J’ouvris les yeux, ma conscience s’éveillant peu à peu. Je portais encore mes vêtements et mon oreiller était humide. Je passai mes doigts sur ce dernier, troublée. Mes souvenirs de la veille me revinrent alors. Ce n’était donc pas un cauchemar ? Mes yeux se remplirent à nouveau de larmes alors j’étais encore à moitié endormie. Je me traînai jusqu’à la salle de bain difficilement et partit la douche. L’eau du pommeau se mélangeait à celle de mes yeux. Au moins, comme ça, je distinguais moins mes larmes. Sauf que ma somnolence ne dura pas et mon coeur commença à me faire mal. Je me repliai sur moi-même, me serrant dans mes bras.

Je travaillais dans une heure, donc il fallait absolument que je me reprenne. Je mis en pratique les conseils de ma psychologue et me mit à méditer après avoir mangé. Il fallait que j’arrête d’y penser. Je me concentrai sur ma respiration. Puis, je m’habillai et me coiffai sans énergie. Le temps restant fut consacré à continuer de méditer pour arrêter de pleurer.

Je n’offris pas mon meilleur service à la clientèle ce jour-là, rien d’étonnant. Lorsque je pensais à Ariana, je me dépêchais vite de trouver quelque chose d’autre pour occuper mon esprit. Par contre, à ma pause, après avoir mangé mon sandwich en le regardant tristement, je dû m’enfermer aux toilettes pour pleurer un bon coup.

Stupide petite fille.

Oui, je me sentais horriblement stupide. La voix n’arrêtait pas de me le répéter. La voix était cruelle et obstinée. Je retournai travailler les yeux un peu rouges, mais heureusement personne ne le releva. Quand la journée se termina, je sentis un sentiment de soulagement en même temps qu’une profonde anxiété.

*Contrôle-toi encore un peu, tu pourras pleurer chez toi...*

J’entamai la route pour l’arrêt de bus en écoutant de la musique joyeuse pour essayer de me changer les idées. Mes pas me semblaient lourds et j’avais un peu de mal à respirer. Une fois que le bus m’eut déposé près de l’institut, je me dirigeai vers les chambres. Je ne m’attendais pas à ce qu’on m’interpelle. Je voulus ignorer l’inconnu, mais il insista, donc j’arrêtai ma musique et retirai mes écouteurs.

— Ah ! J’ai cru que tu allais continuer à m’ignorer !

J’aurais bien voulu, mais il s’était foutu devant moi.

— J’voulais te dire que j’aime ton top. T’es lesbienne ? C’est cool, j’suis ami avec des lesbiennes.

Je levai un sourcil et baissa la tête pour regarder ce que je portais, car je ne m’en souvenais plus. Mon top avec le drapeau gay où il était écrit « Love is love ».

— Mouais… ok.

Je n’avais pas envie de discuter avec lui, donc ce n’était pas la peine de le corriger en précisant que j’étais bi. Il continua de me parler, disant qu’ils pourraient me présenter ses amies gays.

— Non merci… mais j’apprécie que tu sois un allié.

Il était sympa, donc je me voyais mal le rembarrer complètement, surtout que ça concernait un sujet qui me tenait à coeur.

— Oui, c’est moi ça, allié des lesbiennes ! J’suis même allé à un bar gay avec elles y a quelques temps. Bon, j’aurais préféré ne pas avoir à voir des gars qui s’embrassaient, s’exclama-t-il avec un peu de dégoût.

— Pardon ? demandai-je alors que je disparaissais soudainement.

— Ouais bah, deux filles qui s’embrassent ça va, mais deux mecs..?

— Quoi ? Quoi deux mecs ? demandai-je, irritée.

— C’est pas beau à voir, c’est tout ce que je veux dire.

Ah. Aaaah, je voyais. Lui, il devait être le genre à trouver ça excitant deux femmes ensemble, et il prétendait soutenir les lesbiennes à cause ça.

— Espèce de taré ! T’es pas un allié !!

— Woh, calme-toi, j’ai rien dit contre toi.

— Je m’en fiche. Des hommes ensemble c’est aussi valide que des femmes ensemble !

— C’est juste mon opinion !

— Ton opinion… ton opinion… Tu veux savoir ce que j’en fait de ton putain d’opinion ?!!

Son opinion, quelle connerie ! C’était juste de l’homophobie ! J’étais furieuse, j’avais envie de lui arracher la tête ! Je m’approchai de lui, profitant de mon invisibilité, et lui mit mon poing dans la tronche. Je me rendis ensuite compte de mon geste et me reculai, choquée de moi-même.

*What the fuck ?*

Mais ça avait fait tellement de bien. Il n’avait eu que ce qu’il méritait ! Il releva la tête après mon coup, furax. J’avais un peu peur, mais je savais que je n’étais pas sans défense. Et là, je réapparus. Shit. Il voulut me frapper à son tour, toutefois je parvins à éviter. Merci les cours d’auto-défense. Seulement, il réussit à se rapprocher près de moi et d’instinct, je me mis en position de boxe pour bloquer ses coups. Je réussis à bloquer le premier, mais pas le deuxième dans le ventre. Malgré la douleur, je me redressai rapidement et lui donnai un coup dans les parties intimes. Tout ça alors que mon pouvoir faisait des siennes et que je clignotais carrément.

Je jugeai que c’était suffisant et me mit en tête de fuir. Le problème était que je n’étais vraiment pas au meilleur de ma forme… Il agrippa mes cheveux et les tira vers l’arrière. Je me débattis et quand il les lâcha, je voulus l’attaquer de nouveau, parce qu’on ne touchait pas à mes cheveux ! Cependant, des flammes sortirent de mes mains et je craignis de le blesser trop sévèrement. Il réussit à me frapper au visage. Je tombai sur le sol dans un cri de douleur.

— Sale chienne !

Il commença à s’éloigner alors que je serrai des dents. Je pris les dernières de mes forces pour hurler :

— Fils de pute !!!

Je remarquai quelques gens autour qui m’observaient avec inquiétude. L’un d’eux m’aida à me relever et m’offrit de l’aide.

— Non, merci, c’est rien. Je vais aller à l’infirmerie, je peux marcher.

Tout s’était passé si vite qu’il semblerait que personne n’avait eu le temps d’intervenir. Je marchai en direction de l’établissement, mais je ne me rendis pas à l’infirmerie. Je n’en avais pas envie. Je me réfugiai dans ma chambre et allai me voir dans le miroir. Oh putain, j’avais un œil au beurre noir… N’ayant pas de glace, je mouillai une débarbouillette avec de l’eau froide et la pressai contre mon œil. J’avais mal…

Je m’assis sur mon lit en pleurant et restai immobile pendant une dizaine de minutes. J’ouvris mon téléphone plusieurs fois avant d’enfin me décider à écrire à Elisha.

« Salut, si tu es libre tu pourrais venir dans ma chambre ? »

Puis je m’allongeai sur mon lit, épuisée.

Je retirai la débarbouillette de mon œil un moment, me mettant en position de l’étoile. J’entendis quelqu’un toquer à la porte, sûrement Elisha, puis entrer sans attendre de réponse. Ouaip, Elisha. Ça ne me dérangeait pas vraiment, en plus je lui avais demander de venir, alors j’allais pas me foutre à poils. Elle commença à me parler avec entrain avant de s’arrêter en voyant dans quel état j’étais. Elle me demanda ce qui m’était arrivé et si ça allait, s’approchant du lit.

J’avais vraiment envie de lui parler de tout ça, de sortir ce que j’avais sur le coeur, mais aucun mot ne sortit de ma bouche à ce moment-là. Aller à l’infirmerie ? Eh… mon œil au beurre noir n’était pas du tout ce qui me dérangeait. C’était le moindre de mes soucis même si j’en souffrais. Je pris quelques grandes respirations et essuyai mes larmes.

— Ça va pas trop, non...

Toc toc toc.

Tiago ? Je jetai un regard confus à Elisha en mode « Je sais pas ce qu’il fait là ». Je restai silencieuse un moment.

— Euh ok… entre.

Je n’étais d’abord pas trop sûre de vouloir qu’il me voit comme ça, mais bon hein il avait vu mon étoilisation alors je ne pouvais pas descendre plus bas ! Il s’arrêta un instant pour regarder Elisha. Hahah… Awkward. Honnêtement, ces derniers temps, je ne savais plus où me mettre entre ces deux-là vu qu’ils étaient tous deux mes amis. Tiago remarqua alors que quelque chose n’allait pas. Il me questionna sur ma blessure (j’avais aussi mal au ventre et au cuir chevelu à cause de cet enfoiré, mais ce n’était pas visible). Je me mis en position assise et remit la débarbouillette sur mon œil.

— Hum… je sais pas, je sais pas qui c’était… Juste un gros con.

Ma mine se renfrogna en pensant à ce type et la colère remonta en moi un court instant.

— Mais euh… Tu voulais quelque chose Tiago ?

Ce n’était pas fréquent qu’il débarque dans ma chambre comme ça, surtout sans avertissement. Il devait avoir besoin d'un truc, par contre je ne pensais pas pouvoir l'aider là, maintenant.

Tiago s'exclama avoir reçu un message et que c'était la raison de sa venue. J'haussai un sourcil et rouvrit mon téléphone. Je remarquai alors que j'avais envoyé mon message dans notre conversation à trois au lieu de celle uniquemment avec Elisha.

— Ah je vois, j'me suis trompée de convo...

J'avais encore les yeux remplis de larmes au moment de l'envoi, donc je n'avais pas dû voir correctement. Le jeune homme ajouta que ça n'avait pas d'importance vu mon état actuel. Puis, alors que je leur révélais que je ne savais pas qui était l'individu qui m'avait frappé, Elisha s'énerva en supposant qu'il l'avait fait sans raison. Euh bon, je n'avais pas dit ça...

Tiago lui répondit que ce serait lui qui s'occuperait du type et que elle, dans son cas, elle devrait rester avec moi. Il avait vu juste : il n'y avait pas que la douleur physique... En fait, elle n'était que le deuxième facteur. Il me demanda ensuite si j'avais d'autres blessures.

— Hum bah... il m'a donné un coup au ventre et tiré les cheveux mais... ça va passer...

Comment étais-je supposée leur dire que c'était moi, celle à l'origine de cette bagarre ? Bon, autant ne pas passer par quatre chemins.

— Mais euh... en fait c'est moi qui... l'a frappé en premier... en quelque sorte ?

Non, ce n'était pas juste en quelque sorte, mais j'avais encore du mal à le croire moi-même. Je n'aurais jamais pu pensé que ma première bataille serait de ma faute.

— Mais... il le méritait !! Il a dit un truc homophobe, m'exclamai-je alors que la colère prenait le dessus sur la tristesse.

Ouaip, ils étaient surpris de cette révélation, ça c'était certain. Elisha me reposa la question, comme si malgré mes paroles, elle n'arrivait pas à y croire. Elle ajouta qu'il l'avait sûrement bien mérité selon mes dires, mais que ça ne me ressemblait pas d'en venir aux poings.

Elle me redemanda si j'allais bien. Sauf que cette fois-ci, elle ne parlait pas de la bagarre. Ce n'était probablement pas difficile de devenir que quelque chose se cachait là-dessous. Tiago s'exclama que je pouvais leur parler. Je souris faiblement, parce que ça me faisait chaud au coeur. J'étais contente qu'ils soient là, même si au départ je n'avais pas invité le jeune homme. Mais là, forcément, je me souvins de ce qui avait mené à ça. De la soirée de la veille.

— J'ai merdé, j'ai tellement merdé...

Ma voix était faible et je ne parvins pas à continuer tout de suite. Je pris plusieurs respirations pour tenter de me calmer.

— Hier soir, j'ai... oh putain putain putain, qu'est-ce que j'ai fait...

Ils allaient me prendre pour une folle. J'avais l'air de me parler à moi-même, je n'osais pas les regarder.

— Aria... elle s'est séparée de son copain et moi j'ai... je lui ai avoué qu'elle me plaisait...

Je me mis à fixer mes mains tremblantes. Je portais une énorme culpabilité, sans compter la honte et la peur... la peur d'avoir tout gâché.

— Je pensais que mon cerveau avait compris que c'était juste une amie ! Mais non !! Et là, quand je l'ai réalisé... c'est sorti tout seul...

Allaient-ils me juger ? Je le mériterais. C'était mes amis, mais ce que j'avais fait restait d'une débilité profonde. Cependant... j'avais surtout besoin de réconfort, là. Parce que quand je commençais à m'enfoncer dans l'obscurité, j'avais du mal à réfléchir et tout ce que je pouvais faire, c'était de me détester.

Oui, il fallait que je me calme. Inspiration, expiration... Elisha s'approcha de moi et colla sa tête à la mienne. Elle dit que je n'y pouvais rien si mes sentiments n'étaient pas réciproques. Pendant un instant, j'avais presque oublié que je m'étais fait rejetée. Ce qui me pesait était surtout le moment où j'avais fait mon aveu à Aria, un très mauvais moment, et au fait que cela avait dû la déstabiliser. Mais oui, il y avait ça, aussi...

Elle ajouta que ce n'était pas une si grosse bêtise de lui avoir avoué cela, parce que ça signifiait probablement que ses mots devaient sortir de ma bouche. Je me demandai alors si c'était vrai. Est-ce que cela avait été nécessaire ? Est-ce que, sans cela, j'aurais continué d'espérer bêtement ?

— Tu penses..?

Ça n'avait pas été volontaire, mais tout de même. J'aurais pu, si j'avais été plus forte, empêcher cela de s'extérioriser. Elisha reprit parole et j'écarquillai les yeux. Wow, en fait, je n'avais pas du tout pensé au fait qu'il était carrément possible qu'Ariana ne soit même pas attirée par les femmes. Et même si elle l'était, ça ne signifiait pas que je lui plairais par automatisme. Tant pis pour elle..? Je n'en voulais pas à la rouquine... pas du tout, car après tout, on ne pouvait pas forcer les sentiments... Et je ne voudrais jamais que quelqu'un prétende m'aimer.

— Mais... mais Aria, elle ne méritait pas ça. Lui avoir dit après avoir appris pour sa rupture... j'ai l'impression d'être une mauvaise amie...

Alors évidemment que je me sentais mal. Pour ce qui était de m'être pris un râteau, cela me rendait triste et non coupable... C'était la première fois que je me confessais à quelqu'un et je n'avais même pas été capable de le faire correctement ! Je n'étais même pas sûre qu'on puisse réellement appeler ça une confession. J'avais envie de mettre une bonne baffe à la Elfie du passé. N'aurais-tu pas pu attendre qu'Aria soit remise de sa rupture et formuler ça d'une autre façon ? Tu avais déjà été journaliste bordel, tu savais comment bien utiliser des mots et des phrases !

Mon amie commença à me caresser les cheveux puis, j'entendis soudainement la voix de Tiago dans ma tête. Oh oh, il semblerait que je les avais mis dans une situation embarrassante... Je me mordis un peu la lèvre inférieure avant que le jeune homme intervienne.

— Oui, elle m'a fait comprendre que ce n'était pas réciproque... je... je-je crois que tu as raison, même si je m'en doutais au fond, je pense que mon cœur avait besoin d'en être certain... du fait que je n'avais aucune chance... Car je n'ai jamais osé avoué cela à qui que ce soit avant et... je ne peux m'empêcher de me demander si j'aurais dû, si ça aurait pu être positif.

Je me calmais de manière progressive et j'avais arrêté de trembler. Je ne pouvais pas passer toute ma vie à espérer une romance sans prendre de risques. Je songeai alors à Bito, le mec au bar avec qui je discutais par SMS depuis un court moment. J'avais refusé ses invitations à sortir parce que j'étais trop nerveuse (bon, j'avais aussi l'excuse de l'horaire bien chargé !). Alala, je m'exaspérais. Mais là, avec ce qui venait de se produire, je n'avais pas la tête à avoir un rencard.

— Sûrement... ce qui m'inquiète c'est davantage si je leur plairais aussi... Sans compter que c'est pas toujours facile de savoir si une fille est lesbienne ou bisexuelle... Il y en a qui ont un look plus garçon manqué et des cheveux courts, mais c'est pas toujours le cas. Comme moi, quand les gens me voient, ils n'ont pas tendance à assumer que j'aime... majoritairement... les filles.