De là haut, le quartier ressemble à fourmilière parsemée de mille couleurs. Les rues sont mouvementées, envahies de néons et panneaux publicitaires, et dirigées par les multiples feux de signalisation.

Ici, c'est ma ville, celle où j'ai grandis, où je travail, où je vis... Malgré son paysage urbain et le peu de verdure qu'elle me montre, la vue est pour moi merveilleuse. Je ne m'en lasse pas.

Nous sommes à Shibuya, au sommet de la mythique Tour 109, l'un des centre commercial qui surplombe le 23ème arrondissement de Tokyo. Je veille et j'écoute, malgré ce brouhaha incessant qui résonne jusqu’à mes oreilles... attendant qu'un danger se montre pour aller l'affronter.

Assis en tailleur sur le muret qui sépare le toit du vide, je m’impatiente. Rien ne passe dans cet amas de gens qui va et vient. Quand soudain, je tourne la tête pour regarder derrière moi. Je présente mon visage masqué à celui qui venait d'arriver sur le toit de la tour, et lui dit :

– Pas un pas de plus Darius ! Il fallait bien trouver un nom qui rime... Je savais que tu allais venir, j'ai senti ta cosmo-énergie à des kilomètres.

Bien évidemment, la cosmo-énergie était une connerie. J'avais juste entendu la porte d'accès au toit s'ouvrir avant qu'il ne m'approche.

Attendez, est ce que c'est vraiment nécessaire?"

"Ys, tu sais très bien qu'on ne peut pas laisser quelqu'un avec des pouvoirs en dehors de Terrae. Et même s'il s'agit de Monsieur Daisukenojo."

Oui, on parle bien de ce Bito là. Le plus triste dans cette histoire, c'est qu'en plus devoir revoir sa tronche, c'est qui qui va devoir aller le chercher?! Et ouuiiii!! On dit merci qui?

"Okay les gars, vous semblez avoir oublier mais il m'a violé la bouche..."Pas convainquant. On remet une couche."Il m'a forcé à toucher sa moustache."

Mais le Master cesse de jouer le martyr quand Hideko fit irruption dans la pièce. Son entrée mit tout le monde d'accord et combien même Ys se la joue rebelle, il est contraint d'obéir aux règles. Pas toujours évident d'être Master. Malgré qu'il ne soit plus téléporteur, l'avantage dans cette mission, c'est que son voyage ne serait pas long. A vrai dire, il doit se rendre à Shibuya, un lieu qu'il connait bien grâce à Ipiu. Elle et ses délires chelous de cosplay...

En quelques heures, le jeune homme était sur place, se rendant même à l'adresse de Bito. Mais rien. Ce dernier ne s'y trouvant pas, le Master du rebrousser chemin. Il ère maintenant depuis de bonnes heures dans la ville, à la recherche de cette andouille.

"Haaaannnn.... Même absent, il me casse le c*l!...Gné?!"

C'est quand on touche le fond qu'on rebondit. Tête légèrement penchée en arrière, mains dans les poches, se consolant d'une cigarette, voilà que l'énergie du Master est troublée par une autre. Familière.
Levant un peu plus les yeux au ciel, il put détecter d'où provenait cette aura. De haut. De très haut.

"Putain, j'y crois!"

Allez! Et c'est partis pour monter cet immeuble jusqu'au toit. JUSQU'AU TOIT!! Mais qu'est ce qui ne tourne pas rond chez ce mec?!
A bout de forces et épuisé, le Master arrive enfin à destination. Il n'est pas possible de faire demi tour?!
La porte s'ouvre alors sur sa silhouette postée au loin tel un héros qui attend son heure. MAIS WTF?! Pour lui, c'est la case psy directe.
Darius? Connait pas. Faut pas l'écouter de toute manière, il dit trop de conneries. Maiiiis il lui est impossible de rentrer sans ce rigolo donc...

"Bito, je suis ton père."Enchérit ce dernier d'une voix grave et mystèrieuse.

La réplique du nouveau venu me surprend, cela suffit pour me déséquilibrer l'espace d'un instant et me faire basculer vers le vide qui se trouve devant moi.

Un "WoOh !" m'échappe, et je me redresse brusquement dans l'autre sens pour ne pas chuter. Résultat, je tombe du bon coté du muret et mon dos rencontre lamentablement le toit du gratte-ciel.


Silencieux, je me relève doucement. Cette voix, je la connais. Cette aura, je l'ai déjà ressentie. Ce n'est pas mon père, non, c'est un Master venu me chercher par la peau du cul. Il est ici probablement car il a eu écho de mes sauvetages catastrophiques... Ou pas.

A travers ce masque, je dévisage à présent le Master qui se tient devant moi. Mon sourire s'étend lorsque je reconnais un vieux camarade. Des souvenirs aussi amusants que pénible resurgissent alors.
Mais, le rouquin ne peut voir cette joie sur mon visage, car il est face à un homme portant un masque de yokaï. Je ne fais aucun mouvement brusque, je fais comme si j'étais resté de marbre en le voyant.

– Si mon père avait une tronche de cake comme la tienne, j'aurais honte ! Ça y est, la première vanne sort. Avec cette gueule tu n'peux qu'être qu'un super-vilain !

Je joue la carte de l'amnésique qui ne reconnait pas un vieil ami, car il est hors de question rentrer à Terrae... Pas tant que cette ville a besoin du Héros que je suis.

– Et tu sais c'que j'leur fais au super-vilains moi !

Soudain, je fléchis les jambes et me met en garde.

Ma garde se ramollit tandis que je ravale ma salive.

– Salaud !

Le vil Ys s'en prend directement à mes sentiments, mais il ne s'en tirera pas comme ça.

– Si tu la joue comme ça... je vais te pourfendre d'un seul coup avec mon attaque spéciale !

Mes appuis et ma garde redeviennent solide.

Pendant que mon pouvoir se fait ressentir, que des petits arcs électriques se mettent à crépiter autour de moi, je fais tournoyer mes bras lentement devant moi. Mes gestes sont précis et hypnotiques.
Puis, je verrouille mon poing chargé d'électricité au niveau de ma hanche. Je m'élance vers mon adversaire tel le cheval blanc ailé.

– Par les météores de...!

Ouais mais non...
Tout ce cinéma ne servait qu'à impressionner le Master, lui faire une petite frousse.
Ce qu'il se passa à la place de cet assaut épique, c'est qu'après avoir foncé sur lui, j'avais généré un flash aveuglant. J'en avais ensuite profité pour lui rafler son sachet de chorizo et m'étais téléporté sur le toit d'un bâtiment voisin.

Maintenant, il peut me voir lui faire de grands signe au loin et lui crier :

– Aller, à plus bouffon !

Mon attaque spéciale, ce n'est autre que la fuite.

Vous l'entendez, cette fanfare de la victoire ?
Moi oui... mais ce n'est que de courte durée. Car tout à coup, ce taré de Ys s'est jeté sur moi et s'est accroché comme bébé Koala sur sa mère.

– GwaAh !! j'ai lâché sous la surprise.

Son plaquage nous fait tomber lourdement par terre. J'en perd le sachet de Chorizo, ainsi que mon masque.

– Putain Ys, tu casse les c...

Merde, j'ai dis son prénom... je n'ai plus l'air si amnésique maintenant.

Cherchant à m'extirper de là, je tente plusieurs gestes pour m'échapper. Un crawl, puis une brasse... mais ça ne sert à rien sur le béton. Je me fatigue pour rien. Et le Master a raison, si j'use de ma téléportation, je l'embarque avec moi, ce qui serrait complètement inutile.
Il me reste l'option de jouer au "Pikachu", de l'électrocuter, mais ce n'est pas mon genre de blesser les gens... du moins pas intentionnellement.

– Dégage, cette ville a besoin de moi ! ... En plus tu pue la clope froide !

Je tente d'avancer en rampant, en mode tortue, Ys jouant le rôle de carapace. J'atteins le rebord du bâtiment, tend le bras pour agripper le garde-fou, mais ne réussi pas à me relever... C'est qu'il pèse son poids ce boulet.

Là, quand tout espoir semble perdu, il ne me reste plus que mon arme secrète : La négociation.

– Bon ok, t'as gagné. T'es payé combien pour c'te mission ? J'te paye le double !

La force n'est pas au rendez-vous, alors l'argent vient à la rescousse.

– Tu rentre, tu fais genre t'as échoué et tu reçois la prime. Avec un boulet comme toi ils doivent avoir l'habitude des échecs non ?

Le lion a faim, le lion ne s'est rien mis sous la dent depuis longtemps. Et quand il entend ces mots, il ne peut s'empêcher de les répéter en s'écriant.

– Des "belles biches" ?!

Tout de suite, je prête une oreille plus attentive à Ys. Je vais même jusqu'à lui demander plus de détails.

– Y'a des blondes ? J'ai un petit faible pour les blondes avec de gros...

Je mène mes mains sur mon torse et, avec des gestes délicats, me dessine une belle poitrine imaginaire. Mais rapidement, un souvenir refait surface dans ma petite tête. C'était ce moment magique que j'avais passé lors d'une fête à Terrae, ce moment inoubliable où j'avais enfin trouvé l'amour de ma vie.
Je me ressaisis alors et affirme avec ferveur :

– Non, mon cœur ne bat que pour Mitsu... !

Et merde... Pourquoi elle n'a toujours pas plaqué ce bouffon depuis le temps ?

– ... Ko ! Oui "Mitsuko", ma nouvelle copine bien sûr... Haha.. Ha !

Je ris nerveusement. Je ne suis pas du tout crédible.

HRP:

Le vide est derrière moi me fout les jetons. J'ai beau être téléporteur, je n'ai jamais tenté d'user de ce pouvoirs en me jetant dans le vide... Je ne suis pas assez fou pour ça.

– C.. ca.. calme-toi Ys ! C.. c'était une blague haha, une blague !

Pas du tout, mais mentir est parfois utile pour sa survie.

Instinctivement, j'ai le réflexe de tenir fermement les bras d'Ys... qui sont la seule chose qui me retiennent de ne pas tomber dans le vide.

– Et.. et puis on ne jette pas un pote du haut d'un bâtiment, voyons !

... Même si celui-ci essaye de te piquer ta meuf.

Je tente de le calmer en lui tapotant un bras et lui adressant un sourire digne d'un ange. Ce sourire est certes très crispé et tremblant, mais je n'ai pas mieux pour lui montrer que je vais me tenir à carreaux.

Quand tout à coup, le bruit d'une vitre explosée se fait entendre en bas, sur la rue. Étonné, et le vide toujours derrière les épaules, je tourne la tête pour voir ce qu'il se passe.

Dans un bruit de drap qui claque au vent, des flammes jaillissent d'un restaurant. D'en haut, nous voyons un mouvement de foule. Certains crient qu'une jeune-femme s'est enflammée.

Les sourcils froncés, je tourne mon regard vers le Master.

– Voilà, c'est à cause de ça que je fais gaffe à cette ville ! Les voyous à Tokyo sont aussi rare que des verrues sur le cul d'une princesse. Mais ces initiés qui popent un peu partout... va falloir m'expliquer !

Car oui, depuis que j'avais repris mes pouvoirs, ce n'était pas la première fois que je voyais des pouvoirs se manifester en pleine ville.

Regarder les infos ... ?
Non, je préfère jouer à la console, c'est moins déprimant que d'écouter des journalistes qui radotent sur la politique et le climat qui part en couille.

Je fais un simple non de la tête -ce n'est pas le moment de raconter ma petite vie- , puis j'écoute attentivement Ys.

Il me dit que les explications attendront et il a raison. Un Vide est dans les parages et il faut se hâter. Je hoche donc la tête, attrape la main du Master d'une poigne bien virile digne des plus grands films d'action, et nous téléporte enfin sur une ruelle discrète qui mène directement sur le lieu de l'incident.

– On y va !

Tout de suite, nous croisons un homme affolé qui s'écrie :

– Appelez les secours ! La jeune femme est encore à l'intérieur, vite !
– Vous inquiétez pas m'sieur, on est là !
– Vou.. vous êtes des pompiers ?
– Mieux : On est des Héros !

J'affiche un grand sourire sûr de moi. L'homme reste confus un instant, puis se remet à crier à tue-tête, l'air deux fois plus paniqué.

– Appelez les secours ! ... Et l’hôpital psychiatrique !

Je le regarde complètement blasé, puis je me tourne vers Ys afin d'exposer mon plan de génie.

– Bon... Tu l'approche avec ton aura grave mystérieuse. Ensuite tu l'aguiche avec ton tatouage de kéké... et PAF j'arrive derrière et je lui met un Shuto-Uchi dans sa gueule !

Je mime grossièrement un coup de Karate qui utilise le tranchant de la main et qu'on assène souvent à la nuque pour assommer un adversaire.

– Et BIM, c'est plié et dans la poche, comme un mouchoir.

C'est comme ça que font les Masters d'habitude, non ?

A quelques détails près, mon plan parfait est approuvé par Ys. A la place d'une séduction à base d'aura et de tatouage, ce sont des canons à eaux qui serviront à calmer la demoiselle en feu. Un choix judicieux pour ne pas se brûler. Mais cela soulève une nouvelle question : Depuis quand Ys maîtrise-t-il l'Eau ?!

– Comment tu... !

Le fracas de la borne à incendie qui s'écrase sur le bitume me coupe dans mon élan et puis, le signal est donné, je n'ai plus le temps pour ça. Cette question devra attendre.

N'attendant pas une seconde de plus, je m'élance alors dans une énième téléportation.
J'apparais derrière la jeune femme trempée jusqu'aux os. J'affiche un regard impassible et lève le bras. Je suis prêt à frapper tout en lâchant une réplique digne de "Ken le survivant".

– Omae wa mou...

Quand soudain, c'est l'hésitation qui me gagne. J'entends des pleurs. Mon coup ne pars pas.

Tacler un voleur en pleine fuite, secourir un chat coincé sur un arbre, aider une mamie à traverser la rue... Tout ça je sais le faire en tant que héros du quotidien. Mais assommer  une femme anéantis... ça non, je ne peux pas.

Mes muscles se ramollissent et mon bras tombe doucement le long de mon corps.

La jeune femme s'aperçoit alors que je suis derrière elle. Ses yeux inondés de larmes me fixent et, dans un cri de désespoir, elle se jette sur moi.

C'est à cet instant que je regrette de ne pas avoir assez de cran et de ne pas être prêt à être celui que je voulais être avant de poser ma démission à Terrae : un Master, un héros sans peurs et sans reproches.
C'est aussi à cet instant que je sens que je vais prendre cher, que la jeune femme torturée va me griller comme une saucisse... Je me protège, je ferme machinalement les yeux et dans mon malheur... je reçois une étreinte désespérée.

La jeune femme n'avait pas usé de son feu, elle s'est juste jetée sur moi pour chercher réconfort et laisser couler son chagrin.

– Aidez-moi... S'il vous plait... Dit-elle entre deux sanglots.

Je la regarde, puis lève mes yeux sur le Master.

– Je crois que... je ne suis pas prêt pour ça.

Finalement, être un vrai héros ce n'est peut-être pas fait pour moi.

HRP: