Lou lève sa main devant ses lèvres, consciente d'en avoir trop dit.

—Oh, mince… Excuse-moi…

C'est sûr que dans le contexte actuel, voyager ne donne pas très envie. Et encore plus si elle était téléporteuse avant ; là où voyager devait être facile, instantané, tout devait avoir changé pour elle, à présent. Elle le remarquait chez Aaron, qui ne pouvait parfois pas s'empêcher de lui demander plusieurs fois comment elle se sentait ; juste pour… vérifier.

Et comme Mitsuki la relance sur l'heure, elle jette un oeil à sa montre, un peu stressée cette fois.

—Non, je pense qu'il devrait rentrer bientôt, il disait qu'il ne partirait pas longtemps. Et tu ne nous déranges pas, si tu as envie de rester pour la fête, tu es la bienvenue.

L'important c'est qu'elle ne se sente pas obligée de rester si elle ne le sent pas… Et elle n'a pas trop l'air de le sentir. Mais Lou préfère toujours proposer ; après tout, elle apprécie grandement Mitsuki, elle a envie d'apprendre à la connaître aussi.

Il faut encore attendre que quelques ballons de plus soient gonflés pour qu'effectivement Aaron passe le pas de la porte d'entrée, chargé d'un gros cabat qu'il a accroché à son épaule. Sa voix résonne d'abord fort, amplifiée par son pouvoir actuel de Sonore, puis revient à une hauteur plus classique.

—Ch'uis rentré ! Désolé, je suis tombé sur une élève qui faisait n'importe quoi, puis du coup on a discuté deux minutes... Enfin c'était un peu plus que deux minutes, mais eh.

Il se déplace jusqu'à la cuisine et dépose tout son bazar sur la table, commençant déjà à trier et ranger ce qu'il faut, s'étonnant de la présence d'un brownie, mais écoutez, pourquoi pas… Jusqu'à ce que Charlotte accourre vers lui pour lui faire un gros câlin et lui annoncer que Tita Suki est là.

C'est donc avec Charlotte dans les bras qu'Aaron passe la tête jusque dans le salon, lâchant un grand "AH !!" surpris. Un grand sourire aux lèvres, il se rapproche :

—Ah Mitsu, salut ! (Silence. Il se rappelle soudain de leurs derniers échanges, et son sourire se fait plus… mal à l'aise, un peu crispé.) Je pensais pas te voir là aujourd'hui, tu vas… Enfin, tu vas comment ? Je dérange pas ?

Ouais, c'est fou comme la réalisation de la situation est complexe. Parce que clairement, peut-être qu'elle est venue pour causer avec sa fiancée, il sait pas, hein-
Lou, elle, finit par se lever, va embrasser Aaron sur la joue et récupère Charlotte.

—On va jouer dans la chambre, d'accord ? On parlera avec papa et tatie Mitsuki après, dit Lou en faisant signe aux deux autres adultes, imités par la petite fille.

Aaron, lui, est resté planté là un peu bêtement, à regarder les ballons posés partout… puis il soupire et va s'assoir sur le canapé, pas trop près de son amie, mais pas à l'autre bout du canapé non plus.

—C'est cool de te voir.

Mais euh c'est bizarre.

J'écarquillai les yeux en entendant la voix d'Aaron, sentant un énorme poids s'abattre sur ma poitrine. En fait, j'aurais dû partir avant. J'aurais dû lui laisser le gâteau, dire à Lou de s'excuser de ma part, et partir. Je n'étais pas du tout à ma place, ici, alors qu'ils organisaient un anniversaire. J'apportais mon désespoir, ma maladresse, mon mauvais oeil.

Comme prévu, les pensées d'Aaron ne me parvinrent pas. Je fermai durement les yeux quand j'entendis la petite Charlotte expliquer à son père que j'étais là. Pitié, pitié. Si seulement j'étais encore Téléporteuse, j'aurais pu m'enfuir d'ici vite fait. Même Invisible, ça me va, tant que ça me permet de disparaître avant qu'il ne...

Je sursautai en entendant ces mots qui m'étaient adressés. Hésitante, je relevai le regard vers Aaron pour apercevoir son sourire qui disparaissait de ses lèvres. Je me pinçai les lèvres, de nouveau réticente. Ouais, c'était vraiment une erreur de venir ici.

Alors que je sentis mes yeux commencer à s'embuer, Lou intervint et prit la petite fille des bras d'Aaron pour nous laisser tous les deux. Je n'étais pas sûre non plus que ce soit une bonne idée, ça. Je baissai à nouveau le regard vers mes pieds, les fixant comme si ça allait m'aider à disparaître d'ici plus rapidement. L'instant d'après, la voix d'Aaron parvenait à nouveau à mes oreilles, et je fermai les yeux pour essayer de respirer doucement. Je devais essayer de garder mon calme, essayer de ne pas pleurer.

-C'est moi qui te dérange, je suis désolée.

"C'est cool de te voir." n'importe quoi.

-Je voulais juste... T'apporter ce brownie pour m'excuser de mon comportement lors de la dernière fois... Et aussi de ces dernières semaines.

Je rouvris les paupières, sans pour autant réussir à affronter le regard de mon ami.

-Enfin voilà, je ne reste pas longtemps, vous devez fêter l'anniversaire de Jérémy ! Profitez bien. J'espère que le brownie sera bon... Encore désolée. On se dit à la prochaine !

A la prochaine, oui, bien sûr. A d'autres.

HRP : J'te jure que je voulais lock le RP mais Aaron il veut pas finir ça comme ça omg-



Mitsuki n’a pas l’air bien. Pas besoin d’être sensitif pour le voir ; c’est l’une de mes amies les plus proches, ou peut-être plus tant que ça ces derniers temps… Je sais que j’ai merdé, et qu’elle m’en veut, à juste titre. Je sais aussi que j’ai fait de mon mieux, que je pouvais pas forcément faire autrement. Même si j’aurais aimé, même s’il aurait sûrement fallu. Même si je suis en colère, mais pas contre elle. Quand je la vois, c’est surtout de la tristesse que je ressens, de la peur, de la honte. J’ai l’estomac qui se tord, la gorge qui se serre. Elle me manque, mon amie. Je déteste quand on se dispute. Je déteste encore plus quand elle a envie de me fuir comme ça.

—Tu me déranges pas, arrête, je souffle, inquiet.

Elle a l’air de se désagréger face à moi, et j’ai envie de rajouter un truc impulsivement mais je me mords presque la langue pour ne pas le faire. Laisse la parler, t’auras tout le temps de le faire après.

Mes yeux se baissent sur le gâteau… oh.

—Hé, attends, laisse-moi en caser une, je réponds en lui attrapant gentiment la main pour l’empêcher de partir. Je la relâche vite, pour ne pas la brusquer. T’as pas à t’excuser… Je fais une pause, fais la moue. Enfin, peut-être que si, mais moi je t’en veux pas en tout cas.

Je regarde autour de moi et regarde l’heure. On a encore un peu de temps.

—Jérémy rentre pas tout de suite, je peux t’accompagner dehors un peu. Est-ce qu’on peut discuter quelques minutes, au moins ? J'ai aussi des excuses à te faire.

Les paroles d'Aaron sont réconfortantes ; du moins je le crois. Je pense que si j'étais dans un état différent, ma façon de les recevoir serait différente aussi. Pour l'instant, je suis juste mal à l'aise, inconfortable, et j'ai envie de partir.

Quand il me retint, je sentis mon coeur se soulever et je posai un regard presque affolé sur lui, mes yeux se baissant l'instant d'après pour fuir ses prunelles. Quand il parla d'excuses, je sentis mes jambes se dérober sous moi et je tendis mes muscles pour continuer à rester droite et fière.

Maladroitement, difficilement même, je finis par secouer négativement la tête, relevant mon regard vers lui, un sourire un peu gauche sur les lèvres, un sourire poli, un sourire qui se veut réconfortant mais qui ne l'est pas, et qui le rend encore plus douloureux. Je haussai une épaule, avant de reprendre enfin la parole.

-Désolée Aaron, je ne peux pas rester. Mais nous aurons l'occasion de reparler plus tard, je te le promets.

Formuler mes excuses était la seule chose dont j'étais capable pour le moment. Je n'étais pas encore prête à en recevoir, parce que je n'en méritais tout simplement pas. Je n'étais pas prête à avoir ce genre de conversation, parce que je n'aurais de toute façon jamais été capable de la suivre sans me déconnecter de la réalité pour sombrer dans toutes ces pensées qui ne cessaient de tourbillonner dans mon esprit.

Lui offrant un dernier sourire, je levais une main pour lui adresser un signe d'au revoir.

-On se revoit vite, d'accord ? Passez un bon moment en famille, fêtez bien l'anniversaire de Jérémy !

Et je me téléportai chez moi, m'effondrant dans mon lit. Cette visite m'avait déjà coûté bien trop d'énergie. Je suis désolée Aaron, mais je n'étais vraiment pas capable de tenir plus longtemps...

Mon coeur se serre brusquement face à sa réaction… que je comprends, mais qui me prend de court. Mon premier réflexe est de penser : “on en est là dans notre relation, c’est ça ?”. Nan, c’est pas ça. On en est pas là, elle est dans une passe compliquée… Et même si je ressens de la colère envers Ys, parfois un peu d’amertume face à ce qu’il s’est passé, Mitsu est l’une de mes amies les plus chères. Et même si elle sourit, je la vois flancher ; je reconnais ses expressions, sa manière de se contenir. Je la vois glisser son regard vers la porte, comme un échappatoire. Alors je contiens ma déception, et souris maladroitement. Vaguement.

—Promis, hein ? J’peux t’envoyer un message pour savoir quand tu es dispo. Tu auras juste à me dire.

Elle est venue s’excuser… mais est-ce qu’elle m’en veut, à moi aussi ? Ma bouche s’assèche et ma gorge se bloque ; je regarde un peu ailleurs. Est-ce que notre amitié survivra à ça ?

Alors je fais ce qu’elle attend de moi et je secoue la main et souris.

—Je transmettrai ! On se revoit vite. T’es toujours la bienvenue, Mitsu.

Et elle quitte rapidement la maison. Quand la porte se ferme, je la fixe un moment sans rien dire, les yeux humides. Bientôt, des pas feutrés dans le couloir se rapprochent de moi.

—Aaron ?

Je cherche le regard de Lou du mien, un peu désespéré. Elle se triture les doigts, comme si elle avait fait quelque chose de mal.

—Je suis désolée, j’espère que c’est pas-…
—C’est pas ta faute, je réponds immédiatement, attrapant sa main dans la mienne. C’est juste… compliqué en ce moment.

On reste un peu comme ça, et je la laisse presser mes doigts gentiment en essayant de gérer cette vague de tristesse qui me submerge. On arrivera à surmonter ça, comme le reste. Du moins je l’espère. Une partie de moi a l’impression que ce sera plus jamais comme avant, mais est-ce qu’elle a vraiment raison ? Y a que le temps qui pourra nous le dire.