Fais chier. Mais genre pour de vrai cette fois !! Fin de journée, je sors de l'hosto où j'ai fait quelques heures sup encore. J'ai besoin d'une pause. D'une grosse pause. De celle qui me vide complètement l'esprit. J'ai encore un peu la tête qui tourne. Grosse journée ? Nuit précédente où j'ai complètement abusé ? Trop d'émotions ? Tout mélangé ? J'en sais rien, j'ai juste beaucoup trop de merdes qui me pourrissent l'esprit en ce moment. En plus il pleuviote à moitié. Pas de grosse gouttes heureusement, mais de quoi me faire bader encore plus. Je supporte pas la pluie...

Pourtant, c'est bien sur le toit de l'institut que je choisis de ruminer ma mauvaise humeur. Pas question que j'aille à la salle de sport, il y a beaucoup trop de témoins potentiels si je venais à péter un câble. Ce qui dans mon état actuel, est très proche. Je suis à ma troisième clope d'affilée quand j'arrive sur ce toit. C'est hyper rare que je mette les pieds ici, mais il faut reconnaitre que ça a l'avantage d'être calme. Enfin, du coup ça risque de ne plus l'être pour longtemps...

- "Putain, pourquoi j'm'en sors pas ?! Ça devrait marcher. Elle, devrait marcher. Putain !!"

C'est trop le bordel dans ma tête, tellement que je parle seul ouais ! J'ai pourtant fait tout ce qu'il faut. Mais l'état physique de cette gamine qui est arrivée il y a un mois à l'hosto ne s'améliore pas. Et ça m'énerve. Faut que j'arrête d'y penser je sais bien, mais là tout de suite, j'y arrive pas. Alors je shoote de toutes mes forces dans le premier caillou qui passe devant ma chaussure. Je le suis des yeux alors que je suis encore dans cet espèce d'état second. Ce moment où je n'ai plus aucun contrôle sur moi-même, mais où je ne me laisse pas pour autant aller.

Je m'approche du rebord. Jette mon mégot dans le vide. Je repère une bouteille de bière. Vide évidemment. Vestige d'une grosse fête ? Ou simplement d'une précédente âme en peine. J'en sais rien, mais j'crois que c'est à ce moment que je vrille pour de bon. Sans aucune raison apparente j'attrape cette bouteille et la balance violemment de l'autre côté. Je ne regarde même pas, je me contente de ce bruit de verre explosé.

- "Meeerde !!"

Ça ne me fait pas spécialement beaucoup de bien, mais ça m'évite de frapper contre une surface trop solide pour mes phalanges. Mon visage termine sa course entre mes mains, alors que je ne me rend même pas compte que je finis les fesses par terre. Je déteste être dans cet état. Quand je suis sobre j'veux dire. Avoir envie de crier. De frapper. Sans avoir même la force de le faire.

Merde. Cette fois, c'est pour le son de cette voix qui me parvient. Beaucoup trop proche. Donc... Quelqu'un a assisté à cette scène pitoyable ? Assiste, à cette scène pitoyable... J'ose pas immédiatement relever la tête. Comme les gamins ouais, tant que je vois pas, on m'voit pas. J'ai envie de rester en mode larvaire. A attendre que cette sensation de moral à plat finisse par passer sans avoir à faire la conversation. Pourtant c'est une voix de meuf, et en plus il y a un son de bouteilles, c'est dire à quel point j'suis down là.

Mais finalement, je relève la tête après un soupire de dépit. Et je fais bien. Parce qu'elle est mignonne déjà, qu'elle s'est installée à côté sans rien demander avec quelques réserves d'alcool, mais pas que ! Ce qui arrive à faire passer plus ou moins la colère, pour que je puisse lui sortir un faux sourire amusé.

Son entrée en matière est plutôt réussie j'avoue. Vu mon état, j'aurais facilement pu passer mes nerfs sur quelqu'un qui serait arrivé à l'improviste. Mais là, elle est trop... Calme, posée, attentionnée ou je n'sais quel autre terme utiliser pour décrire ce qui se dégage d'elle à cet instant, mais j'ai juste envie de rester là sans rien de plus, à laisser ma tête reposer contre le muret derrière moi, comme si elle ne pouvait pas tenir seule.

- "Une jolie nana qui se ramène avec de l'alcool, s'installe à côté de moi et se roule un joint... J'crois que j'ai pas besoin de plus pour que ma journée aille beaucoup mieux."

Ma voix est beaucoup trop monocorde et teintée d'amertume pour laisser penser à une technique de drague. Et je dois encore avoir le regard aussi vif qu'un poisson amorphe, à regarder dans le vide comme si l'inspiration allait me tomber dessus à un moment. Nan mais ça va bien finir par passer, j'aurais juste préféré qu'il n'y ait aucun spectateur...

- "Et toi alors, tu viens profiter du beau temps pour parfaire ton bronzage ?"

Putain mais je raconte vraiment n'importe quoi quand je suis dans cet état. L'avantage, c'est que tout dans mon attitude est tellement vide que ce genre de phrase n'a rien d'agressif, de méchant ou de déplacé. Ça tombe juste comme un cheveu sur la soupe.

Finalement, sur tous les relous qui pouvaient venir squatter sur le toit pile au mauvais moment, je dois admettre que je ne tombe pas trop mal. Alors je peux faire un effort pour essayer de paraitre un peu plus sympa. Je cède ma position avachie pour me redresser un minimum. Tiens, mes fringues commencent à être un peu trop humides avec cette mini pluie. En général, l'effet t.shirt mouillé ne me dérange pas, mais là c'est pas très agréable. Ouais ouais, j'avais dit qu'on oublie le sale mood.

- "Ah, nan, j'oserai pas dire un truc pareil ! En plus askip, les japonais sont pas hyper fana du bronzage."

Voilà, se concentrer sur la conversation, oublier tous ces problèmes qui tournent non stop dans ma tête. D'ailleurs en parlant d'oublier, la miss termine de rouler ce joint d'un geste qui trahit l'habitude, et finit par me le tendre.

- "Deus ex marijuana ? Ahah ok, c'est original, j'aime bien."

Cette fois je n'ai même pas besoin de me forcer pour réussir à afficher cette amorce de sourire. Ouais, en plus elle est cool. Bon, ça m'fait un peu chier d'être dans cet état du coup, alors il serait peut-être temps que je me mette un coup de pied au cul. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

- "Tu déconnes ? Repartir maintenant alors que je viens juste de trouver de la compagnie sympa ? Nan, j't'assure que si tu dérangeais, tu te poserais pas la question. Et... Y a pas ça d'où tu viens ? Le lancé de bouteille, c'est pourtant classique non ?!"

Bien sûr que c'est une connerie, mais ça ne m'empêche pas de prendre ce faux air innocent qui ne me convient absolument pas, tout en prenant une première latte. Et ça fait vraiment du bien !

- "Merci, c'est cool de partager, surtout qu'elle est plutôt pas mal ! J'te revaudrai ça ! Un jour où je ferais pas du verre pilé."

Je prend un ton aussi décontract' que possible, mais j'avoue que je suis quand même pas hyper fier des conditions de cette rencontre.

- "Je n'sais même pas comment tu t'appelles."

La pluie... Mouais, j'suis franchement pas fan mais ce n'est pas comme si j'avais envie d'aller ailleurs pour l'instant. En plus je dois reconnaitre que je suis tombé sur une nana qui parait être de bonne compagnie alors, autant en profiter ! Je crois que je commence à aller un peu mieux. Enfin, à oublier tous ces problèmes qui voulaient tourner en boucle dans mon esprit.

- "Ouah, tu pratiques les arts martiaux toi ? Eh bah, je serais bien curieux de voir ça à l'occaz ! Mais pas tout de suite hein, là j'suis carrément trop down pour ça !"

Parce que c'est quand même difficile à croire qu'une fille aussi parfaite existe ! Genre jusqu'à présent, je n'ai absolument rien à lui reprocher. Alors que je suis en plus de mauvaise humeur ! Et ça, c'est franchement rare. Alors, autant en profiter en faisant de nouveau passer ce joint. Lui aussi doit être responsable de mon état général qui s'améliore.

- "Ahah ok, Lys ce sera très bien. Moi, c'est Tiago."

La pluie ne parait pas vouloir s'arrêter, des gouttes fines continuent de tomber. L'avantage, c'est qu'il n'y a pas grand monde qui doit être motivé pour venir prendre l'air, on devrait être tranquilles un bon moment.

- "Alors, puisqu'on dirait qu'on est partis pour rester quelques temps perchés ici, si tu me racontais comment t'en est venue à prendre l'habitude de venir fumer dans cet endroit ?"