout ira bien, bientôt ! » dit-il tendrement avant de lancer un sourire doux à sa fille, puis son masque de pierre revint. Pour ces trois mots et ce sourire de tendresse de son père, la fillette puis adolescente isolée aurait accompli n'importe quoi. Alors que la voiture prenait de la vitesse Pricie laissa vagabonder son visage dans le paysage. «  L'océan... » murmura l'adolescente...

«  Pricie ! Regarde moiiii ! » avait crié Victor. C'était une sortie de fin d'année à la mer avec la classe, il faisait chaud et beau. Le vent était des plus agréables. Victor secouait les bras en sa bouée qui s'éloignait, il riait fier que son embarcation soit bien gonflée, il avait eu tant de mal à la gonfler seul du haut de ses dix années. Pricie avait ri fière ne sentant pas le danger encore peut-être trop enfant pour, du haut de ses seulement dix bougies. Mais quand Victor ne fut plus visible, Pricie paniqua et courut le hurler à la maîtresse. Mais Victor ne fut jamais retrouvé dans l'étendue bleue.



Walk Me Home

L'adolescente détourna son regard de la vitre et pensa à sa tante. *Menteuse ! Menteuse ! Menteuse ! Menteuse !* se répéta t-elle en pensée. Il paraîtrait que sa tante avait quitté Terrae pour sa reprendre sa vie habituelle en terre natale les États-Unis, afin de s'occuper de Pricie puis rejoindre sa sœur hospitalisée et la soutenir mais en fait... * En fait tu as abandonné Maman en allant à cette école et cette école n'avait pas été fichue de sauver Victor, mon ami, mon seul ami. * Pricie ouvrit la fenêtre pour crier : «  JE LES DÉTESTE ! » Elle se recroquevilla sur son siège et se mit à pleurer rouge de fureur. Étrangement, cette colère semblait contenter le père, il ne fit même pas de remarque sur les sanglots. Il monta le son du lecteur mp3 et une chanson qu'il partageait en commun avec sa fille résonna. L'adolescente essuya ses yeux, cet autre geste maladroit de complicité elle l'aimait autant que le précédent, elle chanta d'une jolie mais maladroite petite voix : « Walk me home in the dead of night, I can't be alone with all that's on my mind, So say you'll stay with me tonight, Cause there is so much wrong going on outside », Pink la chanteuse qu'ils aimaient tous deux et qui était depuis longtemps  parmi leurs moments rares de tendresse entre père et fille. Mais aussi leur rêve secret, être heureux, rentrer à la maison tous les trois avec une maman qui reste avec eux avec le sourire. « Ramène-moi chez moi à la tombée de la nuit, Je ne peux pas être seule avec ce que j'ai en tête,  Alors, tu resteras avec moi ce soir, Car il se passe tellement de mauvaises choses dehors. » Peu après Pricie s’endormit.

Elle se réveilla dans un lit jaune et propre, elle était dans un hôtel, son père était sûrement allé travailler. Elle avait dormi longtemps, la fatigue du voyage et sa tendance à s'épuiser vite en raison de sa constitution fragile qui lui faisait attraper tout ce qui passe, autant dire qu'elle avait été malade de nombreuses fois en voyage ! « Tokyo... » murmura l'adolescente de treize ans. Elle respira un grand coup et tira les rideaux lourds et dorés de broderies.

La ville lui apparut, immense, grouillante de couleurs et de gens, une fourmilière entre les immeubles qui étaient comme une exposition de tableaux géante avec ses gigantesques panneaux publicitaires. Elle prit son appareil photo pour aller explorer autour, son père avait toujours autorisé ces promenades malgré les risques, il avait de la tendresse pour son sourire quand elle lui montrait ses photographies, autre moment de complicité que le père et l'enfant aimaient partager.

Mais elle n'eut pas le temps de se promener cette fois. Son père en sueur était rentré à toute allure dans la chambre d’hôtel. « Pri ! Monte dans la voiture j'ai besoin de ton aide ! » Pour la première fois de sa vie, Pricie perçut un tremblement dans la voix de son père, de la peur ? * Non Papa n'a jamais peur ! * tenta t'elle de se rassurer, malgré son passif, l’adolescente voyait encore son père comme une sorte de héros, enfantine encore du haut de ses seulement treize ans.

Ils arrivèrent devant un gigantesque institut dans ce qui semblait être le centre de Tokyo. Ne maîtrisant à la perfection  que l'anglais et le français malgré le balbutiement d'autres langues, elle se sentait perdue dans ce pays qu'était le japon, mais des mots résonnaient en elle, une berceuse de sa tante. Une berceuse d'autrefois avant ses cinq ans. Elle la chassa de ses pensées en secouant la tête avec fureur. C'était son père, elle et bientôt Maman oui tous les trois, rien d'autre ne comptait. Son père se retourna vers elle lui tendant une ceinture étrange. Une bombe qui ne ressemblait à aucune autre. «  Pour percer l'entrée, des cristaux y sont insérés, cette arme ne peut pas rater, avec d'autres on a mis des années à la concevoir, réunir tout ça, en arriver là, j'y travaille depuis toujours. » Il baissa la ceinture et fut parcouru d'un frisson : « Mais je crois que c'est moi qui devrai la mettre. » Pricie n’avait jamais vu son père ainsi, lui toujours la tête haute, la décision sûre et catégorique, là à l'instant fatal, il était pâle et tremblant, presque en larmes. * Il est triste ... Il a peur... Papa peut donc ressentir cela ? * pensa Pricie. « Écoute Papa , cette ceinture est à ma taille, pas ta taille, je vais la mettre ! » dit Pricie d'une voix douce en tentant un rire qui sonnait faux trahissant sa propre terreur. «  Pricie, je suis désolé... » murmura t'il. Pricie sursauta, pour la première fois de sa vie son père l'appelait par son prénom entier, son cœur se serra douloureusement : « Papa, ne t'inquiète pas, c'est toi, maman et moi, juste nous trois, rien ne compte d'autre, non ? » Le père sembla se calmer et lui sourit doucement avec une tendresse qui s'apparentait à ces si précieux moments de complicités parsemés sur huit ans, depuis qu'elle l'avait  retrouvé à cinq ans. « Sors de la voiture Pricie, je vais faire de même ! » Il lui tendit son cahier, son stylo, son appareil photo et son chien en peluche dans un grand sourire : « Et n'oublie pas ça , tu sais à quel point je déteste qu'on égare ce qui nous est cher ! » Retenant ses larmes Pricie sortit de la voiture et au lieu de sortir son père fonça en voiture dans le mur d'une des rares ruelles vides. La voiture explosa en une déflagration sans nom. Pricie poussa un hurlement strident et tomba à genoux. Elle frappait le sol à se faire saigner les mains, elle pleurait, déchirée, sa dernière accroche affective perdue, elle était enserrée pour toujours dans ce vide aux griffes acérées, ça y est elle avait un mot sur ce qui sévissait en elle depuis l'enfance : Du vide , le vide, son vide.

Une silhouette vêtue d'une cape sombre apparut devant l'adolescente qui descendait au fond du lac, au fond d'un vide sans fin. La voix à la fois mystérieuse et chaleureuse lui demanda si elle voulait la suivre, prendre sa main. Par pur instinct de survie, Pricie accepta et rejoignit une nouvelle Terrae plus connue, avec Hideko Honda en directrice, tout aussi magique mais qui pour elle et son père était tout aussi cruelle et pleine de traîtrise que l'ancienne.

Cela faisait une bonne trentaine minutes que le psychologue lui posait des questions en vain. La jeune adolescente restait braquée, silencieuse. Cependant par ses légers froncements de sourcils à certaines de ses  phrases, son air sombre quand il tentait de la réconforter même si vu ce qu'elle venait de vivre il lui faudrait du temps pour se réparer et ses traits plissés probablement pour se concentrer sur autre chose, peut-être pour ne pas pleurer, lui faisaient dans son silence deviner une grande souffrance en la jeune fille, bien plus que du deuil, ce qui serait normale, mais autre chose une fureur mêlée d'autres sentiments qui lui étaient encore incertains. Une fragilité mordante dont il ne distinguait que la vague silhouette mais qui le supposait-il suite à ce silence et ces mimiques retenues mais assez là pour qu'il ait des hypothèses était ancrée en Pricie depuis longtemps. Cette patience brave et entêtée avait besoin d'aide, il en était sûr. Ainsi, il sourit à Pricie et lui dit : « Et bien Pricie, c'est très bien pour aujourd'hui, nous nous reverrons d'accord ? » Il n'avait pas besoin de son approbation face à tant de douleurs et le haussement de sourcil agacé de Pricie lui confirma qu'elle le savait. Il la laissa alors quitter la pièce, ce qu'elle fit toujours butée, sans un mot.