- "Comme d'hab ?"

Légèrement en retrait du bord de l'eau, à l'abri des premiers arbres qui s'élèvent, je retrouve l'un de mes clients habituels pour lui refiler sa dose de pilules. De quoi faire la fête jusqu'au levé du soleil sans ressentir le moindre signe de fatigue.

La demande est toujours particulièrement forte en ce moment, et moi j'ai un peu trop de plans futures en tête qui me demandent du fric, donc c'est parfait ! Il faut dire qu'avec leurs nouvelles "mesures anti-drogues" mises en place peu de avant le début de l'éclipse, l'offre proposée à Terrae a commencé à chuter. Et les arrêts complets des entrées et sorties avec le reste du monde n'ont pas amélioré la situation. Même si moi, ça m'arrange bien.

Il a bien fallu que j'équipe ma chambre en laboratoire de contrebande pour pouvoir poursuivre mon activité, mais les prix imposés n'ont fait qu'augmenter ces derniers temps, pour le plus grand bonheur de mes finances. Je fais tout de même gaffe à respecter les quelques arrangements passés avec Hideko. Elle me fout la paix depuis plusieurs mois (en même temps elle devait avoir d'autres problèmes à régler dernièrement), ce n'est pas la peine d'attirer à nouveau son attention à cause de quelques dérapages.

- "Ouais super ! J'étais complètement à sec, ça va faire du bien !"

22h, le soleil se couche tout juste à cette période de l'année où les températures sont toujours agréables. Quelques petits groupes sont toujours présents aux alentours du lac, faisant la fête entre amis. Pas de quoi m'inquiéter. Ce ne sont pas ces types là qui risquent de juger cet échange qui se met en place actuellement. Déjà parce qu'ils restent éloignés de notre position. Et puis ils paraissent bien trop occupés pour prêter attention à autre chose que leurs conversation. Occupés et alcoolisés pour une bonne partie, si j'en juge aux éclats de rire non contrôlés qui s'échappent régulièrement.

- "Distribue pas tout direct hein, tu sais que c'est pas évident de les obtenir en ce moment."

Une mise en garde classique, je ne crois pas que mon client en ait quoi que ce soit à foutre. Pas franchement mon problème à vrai dire. Seulement, je n'ai pas particulièrement envie d'avoir des junkies en manque à ma porte, que je ne puisse satisfaire. Mais pour l'instant, je me contente de sortir un petit sachet de l'intérieur de la veste légère que j'ai sur le dos, pour procéder à l'échange standard.

- Pas pour cette fois ... merci.

Je lâchai le téléphone que j'avais tenu dans ma main pendant deux longues heures, après avoir raccroché. Mes conversations avec mes employées sont parfois fastidieuses, j'ai l'impression qu'elles me prennent de plus en plus la tête. Je crois que mes leçons avec Hideko me font fatiguer et il est plus compliqué de trouver l'énergie de gérer toutes mes affaires à côté. Hortensia fait un travail magnifique, heureusement, mais moi, il faisait presque nuit et j'avais un fond de migraine qui commençait à apparaître. Je n'avais même pas mangé, mais je n'avais aucun appétit.

Depuis que j'étais au fil, j'avais pris l'habitude de me déplacer un peu partout à Terrae, donnant des instructions en italien que la puce traductrice énonçait à tous haut et fort. Enfin, aussi fort que je ne l'autorisais, certains dialogues se devaient d'être faits sous le sceau du secret. Quoi de mieux que la nature pour couvrir le bruit du vent ? Quoi de mieux que l'épaisseur des buissons pour dissimuler les secrets les mieux gardés. En bref, mes déambulations m'avaient menées jusqu'au lac où des groupes s'étaient accumulés, pour boire, fumer, traîner ensemble et faire des folies jusqu'à ce qu'IST s'ensuive et que la mort les sépare.

L'amour c'est beau, mais Dieu sait que c'est enfantin. Quand on grandit, on n'aime plus, je n'aime plus, alors, je le sais bien. En tant qu'adulte, on ne croit plus aux fantaisies, Terrae est la seule exception à cette règle, mais on réalise vite que tout ce qui est magique en ce monde disparaît à partir d'un certain âge. Seule demeure la froideur du concret, de la réalité et de ces saloperies que l'on appelle responsabilités. Enfin, "saloperies", clairement, je ne me verrais pas vivre dans quelconque autre monde, je n'ai pas l'étoffe d'un personnage de fantaisie, de toute manière. Encore que ... j'ai une certaine admiration pour la fée Morgane des légendes Arthuriennes. Une fille d'ambition prête à tout pour satisfaire ses appétits de puissance, si je n'étais pas plus avisée, j'en aurais fait un modèle.

Quoi qu'il en soit, je me balade autour de l'eau et ... que vois-je ? La silhouette sombre du deal juteux entre étudiants, orchestré par la main de maître, de nul autre que ce genre Blanchette. C'est qu'il m'avait presque manqué cet imbécile, même si on se voit plutôt régulièrement. Je me sentais juste un peu fatiguée en ce moment, mais ça n'a rien de grave, juste un coup de mou à cause d'un rythme bien trop intense. Mais au moins, j'ai bien progressé avec la magie, preuve en est, je salue le latino en lui faisant se poser sa propre main sur ses yeux.

- Devine qui c'est, bellâtre.

Avec une voix pareille, impossible de ne pas deviner. D'ailleurs, c'était moi où j'avais l'impression qu'elle était plus profonde ... huh. Il faudrait peut-être envisager d'arrêter la clope. Peut-être ...non, aucune chance, de toute manière j'ai encore le paquet de mon père à finir. Il reste 23 cigarettes dedans, c'est à dire 23 occasions à fêter. En tout cas j'avais lâché mon emprise sur lui, mais, croisant les bras sur ma veste noire, je lui file un regard inquisiteur (mais quand même sympa) en désignant d'un hochement de tête l'intérieur de son propre vêtement.

- Tu vends des sucreries ? riai-je. Il t'a filé combien, ton junkie ?

Je laisse le gars repartir avec ses pilules pendant que mes poches se sont remplies de yens. Mais alors que je me décide pour un petit détour plus près de l'eau, une énergie qui ne m'est pas inconnue s’immisce dans mon bras pour le faire se lever, m'auto-cachant les yeux. Pas très difficile de comprendre ce qui vient de se passer quand on partage un même pouvoir. Mais ok, je trouve l'idée assez intéressante et du coup, je me laisse faire avec le sourire. Et la voix qui accompagne mon geste ne me laisse plus aucun doute.

- "Les devinettes ne sont pas très intéressantes quand il n'y a rien à gagner à la clé."

Je réponds d'un ton légèrement provoquant alors que je redeviens seul maître de mon corps, me retrouvant face à Mira. Pour quelqu'un qui n'avait jamais fait l'expérience du marrionnetisme jusqu'à récemment, il faut admettre que ce qu'elle vient de faire est plutôt impressionnant. Enfin, il faut dire qu'il m'a fallu un bon moment avant de bien capter comment fonctionnait cette partie de mes pouvoirs. Ce que je ne risque évidemment pas de reconnaitre à voix haute.

- "Ces sucreries là ne sont pas pour les enfants." Bien sûr que j'ai compris, mais ce n'est pas comme si j'avais encore quoi que ce soit à cacher à ce niveau là. "Et pour le reste... Je ne peux pas vraiment dévoiler ce genre d'informations, ce ne serait pas super professionnel. Mais j'suis sûr qu'avec ce que ça rapporte, je pourrais avoir ma carte parmi tes clients ! Dommage que le vin italien ne m'excite pas particulièrement."

Oh oui, je sais que ce n'est pas ce qu'il y a à dire pour s'attirer les faveurs de la miss. Mais ça fait justement partie des choses que j'apprécie particulièrement quand je suis avec Mira. Je n'ai pas besoin de faire gaffe à mes mots. Nos points de vue ont beau diverger régulièrement (d'autant plus lorsqu'il est question de nos origines, c'est vrai) ça n'empêche qu'au final on se retrouve souvent sur la même longueur d'ondes. Et il n'y a pas grand monde avec qui je me sente à l'aise quel que soit le sujet à Terrae.

- "Ou alors tes activités ne te rapportent pas assez et tu cherches le meilleur moyen de te diversifier ?"

Un sourire provocateur pour accompagner mes paroles, je me rapproche finalement de la miss de sorte à ce qu'on soit désormais face à face.

Oh il sourit à ma petite farce, s'il n'est pas adorable ce petit truand au coeur d'or. C'est très amusant de voir quelqu'un se cacher les yeux soi-même, j'aime beaucoup l'idée de garder les mains dans les poches tout en demandant qui l'a fait. Enfin ... mains dans les poches, pour ainsi dire. Je suis incapable de faire ça parfaitement sans au moins un minimum de gestuelle. En tout cas je suis contente de voir que je suis bonne à ça, parce que pour le feu ... on reviendra. Je suis juste incapable de le contrôler, nulle, sans valeur, point.

J'espère bien qu'ils ne sont pas pour les enfants, je ne serais pas là si j'avais envie de manger des friandises. De toute manière, le sucre, ce n'est vraiment pas mon truc. La drogue, par contre ... on a tous nos travers, n'est-ce pas ? Le sucre est une drogue, quelque part, on m'avait dit qu'il y avait un taux d'addiction quasiment similaire, mais j'en doute. Quoi qu'il en soit, Tiago ne compte même pas me donner le moindre indice sur sa fortune, si ce n'est qu'il pense pouvoir prétendre à acheter de mon alcool !

Honnêtement, j'ai laissé glisser un gloussement du fond de la gorge, avant de répliquer.

- Tu te surestimes, Blanchette.

Et il approche ... très près. Juste en face de moi. Si mon père voyait cette insolence dans son regard, il l'aurait fait traîné jusqu'à la cave pour rejoindre les bouteilles. A la place d'un compartiment, on l'aurait assit sur une chaise et on lui aurait crevé les deux yeux et coupé les lèvres pour qu'il n'aborde plus jamais cette expression. Heureusement pour lui, j'aimais bien cette mine sur son visage. Elle me donnait envie de lui mordre l'oreille, mais je garde toujours une expression droite ... mon sourire en coin me trahit. J'ai même entrouvert la bouche. Ah, et mon regard s'était resserré. Je fais ça, quand on me taquine. C'est autant bon signe que ça peut être mauvais présage. Tout dépend du contexte.

- Ce n'est jamais un mal de s'ouvrir au marché. Certains appellent ça de l'intrusion, d'autres, de l'espionnage, moi j'appelle ça de la prudence. Aussi, je n'ai jamais trempé les pieds dans ces affaires ... mais quoi qu'il advienne, ça viendra un jour.

Il veut jouer, alors j'accepte l'invitation. Je m'approche à mon tour, comblant le peu de distance qui nous séparait. Et là, c'est tout un numéro qui commence, mais j'adore ça. Je laisse mes mains se balader sur son haut et avec la voix la plus sensuelle que je puisse donner, je demande sans aucun faux-semblant.

- Est-ce que ça ne te tenterait pas ... une petite stagiaire ?

Et je ris. Je ne négocie pas vraiment, j'essaye surtout de plaisanter, mais qu'importent les issues, toutes me conviennent.

Évidemment, ça ne lui plait pas des masses cette soit-disant possibilité d'intégrer le club très select de ses clients ! Enfin, c'est ce qu'elle laisse entendre, mais je vois bien qu'il en faut plus pour qu'elle m'en tienne rigueur. Déjà parce qu'elle ne s'éloigne pas malgré le peu de distance qu'il y a désormais entre nous, et... Parce que oui, c'est bien un sourire que je vois se dessiner sur son visage.

Mais sa réponse m'intrigue davantage que son comportement. Est-ce qu'elle est vraiment en train de dire qu'elle pourrait effectivement s'intéresser à ce type de trafic ? Celui qui peut rapporter pas mal d'argent, mais qui est en même temps loin d'être sans risques ? Elle ne me laisse pas davantage de temps pour tenter d'interpréter correctement ses paroles qu'à son tour, Mira se rapproche. Du moins, elle anéanti le faible espace qui nous séparait encore. De quoi perturber quelque peu mes facultés de concentration. Ce qui ne m'empêche pas d'apprécier largement ce qui se passe.

- "Hum, si c'est une stagiaire sexy rien que pour moi, ça risque de me plaire."

Parce que j'aime beaucoup trop ce petit jeu qui se met en place. Cette voix qu'elle prend, sa gestuelle, et, c'est vrai que l'idée de la stagiaire est particulièrement stimulante. Bien assez pour que je puisse totalement envisager l'idée, alors qu'en temps normal, "former" une nana qui vient d'avouer ne pas y connaitre grand chose m'emmerderait au plus haut point.

- "Mais, être ma stagiaire ça suppose aussi faire ce que je demande tout en me supportant et ça, il n'y a pas beaucoup de personnes qui en sont capables."

Est-ce que je ne m'emballe pas un peu ? Bah, c'est pas de ma faute si elle propose ça de façon beaucoup trop aguichante aussi ! J'attrape ses mains un peu trop baladeuses dans les miennes (pas que ce soit désagréable mais faut quand même que je garde un minimum de self control !) et penche mon visage légèrement en avant pour lui chuchoter la bonne partie quand même.

- "Cela dit, si tu y arrives, ça te fera pas mal de thunes en plus et surtout, ta vie deviendra d'un seul coup beaucoup plus trépidante. Parce que c'est aussi ça le principal intérêt des réseaux illégaux."

Parce qu'on ne va pas se mentir, pour se lancer dans ce genre de "carrière", il faut faire partie de ces gens incapables de se satisfaire d'une vie tranquille et bien rangée.

Eh bien pour qui d'autre ? Jusqu'à preuve du contraire ce n'est pas Houston que je caresse, dieu merci, d'ailleurs, j'aurais bien du mal à supporter l'odeur de sueur mêlée à celle de l'insécurité. Il a quand même de la chance, Blanchette, d'être à ce point dans mes bonnes grâces. Enfin, il a de quoi, entre la morale et l'attitude parfois similaires, on a tout pour bien s'entendre, il faut le reconnaître. Il devrait juste peut-être apprendre à grandir un peu ? Voir les choses du dessus et pas seulement au travers des yeux d'un étudiant un peu grande-gueule qui vend de la came. Et en même temps, il me fait un peu pitié ...

Je lève un sourcil au moment où il me prend pour l'une de ces coincées qui ne supportent pas de l'avoir dans les pattes. Il prend mes doigts entre les siens ... ce qui pourrait avoir l'air romantique, mais je ne suis pas vraiment du genre à me perdre dans ce genre de divagations. Se focaliser sur l'important est une qualité, alors vraiment, le fait qu'il ait ma main dans la sienne, eh bien, ça me passe au-dessus de la tête. Le chuchotis qu'il glisse à mon oreille me fait plus frisonner à l'idée qu'il compte me faire entrer dans ce réseau plutôt que par le ton employé.

Mais d'abord, autant redresser le tort qu'il m'a fait en présumant que je ne saurais pas le supporter, comme n'importe laquelle des pétasses qui l'emmerdent.

- Tu me prends pour l'une de ces connes qui t'en veulent de les avoir conquises puis jetées après la première nuit ? Je ne suis pas si frustrée, Blanchette.

Mon visage parle de dérision, avec l'air désabusé qu'il affiche. J'ai beau ne pas le montrer, déceler ces traces d'insécurité chez lui, ça me met sur les nerfs. Peut-être qu'il n'avait signifié ça que comme une blague, mais moi j'entends toujours le même appel de détresse qui dit "aimez-moi" et oui, ça me fend le peu de coeur qu'il me reste. Je lui flatte le sommet de la tête avec la main, lui ébouriffant un peu les cheveux ... huh, c'est amusant ça.

- Je t'aime bien, Tiago, sinon on ne se parlerait pas. Et puis, y a pas beaucoup de personnes qui me supportent non plus.

Faudra que je reparle de ça avec lui, j'ai vraiment l'impression qu'inconsciemment ça le tue et aussi curieux que cela puisse paraître, je me soucie de ce genre de détails. Après tout, c'est contre-productif et ça fait perdre une quantité atroce de temps, de se torturer comme ça. Ce qui m'abasourdit le plus, c'est que personne ne le voit, ça, pour les autres, c'est juste un p'tit con.

- C'est ça d'être trop parfait pour ce monde, on s'attire la jalousie des autres.

Et je lui fais un clin d'oeil, avant de me craquer la nuque. Retour au sujet principal, maintenant, les thunes, la drogue et le frisson. Le trio gagnant, en somme, mon père avait déjà dû toucher à ces filiales, mais il ne m'a jamais laissé m'approcher de ce genre de choses. Il avait peut-être peur que je tombe dedans, eh bien, pour ça vous n'auriez pas dû tuer ma mère, cher géniteur. D'une chose à l'autre, de la consommation je passe à la vente, j'a toujours eu l'esprit d'une entrepreneure.

- Quoi qu'il en soit, tout ça a l'air ... palpitant. Tu comptes me faire frissonner en me disant à combien tu vends le gramme, ou bien tu as un meilleur moyen ?

Et je le fixe, sourcil levé ... bon, j'ai encore dévié, mais après tout je bosse déjà assez avec Hideko sur mes pouvoirs et sur moi-même, un peu de repos n'est rien d'autre que très naturel, n'est-ce pas ?

Non. Bien sûr que j'ai compris que Mira n'a rien à voir avec ces filles un peu trop naïves qu'on trouve facilement à Terrae. Comme partout ailleurs. Mais se supporter quelques heures de temps en temps quand on en a envie et en venir à collaborer, c'est bien différent. Cela dit, vu comment elle parle de son business en Italie, je pense qu'on ne devrait pas avoir trop de difficultés à s'entendre sur ce terrain.

- "Si je te prenais pour l'une de ces filles sans intérêt, je ne prendrais pas au sérieux ce genre de proposition."

J'arrive même à m'habituer à ce surnom pas super glorieux. En revanche pour ce qui est de cette façon de m'ébouriffer les cheveux comme on le ferait à un gamin, ça m'arrache un léger grognement d'inconfort. Ouais, quand on est le dernier de la fratrie, des mains qui viennent foutre le bordel dans les tifs, on y a un peu trop eu le droit.

J'esquisse une légère grimace et décalant légèrement ma tête de ces doigts décoiffant (plus pour la forme que par réelle gêne ok, je surjoue peut-être un peu). C'est bizarre de l'entendre dire qu'elle m'aime bien. Pas que ça m'étonne des masses, j'imagine bien que ce ne serait pas comme ça entre nous autrement. Mais ce n'est pas le genre de chose que je l'imaginais dire. En revanche, pour ce qui est de son explication sur notre faible popularité auprès de la majorité des résidents de Terrae...

- "Je ne suis même pas sûr que tous ces abrutis soient capables de se rendre compte qu'il y a de quoi être jaloux. Ils se complaisent dans ce que leur offre l'Institut, très contents de leur petite vie tranquille et dès que quelque chose, ou quelqu'un, vient bouleverser leur quotidien parfaitement établi, ça les emmerde. Franchement, je comprendrais jamais ce genre de personnes."

Bon après, il y aussi ceux qui sont juste insupportables par nature, ou trop orgueilleux et forcément, des caractères forts trop similaires, ça amène souvent à des dérapages. Mais je préfère encore ces rebelles capables de se défendre et d'exprimer leur opinion clairement que tous ceux qui se contentent de juger sur le fait que c'est pas bien d'être méchant.

- "Combien le gramme... Ce sont les chiffres qui te font vibrer hein ! Ça dépend de ce que je vends, mais pour en savoir plus, il va me falloir plus qu'une belle promesse alléchante !"

Connaissant Mira, je suis sûr qu'à peine je lui aurais donné cette info, elle sera déjà en train de calculer la part qu'elle pourrait exiger ! Et là tout de suite, ce n'est pas vraiment de fric dont j'ai envie de parler.

- "Enfin, j'ai bien une autre idée pour te faire frissonner, mais avant ça... J'ai beaucoup trop envie de pouvoir mettre les pieds dans l'eau ! Tu m'accompagnes ?"

A cette heure là, les quelques groupes encore présents dans le coin sont plus occupés à picoler sur le sable qu'à profiter de l'eau. Ce qui est parfait. Et puis, il faut dire que l'océan, c'est quelque chose qui me manque vachement ici alors, le lac, c'est encore le meilleur moyen de compenser.

Je n'aurais pas pu répéter les mots de Blanchette avec plus de précision que ce qu'il avait décrit, au sujet des élèves de cet institut. Enfin, si, j'aurais pu, parce que ce qu'autrui fait, je le fais mieux, parce que c'est ce que moi je fais. Les gens de Terrae sont des enfants qui s'amusent à découvrir un don qui aurait son utilité partout ailleurs, mais à la place, ils s'en servent de jouet pour occuper leurs soirées devenues désormais vides de sens après qu'un traumatisme leur ait tout ôté. Quelle différence y a-t-il avec la sucette pour un bébé ? On leur balance quelque chose de satisfaisant entre les mains pour faire en sorte qu'ils la ferment. Même la vie n'a pas envie de gérer des cas pareils.

Et tu parles que ce sont les chiffres qui me font vibrer, j'ai plus l'impression d'être une comptable pour mon propre vignoble que la propriétaire. C'est déprimant ... pour d'autres, en tout cas, moi, j'adore la facette concrète de la numérotation et du comptage. Il n'y a pas meilleure satisfaction que de savoir que tout est à la place où il devrait être, et si je devais trouver la moindre anomalie dans mes comptes, je ferais absolument tout pour que le tort soit réparé. Alors non, les chiffres ne me font pas vibrer, ils sont ma raison d'être à un point où si l'humanité n'avait pas découvert les mathématiques, je serais la première à établir qu'un plus un est égal à deux.

D'ailleurs, j'ai l'impression de m'être faite grillée dans mes intentions, puisque déjà Tiago considère que je lui dois une faveur. Je ne sais pas s'il s'agit d'un sous-entendu de sa part, ou d'une véritable dette à payer, en tout cas je viens d'assister à l'anticipation de marché la plus rapide que j'ai pu voir. C'est ça de parler entre adultes, on sait tout de suite qu'une demande entraîne une offre, sauf que Blanchette n'avait pas exactement compris le sens que les choses allaient prendre.

Mais avant cela ... pourquoi ne pas mettre quelques orteils dans la flotte.

- Tu me pousses, je te noie.

Parce qu'il serait capable de mouiller mes fringues juste pour voir au travers, alors que vraiment, les retirer est infiniment plus simple. Et bien moins pénible pour moi, il n'y a rien de pire que la sensation de vêtements trempés collant à la peau. Sauf que j'aime bien garder un minimum de sérieux quand je parle affaires, ou du moins lorsque je m'y apprête. Je fais deux trois pas dans l'eau du lac et bras croisés, j'esquisse un sourire au coin de mes lèvres.

- Mais c'est amusant qu'il te faille plus qu'une promesse alléchante, alors que c'est moi qui te rendrais un service. Un service payé, mais chaque travail mérite son dû et il n'y a pas deux comptables comme moi dans tout cet institut. C'est la partie la plus chiante de chaque boulot, mais bon Dieu qu'elle est nécessaire.

Le ton change par rapport aux deux minutes précédentes où il a bien failli m'en rouler une parce que je l'y invitais. Je prends mes affaires au sérieux, lorsque je parle business, je parle business et strictement business. Hé oui, les affaires des affaires sont les affaires, aussi froidement que cela et je ne ferai pas à Blanchette l'affront d'essayer de le manipuler. En tout cas, je ne le ferais pas assez grossièrement, je le respecte assez pour faire en sorte qu'il ne le remarque pas.

Je balance mon regard sur lui, complétant mon air assuré d'un haussement de sourcil qui appelle à l'admiration. "Qui d'autre que moi est mieux placé ?", demande mon visage et je sais qu'il sait qu'il n'y a personne de plus qualifié pour ce travail. Je garde en tête qu'il n'a pas posté une offre d'emploi, mais j'aime bien faire croire que ce que je demande m'est déjà acquis, pourvu que le public soit ouvert, eux aussi finissent par y croire. Je m'approche désormais de lui, bien au-delà des frontières intimes.

- Maintenant que j'ai fini d'être sérieuse, pour quelle raison me voulais-tu dans le lac, exactement ?

Qu'est-ce qui m'intrigue le plus, le fait de savoir si j'ai deviné correctement, ou simplement de l'entendre le dire ? Aucune idée, mais j'ai hâte d'entendre.

Si je détourne assez rapidement la conversation vers quelque chose de beaucoup moins sérieux, ce n'est pas pour autant que je vais oublier ce qui vient d'être dit. Après tout, j'ai bien conscience d'être beaucoup plus doué pour jouer au méchant et distribuer quelques coups au passage si besoin que pour ce qui est de la gestion administrative. Pour le niveau d'activité que j’exerce à Terrae,  un peu de bon sens et l'habitude de ce milieu me sont largement suffisants pour que la rentabilité soit au rendez-vous, mais je n'ai pas de doutes sur les capacités de Mira à être bien plus efficace sur ce terrain. Et en plus, déléguer les parties relou, c'est toujours avantageux.

- "Comme si t'en étais capable."

Je réponds à cette menace de noyade sur mon ton provocant habituel. Quand on a grandit en bordure d'océan avec des frères aînés, on est habitué à ces attaques aquatiques ! Et je l'imagine difficilement rivaliser avec la force que mettaient mon frangin pour me foutre la tête sous l'eau. Même si elle doit être parfaitement capable de se montrer bien plus vicieuse... N'empêche que c'est tentant maintenant !

- "C'est vrai. Ça ne me déplairait pas de me débarrasser de toute cette partie franchement chiante du boulot. Mais si j'accepte de te refiler ce job, alors j'accepte aussi de te faire rentrer dans le business. Et pour ça, tu dois bien savoir qu'il ne s'agit pas d'un simple contrat de travail avec droits et obligations du salarié."

J'avance dans l'eau peu profonde du lac après avoir retiré chaussures et chaussettes, et avoir remonté le bas de mon pantalon pour éviter qu'il ne se retrouve trempé. J'aime bien cette sensation, entre le sable sous la plante des pieds et l'eau qui entour mes mollets, j'ai un peu l'impression de retrouver des sensations que j'ai toujours connu.

- "Par contre, bosser ensemble, c'est pas totalement anodin. Ton image dans le milieu, ce sera un peu la mienne, et inversement. Alors forcément, j'ai besoin d'en savoir un peu plus sur toi avant de me décider. Et, je trouve que c'est beaucoup plus agréable d'être les pieds dans l'eau pour ça !"

Est-ce que c'est la seule raison pour laquelle je lui ai proposé de s'aventurer dans le lac ? Peut-être pas. Mais pour l'instant, c'est bien la tranquillité qui m'intéresse le plus. Plus personne autour de nous, les quelques rares accros toujours dans l'eau sont bien loin, on est sûrs de ne pas être importunés par des idiots qui viendraient se balader trop prêt et qui risqueraient d'entendre ce qu'ils ne devraient pas.

- "Comment ça se passait pour toi en Italie ? J'veux dire, t'as l'air de pas trop mal maîtriser les codes du milieu. Il n'y a vraiment que le vin qui a contribué à fournir ton compte en banque ?"

Je sais bien qu'elle est loin de la gentille fille innocente. C'est bien pour ça que je peux effectivement envisager d'accepter cette proposition. Mais si jusqu'à présent j'ai toujours pu me contenter de demis mots, d'interprétations personnelles, j'ai besoin d'un peu plus de concret désormais.

Oh, mais j'en suis capable. J'ai l'impression qu'il oublie un peu vite le don qui nous concerne tous les deux. Tant mieux, ça montre bien qui des deux a la pensée la plus vive ... un peu de sérieux, tout de même, si je lui montre maintenant comment faire, aucun doute que ça partira très vite en hors-sujet. Je ne veux pas de ça, pas dans l'immédiat en tout cas. Quoique son ton provocateur mériterait bien qu'on le lui lave hors de sa bouche. Un bref passage dans l'eau devrait s'avérer rafraichissant pour qui a la tête chaude. Nul doute que c'est le cas d'un impulsif dans son genre, mais un peu de retenue ...

Droit, contrat, salaire ... tout ça j'en bouffe de trop pour vouloir le retrouver à Terrae, je pense que tout ce dont j'ai envie, c'est que cette partie de mon existence me foute la paix pendant un moment. Je comprends ses craintes par rapport au reflet de son business, mais s'il se soucie de son image, alors je pense pouvoir confirmer l'une des hypothèses que j'avais émises au sujet de son petit réseau. L'institut est forcément au courant de ce qui se passe juste sous son nez. L'odeur d'herbe, la gueule des joins, les mégots retrouvés dans la poubelle, peut-être même des seringues sales ... chaque crime a sa trace et trébucher sur ces indices dans un endroit confiné aussi petit ne peut qu'arriver. S'il fait attention maintenant, c'est que c'est probablement déjà chose faite et connaissant la bienveillance laxiste d'Hideko, ça n'aurait rien d'étonnant.

Au moins, je suis rassurée sur le côté pro de Tiago. Malgré l'aspect délirant et tentant de mes premières promesses, j'attendais de lui exactement ce qu'il m'a délivré à l'instant plutôt qu'un recrutement immédiat. J'aurais été déçue si ça avait été le cas, et ce même s'il me demande de lui parler de ma vie antérieure, qui aujourd'hui se poursuit encore ... enfin ... plus vraiment autant qu'avant. L'ennui avec ce lac, c'est que je ne peux pas m'asseoir sans tremper l'intégralité de ma robe et ce n'est pas une histoire que j'ai envie de raconter debout, ça. Tant pis, je suis plus avisée que d'être chamboulée par mon propre vécu.

- C'était facile, en Italie. J'avais des parents, à l'époque.

Maintenant l'un brûle en enfer, pendant que l'autre doit chanter des chorales à la gauche de Dieu. Du moins, j'espère que c'est ce qui est, et ce dans les deux cas de figure. J'admirais mon père, mais lorsqu'un parent vous apprend qu'aimer c'est faiblir, on comprend tout aussi vite que sa famille est finalement un véritable merdier.

- J'assistais de loin à la manière de procéder de mon père et j'apprenais. Tu mélanges ça à un peu de jugeote, de droiture et d'habitude et tu obtiens la petite mafiosa apprentie que j'étais. C'était vraiment facile.

Je me surprends à me plier en avant pendant que j'expose les faits, mains appuyées sur mes genoux, comme si je décrivais le visage de mon premier amour. Je n'ai pas de premier amour, et je suppose que je n'en aurai jamais. Tomber amoureuse, ce n'est pas pour une fille comme moi et ce n'est pas plus mal.

- Si tu me demandes dans quels crimes j'ai baignés, je te répondrai tous. Si tu me demandes quels crimes j'ai perpétués, je te répondrai aucun. J'ai tout vu, mais je n'ai rien fait, d'où l'intérêt de ma demande en premier lieu. J'esquisse un sourire mesquin. D'autant plus qu'aux yeux de l'administration, ton business n'est plus vraiment un crime, hm ?

Et si c'était le cas, alors j'aurais été une fille bien impressionnée. Je pense que tenir un réseau de drogue sous silence dans cet enclos est un challenge que même Escobar aurait du mal à relever ... il aurait essayé d'abattre la directrice, de toute manière, ce barjot-là. Oh, et aussi l'autre introverti puant en charge de la sécurité, juste parce qu'il parle trop.

Des parents. Ouais, c'est ouf comment tout parait si simple tant qu'ils sont là. Même quand on n'a pas appris à être dorloté et qu'on a l'impression d'avoir été éduqué pour être des adultes parfaitement autonomes, les choses paraissent beaucoup plus complexes quand il faut se démerder seul du jour au lendemain. Je hoche la tête à ses explications, comprenant assez facilement la situation.

- "Participer de loin donc. J'imagine que pour ce que tu proposes c'est largement suffisant."

Et ça me va surtout complètement. Si j'ai déjà commencé à répartir quelques cartes sur le terrain pour que cette activité annexe rapporte pas mal de thunes, il ne faut pas se voiler la face non plus. Vue l'échelle de Terrae, ce ne sera jamais aussi lucratif que sur n'importe quel autre territoire parfaitement ouvert. Sans parler des difficultés d'approvisionnement et de conception. D'autant plus que Mira met le doigt sur une particularité non négligeable.

- "Ce n'est pas un crime sous certaines conditions. Des conditions relous, mais c'est qu'avec les télépathes et voyants dans le coin, les règles du jeu ne sont pas tout à fait les mêmes qu'à l'extérieur. Enfin, si vendre certaines substances pas super licites ne signifie pas risquer le renvoi, ce n'est pas autorisé pour autant et l'administration ne veut surtout pas en entendre parler."

Ça n'a pas été hyper facile de négocier avec Hideko pour qu'elle me foute la paix sur ce point, mais en acceptant de faire certaines concessions, il faut reconnaitre que les masters se montrent un peu plus laxistes. Même si l'arrivée de l'éclipse entre temps a dû bien assez les occuper pour qu'ils n'aient pas le temps de fourrer leur nez dans mes affaires.

- "Et en plus de ces pouvoirs qui ne nous facilitent pas la vie, il y a d'autres contraintes qu'on ne trouve pas à l'extérieur. Alors même si vu la quantité de demande par rapport à l'offre c'est toujours largement rentable, on est très loin de ramasser les montants que t'as dû connaitre."

Faut dire que depuis cette petite discussion qu'on a eu avec Hideko, les affaires s'en sont bien mieux portées pour moi en me permettant d'avoir un certain poids au sein de ce réseau, en plus de la notoriété auprès des clients que je pouvais déjà avoir. Mais je ne bosse pas seul non plus.

- "Dans ces conditions, avoir quelqu'un qui soit capable de trouver des solutions pour rendre les transactions un peu plus avantageuses, forcément que ça m'intéresse bien. Mais ce qui m'intrigue plus maintenant, c'est de savoir qu'est-ce qui t'intéresse toi ? Pourquoi est-ce que tu voudrais perdre ton temps au milieu de tous ces chiffres produits par un réseau parallèle ? Pas pour des problèmes d'argent de ce que j'ai pu voir."

Si je n'ai aucun doute sur le professionnalisme et la discrétion dont doit être capable Mira, je ne peux en revanche pas m'empêcher de me méfier de ses réelles intensions. J'ai certes été élevé dans une conception du monde où l'homme est perçu comme le maillon fort au sens physique du terme, mais les femmes n'en sont pas pour autant reléguées au sens de fragiles créatures sans défense. Encore moins celles qui sont capables de manipuler les hommes avec la facilité dont semble faire preuve Mira. Parce que si je n'hésite jamais très longtemps pour en venir aux poings et faire passer l'envie à n'importe quel type qui tenterait de me doubler, pour ce qui est des nanas, c'est toujours un peu plus délicat. Leurs armes ne sont souvent pas celles auxquelles j'ai habituellement recours.

Evidemment qu'il est surveillé, ne serait-ce qu'un minimum par Hideko. C'est amusant d'ailleurs, mais je viens de remarquer la position parfaite dans laquelle je suis au sein de cet institut. Proche de la directrice, proche des vauriens et avec le léger mépris des gens normaux. C'est important d'être détesté, ça permet de dresser des barrières, de vraies barricades, histoire de filtrer les relations. Il est d'ailleurs bien plus facile de décevoir quelqu'un qui nous apprécie que quelqu'un qui nous connait à peine, inversement on surprend bien mieux ceux qui ne savent rien de nous.

J'écoute ses explications tout en hochant un sourcil ci et là, de temps à autre, pour acquiescer à ce qu'il affirme. Les pouvoirs doivent être une plaie pour les transactions souterraines. Rien d'étonnant, c'est aussi l'une des raisons qui m'ont poussée à croire qu'il n'était pas blanc aux yeux de l'institut. Ce doit être tout bonnement impossible.

Mais là, Blanchette mets le doigt sur un point ... intéressant. Enfin, pour lui, en tout cas, pour moi il s'agit d'une question plutôt contraignante. Je n'aime pas vraiment dévoiler ce qu'il y a dans ma tête, mais si je ne pense pas à quoi que ce soit en particulier. D'ailleurs, je vois parfaitement où il veut en venir, et je sais que peu importe ce que je lui dirai ne le rassurera pas ... pas vraiment en tout cas, sur mes intentions. Quand on grandit parmi des enfoirés, on apprend à ne faire confiance à personne. Au moins, je sais qu'il est allé à bonne école avec ça.

- Non, Blanchette, je ne compte pas te prendre ton trafic, je ne compte pas t'espionner au compte d'Hideko, je ne compte pas détourner du fric en douce, je ne compte pas empoisonner tes clients parce que la drogue est un péché, pas plus que je ne compte faire des placébos, augmenter tes prix ou en faire des bombes chimiques.

J'ai peut-être été un peu plus loin que ce que j'aurais dû énoncer ... les trois premiers scénarios auraient été assez, mais j'ai bien trop de plans tordus qui me viennent en tête à la seconde pour ne pas vouloir m'en vanter. Et encore, j'aurais pu parler de refiler des laxatifs en douce pour augmenter la consommation de bouffe après avoir investi dans le magasin alimentaire du coin. Tout marche de nos jours. Etait-ce censé le rassurer ? Hm ... non, mais au moins il sait à qui il a affaire, et c'est un soulagement en soi.

- Je m'ennuie à en mourir, ici. Et niveau réputation, je crois que l'on me prend pour une grande gueule arrogante et blasée qui se fout parfaitement de ceux qui l'entourent. Ce n'est qu'à moitié faux, à vrai dire.

De toute manière, il n'y aura jamais aucun moyen subtil de commencer ce business à deux. Enfin, "à deux", en tant que collaborateurs, parce que je ne compte clairement pas m'investir autant que lui là-dedans, ça me serait bien impossible. Alors autant en finir avec les formalités et garder les choses simples.

- Voilà ce que tu peux faire ; tu me confies un certain stock de produits, je les vends à ta place et si ça se passe bien on continue ce système pour que tu sois à deux endroits en même temps. Ah, et j'oubliais. Et si tu veux des documents comptables sur tes ventes, tu pourras t'adresser à moi. On est bons ?

Je tends la main, avec mon éternel sourire mesquin au visage. A lui de voir s'il y trouve quelconque malice.

L'explication de Mira est plutôt... Satisfaite ? Autant qu'elle est étonnante. Ca partait pourtant bien, mais je ne sais pas trop comment interpréter les derniers éléments. Ok, je n'avais pas été aussi loin. En fait, si je me méfie forcément un minimum, je ne pensais pas qu'elle ressentirait autant le besoin de se justifier. Mais ce n'est pas plus mal. Une réponse trop parfaite est toujours louche. Là au moins, je crois que ça colle bien aux premières impressions que je pouvais avoir de la demoiselle.

- "Ca me va. Il y a déjà quelques personnes avec qui je bosse, faudra que j'te les présente. Et d'autres qui sont plus reloues. Je ne vais pas te mentir, j'ai l'intention de prendre le lead sur le marché à Terrae et ce n'est pas une chose qu'on peut faire seul, donc ça m'arrange bien. Je sais que tu ne manques pas d'ambition et j'imagine que ça ne te fait pas peur, mais tu dois bien savoir que ce n'est pas sans risques."

Et je crois qu'avec ça je suis à peu près au clair avec ce que j'avais besoin d'aborder pour pouvoir envisager sérieusement une collaboration avec Mira. Bien sûr, il y aura beaucoup de détails à clarifier avec elle par la suite, sur les procédures notamment, mais je crois qu'avoir une personne de plus à mes côtés sur ce business ne sera pas de trop.

- "Alors, maintenant que j'ai écouté ta demande avec attention, tu ne voudrais pas me donner un aperçu de cette contrepartie évoquée ?"

Parce que je n'ai évidemment pas oublié cette parfaite image de secrétaire qu'elle a su utiliser pour capter un peu trop facilement mon attention dès le début de cette entrevue. Alors je perds une partie du sérieux que j'affichais jusqu'à présent, passant mes bras autour de la taille de Mira pour me rapprocher d'elle, un air parfaitement entendu d'affiché sur le visage.

- "Et, on pourrait même profiter du cadre pour un bain à deux."

Je baisse légèrement le volume sonore, comme s'il s'agissait d'une sorte de confidence. Je pourrais tout aussi bien l'attirer à l'eau avec moi, mais ça signifierait accepter de me mouiller aussi au moins en partie. Et un jean trempé, c'est franchement relou à retirer ! Autant qu'à porter. Alors je peux largement me contenter de la voir directement accéder à l'étape sous vêtements pour une baignade, ce sera tout aussi sexy !

Oh ... d'autres personnes ? C'est dommage. Je ne pensais pas devoir faire dans les relations humaines, mais j'ai l'habitude avec les gens. On dirait que je vais pouvoir travailler un peu sur ma bouille d'innocence. En vérité il s'agit bien plus d'une expression complètement blasée, je crois que niveau pureté d'esprit, je ne dois pas avoir la tête de l'emploi. C'est ça d'avoir été joliment façonnée, on subit la jalousie de ces autres dames et on endure les aboiements de quelques clébards. Aurais-je été plus sélective, j'aurais immédiatement placé Tiago dans cette catégorie, après tout, il mord vite à l'hameçon. Ce doit être bien plus confortable de penser avec ce qu'il y a entre les cuisses que ce qu'il y a dans la tête. Moi ? Je fais ça pour tuer l'ennui.

Et tiens ... alors que je pensais à la chose, on dirait que le phénomène se produit dès à présent, sous la forme de deux bras qui me tirent au niveau des hanches. Huh ... j'imagine que la générosité doit être récompensée, de toute manière ça ne me dérange pas. J'adresse aux yeux noisettes qui m'empalent déjà d'ardeur, une oeillade suffisante. Eh bien, je ne pensais pas un jour comprendre ce que ressent une pute qui se fait acheter, mais c'est moi qui ai proposé. J'imagine que je récolte ce que je sème. Laissant glisser ma veste de mes épaules, je profite de l'écart de comportement pour glisser ma main dans la poche de Tiago et de lui prendre son téléphone. Evidemment, je le lui montre avec une mine taquine, tandis que je l'envoie rejoindre mon vêtement fraîchement ôté.

- Autant ne pas les endommager.

Je suis entreprenante, pas vrai ? Si entreprenante que je laisse même glisser une main douce sur la joue du playboy à crin blanc. Il est si mignon ... mais je n'arrive pas à me décider sur ce qui est le plus attendrissant. Est-ce sa manière de cacher son petit coeur rempli d'affection avec des attitudes de mauvais garçon, ou bien le fait qu'il pense pouvoir m'avoir comme n'importe quelle autre fille sur ce campus. Non, moi je fais les choses différemment.

Mon sourire s'accentue, à la mesure de la lueur dans mes pupilles qui scintille alors que je vais chercher mon petit talent pour le pouvoir de marionnettiste. Je lui fais lever ses deux talons avant de le pousser moi-même en arrière, histoire que je ne sois pas la première à se tremper. C'est un solide gaillard, il ne devrait pas se faire trop mal et je vais faire en sorte que ça en vaille la peine. Je le rejoins au sol, mais moi, je garde mes vêtements au sec, pour l'instant du moins. Sauf pour le pantalon ... lui, il est complètement immergé, c'est ça de surmonter un homme à quatre pattes. Esquissant un sobre rire plutôt fier, je souris en dévoilant la blancheur de mes dents, l'expression exacerbée de mon côté malicieux.

- Mon pauvre ... ça se voit que tu n'as eu droit qu'à des étoiles de mer qui se laissent faire. Je vaux mieux que ça !

Il y a deux choses que j'aime dans la vie. L'argent et le pouvoir. Hors de question que je ne sois qu'une docile demoiselle qui se laisse faire bien sagement par un homme qui la mène. C'est loin d'être ce que je suis, moi, je suis un brasier de passion pour la puissance. La posture de la soumission, l'abandon en faveur d'autrui, je laisse ça à qui en ressent le besoin. Je préfère largement aller le chercher moi-même ce baiser et je ne me fais pas prier, pas plus que je me laisse décourager, que ce soit par l'eau ou quoi que ce soit que mon tendre ami ait à dire.

Quoi que maintenant, je m'attendais à être complètement trempée ... autant ne pas se le cacher, il allait me la faire payer, ma petite bousculade. Hm. Tant mieux.

D'accord, je ne m'attendais pas à ce que Mira profite de la situation pour me faire les poches sans aucune gêne. Cela dit, ce n'est pas non plus comme si ça m'étonnait particulièrement. Et puis, si je n'ai jamais été enclin à la stabilité dans mes relations, c'est bien pour la variété des pratiques et des plaisirs. Ce n'est donc qu'un air faussement outré que j'affiche au moment où Mira annonce "mettre en sécurité" mes affaires.

- "Trop aimable de ta part."

Mais elle me fait bien vite comprendre pour quelle raison est-ce qu'elle en est venue à prendre ce genre de précaution. J'ai tout juste le temps de sentir cette énergie extérieure prendre possession de mes mouvements qu'une pression physique exercée par la miss termine de me déstabiliser, de sorte à ce que je finisse complètement à la flotte. Encore totalement habillé...

Un désagrément qui est très vite effacé par Mira qui prend facilement les devants. Ouais, je sais, les femmes ont toujours été l'une de mes plus grandes faiblesses. A vrai dire, il n'y a même pas besoin de ce marionnettisme pour pouvoir faire de moi à peu près ce qu'elle veut dans ce genre de circonstances. Enfin, plus ou moins, il ne faut pas exagérer non plus. Parce que je dois admettre que ce petit jeu me plait carrément et je ne compte pas me priver non plus. Alors j'use de cette même technique bien pratique pour prendre possession des mouvements de Mira l'espace de quelques secondes, juste le temps de l'obliger à retirer son haut pour me laisser tout le loisir de l'observer avant de me redresser légèrement.

- "Je n'ai jamais douté que tu valais mieux que ça, mais n'oublie pas qu'on partage les mêmes pouvoirs."

Je prends un ton qui se veut légèrement provoquant, comme si ça pouvait faire office de menace. Mais en vérité, j'ai juste terriblement envie de savoir jusqu'où elle veut aller maintenant. Cela dit, je n'attends pas trop parce que maintenant, je suis incapable de résister davantage. Mes mains passent dans son dos pour l'attirer contre moi alors que je me laisse retomber dans l'eau. Sauf qu'il n'est pas question que je sois le seul à me retrouver trempé cette fois.

- "Mais t'as de la chance. J'ai jamais été très fan de ce pouvoir dans ces conditions. Je préfère largement te voir t'offrir à moi de ton plein gré. Et, te laisser prendre du plaisir comme tu en as envie."

J'esquisse un petit sourire taquin avant de revenir l'embrasser. Un baiser qui n'a rien de chaste ou d'hésitant, mais qui laisse bien comprendre que j'ai désormais très envie de passer à la vitesse supérieure. Parce que c'est quand même une super façon de conclure une discussion un peu trop sérieuse.