Perdu ? Genre elle l’a oublié dans un coin et elle sait plus où elle l’a mis ? Non. Bien entendu t’es pas cap de faire ce genre de blagues. T’es même pas assez con pour y penser. Non toi tu cherches quoi dire, parce que t’es en colère. En quoi ce qu’elle vient de dire serait une raison ? En quoi ça serait une excuse ? Ce type est un blaireau. Tu voudrais lui dire des mots doux, des mots sucrés des mots qui apaisent. Sauf que ça on déjà du le lui dire, lui dire que c’est pas de sa faute.

« Si tu ne voulais pas de cet enfant, c’était ton droit. C’est ton corps il a rien à dire. »

Oh, tu n’es pas idiot. Enfin, pas totalement. Tu comprends bien qu’elle n’a pas choisi d’avorter, t’arrives à faire les liens entre l’accident et la perte. Seulement t’arrives pas à accepter qu’elle s’excuse pour ça. Qu’elle se mette à pleurer pour ça. Qu’elle se sente coupable pour ça.

Tu détestes ce connard de Ys qui la fait se sentir comme ça. Comment il a pu se barrer dans cette situation ? Il est blessé ? Non mais faut qu’il grandisse putain.

C'est mon corps...

Un des grains de riz que j'étais en train de ramasser m'échappa et je restais figée quelques instants. Si je ne voulais pas de cet enfant...

Mes yeux s'embuèrent de larmes et je me pinçai les lèvres pour essayer de ne pas craquer. Quand je repris le contrôle de mon corps, je saisis ce dernier grain de riz qui restait au sol, et déposai ces restes d'onigiri sur une serviette en papier avant de relever le regard vers mon ami, un sourire tendre, mais pourtant douloureux, sur le bord des lèvres.

-Je suis désolée de t'embêter avec tout ça. Ne t'inquiète pas, je vais bien. Ne t'en fais pas pour moi. Et ne sois pas en colère contre lui.

Délicatement, bien qu'un peu tremblante, j'avançais une main pour prendre la sienne entre les miennes. Je lui décochai un sourire que j'espérais plus convainquant.

-Je préfère quand tu souris et que tu me racontes tes anecdotes de pouvoirs, ou toutes les histoires qui t'arrivent tout le temps. Ta vie a toujours l'air tellement mouvementée !

Déso mais pas être en colère contre ce crétin d’Ys, non c’est pas possible. Là actuellement, si t’en avais le courage tu lui couperais les couilles et tu les lui ferais bouffer. Rien que pour la peine qu’il fait naitre sur les traits de ton amie, putain mais il est tellement con ce type. Quoi il lui en veut parce qu’elle a perdu un tas de cellules alors qu’elle a été agressée ? Ou alors que sa peine à lui dépasse celle de Mitsu ? Putain, mais elle a clairement été punie cinquante fois, en se faisant démolir, en perdant un potentiel gamin, puis en perdant un connard qu’elle aime encore.

« Tu n’es pas en colère toi ? »

On va la poser à l’interrogative, tu vois qu’elle a besoin de passer à autre-chose mais p’t’être qu’il faut encore que tu tentes de crever l’abcès ? A défaut de pouvoir éclater les orbes oculaires de l’autre glandu après lui avoir fait bouffer ses couilles.

Je lâchai un peu maladroitement ses mains. Un sourire triste se dessina sur mes lèvres alors que je lisais la colère qui brillait dans son regard. Mes yeux s'embuèrent un peu et je baissai les yeux. Autour de nous, la végétation s'anima et les quelques fleurs qui n'avaient pas encore fleuri achevèrent de le faire. J'entremêlai mes doigts, mal à l'aise, et finis par secouer négativement la tête.

Être en colère ? Comment pourrais-je l'être ? Comment pourrais-je être en colère contre lui ? Il a perdu un enfant. Il a eu peur pour moi, je le sais.

-Je suis juste triste.

Je relevai le regard vers lui et essuyai mes yeux. Je pris une boule de riz entre mes doigts et en croquai un gros morceau. C'était un peu difficile de mâcher, et l'envie de tout recracher était un peu trop présente, mais je parvins à finir ma bouchée avant de reprendre la parole.

-Ca finira par aller mieux. Je dois juste attendre que ça passe. Ca ira mieux. Ys finit toujours pas revenir.

Et je réalisais aux larmes qui roulaient sur mes joues que ces paroles avaient achevé de me détruire.
On peut bien sourire, mais on ne peut pas mentir.

« Tu comptes l’attendre ? » c’était une question pas une attaque, mais sans doute ne serait-elle pas prise de cette manière.

Les larmes roulaient à nouveau sur ses joues, désarmantes, étais-tu allé trop loin ? Sans doute, pouvais-tu la prendre dans tes bras pour la réconforter ? Sans doute pas pas, t’en veux tellement à Ys qui casse tout ce qu’il prétend aimer et dit agir par amour quand il écorche celle qui l’aime le plus. Ce type est un connard égoïste, et tu peux rien faire face à la détresse de ton amie. Rien que cette colère débordante que tu essaies de museler.

T’essaies de pas lui dire tout, mais elle voit beaucoup de ce que tu tais. Elle mérite mieux, elle mérite quelqu’un qui la fera passé avant le reste. Réellement, et ne l’utilisant pas comme prétexte. Et puis, merde, tu l’attires à nouveau dans tes bras. Ce type est un connard, mais elle mérite aussi mieux que toi. Mieux que ce pote qui s’énerve pour elle quand elle ne le veut pas.

« Ok. On va le faire comme tu veux. »

Si je comptais l'attendre ?

La boulette de riz que j'avais repris entre mes mains se décomposa parce que je n'arrivais pas à la tenir correctement, et probablement parce que plusieurs larmes étaient déjà trop tombées dessus. Je relevai le regard vers mon ami, sans savoir quoi répondre. Ne l'avais-je pas toujours attendu ? Finalement, c'était ce qu'il s'était toujours passé. Je n'avais jamais réussi à passer à autre chose. Je n'avais jamais réussi à me décrocher. Je l'aimais trop pour ne pas vouloir de lui dans ma vie.

Je me retrouvai à nouveau dans ses bras et serrai son t-shirt entre mes doigts. C'était pas facile d'être Télépathe à ce moment-là. Toutes les pensées de Charlie-Ange m'atteignaient avec beaucoup trop de vivacité. Je finis par sécher mes larmes. Probablement aussi parce que ça devenait tellement fatigant de pleurer que je n'en avais même plus la force.

Alors, délicatement, je fis simplement le choix d'accepter cette étreinte. Et un mince, très mince sourire étira mes lèvres, alors que quelques plantes autour de nous terminaient leur floraison.

-Merci d'être là, Angie.

Je m'éloignai de lui et lui offris le plus beau sourire dont j'étais capable en cet instant.

-Et ne t'inquiète pas pour moi. Je n'aime pas te savoir préoccupé. Ou en colère. Tu n'as pas à l'être.

« Si on ne faisais que les choses qu’on a à faire, on s’emmerderait ferme. »

C’est un peu la réponse facile, celle qui dit pas : je fais ce que je veux, je suis un ado rebelle et mécheux. Non, c’est plus posé, plus poli, Charlie quoi. Tu peux pas lui dire que tu seras pas en colère ou triste, parce que justement tu es en colère et triste. En colère que ça lui soit arrivé, triste que l’homme qu’elle aime n’arrive jamais à la faire passer en premier. En premier avant sa colère, en premier avant sa tristesse, en premier tout simplement.

Tu lui souris, parce que c’est ce qu’elle attend de toi. Tu lui souris, parce que parfois tu sais qu’il faut un peu s’oublier.

« Je vais faire un effort. »

Ce ne serait pas le premier. Ce ne serait pas le dernier. Elle n’est pas en colère, elle n’est pas triste. Elle est au-delà de ça, et toi Angie, as-tu le droit de lui voler ses émotions ? Aucunement. Elle avait choisi de remettre son masque, et tu n’avais pas le droit de la forcer une énième fois à l’ôter.

« Du coup, tu veux qu’on s’entraîne un peu ? »

Parce qu’après tout c’était ce pourquoi vous vous étiez retrouvés… avant… tout ça quoi.

Je souris délicatement à Angie quand il me dit qu'il allait faire un effort. Même si je savais que ce n'était qu'une façade, j'aurais au moins l'impression pendant un petit instant de ne pas être un poids pour les autres.

Je hochai la tête à sa proposition suivante. De toute façon, j'étais pas bien sûre de pouvoir avaler plus de choses que ça. Je lui souris donc.

-Oui, allez, allons-y !

Je terminai de sécher mes yeux d'un coup de paume rapide, et me redressai pour me mettre debout.

-Bon, visiblement, l'élément Terre c'est pas le plus dur. Il faut surtout que tu m'aides pour la télépathie !

Je me passai une main dans les cheveux pour les replacer après les avoir ébouriffés un peu, et je posai mes hanches.

-Allez, j'suis prête ! Et toi, tu as besoin d'aide pour quoi ?

Son silence vaut tout les discours, et si au fond tu restes persuadé que Ys ne la mérite pas, il ne reste qu’une issue à cette situation, le faire changer à coups de pelles dans la tronche. Ce qu’il mérite soyons clairs… Tu ne penses pas à changer ton amie, ce qui en soit est très con. Elle a le comportement autodestructeur des addicts. Elle a besoin d’Ys. Ce n’est pas simplement une envie.

Bon. Les gars. On va prendre trente secondes et respirer. Histoire d’essayer de comprendre pourquoi votre relation est toxique. Tu lui poses des questions auxquelles elle n’a pas les capacités affectives de répondre. Elle te dit comment tu dois te sentir. Autant dire que vous n’allez pas dans la bonne direction. Clairement. Et puis d’abord tu te fais du souci si tu veux ? C’est bien ça que t’es en train de penser petit con ? Au moins t’as le respect de ne rien dire, sinon je te casse la gueule.

Quelle fin donner à votre rencontre ? Aucune qui ne soit aussi poignante que cette dernière. Il faut bien que la tension retombe après tous ces émois. Alors on va se concentrer sur ce qui vous a réuni.

« Tu m’apprendras à faires les onigiris ? » c’est un changement de sujet qui en vaut un autre…

J'écarquillai les yeux suite à la question de Charlie-Ange, ne m'y attendant pas. Je pensais qu'il me demanderait de l'aide pour les pouvoirs, mais il n'en est rien. Non, ce qu'il veut, c'est apprendre à faire des onigiris... Et il me demande à moi, celle qui n'est pas vraiment la plus douée de la Terre en cuisine, et c'est bien peu de le dire.

Je finis par sourire légèrement, penchant la tête sur le côté dans un hochement approximatif.

-Si tu veux oui, je t'apprendrai. Mais je suis loin d'être un exemple !

Je ris doucement, captant bien contre mon gré les pensées qui tourbillonnaient encore dans sa tête. J'aurais préféré ne pas les entendre. Parce que je ne pouvais malheureusement rien faire pour les changer, juste les encaisser et garder la tête haute. Alors, à la place, je me penchai en avant, et commençai à ranger ce que nous avions sorti pour notre pique-nique.

-Tu ne veux plus rien, je peux ranger ?

Le principe d’un pique-nique a toujours été de tout manger pour ne rien avoir à rapporter sur le chemin du retour… non ? Enfin ça a toujours été l’un de tes principes à toi alors tu fais.

« Attends je finis ça ! »

Ca c’est tous les petits restes qui peuvent être engloutis en quelques bouchées gloutonnes. C’est pas grand-chose mais en même temps quand tu as terminé, entre ça et les émotions un peu trop violentes de l’aprem tu ne peux retenir un bâillement.

« Tu crois qu’on peut faire une petite sieste au soleil avant de recommencer à s’entrainer ? » tu tentes, non parce que concrètement tu as trop mangé et que tu ne vas pas être d’une très grande utilité dans les minutes, heures à venir. Alors autant entrainer ton amie dans la meilleure activité du monde : la sieste au soleil. C’est tellement trop bien, surtout quand tu te réveilles et que tu te rends compte que la journée touche a sa fin et que tu n’as rien fait d’autre que de profiter de la caresse du soleil… Ok actuellement l caresse du soleil elle est à zéro degrés chez moi, on m’laisse fantasmer. Merci.

Je relevai un regard curieux sur Angie quand il me stoppa dans mon geste pour se jeter sur tous les restes et les engloutir quasiment d'une seule bouchée. Un léger rire m'échappa en le voyant ainsi, ne pouvant m'empêcher de me demander comment il faisait pour être toujours aussi faim s'il engloutissait tout ce qu'il mangeait de cette façon-là.

Je terminai donc de ranger les boîtes, désormais vides, que j'avais ramenées, et souris quand il me demanda une sieste avant de commencer l'entraînement. Je hochai légèrement la tête, répondant à l'affirmative à sa demande.

-Bien sûr. Rien ne nous presse, de toute façon !

Je ne suis toujours pas capable de travailler, alors autant profiter de ce moment à ces côtés.

-Par contre, ça ne doit pas être super confortable de dormir sur l'herbe comme ça, si ?!

Et là, les images de l'un de ces pique-niques que j'avais fait avec Ys, où nous avions fini complètement dénudés dans la nature me revint en tête, et je baissai les yeux.

-Est-ce qu'en tant que Télépathe on est capable de supprimer nous-même nos souvenirs ?

Ou peut-être pas les supprimer... Les oublier, un temps. Le temps que ça aille mieux.

« A si c’est chouette, l’herbe est un peu humide mais au bout de quelques minutes on s’en rend plus comptes ! Couches toi à côté de moi, viens ! »

Bon après faut pas v’nir me dire que tu cherches pas la merde consciemment, tu ne lui faisais pas des avances hein ? Enfin, j’veux pas savoir merci. Toujours est-il que tu voies la changer d’expression et la tristesse que tes pitreries avaient réussi à gommer un instant est en train de repointer le bout de son nez. Tu ne sais pas ce qu’elle pense, mais tu ne peux qu’imaginer qu’elle pense à l’autre blaireau.

« Je pense qu’on peut. »

T’as envisagé de lui mentir, mais franchement elle est master et lit dans tes pensées sans même faire exprès alors t’évites d’être un gros con s’il te plait. Merci.

« Mais j’pense pas que ce soit bien de le faire, tricher avec soi-même c’est jamais une bonne chose. Si c’est douloureux, c’est que c’est un souvenir important. Si c’est important il ne faut pas le perdre. »

Je relevai le regard vers Charlie-Ange, réalisant bien qu'une fois encore, ENCORE, je niquais l'ambiance. C'était insupportable. Quoi que je fasse, quoi que je pense, il était là. Il était toujours là. Je ne pouvais rien faire sans penser à lui. Et je ne cessais, inlassablement, de tout briser. De mettre les gens mal à l'aise. De leur imposer ma faiblesse. Ma déchéance.

Je forçai un sourire.

-T'as raison.

Oui. Oublier ce n'est pas bien. Comme abuser des cristaux de sensitifs pour oublier qu'on a mal. Il ne faut pas forcer l'oubli. Quand ça nous fait trop mal de toute façon, notre cerveau sait très bien oublier. Alors s'il n'oublie pas, c'est que je ne dois pas oublier. La douleur est là, mais elle finira bien par partir, pas vrai ?

J'eus un excès de bonne humeur, bien surjouée, mais il faut parfois ce qu'il faut, et je m'installai à côté d'Angie pour m'allonger dans l'herbe, fixant le ciel et les nuages qui défilaient devant nous.

-ALLEZ !!! Sieste !!!

Je levai mon doigt et pointai un nuage.

-Ce nuage te ressemble un peu quand même.

Tu sais que c’est relou d’avoir raison, surtout quand tu as raison sur des trucs aussi merdiques que ça. Elle le comprend aussi. Ys fait partie de qui elle, et malheureusement, si elle en occultait tous les souvenirs et bien, elle ne se reconnaitrait sans doute plus. Ce serait bien difficile, alors de garder sa santé d’esprit… Et elle était master, les souvenirs qu’elle supprimait pourraient l’être définitivement. Ce serait sans doute une catastrophe.

Tu sais qu’elle se force à changer de sujet et à paraitre joyeuse. Tu te demandes si en changeant quelques souvenirs on pourrait réellement gommer cette douleur… Mais tu chassas cette mauvaise idée.

« Il ressemble à une crotte de nez, j’sais pas comment je dois le prendre. »

Ouai on change de sujet, comme souvent, parce que c’est ce qu’elle attend de toi. Ca et le fait de l’empêcher de se perdre totalement, j’crois mais j’en suis pas certaine.