L'Eclipse avait considérablement changé ma façon de voir les choses. Si c'était fini aujourd'hui, les choses avaient été compliquées pendant les sept derniers mois. J'avais pleinement pris conscience de cette dépendance aux pouvoirs que nous avions, autant les nôtres que ceux des autres en général : les Tonnerres pour nous fournir en électricité, les Eaux pour purifier les eaux usées, les Terres pour entretenir les extérieurs... Nous avions pris nos marques dans ce confort, et l'Eclipse nous avait bien renvoyé à la gueule que nous n'aurions peut-être pas dû, ou bien que nous aurions dû nous préparer à certaines éventualités, notamment celle du retrait de nos pouvoirs respectifs.

Après les premiers jours du retour à la normale qui s'étaient résumés par le rétablissement des règles habituelles, et l'organisation des dernières rénovations à apporter à l'Institut, j'avais décidé qu'il était temps pour moi de m'entraîner à maîtriser véritablement d'autres pouvoirs, et non plus uniquement le mien. J'étais sensée représenter cet endroit, je ne pouvais donc décemment pas perdre pied comme ça avait été le cas au lendemain de la première Eclipse. Je devais maîtriser, toujours, en toutes circonstances, et si mon univers reposait sur l'utilisation des pouvoirs, alors je devais tous les maîtriser.

Je poussai un soupir alors que le dernier cristal de Télépathie, que Keitaro avait bien voulu me fournir pour mon entraînement de l'après-midi, disparaissait entièrement entre mes doigts. J'essuyai la sueur qui perlait sur mon front à l'aide de la serviette que j'avais emportée, et bus quelques gorgées d'eau avant de jeter un regard à ma montre.

Il y a quelques temps, j'avais dû convoquer Mira dans son bureau, en rapport à sa "fugue" hors de Terrae suite à l'Attentat que nous avions encaissé. La conversation avait été, je l'espère, suffisamment riche pour que je ne regrette pas d'avoir accepté de l'entraîner. Aussi, sachant que j'allais passer l'après-midi dans la salle d'entraînement (seul lieu véritablement adapté pour contenir mes pouvoirs si jamais ils m'échappaient), je l'avais contactée pour lui proposer de s'y retrouver plus tard dans la journée, afin de pouvoir prendre le relais sur son entraînement après avoir fait le mien. Vu l'heure qu'il était, elle ne devait pas tarder, aussi ne fus-je pas surprise de la voir passer le pas de la porte, grande, fière et indomptable, quelques minutes seulement après ma réflexion.

-Bonjour Mira. Comment te sens-tu, maintenant que tu as récupéré tes pouvoirs ?

Le retour à la normale s'était manifesté comme une bénédiction du ciel pour moi, en plus du renard qui me parlait dans mes rêves, j'avais enfin retrouvé ce pour quoi j'avais été destinée. Et dire que je n'ai jamais connu ce pouvoir, plusieurs fois on m'a donné l'occasion de pratiquer ceux qui me passaient sous le coude, à cause de l'éclipse. Moi, ces tours de passe-passe ne m'impressionnaient pas, ils ne m'amusaient pas. Ils me lassaient et me faisaient me sentir faible par rapport aux autres. Mais maintenant, c'est différent, je me sens légitime. En plus de ne pas douter de l'utilité de cette capacité, je m'en délecte à chaque utilisation. C'est comme le meilleur hobby que l'on ait pu me proposer, tout paraît si dérisoire à côté de sa pratique.

Je ne pouvais pas attendre de maîtriser ce torrent de potentiel que j'étais certaine d'avoir, le feu, je m'en contrefichais, mais ce contrôle ! J'aurais vendu ma propriété, mon personnel et le reste de mon argent pour l'avoir. Tout ça reste à ma disposition et l'on m'offre tout de même l'opportunité de gagner pareil privilège ! Père, vous avez intérêt à observer depuis les cieux et à jalouser mon succès. Je suis sur le point d'atteindre un seuil de pouvoir auquel vous n'auriez jamais pu prétendre. Je me sens déesse ... et ce n'est pourtant qu'un début.

Aujourd'hui, j'étais de la même humeur que tous les autres jours depuis la fin de cette maudite éclipse : j'exultais. Je m'étais déjà amusée à tester mon pouvoir sur d'autres personnes, consentantes ou non. Quelques exploits avaient suffit à me faire prendre confiance que je réussirai encore mieux, dans le futur. Sans oublier le meilleur ...

J'étais dans ma chambre à m'amuser un peu avec les flammèches ridicules que j'essayais de créer. Pour ne pas risquer de tour brûler, je m'étais mise dans ma douche sans quoi que ce soit d'inflammable et juste à portée du pommeau si je devais accidentellement perdre contrôle. Je m'échauffais, en fait, et sans mauvais jeu de mot. Madame Honda, la directrice de l'institut, m'avait donné rendez-vous dans la salle d'entraînement ... où je n'avais jamais été. Je ne voulais pas décevoir, pas plus elle, que moi-même. Nous avions toutes les deux des attentes, et elles étaient redirigées vers la même personne. Pour employer un langage indigne de moi ; j'avais intérêt à assurer grave.

Prenant des habits plutôt simples de mon armoire, le tout en noir parce que je n'ai pas encore osé changer de couleur préférée, je m'aventure dans les couloirs à la recherche de cette salle. Je dois emprunter deux fois le même escalier et me tromper deux fois de portes avant de finalement y arriver ... est-ce que je suis en retard ou elle est en avance ? Quoi qu'il en soit, je prends une seconde mentale pour maudire mon sens de l'orientation ... je ne tolère pas le retard. Elle est arrivée avant moi, j'aurais préféré qu'il en soit autrement. Question d'image.

- Toute feu, toute flamme, si j'ose dire !

Oh j'étais satisfaite, ça oui, motivée je l'étais plus encore, j'avais bien trop envie de maîtriser ces dons pour ne pas pouvoir l'être. En fait, j'eus presque le réflexe de me couvrir la bouche, je n'avais pas l'habitude d'intonations aussi mélodieusement influencées par quelconque émotion. Même en étant à l'intérieur de mon corps, je devinais l'expression sur mon visage que, pour une fois, je ne maîtrisais pas et que je ne comptais maîtriser. Oui, je suis une connasse hautaine qui s'amuse de manipuler les autres et non, je n'en ai aucune honte. Mais là, je ne suis rien d'autre qu'une élève ambitieuse qui a vraiment envie d'apprendre et connasse ou non, je suis là maintenant et j'en suis extrêmement fière.

- Par quoi est-ce qu'on commence ?

Sans rire, j'ai véritablement l'impression d'avoir des flammes qui brûlent au creux de mes pupilles tant j'ai hâte. Ca doit se voir ? J'espère que ça se voit.

Un petit sourire étira le coin de mes lèvres. Je reposai la serviette que j'avais utilisée pour éponger mon visage à côté de mon sac, et bus une nouvelle gorgée d'eau avant de la reposer sur le sol elle-aussi.

L'expression qui animait les traits de Mira m'amusait un peu. Tout ce qui faisait d'elle une femme fascinante s'était évanoui presque instantanément quand j'avais croisé son regard déterminé d'apprendre, et finalement, presque dépendant de cette soif de découverte. Je m'approchai d'elle après avoir réajusté ma queue haute, et fis naître dans la paume de ma main une sphère de feu que je fis danser un peu entre mes doigts avant de la laisser s'éteindre.

-J'ai déjà besoin de savoir ce que tu es capable de faire. Tu n'as pas vraiment eu beaucoup l'expérience du Feu ou du marionnettisme avec l'Eclipse. On va commencer par des basiques : tu vas me montrer jusqu'où s'arrêtent tes limites dans ton contrôle de tes pouvoirs. On commence avec le Feu, qui est plus visuel.

Et qui ne nécessite pas encore que je fasse flancher ma barrière de Master. Parce que ne nous voilons pas la face, apprendre à maîtriser le pouvoir de marionnettiste nécessite que quelqu'un se dévoue à jouer la marionnette...

-J'ai aussi besoin que tu me décrives ce que tu ressens à chaque fois que ton énergie afflue en toi. Sers-toi de l'expérience que tu as eu aussi avec les autres pouvoirs que tu as pu apprendre à contrôler. Peu importe le pouvoir, on manipule souvent son énergie de la même façon.

J'avais hâte de voir ce qu'elle était capable de faire. J'allais dire que cela faisait longtemps que je n'avais pas entraîné quelqu'un, mais ce serait mentir. Il y avait bien eu Arash. Ce qui était plus certain, c'est qu'étrangement, toutes les personnes que je finissais pas prendre sous mon aile n'était jamais si simples à cerner. Et la relation se terminait assez rarement bien.

Aucun de mes "élèves" n'était jamais resté jusqu'au terme de l'entraînement... Mira serait-elle une exception ? J'en doutais. Un jour où l'autre, elle se détacherait de moi, quand elle aura senti que je ne pourrais plus rien lui apprendre. Les Feux avaient toujours besoin de plus.

Bien ... commencer par le feu, bien. J'avais bien fait de me préparer un peu avant, alors, sinon j'aurais risqué de me brûler. Ce risque n'est d'ailleurs pas encore éliminé, je n'ai quasiment pas utilisé les pouvoirs élémentaires, que ce soit durant la période de l'éclipse, ou bien même après. Je peux m'attendre à ce que ce ne soit pas facile, d'ailleurs, ça ne le sera certainement pas. Par précaution, j'imitais ma tutrice qui s'était déjà attachée les cheveux. Oui, ça m'aiderait bien que mes mèches ne prennent pas feu, histoire de conserver cette beauté naturelle intacte.

Elle me conseille de m'inspirer des mes expériences passées avec les différents pouvoirs que j'ai pu traverser. Je me souviens de la première fois que j'ai utilisé mon don envers une autre personne, ça a résulté en la mort de l'individu. A l'époque, je n'avais fait que libérer ma colère dans le bras du rat concerné. Senri m'avait appris à jouer à la sensitive, il m'avait dit de capter et de diffuser. Je n'ai rien à capter, pour faire du feu, mais j'ai bien des flammes à diffuser. Il s'agirait plutôt de concentration, alors, capter mon attention pour la rediriger sur ma conjuration.

J'entends un grésillement crépiter entre mes doigts et voit la lueur d'une flamme apparaître entre mes deux paumes. Mes phalanges se contractent toutes seules autour, j'ai l'impression de trop donner.

- Mes mains piquent, mes bras sont engourdis ... je n'arrive pas à détacher mon attention de la flamme.

Ce n'est pas que je n'y arrive pas, mais je sens que si j'arrête de la contrôler, elle va se mettre à me mordre, moi. En même temps, j'ai très envie d'essayer, on n'apprend pas sans faire d'erreurs, pas vrai ?

- Dès que je me concentre dessus, j'ai l'impression d'étouffer le feu, mais dès que j'arrête de ma focaliser, je sens qu'elle devient incontrôlable.

J'illustre mes propos de l'image, un craquement se fait entendre dans mes doigts tandis que je me concentre sur la flamme. A l'inverse, ils se détendent dès que je lève les yeux et relâche mon emprise. Mais alors, le feu entre mes paumes se met toujours à entamer une danse sauvage sans que je ne puisse véritablement le contrôler. C'est frustrant ... j'ai l'impression de ne pas pouvoir garder un feu de cette taille tout en regardant ailleurs. Alors, hésitante, je lève d'abord les yeux, puis le visage.

Le feu s'affole immédiatement, gravitant en gerbes autour de mes mains et prenant de l'ampleur. Je sens les braises ricocher contre ma peau, tandis que j'essaye de les contenir à nouveau, mais cette fois-ci, je n'arrive plus à les condenser comme avant. Alors je lâche mon emprise, erreur qui fait se libérer une vague ardente au bout de mes bras qui me brûle l'épiderme avant de s'évanouir, à la manière d'une fleur embrasée.

Je jette un oeil à mes poignets ... tout a l'air d'aller, même si je peux prévoir deux trois cloques à venir. Il faut se rendre à l'évidence, je n'ai vraiment pas le coup de main.

- Si je relâche mon attention, le don se déchaîne et je n'arrive plus à le brider, comme s'il comptait sciemment se libérer de moi.

Pourtant, je ne suis pas une si mauvaise détentrice.

Sans prendre le temps de prononcer un mot, Mira répond à la consigne. Je sens qu'elle se concentre au moment où son énergie commence à s'agiter en elle. Quelques instants plus tard, une flamme naît dans sa main, et Mira prend enfin la parole pour partager sa perception.

La flamme dansait dans sa main, jouant avec le contrôle de sa détentrice. Elle s'agitait lorsque l'attention était relâchée, se recroquevillait quand Mira reprenait le dessus. Un sourire naquit doucement sur mes lèvres. Parfois, je me dis que j'aurais aimé vivre et expérimenter ma magie comme eux, plutôt que comme je l'avais fait. Ce feu destructeur peut aussi être terriblement joueur.

Elle finit par cesser de regarder la flamme, et je sens son énergie lui échapper un instant, l'instant qu'il fallut à la flamme pour échapper à son contrôle, lui brûler légèrement les mains, et disparaître.

-Il faut que vous appreniez à ne faire plus qu'un. Tu es celle qui le contrôle mais il est celui qui t'apporte la puissance. Vous n'avez pas encore trouvé de terrain d'entente qui te permette de le manipuler sans y penser.

Je fis naître quelques sphères de Feu et les envoyer virevolter autour de nous, essayant d'en éliminer mon aura et ma signature.

-Apprends à sentir le feu. Il t'entoure, mais il ne t'appartient pas encore. Il faut le domestiquer, le faire devenir tien, sans l'étouffer justement. Vous devez vous mettre d'accord. Trouver un terrain d'entente. C'est l'histoire du renard et du petit prince.

Je lui adressai un sourire léger.

-Et c'est normal que ça t'échappe encore. Tu n'as pas eu la possibilité d'utiliser tes pouvoirs très longtemps avant qu'ils soient changés.

Je marquai une petite pause avant d'énoncer clairement la nouvelle consigne :

-Essaie de sentir le feu qui brûle dans chacune des sphères qui nous entourent. Répands ton énergie à l'intérieur, choisis une seule sphère pour commencer. Imbibe-la de ton essence. Et laissa la jouer sans l'étouffer. Partage le contrôle. Le Feu a besoin de liberté, mais une fois que tu lui donnes ce qu'il attend, il t'obéira sans réfléchir.

Y avait-il donc plusieurs manières de faire ? La manière dont elle décrit le pouvoir me laisse penser que je devrais simplement laisser faire mon instinct. L'ennui, c'est que j'ai conscience d'être quelqu'un qui est bien plus réfléchie qu'impulsive. Elle me dit qu'il a besoin de liberté, je n'ai jamais connu le moindre agent, dans ma famille comme ailleurs, qui avançait dans la vie à la manière d'un papillon. A mes yeux, la liberté n'est rien d'autre qu'une farce que l'on donne aux gens assez crédules pour y croire.

Et maintenant, elle me dit que parce que je le restreins trop, mon pouvoir refuse d'obéir ? Mais j'ai essayé de ne pas le restreindre, et dès que je le fais, j'ai l'impression qu'il cherche juste à me dévorer ! Je regarde les sphères qui gambadent dans l'air, est-ce que celles-ci aussi sont libérées ?

"Le renard et le petit prince" ... oh non non non. Hors de question qu'elle fasse ce genre de métaphore alors que mon pouvoir m'est apparu en rêve sous la forme d'un renard incandescent. Et ce rêve était bien trop mémorable pour qu'il ne soit que le fruit d'un vulgaire songe ! Au moins ... ça me parle ... j'avais l'impression que cet animal n'en faisait qu'à sa tête, indépendamment de ce que je pouvais dire. Moi aussi, d'ailleurs. Je lui avais dit que son feu, il pouvait se le garder. Ce don, il est vraiment vivant ?

J'essaye de sentir le feu ... à chaque fois il s'agit de sentir quelque chose, dans ces pouvoirs. Je ne le sens pas, mais je l'entends et je le vois. "Partager le contrôle ?" ... et puis quoi encore ?! Si je le partage il n'en fera qu'à sa tête, je suis sa maîtresse, c'est moi qui suis censée le tordre et le faire danser. Je n'aime pas ça, mais je dois écouter. Pour citer le livre des Proverbes "Ouvre ton coeur à l'instruction et tes oreilles aux paroles de la science". Même si la science paraît absurde ... je n'ai aucune confiance en ce feu.

Je choisis la sphère à ma droite, m'y focalise, y projette mon attention et ma maîtrise. Cette fois, je lui laisserai plus de terrain, mais je compte bien rester aux aguets. Au moindre dérapage, je reprendrai le dessus. J'en suis capable, je l'ai déjà fait, je dois en être capable ! Alors, la sphère commence à bouger, elle danse tandis que j'essaye de rester sur cette fine ligne entre confiance et méfiance.

Au bout d'un moment, elle se met à gronder, avant de s'immobiliser sous mon impulsion, alors je lui redonne du mou, mais j'ai l'impression que mon don en profite pour à nouveau reprendre contrôle sur lui-même. Serrant les dents, je l'étouffe immédiatement ... et involontairement. Je soupire.

- Cette histoire d'entente me frustre, je n'aime pas l'idée de devoir partager avec une entité dont je ne connais presque rien.

Au moins, je serai douée pour empêcher les incidents, mais ce n'était pas l'idée que je me faisais du pouvoir incommensurable que ce lieu laissait présager. J'ai hâte que l'on passe au marionettisme pour prouver ma valeur. Là-dessus, avec le renard, on s'était bien entendus.

Mira écouta mes conseils. Je vis ses sourcils se froncer quand elle concentra son attention sur la sphère qui se trouvait à sa droite. Petit à petit, la sphère commença à danser et à tester les limites qu'on lui octroyait. Je relâchai évidemment tout de suite la moindre emprise que j'aurais encore pu avoir sur elle, et laissai Mira prendre le dessus.

Lentement, mais sûrement (au moins le pensais-je), elle laissa un peu plus de liberté au feu qui se régala de ce sentiment. Et puis, quand cela sembla lui échapper, elle céda à la panique et la sphère s'éteignit immédiatement. Je souris délicatement en écoutant ses paroles.

-C'est à toi d'apprendre à la connaître.

Je ramenai les autres sphères qui continuaient à brûler autour de nous dans ma main, et leur donnèrent la forme d'un rongeur quand elles furent enfin toutes réunies. L'animal de feu commença à remonter le long de mon bras pour venir se poser sur mon épaule.

-Tu sais, quand j'ai reçu mes pouvoirs, je n'ai pas su quoi faire. Parce qu'il n'y avait personne d'autre qui avait des pouvoirs pour me guider, personne qui était là pour m'aider.

On oubliera le moment où j'ai été enlevée par les scientifiques pour être étudiée, plongée dans un coma artificiel qui m'a fait perdre quelques mois de mon existence.

-J'ai erré un bon moment sans but. Mes pouvoirs m'échappaient sans cesse, je n'avais aucun sceau pour m'aider à les contenir. J'étais seule et sans personne pour m'aiguiller ; j'ai...

... brûlé un village. Tué des personnes. Parce que je ne pouvais pas contrôler ce feu. Mon estomac se noua.

-... fait des choses que je regrette. J'ai perdu confiance en moi, je ne me suis vue que comme un monstre. Et puis un jour, il y a cette personne qui est arrivée, qui est entrée dans ma vie, et qui a eu confiance en moi, pour moi. Il m'a aidé à contrôler ces Appels que j'entendais sans cesse, ces personnes qui ressentaient le Vide. Il m'a aidé à construire Terrae, et surtout, il m'a appris à ne plus voir le Feu comme quelque chose de destructeur. Ce que je veux dire, c'est que jusqu'au moment où j'ai accepté ce feu, où j'ai accepté cette puissance, où j'ai accepté que nous n'étions qu'un, et pas deux, j'ai enfin été parfaitement en mesure de le contrôler. Parce qu'il brûlait déjà en moi depuis bien longtemps, je l'avais juste rejeté.

Le rongeur sur mon épaule se transforma en phénix avant de se dissiper dans les airs, ne laissant derrière lui qu'une traînée de fumée.

-Certaines personnes ont besoin de donner une forme à leurs pouvoirs. De leur donner vie. Sous la forme d'un animal, ou ce que tu veux. D'autres prennent aussi le temps de méditer, pour prendre le temps de sentir cette énergie qui se déplace en eux, et qui fait désormais partie d'eux. Ils s'en imprègnent et parviennent ainsi mieux à contrôler le flux. Il n'y a pas vraiment de remède miracle, c'est à toi de trouver ce qui te parlera le plus. Ce qui restera commun à toutes les stratégies que tu pourras employer, c'est le maître-mot "patience". Plus tu voudras aller vite, moins ça fonctionnera. Apprendre à contrôler ses pouvoirs c'est ré-apprendre à se connaître, et ré-estimer ses capacités.

Une goutte de sueur perla sur mon front tandis que je m'appuyais sur mes genoux pour récupérer un peu du souffle que j'avais perdu. Ce genre d'efforts continus, je n'y étais pas accoutumée, j'avais pour habitude de n'utiliser ma magie que de manière brève et soudaine. On ne m'avait jamais demandé de garder le contrôle sur quoi que ce soit, auparavant. En fait, on ne m'avait jamais demandé quoi que ce soit. J'étais seule à m'occuper de mon apprentissage. Jusqu'à maintenant en tout cas. C'est amusant, la dernière personne à s'être ainsi occupée de mon éducation était ma mère, avant que mon père ne se charge de me faire devenir comme lui.

J'imagine que c'est toujours comme ça que l'on doit renvoyer son image à ceux que l'on dirige, celui d'un parent, quelqu'un en qui l'on peut avoir confiance. J'ai toujours eu cet objectif en tête, vis-à-vis de ma production, de mon organisation ... de Terrae. On me trouve arrogante, très bien, mais je ne souhaite que le meilleur chez les autres et je n'ai toujours voulu que ça, faire ressortir la part de génie de chaque personne. Oui, le monde est divisé entre forts et faibles, mais même la piqûre d'un insecte peut être fatale.

"Apprendre à la connaître" sans savoir ce qu'elle veut de moi, cette entité, c'est comme battre le foin pour y trouver l'aiguille. Long, fastidieux et la récompense n'en vaut peut-être pas la peine. Sauf que cette fois, je suis persuadée que si. Alors, je ne jetterai pas cette chance, je ne connais pas la valeur d'un tel pouvoir, je ne sais même pas s'il vaut la moindre des pièces de ma fortune, mais je sais qu'il est bien trop rare pour vouloir l'abandonner. Vu ce qu'en fait Hideko, ça doit en valoir la peine.

Et, alors qu'elle me révèle qu'elle a commis des actes innommables à cause de ses pouvoirs, j'ai l'impression qu'elle m'ouvre une porte qui n'est pas forcément accessible à tous. J'aime me sentir unique ... mais cette fois, elle me donne une sensation désagréable, un arrière-goût au fond de la gorge, dans l'estomac même qui me fait me sentir un certain vide. Mon esprit hésite entre la déception, la réalisation et le soulagement. Je préférerais choisir l'inertie, mais elle n'a pas intérêt à me mentir sur ces choses ... en dépit de mes origines, je reste une élève parmi d'autres ... n'est-ce pas ?

- Est-ce qu'on peut ... se revoir demain, ou dans quelques jours pour réessayer ?

Je n'aime pas le doute qu'elle a installé en moi, je préférerais simplement l'ignorer. J'en suis capable, filtrer les informations, c'est ma spécialité. Aurait-ce été n'importe qui d'autre qui me l'aurait dit, passe encore, mais maintenant qu'elle me rappelle qu'elle a eu un passé, elle aussi et qu'elle en a souffert ... je me retrouve dans sa tête à imaginer. Ce que j'imagine ? Je m'imagine apprendre à une jeune qui me ressemble et qui refuse de m'écouter ... et je ne veux pas être cette jeune. Alors, j'ai besoin d'un peu de temps, là, maintenant, j'ai un peu la nausée.

- J'ai besoin de réfléchir.

Même si elle m'avait sommé de rester, j'aurais pris la porte. Je n'étais pas gouvernée par l'émotion, mais j'avais simplement une priorité. C'était évident que je ne parviendrais pas à m'améliorer si je ne faisais pas ce qu'elle me disait de faire.


Terrae n'eut aucune nouvelle de moi durant trois jours. Trois jours où je m'étais enfermée dans ma chambre à essayer d'entrer en synthèse avec mon pouvoir. Hideko avait été claire, selon moi ; je n'arriverai jamais à rien si je n'avais pas trouvé ce terrain d'entente. Le premier jour, j'avais cherché une réponse dans la Bible ... et je l'ai jetée au fond de ma chambre, réalisant à quel point cette idée avait été stupide. Alors, à partir du deuxième jour je choisis d'écouter ma tutrice à la lettre et d'essayer d'entrer en communication avec cette chose qui m'habitait.

Le renard, cette image qui revenait à chaque fois. J'essayais de la rendre vivante, concrète, de la dessiner au travers des flammes, comme si je tenais une plume à la main et que le feu était mon encre. Je n'arrivais qu'à créer une forme morte, statique, brouillée, entrecoupée par le vide. Ce n'est que le troisième jour que je pris une initiative. Prenant un miroir, je m'accroupis devant pour voir mon reflet, voir mon visage pendant que je maniais mon don. Je repris l'exercice d'Hideko ... et je vis mes traits. Ils étaient distants et froids.

Ce n'était pas ce que je voulais. Ma tutrice m'avait parlé de chaos, lorsque l'on impose trop d'ordre, mais d'harmonie, lorsque l'on apprend à libérer. Je n'avais pas envie d'être tyran, seulement une sauveuse, une figure d'inspiration auprès de quelqu'un ... et si ...

... et si je lâchais tout ça, au moins pour un temps ?


Il était encore le mâtin lorsque je vins frapper à la porte de la directrice, à qui je n'avais pas donné la moindre nouvelle depuis que j'étais sortie de cette salle. Droite comme toujours, je me permis d'entrer et de demander sans tergiverser.

- Pardon, madame, mais auriez-vous du temps à me consacrer, cet après-midi ?

Tout devait être très soudain pour elle, mais je m'étais jurée d'apprendre ce pouvoir, de le maîtriser, d'en maximiser le profit. Je n'avais pas le temps d'être mauvaise élève.

Après mon monologue, Mira me demanda si nous pouvions arrêter la séance-là, et je n'insistait pas, considérant que ce n'était pas vraiment bénéfique si je la forçais à poursuivre, et que ça irait de toute façon contre ce que je venais de lui expliquer. Je hochai donc la tête, et elle ne tarda pas à prendre la porte de la sortie. Je la suivis du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse entièrement derrière la porte. Un petit soupir m'échappa tout de même, et je me dirigeai vers mes affaires pour attraper ma bouteille d'eau. Après quelques longues gorgées, je récupérai tout et quittai la pièce à mon tour ; mon entraînement avait déjà suffisamment duré lui-aussi.


Les jours se succédèrent sans que je n'entende parler de la jeune italienne. Je ne pris pas de ses nouvelles ; déjà parce que j'avais encore énormément de choses à faire avec le retour à la normale à Terrae, et ensuite parce que ce n'était pas mon rôle. J'acceptais de lui offrir mon aide si elle en avait besoin, mais je n'allais pas lui courir après si elle jugeait qu'elle n'en avait plus besoin. J'avais pris l'habitude, avec le temps, des allers et venues des élèves que je prenais sous mon aile. J'avais fini par conclure que je n'étais peut-être tout simplement pas faite pour partager mon savoir, et que ce n'était pas si grave ; les autres Masters le faisaient très bien.

Je profitais donc de ces créneaux que j'avais originellement bloqués pour Mira pour poursuivre mon propre entraînement avec les différents pouvoirs, me trouvant assez satisfaite de mon évolution. J'étais encore bien loin du compte, mais je commençais déjà à mieux cerner et contrôler les pouvoirs des Terres Solaires, ce qui n'était pas une mince affaire quand on voyait d'où je partais.

Au bureau, les dossiers continuaient à s'enchaîner. Il restait encore des personnes avec des pouvoirs dans le monde qu'il fallait protéger et récupérer, et les Masters continuaient à enchaîner les missions. L'Institut commençait petit à petit à retrouver un vrai visage, les restes de l'Eclipse s'estompant sous les doigts compétents d'Athéna. Heureusement qu'elle faisait maintenant partie de nos rangs, je ne sais pas comment nous aurions pu agir sans elle.

L'enquête sur l'Attentat poursuivait sa route, mais un nouveau point noir demeurait : Ys qui était parti, emmenant avec lui l'un de nos élèves qui avait déjà pu être compliqué à gérer par le passé. Ma conversation avec Houston trônait toujours dans un coin de ma tête, et beaucoup trop de pensées d'une manière générale parasitait mes réflexions. Quelques doutes se soulevèrent, et j'étais justement en train de remettre en question ma légitimité à garder ce poste de directrice, quand la porte de mon bureau s'ouvrit sur Mira. Je posai mon regard sur elle et souris en réponse à sa question.

-Je vais avoir encore un peu de travail cet après-midi, mais je suppose que je peux essayer de me rendre disponible pour 17h, si cela te convient.


Et c'est ainsi que quelques heures plus tard, en fin d'après-midi, je retrouvais Mira en salle d'entraînement.

-Je vais partir de l'idée que tu t'es exercée de ton côté depuis la dernière fois que l'on s'est vues. Où en es-tu de ta réflexion et de ta maîtrise ?

J'étais dans la salle d'entraînement, à attendre que ma tutrice ne revienne. Est-ce que trois jours avaient été assez ? Je crois que ce ne sera jamais assez, à vrai dire, mais on pourra dire que ... c'est un bon début ? Est-ce que tous les élèves étaient passés par là ? Cette phase de remise en question, cette obligation de voir le monde d'un autre point de vue pour pouvoir faire en sorte de s'améliorer, étais-je l'une des rares à l'avoir vraiment traversée ? J'aimerais bien que ce soit le cas, je ne pense pas avoir vraiment changé, mais je demeure ... troublée par mon air antipathique d'hier.

En attendant que vienne l'heure, je restais assise en tailleur contre un mur, à m'échauffer les doigts avec les flammes. Je le faisais en toute discrétion, je n'avais pas envie que l'on constate mes progrès ... même si pour l'instant, cela ne devait pas se voir, mais je m'étais efforcée à aller dans le sens de mon don, alors je ne vois pas pourquoi je ne progresserais pas. L'ambition, je l'avais, la motivation, tout autant, l'envie, plus que tout. Alors, hier, j'avais tenté de complètement laisser mon don s'exprimer. Le résultat avait été ... cocasse.

Lorsque la directrice traversa la porte de la salle d'entraînement, j'étais restée assise, avec les notes que je prenais sur les ressentis que m'inspiraient l'usage de mon don, au fur et à mesure que je le laissais s'exprimer. Le premier de la liste était "appréhension", le second était "sceptique" et le troisième dessina une frontière nette, avec un "étonnée", puis, j'avais terminé cette courte liste avec le mot "satisfaite".

- J'ai essayé de faire comme vous m'aviez conseillé. Dis-je avec un regard qui essayait de ne pas vendre la mèche. Je ne me suis jamais sentie à l'aise avec le feu, alors j'en ai fait autre chose, mais il agit ... bizarrement.

Je prends une grande inspiration, avant de doucement libérer de mes mains, des liasses enflammées qui vinrent dessiner sans vraiment de détails, les contours d'un renard qui avança vers ma tutrice. Comme hier, il était calme, serein, d'un sang-froid extrême. Il marchait, tête haute et attitude indifférente. Je le trouvais odieusement hautain, mais en même temps, j'aimais bien cette insolence. Ma manifestation s'assit, se secouant le visage d'un air dédaigneux.

- Je n'ai aucune idée de si c'est moi qui fait ça inconsciemment ou si c'est lui qui se laisse aller. Dans tous les cas, il se prend pour une véritable diva.

Ah ... bon il fallait se rendre à l'évidence.

- C'est mon inconscient, pas vrai ? Nos pouvoirs ne sont pas vraiment vivants, alors s'entendre avec eux est vraiment plus une histoire de paix intérieure que d'entente

Je crois que ma plus grosse barrière était ma frustration, cet écart que j'ai avec le feu à cause des images employées par la Bible. D'ailleurs, pragmatique que je suis, j'ai utilisé l'une des pages de l'ancien Testament pour écrire mes notes. Je n'avais plus de feuilles, alors j'ai improvisé. Eh oui, la Providence, je compte m'élever au-dessus de vos légendes, donc je ne peux pas me sentir limitée par vos règles. Je préfère être ma propre déesse et si c'est de l'hérésie, alors je compte bien enchaîner les sacrilèges, jusqu'à monter au trône par-delà les cimes. Depuis trois jours, j'ai l'impression d'avoir du feu dans les veines, mais je ne sais pas trop pourquoi.

- On m'a élevé pour que je craigne les flammes. Je suis catholique ... l'enfer n'est composé que de ça. Mais je commence à douter des images bibliques, désormais et ça libère énormément.

Oui, j'avais déduis ça en faisant une profonde introspection d'une journée entière. En bref, j'ai listé tout ce qui aurait pu me retenir d'utiliser correctement mes pouvoirs. J'y avais inscrit d'ailleurs "la capacité d'enseignement de la directrice", mais ça, c'était dix-huit lignes avant que je n'écrive "mes croyances", "mes acquis" et "mon orgueil". Je relève la tête vers Hideko avec un sourire curieux.

Comment est-ce que vous pu vous entendre avec votre pouvoir ? J'ai une meilleure question, si vous aviez été seule avec votre don, auriez-vous pu un jour seulement le maîtriser comme maintenant ?

Il y a quelque chose que je dois confirmer ... histoire d'avoir la conscience tranquille sur un petit détail.

Je me contentai de hausser un sourcil intrigué quand elle prit la parole. "J'en ai fait autre chose"... C'était bien une phrase que je n'avais que rarement l'occasion d'entendre lorsqu'on évoquait le Feu. Mais la perspective qu'elle ouvrait me plaisait plutôt bien. Tester les limites de son feu, changer sa forme, changer sa symbolique. Lui donner la valeur que l'on veut lui donner.

Elle écarta ses mains et des langues de feu la quittèrent pour dessiner en face d'elle les contours d'un renard haut d'une dizaine de centimètres. Mon sourire s'étira en coin alors qu'elle décrivait l'animal et son caractère. Le Feu hautain, le Feu audacieux, le Feu téméraire ; le Feu-Mira, tout simplement.

Sa question quelque peu rhétorique me fit relever le regard vers elle. Je ne répondis pas pour l'instant, plutôt heureuse de voir naître ces questionnements en elle. Plus on s'interrogeait, plus on avançait. Maîtriser ses pouvoirs, ce n'était pas juste une question d'entraînement, d'acharnement ; c'était aussi une question d'introspection, et d'apprentissage de soi-même. Je sais bien que faire un lien entre le Vide et les pouvoirs paraissait stupide pour beaucoup, mais j'étais pourtant intimement convaincue que les pouvoirs étaient là pour nous apprendre à nous comprendre davantage.

A l'évocation de la religion catholique, je baissai les yeux sur l'animal flamboyant. Il y avait bien peu de chrétiens au Japon, mais le Feu mortuaire n'était pas propre qu'à une seule religion. Différentes symboliques lui étaient liées, parfois purificateur, parfois symbole du châtiment dû, destructeur et ravageur.

Je relevai le regard vers la jeune femme quand elle s'adressa à nouveau à moi, un sourire venant étiré mes lèvres.

-Je n'en suis pas certaine. C'est difficile de me projeter dans une réalité alternative que j'ai rejetée pendant tant d'années. Mon Feu est le symbole de la renaissance après avoir été celui de la damnation.

Tout en parlant, je recréais ce phénix de feu que j'avais déjà fait apparaître devant elle lors de notre dernière séance d'entraînement. L'oiseau majestueux vint se poser sur mes épaules, sans qu'une de ses flammes ne vienne me brûler.

-Peut-être que j'aurais fini par l'accepter, mais alors je n'aurais pas été la même personne. Finalement, les manifestations de tes pouvoirs ne dépendront que de ton feu intérieur.

Le Phénix quitta mon épaule pour aller voler autour du renard. Après quelques tournoiements rapides, il se posa sur le sol en face de lui.
Balayant l'air devant moi d'un geste rapide de la main, je fis disparaître l'oiseau légendaire, reposant mon regard azur sur Mira.

-Il est donc temps de voir ce que tu es capable de faire avec le Marionnettisme. Je te laisse te servir de moi comme marionnette.

Et, progressivement, je fis tomber mes barrières de Master pour lui ouvrir la voie. Chose que je n'aimais pas particulièrement, mais je savais bien que c'était nécessaire, vu la dangerosité de ce pouvoir lorsqu'il était mal manipulé.

Encore ce phénix ... il est bien plus gros et net que ma propre conjuration. Evidemment. Elle est maître entre les maîtres, qu'importe l'ego je ne demeure jamais plus que ce que mon rang m'impose ; une initiée. Mais une initiée avec une ambition débordante, et je ne la lâcherai pour rien au monde. Une fois encore, la rareté définit la valeur, ce don est ce qu'il y a de plus cher en cet univers. Tout n'est que question d'ordre et cet institut se trouve au sommet de cette hiérarchie, cette chaîne alimentaire de l'importance. J'en étais la résidente et l'élève de la personne la plus puissante que je connaissais, je n'avais plus rien à accomplir, si ce n'était apprendre, puis dépasser. Même Master ne saurait être assez.

Elle me parle de symbolique ... quelle est donc la mienne ? Question idiote, évidemment. La perception au travers de la tromperie, le mensonge éhonté que l'on nourrit comme du pain, la promptitude d'esprit et la réactivité. En bref, le moi tout craché. Je pourrais peut-être même accepter les traits négatifs que l'on lui accorde. La malice, la manipulation ... le charme. J'aime beaucoup cet animal qui m'est apparu et je pense qu'il me fera aller loin.

Sans guidance ... serais-je destinée à me perdre ? Je n'en suis pas sûre, j'ai assez de sagesse et de recul pour ne pas tomber dans le premier précipice venu. Mais pour aller dans le bon sens, c'est de ça dont j'ai besoin, de cette formation, de ce tutorat. Seulement après, peut-être, pourrais-je aspirer à regarder encore plus haut. Elle fit tourbillonner le phénix autour de mon animal, avant de le faire disparaître. L'imitant je fis également se dissiper mon compagnon canin, qui se dématérialisa avec bien moins de grâce ... un jour, Mira, un jour.

Enfin, ma partie préférée, la maîtrise de l'autre. Je m'étais focalisée là-dessus durant mes ... "entraînements". J'enverrai une rose à chaque personne qui m'a servie de cobaye au sein de l'institut, histoire de les remercier comme il se doit pour leur contribution à mes progrès. J'avais surtout focalisé mon entraînement sur la vitesse d'exécution ... et aussi sur le fait de ne pas être remarquée. Ce que je faisais n'était pas vraiment éthique, mais on a déjà vu des gouvernements mettre des enfants au travail, alors j'étais encore loin du concept de cruauté.

Comment je faisais ... eh bien, tout était dans le mot, "marionnettiste". J'imaginais toujours une corde me lier à l'autre, une ficelle qui se fichait dans la partie du corps que je cherchais à maîtriser et que je tirais à ma guise. Je n'arrivais à rien de bien précis, mais des gestes brusques, soudains, des spasmes, je parvenais à en susciter avec une grande aisance. Enfin ... elle en serait la seule juge.

Etape par étape, Mira ... d'abord, accrocher le fil. Respiration lente, concentration maximale, focalisation sur la partie à maîtriser. Peu à peu, je sentis une liasse se tresser entre mon index et l'arrière de la paume de ma tutrice. C'était plus difficile qu'avec les élèves ... pour une raison qui m'était inconnue, était-ce lié à la puissance ? J'y mis plus de moi-même, dépensant plus d'effort à la tâche. A la fin, je tirai avec mon index et mon majeur, tout en accompagnant la traction de mon poignet tout entier ... j'avais encore du mal à rendre mon geste subtil. Si j'avais tout bien fait, elle sa main aurait dû être tirée en avant, vers moi.

A la fin, j'étais un peu essoufflée. Finalement, j'avais moins de facilités que ce que j'aurais pensé ... ça doit le début, c'est normal ... sans doute ... merde je ne veux pas être normale ! Ca devait se voir à mon visage contrarié que je n'étais pas satisfaite de mon résultat, c'est frustrant de n'être qu'une abeille dans la ruche, rien de spécial, rien de notable ... je déteste ça ! Putain ...

- Est-ce qu'il y a un moyen d'utiliser ces dons sans devoir faire de geste ? Quitte à apprendre plus lentement, je préférerais m'entraîner à ça avant tout.

En ce qui concernait l'entraînement de ce pouvoir, j'avais pris la décision de ne pas faire de démonstration. Ce n'était pas très difficile à comprendre, quand on considérait le sentiment désagréable qui nous envahissait lorsqu'on se retrouvait sous le contrôle de quelqu'un d'autre, et je n'avais pas particulièrement envie de faire face à une Mira de mauvais poil.

Je sentis le contact se faire progressivement entre elle et moi, me démontrant qu'elle arrivait plutôt bien à sentir ce pouvoir et à l'utiliser en général. Il ne faudrait donc que renforcer sa maîtrise, entrer dans le détail, affiner l'utilisation de son énergie, qu'elle dispersait encore un peu en efforts inutiles. Mais dans l'ensemble, sa pratique me semblait plutôt pas mal pour le peu de temps qu'elle avait passé avec ces pouvoirs. Ce qui, au final, ne me surprenait pas tant, compte tenu du caractère qu'elle semblait avoir, et du milieu duquel elle était issue.

Un léger à-coup me fit lever la main dans sa direction, mais elle relâcha ensuite presque instantanément le contrôle qu'elle avait sur moi, et je sentis son énergie retourner vers elle. Je souris délicatement face à sa question, avant de hocher la tête.

-On peut s'entraîner à ça si tu le veux, oui, bien sûr. Mais ce sera probablement long et fastidieux. C'est souvent beaucoup plus simple de faire des gestes au début.

Je me retins d'utiliser mon pouvoir sur elle pour lui montrer la démarche à suivre, me contentant de reprendre la parole.

-C'est une question de volonté. Tu es la marionnettiste. Impose ta volonté à la personne que tu cibles. Impose-lui ton énergie. Visualise cette énergie mentalement. Prends le contrôle de ton adversaire.

Je secouai mes mains comme pour m'assurer que ma barrière était bien tombée, sachant que dès que je n'y prêtais pas attention, elle risquait de revenir sans crier gare.

-Continue à ne cibler qu'une partie du corps. Tu ne seras pas encore capable de faire plus pour le moment.

Pas avec moi en tout cas. J'aurais beau faire tous les efforts du monde, si mon corps se sent menacé par son contrôle, ma barrière de Master se redressera toute seule.

-Je ne te donne pas d'idée de gestes, si je m'y attends ce sera trop facile pour toi.

Ce pouvoir avait été encore plus difficile à accepter pour moi que celui du Feu. Parce que le Feu avait été destructeur, mais il pouvait aussi être le symbole de tant d'autres choses. Celui de marionnettiste en revanche, j'avais peiné à lui trouver une utilité autre que celle de contrôler bêtement et simplement les autres. Peut-être était-ce aussi dû au fait que j'avais précisément révélé mes pouvoirs à cause de ce pouvoir. Je me revis traverser cette rue. Je me revis fixer droit dans les yeux ce conducteur. Je me revis les yeux sur ce volant, le tournant subitement. Lorsque j'étais revenue à moi, la voiture était plantée plus loin. Je m'étais évanouie, et réveillée je ne sais combien de temps plus tard dans ce laboratoire, sous comas artificiel, étudiée par tous ces scientifiques.

Je secouai la tête pour chasser ces pensées, me remémorant les bons côtés que ce pouvoir pouvait avoir. Il en avait. Il fallait juste accepter de voir plus loin que la simple image qu'il renvoyait.

Donc c'est possible, bien. Ce genre de prodiges, je n'ai pas envie de devoir faire des gestes abracadabrants pour pouvoir les accomplir. Ce serait risible et grotesque, un peu de subtilité ça ne fera pas de mal. D'autant plus que je suis assez certaine qu'il n'y a pas énormément de monde qui tient à passer le mouvement sous silence comme moi je compte le faire. Ils n'ont pas vraiment les mêmes objectifs que moi, de toute manière. Ma vision s'étend bien plus loin que n'importe quel idiot qui remplit cet institut, même vous, Hideko, bien que vous ne tombiez pas exactement dans cette dernière catégorie. Vous êtes, en quelque sorte, le dernier pallier à dépasser.

Bien. Une question de volonté ... si c'est vraiment cela, alors il n'y a aucun moyen que je sois plus mauvaise que tout autre initié de mon rang. Mon ambition est toute la motivation dont j'ai besoin pour glisser mon esprit dans le corps d'autrui, le contrôle que j'essayais d'avoir sur le feu, alors, je le confondais avec les prérequis du marionnettisme. Normalement, tout se passera bien mieux qu'avec la flamme et je n'aurais pas besoin de m'isoler aussi longtemps pour faire paix avec ce don.

Cibler. Visualiser ... je n'étais pas loin avec les fils que j'imaginais. Je dois continuer sur cette piste, mais l'améliorer, d'une manière ou d'une autre. Qu'est-ce qui pourrait me gêner dans cette image ... je réfléchis ... encore et encore ... la directrice en a peut-être marre de m'attendre.

- Juste un instant, s'il vous plaît.

Oh. Les fils. Ils viennent de moi. La trajectoire, le fait que moi, la source soit trop visible, la droiture de la direction, comme si j'étais face à un égal que je ne maîtrisais que temporairement. Elle m'a dit d'imposer ma volonté, je dois faire en sorte de me convaincre moi-même que je suis la plus puissante. Je dois y croire, aussi niais que cela puisse paraître. Alors comment ? Eh bien, changer la direction des fils.

Je les vois bien plus clairement. Ils partent de ma main, mais ils ne s'attachent pas immédiatement à la main d'Hideko. Traversant le plafond, ils s'envolent jusqu'aux cimes pour retomber sur son épiderme, comme tenus par une croix d'attelle, je l'imagine clair comme de l'eau. Voilà qui est bien mieux, voilà qui me donne une meilleure ... perspective.

Me concentrant sur le nécessaire, j'essaye d'appuyer ma volonté contre celle de la directrice que je sens ... inerte. J'ai un mannequin face à moi, je compte en profiter ... un mannequin, comme ceux d'entraînement, j'entends. Je ne penserais jamais d'une femme ainsi, je réserve l'admiration sacrilège à celles et ceux qui brûleront dans le sixième cercle. Je fronce des sourcils, affichant un air plus sérieux et grave, je n'ai pas envie de décevoir. Elle veut voir ce que je sais faire, alors j'espère réussir à lui donner contentement.

J'accroche mentalement un fil autour de son index et je tire dessus avec ma main, faisant descendre mon poignet vers le bas comme pour attirer l'accroche vers le sol, et ainsi se faire se lever son doigt. Ce n'est pas assez, je veux plus. J'accroche un second fil à son pouce que je lève, avec l'objectif de donner à sa main la mimique d'un pistolet. Je lève ensuite les deux, pour mimer le tir et ... je tiens l'emprise. En tout cas, j'essaye.

- Comment est-ce ?

Mira est un esprit torturé. Elle a besoin de réussir. Elle a besoin d'être la meilleure. Parce qu'on a toujours attendu d'elle qu'elle soit la meilleure. Qu'elle soit parfaite. Qu'elle excelle dans tout ce qu'elle fait. C'était probablement le seul moyen qu'elle avait de se faire remarquer.

Mes pensées m'échappèrent alors que je la sentais se concentrer. A quoi ça ressemble, Mira, de grandir dans une famille comme la tienne ? As-tu déjà ressenti la chaleur d'un être cher ? T'es-tu déjà sentie aimée ? Véritablement aimée ? As-tu toujours simplement voulu exceller en tout ? Tu en as besoin, c'est pourquoi j'ai décidé de ne pas utiliser mon pouvoir sur toi. Psychologiquement, je doute que cela te fasse du bien. Et tu as beau être sûre de toi, fière, garder la tête haute, j'ai envie de croire qu'il n'en faudrait peut-être pas tant que ça pour te briser. C'est souvent comme ça avec les personnes trop fortes.

Je fronçai les sourcils en sentant son emprise sur moi changer de direction. Elle a besoin de réussir. Elle a besoin d'être différente. De faire mieux que les autres. Elle n'a pas le droit à l'erreur. Alors, quand elle me demanda d'attendre encore un instant, je ne pus que lui répondre par un sourire. Aucune erreur ne sera acceptée ; elle devait réussir, et du premier coup. Elle devait être ce prodige qu'elle a probablement toujours été au sein de sa famille.

Finalement, je finis par sentir quelques picotements autour de mes doigts. Un sourire fendit mon visage tandis qu'un premier doigt se levait, puis un deuxième. Mes doigts ayant désormais adopté la forme d'un pistolet, je relevai mon regard vers la jeune brune, le regard doux.

-C'est très bien.

Et puis, je fermais les yeux pour me concentrer. Je ne devais pas faire re-surgir mon énergie. Je devais garder ma barrière baissée. Mais je devais lui montrer qu'elle devait oser. Elle devait y aller. Elle devait s'étendre. Je repérai après quelques efforts la direction qu'elle avait fait prendre à son énergie, et l'emprise qu'elle avait sur ma main. Mais c'était timide. On était dans la technique. Elle réfléchissait pour bien agir. Alors qu'à l'intérieur d'elle brillait le feu de la puissance. Et c'est cette puissance que tu dois imposer à tes adversaires, Mira.

J'inspirai lentement, et rouvris mes yeux que je sentis changer de couleur pour préférer le rouge du feu à leur bleu azur habituel. Elle était Marionnettiste, ce qui était plus facile pour moi. Sans la brusquer, je tirai sur son énergie pour la faire remonter le long de ma main, mon bras, l'arrêtant à mon coude. Manipuler l'énergie des autres n'était jamais simple, surtout lorsque je devais rester concentrer pour repousser la mienne. Mais elle avait besoin d'être guidé, et parfois les mots ne sont plus suffisants.

- Vas-y à fond. Impose-toi vraiment Mira. Tu as cette force en toi, tu l'as toujours eu, tu as été élevée pour être plus forte que les autres. Je ne suis qu'un pantin. Ne te retiens pas.

Parce que tu es capable de faire encore mieux que ça.