« Je crois que je pourrais tous les explorer si je voulais, mais ça me prendrait énormément d’énergie, certains sont tellement ténus que pour les arpenter ça demande énormément d’énergie, et les rendre réels… N’en parlons pas ! »

Un temps, elle avait saisi qu’Allen reviendrait vers Ariana… C’était dur, cela demandait beaucoup de tact, de nuances, de conditions, et nombre ne dépendaient malheureusement pas de l’ivoirienne. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Cependant, elle avait finit par se demander « dans quel but ? » Elle n’était même plus certaine que c’était cela que voulait son amie. Non. Elle aurait aimé que cela ne s’arrête pas, mais retrouver ce « avant » n’était plus possible. Pas comme ça du moins.

« Euh… Non ? »

L’interrogation dans la voix de l’ivoirienne vient du fait qu’elle soit prise de court. Non. Il ne lui plait pas. Loin de là. Il n’y a que de Baxter qu’elle tolère l’addiction, les autres… C’est moins aisé.

« Non, euh. Juste chiant ! »

C’est le seul péjoratif qui lui est venu en urgence pour que son amie ne clique pas pour lui parler. Chiant. Ce n’était pas méchant, ce n’était pas violent, c’était juste chiant.

« Il n’a rien d’intéressant, c’tout. »

Ne pas s’embourber. Elle ne veut pas entrainer son amie dans ses histoires un peu louche à elle. Heureusement elle tombe dans le piège de l’eau chaude. Le sujet change naturellement… ou pas. Zut. Flute et crotte.

« Euh, il m’a tenu la jambe sur je sais plus quoi il y a quelques-jours. C’était ennuyant… Il est juste pas très intéressant ? »

Elle n’est pas douée pour trouver des mensonges, alors elle reste vachement vague et elle brode autour des quelques paroles échangées.

« Il est bon ce thé ! »

Aria a un petit son déçu, et finit par hocher la tête. Quelque part, ça a du sens comme ça aussi. Mais elle se laisse emporter pour la discussion bien plus amusante autour des potentiels futur-date d’Afya, quand l’ivoirienne… Commence… A dire des trucs, mais pas entièrement des trucs. Aria plisse les yeux, hausse un sourcil, curieuse et en même temps — “juste chiant” ??? Afya qui trouve les gens chiants ?? C’est rare, quand même, c’est qu’il a dû être particulièrement désagréable !

—Oh bah si tu le dis…

“Pas intéressant”, c’est un argument qu’Aria est capable d’entendre, mais elle sait aussi qu’Afya n’est pas du genre à s’étendre sur ce type de sujets — dommage. Quand elle reprend la parole, la Morphe ouvre grands les yeux, la fixe, puis plisse les yeux pour refixer le visage sur le téléphone. Dedans, on pouvait lire “je le retrouverai”.

—Tu veux que je lui parle ?

Par parler, elle entendait le coincer dans un couloir, faire “C’est pas gentil d’embêter ma copine Afya”, et s’il saoule, se transformer en lionne et lui manger la main hihi. … Non, elle prévoyait un voyage bientôt, il fallait qu’elle soit SUPER SAGE d’ici là.

—HAN ET D’AILLEURS !! Ton collègue, là !! Ca avance comment ?! Enfin, euh, ça se passe comment quoi. Parce que. Vous vous entendiez bien.

C’est p’tetre pour ça qu’elle veut pécho personne ?????

« Non t’inquiètes… »

Maintenant il faut improviser pour noyer le poisson, dire que tout va bien et qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat.

« Il m’a juste pas fait une bonne impression. Il est clairement pas assez bien pour toi ! »

De toute manière personne ne serait jamais assez bien pour Ariana aux yeux de l’ivoirienne. Elle tolèrerait uniquement les personnes qui la rendrait heureuse, les autres elle… Les ferrait disparaitre de sa vie. D’une manière ou d’un autre.

Le visage d’Afya se ferme un peu quand l’espagnole parle de Baxter. Ça fait un moment qu’il n’est pas venu travailler. Elle sait que c’est pour le mieux, qu’il essaie de guérir, mais c’est parfois douloureux pour l’ivoirienne de ne pas juste pouvoir aller le voir pour être certaine qu’il va bien.

« Il est en arrêt depuis un moment. »

Elle se demande si elle doit parler du fait qu’il est en centre de désintox, elle ne sait pas si c’est une information qu’elle a le droit de divulguer… C’est personnel, et en même temps, si elle ne peut pas en parler à sa meilleure amie, à qui peut-elle le faire ?

« Il est en centre de désintoxication depuis quelques mois, il allait vraiment pas bien ses derniers temps… »

Elle sait qu’il rentrera dans quelques-mois, et en forme. Seulement, elle aimerait pouvoir se rassurer autrement qu’avec ses pouvoirs, en allant le voir par exemple…

« Mais il va pas tarder à rentrer ! »

Pas assez bien pour Aria ? La rouquine cligne des yeux, confuse, et se rend compte qu’elle a oublié le début de la discussion. Est-ce qu’elle montrait ce garçon parce qu’il l’intéressait elle, ou parce qu’elle pensait qu’Afya serait intéressée ? Le mystère reste entier. Dans tous les cas, maintenant, il ne l’intéresse plus du tout, donc la question ne se pose plus tellement ! Puis ce n’est pas comme si elle avait VRAIMENT envie de retrouver quelqu’un… Pas maintenant, en tout cas.

—T’as raison, pensons pas à lui alors !! Je te fais confiance !!

Aria comprend néanmoins qu’elle a fait une bourde en évoquant le collègue tant apprécié d’Afya, et son visage s’empourpre d’embarras. Elle serre sa tasse entre ses mains et grimace un peu.

—Oh mince, j’espère que ça va…

Finalement, Afya lui en dit plus, et Aria comprend à quel point ça la travaille et l’inquiète. La rouquine pose sa tasse sur le plan de travail et s’approche de sa meilleure copine pour lui faire un GROOOOOOOOOS câlin.

—J’suis trop désolée, c’est vraiment nul ce qui lui arrive. Mais ! Ca veut dire qu’il prend soin de lui pendant ce temps ! sourit Aria, avant d’attraper une des mains de sa meilleure amie. Et quand il rentrera il sera en meilleur forme, j’en suis certaine !

Ca lui rappelle l’histoire d’Allen, ses difficultés avec l’alcool… Le fait qu’il ait quitté Terrae quelques mois avant leur rencontre à tous les deux. Et puis Nicolas, évidemment, lors de sa période difficile. Elle se décide à ne pas le montrer à la voyante, déjà parce qu’elle semble plutôt inquiète à ce sujet, et aussi parce qu’il ne s’agit pas d’elle aujourd’hui !!

—Dis, il te manque beaucoup ?

Affreusement serait une réponse adaptée. Les journées de travail sont bien insipides maintenant. Avant ça riait dans la cantine, maintenant, elle n’y arrive plus dans la cuisine pourtant si peu silencieuse. C’est con hein ? Elle a d’autres collègues, mais elle n’en apprécie aucun comme le tonnerre… Et pourtant ils ne se ressemblent pas tant que ça, leurs vécus et leurs personnalités sont presque opposés. Seulement ça matche entre eux, il y a un truc, une cohésion qu’elle trouve avec peu de monde. C’est peut-être d’ailleurs le nœud du problème, Afya n’aime pas assez les gens pour se lier avec eux, alors quand elle aime quelqu’un, elle l’aime très fort.

« Il rentrera en février, donc ça va. »

C’est pas tellement la réponse que son amie attendait, mais l’ivoirienne ne reconnaitra pas qu’il lui manque autant qu’il ne lui manque réellement. Elle aurait l’impression que c’est mal de tenir autant à quelqu’un qui ne fait pas partie de sa famille. Elle a le droit de tenir à Adjambo, leur mère, Senri et Ariana. C’est déjà beaucoup non ? Bon, et puis sur ce cœur se greffent un peu Baxter et Boubou. Deux tonnerres dont le prénom commencent par un b, coïncidence ? Purement fortuite, sachant que le premier se nomme en réalité Asbjorn.

Rappelons à nos lecteurs qu’à cette époque, Senri et Afya étaient encore mariés… Qu’Afya luttait désespérément pour ne pas tomber amoureuse d’Akikko, et qu’elle venait de commencer à travailler pour Tiago… Ce temps parait bien lointain hein ?

« Je crois que les gâteaux sont prêts, on les emballe ? »

Cela impressionne grandement l’ivoirienne que Camille ait été professeur. Elle n’a pas ses aprioris d’enfant occidentaux, pour elle l’art est une matière comme une autre, vu qu’elle est enseignée à l’école. Et même à la fac. Preuve que c’est quelque-chose de très important ! Par contre, le professeur d’histoire… La première fois qu’on lui avait parlé de cette matière, l’histoire, elle avait été méga hypé ! Un cours où on vous apprenez à raconter des histoires, c’était trop cool… La réalité était bien en deçà de son imagination. Elle avait du apprendre le programme d’histoire française pour obtenir une équivalence de bac lui permettant d’entrer à la fac, et franchement… C’était moins intéressant qu’un bon bouquin ! Elle a quand même les yeux qui pétillent et plein de questions à poser.

« Mais du coup tu as été prof très jeune ! »

Elle était persuadée que Camille était tout juste majeure… C’était encore plus impressionnant, elle avait rencontré quelqu’un de très intelligent et surqualifié ! Elle en avait de la chance ! Et en même temps, pointait discrètement le nez un sentiment d’infériorité… Qu’elle n’identifiait d’ailleurs pas encore. Sentiment se développant quand elle se rend compte de son ignorance, elle ne sait même pas ce qu’est ce fruit. Elle n’a décidément aucune culture ! Elle va y remédier.

« Ah, je veux bien de la bergamote alors, ça doit être bon ! »

Elle regarde la bouilloire et le micro-ondes… Elle comprend que Camille a des difficultés avec les appareils électroniques, comme beaucoup de tonnerres.

« Tu veux que je fasse chauffer l’eau ? »

Elle ne pouvait le faire qu’en petites quantités car ça demandait pas mal de pouvoir, mais pour un thé c’était possible. Elle s’éloignait du sujet de sa venue, mais ce n’était pas plus mal. Pour la première fois depuis la veille, elle pensait à autre-chose.

Même si l’ivoirienne se cache, Ariana peut lire en elle. C’est bête, mais elle a appris — elle décortique ses micro-expressions, ses mimiques les plus infimes, pour être certaine de ne pas s’imposer, de ne pas la déranger, jamais. De se calmer quand c’est trop pour Afya — mais elle ne lui dit jamais que c’est trop, Afya laisse Aria exister — et puis lui faire du thé ou lui apporter des gâteaux quand elle a l’air préoccupée. Elle parle très peu de ce qui l’anime, et parfois Ariana aimerait savoir ce qui se cache sous le lac calme et sombre qu’elle présente à tous. Mais voilà, ce n’est pas de son ressort de décider, et elle accepte les petites ouvertures que son amie la laisse entrevoir.

—Bon, alors ça va, sourit Aria.

Elle frotte gentiment le bras de son amie, et a un sursaut quand elle lui rappelle les gâteaux.

—Oui !! On fait ça !! Je vais chercher les sachets bouge pas !!!

Et d’un coup, la cuisine si calme redevient le terrain de jeu de la tornade du couloir des Eaux. La petite Morphe ramène les sachets, les rubans, et les voilà qui se relancent dans la confection des petits sacs…

Vers la fin, elle se rend compte qu’elle en a fait un en trop alors qu’elle recompte les personnes à qui elle souhaite en donner (y en a quand même pas mal), et elle reste immobile quelques secondes, sourire inexpressif au visage, à regarder les gâteaux joliment disposés et le ruban bleu-vert qu’elle a choisi. Quelle douleur rien que d’y penser. Elle glisse un des paquets (au ruban rose à pois) dans le sac d’Afya et lui envoie un grand sourire content. L’autre paquet, elle le donnera sûrement à quelqu’un d’autre, ou alors en salle des Masters pour qu’ils puissent piocher dedans. Ca ira très bien.

C’est mieux que de tout gâcher et le jeter à la poubelle.

—Et voilàààààààààààà on a fini !! Regarde comme ils sont beaux !!!

Après avoir ressemblé à un atelier de patisserie, la cuisine se transforme en atelier de découpe et de collage. Il faut voir comment les deux eaux font attention à chaque détail. Elles ne lésinent pas sur les paillettes, les gommettes... Afya essaie de faire des flocons de neige sur ses paquets... Elle finit en désespoir de cause, et parce qu'elle n'y arrive pas assez bien, à faire un pochoir en coupant dans un papier blanc avant de bomber avec une bombes à paillettes dorées. Il n'y a jamais assez de paillettes !

En relevant certains des cheveux qui lui tombent sur le visage elle s'en met un bon peu sur le front.Elle voit Aria regarder le paquet, elle voit les couleurs, elle comprend. Elles sont assez proches pour que l'ivoirienne saisisse ce qu'il se trame dans la tête de son amie. Elle l'a déjà aidée par le passé dans ses recherches de cadeau, l'accompagnant alors qu'elle cherchait quelque-chose qui lui irait bien.

"Zut !" elle grommelle après avoir aligné chacun des sachets qu'elle a préparée et empaqueté (en suivant bien les instructions d'Ariana parce qu'elle sait quand même bien y faire !) "Il m'en manque un... Va falloir que je reconditionne tout pour en faire un de plus."

Elle soupire. Elle ne dirait rien de plus, parce qu'elle ne voulait en rien forcer son amie, mais elle savait que si cette dernière voulait se débarrasser du paquet... Elle n'aurait pas à chercher d'excuse ou à se poser nonante mile questions.

La rouquine rit un peu face aux flocons de son amie, mais celle-ci met tant d’application à décorer ses paquets que jamais elle ne pourra s’en moquer. D’autant plus qu’elle est ingénieuse ! C’est admirative qu’elle la regarde faire, lui demande de l’aide, rit encore, se rate, et finalement tout se finit bien… avec ces jolis paquets colorés et brillants. Afya semble comprendre ce qui se trame sous la caboche de sa meilleure amie ; Aria, elle, cligne des yeux et a une expression horrifiée.

—Hein quoi mais non ?! Tu vas pas tout recommencer, attends, tiens prends celui-là ! J’en ai fait un en trop !

Et elle réalise. Et elle rit un peu, alors qu’elles échangent ce regard. Merci, Afya. Son sourire s’étend et elle lui confie son paquet si important, et finalement pour changer de sujet reprend des paillettes sur ses deux mains qu’elle pose à plat sur les joues d’Afya :

—OH NON REGARDE JE SUIS TROP MALADROITE.

Et elle frotte un peu en riant, puis s’en étale sur le visage et les cheveux aussi. Ils vont rester collés pendant encore trois jours, c’est pas très malin, mais ça égayera encore un peu plus leur vie, hein !

Finalement, elle s’approche de sa copine pour lui faire un gros câlin.

—On a été trop efficaces, j’adore faire ça avec toi, soupire-t-elle de bonheur.

Même quand Aria s’éparpille et qu’elle oublie la moitié de ce qu’elle voulait faire, Afya est là pour la recadrer gentiment. Elle n’ira pas jusqu’à dire que c’est pour ça qu’elle l’aime tant, mais ça fait partie des raisons. Parce que juste en existant, Afya change tout autour d’Aria.

(Bon, c’est peut-être aussi un peu le problème des fois, mais ça Aria le sait pas hein.)