Lloyd a le temps de récupérer sa pitance pendant que la guide est plongée dans ses pensées. Il a pris deux sandwichs au cas où elle aurait une petite faim, sinon il gardera l'autre pour plus tard, et la rejoint pour qu'ils puissent quitter la cafeteria. Il l'écoute attentivement sur le chemin vers la sortie, au cas où elle ait une idée de génie sur ce qu'il pourrait faire de ses dix doigts ici. La bibliothèque... mouai, il s'imaginait quand même quelque chose de plus funky que de traîner au milieu des bouquins poussiéreux, même s'il pourra toujours donner un coup de main à l'occasion. Les problèmes informatiques qu'ils ont là bas ne doivent pas être d'un niveau surnaturel, rien qu'une recherche Google et un peu d'expérience ne puissent régler.

"C'est vaste, oui, mais le vrai souci c'est surtout que ça évolue vite... trop vite. Il suffit de ne pas toucher à un domaine pendant quelques années pour que tout ce qu'on a appris ne serve plus à rien. D'un autre côté, ça entretient la curiosité... et je devrais quand même pouvoir vous aider à la bibliothèque."

Voilà pour le chapitre sur les ordinateurs, reste encore la question de l'endroit où ils vont manger. Afya n'a pas l'air chaude pour le manger-bouger, en tout cas pas en simultané, ce qui signifie qu'ils vont devoir se poser quelque part et après avoir bien regardé la cantine, Lloyd n'a pas de mal à imaginer qu'il y a des coins plus sympas qu'ici pour une pause déjeuner. L'ambiance bruits de couverts et discussions confuses plaît sans doute à certains, mais Lloyd s'est habitué à un certain calme qu'il espère pouvoir retrouver au moment des repas, à défaut d'en profiter dans les dortoirs.

"Je te fais confiance pour la boustifaille, tant que c'est en intérieur... T'as un travail, toi ? Tu fais vraiment le ménage, ou c'était pour la blague ?"

Un Institut qui fait faire les tâches de ce style à ses étudiants, ça frôle l'illégal tout de même, quoiqu'au Japon ils fonctionnent différemment. Mais bon, elle lui a dit que son affinité avait un rapport avec l'Eau, peut-être que c'est ça son pouvoir, elle souffle de la javel et tout devient propre comme un dessous de bras. D'ailleurs, ça lui rappelle qu'il voulait lui demander quelque chose tout à l'heure...

"Et hum... on est toujours lié à un élément ? Il y a d'autres types de pouvoirs ?"

Dès qu'il se met à penser aux pouvoirs, il a des milliers de questions en tête et pour le bien de son accompagnatrice, il se retient de toutes les poser. Tout de même, c'est assez étrange pour qu'on s'y intéresse.

Elle se demanda si elle devait dire qu'elle ne travaillait pas vraiment à la bibliothèque, mais… Il se débrouillerait bien avec Selvi et Ipiu ! Il leur dirait sans doute qu'elle l'avait envoyé et l'une comme l'autre ne réagirait pas mal… Enfin, elle savait laquelle des deux serait la plus amicale et laquelle serait blasée, pas besoin d'être voyante pour ça.

"Je fais réellement le ménage, je travaille aussi à la cantine."

Elle ne parla pas de son autre travail très peu légal. Ce n'était pas à elle d'en faire part; mais bien à Tiago. S'il concluait les affaires elle assurait la livraison, c'était plus discret et il n'avait pas à se promener avec de la marchandise sur lui. Une voyante évitait en général les risques. Par contre elle n'avait nulle honte à faire part de ses travails, si peu qualifiés soient-ils. Quand elle avait débarqué à Terrae, elle ne savait même pas lire, elle avait été heureuse de trouver du travail et de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille restée au pays.


Elle les dirigeait vers la salle commune, à cette heure elle était calme, les gens étaient soit en train de manger soit en train de travailler ou de suivre des cours.

"Installes-toi sur un des canapés, je reviens !" lui répondit-elle.

Elle n'avait pas eu le temps de passer en salle des préfets avant d'aller le retrouver, cela l'aurait mise en retard, elle y passa donc et revient avec un prospectus où tous les pouvoirs étaient recensés brièvement. Elle lui tendit avant d'expliciter :

"On a tous deux pouvoirs, l'un est en effet lié à un élément, terre, feu, tonnerre, air, eau, l'autre dépend et de notre affinité, notre élément, et de l'astre qui nous donne notre puissance Soleil ou Lune. Tu as tous les pouvoirs sur ce prospectus, si ça peut t'aider."

Au lieu de répondre aux questions du rouquin, Afya l'amène dans une autre salle et le laisse en plan. Il espère qu'il ne l'a pas vexé avec le ménage ou quoi que ce soit d'autre mais elle lui a dit qu'elle reviendrait, alors il ne s'inquiète pas trop et se dirige vers l'un des canapés en jetant des regards curieux tout autour de lui. La pièce a tout de l'open space traditionnel, encore que l'ambiance et encore un peu timorée en raison de l'heure. Une fois assis, Lloyd n'a pas grand chose de mieux à faire que fixer son sandwich, bientôt entamé d'une belle bouchée. Rien d'extraordinaire, mais ça le calera pour la matinée. Enfin il voit sa guide revenir, en se demandant ce qu'il aurait bien pu faire si elle avait décidé de l'abandonner à son sort.

"Merci."

Il prend le prospectus qu'elle lui tend, et l'écoute religieusement expliquer le concept des éléments et des affinités avant de poser les yeux sur le morceau de papier cartonné. Au moins ça n'a pas l'air très compliqué, mais avec assez de diversité pour que tout le monde ne se ressemble pas. Lloyd prend le temps de lire les grands lignes, s'arrêtant lorsqu'il croise un pouvoir qu'il trouve impressionnant ou qu'il n'appréhende pas très bien. Certains lui paraissent tout simplement dangereux mis entre les mauvaises mains, et il se demande à quel point les têtes pensantes de Terrae sont en mesure de contrôler leur troupeau.

"Et hum... il n'y en a pas qui deviennent... malfaisants ? Il n'y a pas une sorte de côté obscur, ou un truc du genre ?"

Bon, ça commence à faire beaucoup de références à des films, mais ça reste le plus simple pour expliquer quelque chose qu'on ne comprend pas. Et puis il se sentait obligé de poser la question, parce que rien qu'à imaginer un marionnettiste ou un sonore partir en sucette, il en a des frissons. Ceux là doivent pouvoir faire faire ceux qu'ils veulent à n'importe qui.

D’autres qu’Afya aurait répondu que si, il existait un côté obscur. Nombre étaient maintenant les rapports de terraens ayant pété les plombs. On n’avait pas trop à tendre l’oreille pour entendre parler des exploits d’Ys, le master déchu… Mais même avant cela il était plutôt commun d’entendre parler de racket et d’intimidation. Etrangement tout semblait tendre vers un mieux sous la dictature, ou la bienveillance chacun y voyait ce qu’ils y voulaient, de la directrice Hideko.

« Non pas vraiment, ce serait presque le contraire, nombre de personnes ici ont commis des larcins avant de venir, mais je crois que le fait de compter aide à reprendre le dessus. »

C’est mignon, gentil et édulcoré. La jeune femme n’est pas aveugle à ce point, et si en effet elle  côtoie nombre d’anciens mafieux, elle a conscience que les décisions prises à Terrae peuvent pousser vers d’étranges chemins. N’utilise-t-elle pas elle-même ses pouvoirs pour transporter de la drogue sans se faire prendre ? C’est sans doute pour cette raison qu’elle ne peut pas s’ouvrir totalement sur le sujet.

« Par contre, il y a des cons partout, et bien sûr avec pouvoirs ou sans c’est le même combat. Tu te doutes bien que les adolescents avec des pouvoirs sont un défis autrement plus complexe à relever que les adolescents normaux… »

Et ne parlons pas des enfants, leur expliquer qu’ils ne peuvent pas se servir de leurs pouvoirs en toute circonstances pour leur plaisir personnel… Les enfants étaient des monstres en devenir, elle n’en doutait pas, et chaque nouvelle naissance à Terrae les rapprochait de la fin du monde.

Le couplet selon lequel à Terrae, tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil, Lloyd n'y croit pas une seconde, et encore moins au fait que la plupart ici se refont un nouveau départ sur des bases saines. Tous les psychologues du globe et le meilleur environnement possible ne changeront pas la nature humaine, et celle-ci veut que certains continueront toujours à choisir la facilité, le gain facile... d'autant plus si on leur met entre les mains un pouvoir aussi puissant que ceux qui sont présentés sur ce petit bout de papier. Enfin bon, l'australien imagine sans mal qu'une belle photo de famille pleine de sourires est plus vendeuse que des fantômes sous le placard, alors il laisse couler.

Par contre, le changement de ton pour parler du caractère difficile d'une partie des pensionnaires, il l'achète beaucoup plus facilement, même si encore une fois le fait d'être capable d'instiller des pensées à autrui ou se rendre invisible change tout de même un peu la donne lorsqu'il s'agit de contrôler tout ça, selon lui. Ce n'est pas comme si il avait un amour profond pour les adolescents, remarque, qu'ils aient un pouvoir ou non.

"M'en parle pas, j'ai hâte de partager les dortoirs avec des mouflets qui braillent et qui écoutent je ne sais quelle nouvelle musique à longueur de journée. Je crois que je vais vite avoir ma dose et je compte pas spécialement jouer les grands frères, mais il faut bien passer par là..."

Pour passer la frustration anticipée du calvaire qui l'attend, Lloyd plante un croc dépité dans son sandwich, et fait le tour de la pièce du regard au cas où il aurait manqué quelque chose la première fois en attendant d'avoir fini sa bouchée.

"Hum... j'y pense, il y a des soirées à l'intérieur de l'école ? C'est vachement grand ici, alors je me demandais."

Non pas qu'il ait extrêmement envie d'une ambiance « prom night » pour passer le temps, mais ce serait l'occasion de voir s'il y a des gens intéressants dans le coin, autrement il ne saura pas vraiment où chercher.

« Il ne te reste qu’une option, devenir le chef de meute, fais régner la terreur et tu seras tranquille. »

Elle dit cela impassible. Humour ? C’est probablement le cas. Enfin, ça devrait l’être. Finalement ce n’est pas si évident d’en être certain pour l’homme qui ne la connait pas depuis une heure. Elle ne donnerait pas plus d’indication à l’homme, elle pourrait le rassurer en lui disant que les dortoirs étaient assez vastes et assez peu peuplés pour qu’il puisse mettre toute la distance qu’il voulait entre lui et les autres novices, mais il avait décidé de se plaindre de son nouvel environnement avant d’y faire face, ce n’était qu’en s’y confrontant qu’il se rendrait compte que ce n’était pas si terrible.

« Oui on organise souvent des soirées, et des évènements que ce soit à l’intérieur de l’institut ou en ville. Je crois qu’on a besoin d’actions. »

Et de se vider la tête. Elle n’était que trop consciente du besoin de rapprochement que ressentaient les nouveaux arrivants. Du besoin d’oublie aussi. Oublier son vide. Oublier le passé. Les soirées étaient le lieu propice à ça, à l’oubli à la fausse promiscuité crée par l’alcool. Elle-même ne les fréquentait que rarement et pour faire plaisir à ses amis, ou tout simplement parce que les préfets en organisaient pour favoriser les intégrations.

« Si tu aimes les jeux de société, tu trouveras toujours quelqu’un pour jouer ici, mais les soirées au sens où tu l’entends sont tout de même plus régulières en ville. »

Quelque peu interdit, Lloyd regarde sa guide en se demandant si elle plaisante ou si elle est sérieuse. Question Poker face, elle est plutôt solide la bougresse, et il s'était déjà fait berner avec l'histoire du ménage... d'un autre côté, sans jouer les chefs de meute, il pourrait tout à fait en venir à hausser le ton s'il considère que son intimité n'est pas respectée. Toujours est-il qu'il laisse couler la remarque sur la tyrannie domestique, par peur de mal interpréter le manque d'expression d'Afya. Peut-être que quelqu'un a un manuel pour dialoguer avec elle, il faudra qu'il se renseigne.

La discussion bifurque sur le deuxième sujet qui les intéresse, ou en tout cas qui intéresse Lloyd, les soirées. Evidemment que les gens ont besoin d'action, ça n'a rien d'exclusif à Terrae, et le rouquin est ravi d'apprendre qu'il y a de l'activité au village. Il imagine un bar, peut-être un club, et ce sera sans doute l'occasion de quitter les dortoirs pour se vider la tête une fois de temps en temps. Peut-être même qu'il ira chercher du boulot par là, puisqu'il a déjà pratiqué dans ses jeunes années. Il prend le temps de finir sa bouchée avant de répondre à Afya dans un sourire.

"Je suis plus jeux vidéos que jeux de société à la base, mais puisque je suis là, autant tenter des choses... et merci pour l'info sur le village, j'irais voir à quoi ça ressemble les soirées là bas, j'avoue que c'est plus mon style."

Quelque chose lui dit qu'il ne croisera pas souvent la voyante dans un débit de boisson, mais peut-être qu'il se trompe, après tout elle est fichtrement difficile à cerner. Le sandwich de Lloyd est à moitié terminé, et prestement rangé dans son sachet par le rouquin avant que celui ci ne se relève de son canapé.

"Bon, je finirais ça plus tard, je veux visiter. Tu peux me montrer le gymnase, et peut-être faire un tour au village ? Si ça fait pas trop long, au pire je pourrais toujours me balader après."

Jeux vidéos plus que jeux de sociétés ? Qui est-elle pour juger, personne cela est certain. Elle n’a d’ailleurs pas vraiment d’aprioris sur ceux qui jouent aux jeux vidéos. En effet, cela ne faisait pas partie de sa culture initialement, personne n’avait assez d’argent pour s’offrir une console ou un ordinateur là d’où elle venait, et même si les portables commençaient à pulluler bien plus que les télévisions quand elle était partie bien peu ressemblaient aux courant téléphones intelligents que l’on trouvait partout ici.

Elle-même s’en était acheté un, principalement pour recevoir des SMS qu’elle comprenait à moitié d’Ariana… Mais elle avait fait beaucoup de progrès en ‘espagnol truffé de fautes d’orthographes SMSiques’, les deux jeunes femmes savaient que lorsque elles avaient des choses compliquées à se dire il valait mieux se laisser des messages vocaux.

Elle n’avait par contre pas vraiment douté que ce soit plus son genre les soirées en villes. Il n’avait plus l’âge des soirées pyjamas. Maintenant qu’elle y songeait, quel âge pouvait-il avoir. Elle avait toujours du mal à donner une fourchette étroite pour les occidentaux. Elle aurait dit entre vingt et quarante ? Tout en excluant les quarante, car elle savait que nul novice si âgé n’avait encore franchis les portes de Terrae. Certains supposaient qu’avec l’âge, en devenant adultes, on devenait trop blasé pour être attentif au vide.

Elle réalise que lui montrer le village c’est s’exposer à nouveau au vent mauvais de l’hiver. Doit-elle se dégonfler ? Sans doute pas.

« Ca te dérange si on fait un crochet par ma chambre ? »

Lloyd s'est préparé mentalement à un éventuel refus et à poursuivre une découverte des lieux plus traditionnelle, mais pas à un tel revirement de programme. Elle lui propose carrément de passer par sa chambre, et dans la tête du rouquin ça ne peut signifier qu'une chose. Ils ne se connaissent clairement pas assez pour une telle intimité, et c'est sans compter sur la différence de caractère. Elle cache bien son jeu, semble-t-il... et sur le coup, il est trop surpris pour refuser.

"Ah euh oui, pourquoi pas..."

Il aura toujours l'occasion de faire machine arrière en chemin, et il faudra bien parce qu'il n'a pas l'intention de jouer le morceau de viande, il a des principes. Ce n'est qu'en quittant la cafétéria qu'un courant d'air frais le fait frissonner, et réaliser la raison probable du détour. Une hypothèse tellement plus logique à tous points de vue, qu'il s'en tape la tête du plat de la main.

"Mais quel con..."

La réflexion lui a échappé, en espérant qu'Afya ne s'en formalise pas. Dans le doute il vaut mieux trouver de quoi compléter, pour être sûr de ne pas passer pour quelqu'un de bizarre.

"J'ai pas de manteau, et il caille. Mais je devrais survivre en pull, pas de souci !"

Un petit sourire, un pouce en l'air, et tout va bien. Heureusement que quelqu'un a laissé une porte ou une fenêtre ouverte, sinon il aurait certainement dit des choses en allant vers la chambre qu'il aurait très vite regrettées. Au moins ses tâches de rousseur auront couvert le rouge qui lui est monté aux joues suite à cette révélation salvatrice.

Il accepte de faire un crochet par sa chambre. Elle essaie de se souvenir si elle est rangée et si rien de trop compromettant ne dépasse. Elle se projette avec son pouvoir dans ladite chambre, et soulagée elle se dit qu’elle n’aura pas à lui demander de rester devant pendant qu’elle cherche. Elle se dit qu’elle va juste mettre un coupe-vent, sa polaire-manteau jouant très bien son rôle.

« Hm ? »

Bien loin d’avoir suivi les réflexions de l’homme elle se demande d’où sort son insulte. A-t-il oublié quelque-chose ? Elle songe un instant qu’elle serait bien démunie s’il se rappelait soudainement qu’il était allergique aux tomates qu’il venait de manger. Remarque, il lui suffirait de demander de l’aide à un air.

Elle comprend quand il complète, elle lui sourit. Il a les mêmes pensées qu’elle un peu plus tôt, et cela ne l’étonne que moyennement. Malgré son teint pâle il vient peut-être d’une région plus chaude que ne l’est Tokyo en ce moment.

« Je peux te prêter un coupe-vent ou une écharpe ! »

L’ivoirienne n’a même pas réfléchis au fait qu’il était légèrement plus large qu’elle, mais elle n’en a pas fait grand cas. Il faut avouer qu’elle a la mauvaise habitude de ne porter que des vêtements bien trop larges pour elle. Elle n’aimait pas qu’on lui fasse remarquer son allure d’allumette. Elle avait souvent l’impression qu’on lui disait qu’elle était famélique même si ce n’était pas l’intention. C’était plus simple comme ça.

Les voilà devant la porte, elle n’utilise pas de clef pour l’ouvrir mais son pouvoir, faisant pression avec un peut d’eau sur les crochets de la serrure.

Enfin, l'occasion se présente de monter dans les étages et d'en voir peut-être un peu plus. Lloyd a eu le temps de réaliser qu'il ne fallait pas s'attendre à une foule de lycéens crapahutant en tous sens, et justement les couloirs sont déserts au point qu'ils ne croisent personne en se rendant au deuxième étage. Rien de vraiment étonnant, les étudiants doivent être en cours et les plus âgés au travail, après tout il ne compte pas non plus rester cloîtré toute la journée dans les dortoirs ou hanter les salles vides des heures durant. La proposition d'Afya tombe à pic, même si le rouquin se voit mal tenir dans les vêtements de la jeune femme sans craquer quelques coutures.

"Je veux bien une écharpe, ça devrait suffire à ne pas attraper froid. Au pire, j'ai vu sur la brochure qu'il y a des soigneurs, ils ne doivent pas avoir beaucoup de mal à calmer un rhume."

Il affiche un sourire en coin, espérant que sa tentative d'adaptation au nouvel environnement qui sera désormais le sien ne tombe pas à plat. Il n'a aucune idée de quoi sont capables les guérisseurs magiques mais si un coup de froid leur pose une colle, ça ne donne pas envie de partir au front avec eux. Peu importe, la guide s'arrête devant une porte qui doit être son logement. Lloyd est trop occupé à jeter des regards curieux aux décorations qui ornent le couloir des « Eau » pour prêter attention au tour de passe-passe d'Afya avec la serrure, sinon il n'aurait pas manqué de lui poser quelques questions sur cette prouesse.

"Euh, je t'attends là, ce sera plus simple."

Non pas que l'australien soit extrêmement timide ou plus respectueux de l'intimité d'autrui que la moyenne, mais tout de même. Le principe de ce genre d'appartement, surtout quand il se situe dans une école où l'on est rarement seul, c'est qu'on a vite tendance à exposer sa vie dans peu de mètres carrés, alors plutôt que de s'immiscer Lloyd préfère rester en retrait et s'intéresser aux murs. Avant qu'elle parte en quête de vêtements chauds cependant, une question qu'il se pose depuis son arrivée lui échappe des lèvres.

"Il y a combien de personnes ici ? C'est que... ça a l'air plutôt calme."

« Non en effet, soigner un rhume est dans leurs compétences, mais on évite de les déranger pour si peu… On va pas se mentir si le sceau nous évite grandement de nous blesser avec nos propres pouvoirs, ici les accidents domestiques font plus de dégâts qu’ailleurs… »

Autant être franche, ils soignaient régulièrement des brûlures, des bras cassés, et toutes autres blessures plus fatales qu’un rhume si on les laissait trainer. Alors bien entendu, on évitait de surbooker les airs avec de petits « désagréments ». Devant sa chambre elle n’insiste clairement pas pour qu’il y entre. Elle sait où sont rangées ses affaires, elle a eu le temps de regarder pendant qu’ils montaient les marches des escaliers. Elle n’aurait qu’à faire quelques pas dans son domaine pour récupérer ce dont elle avait besoin.

Elle se fige sur le palier pour réfléchir, elle n’en est pas certaine. Des personnes arrivaient tous les mois, d’autre repartaient, certaines naissaient ? Le compte se perdait.

« Quelques centaines je dirais ? » dit-elle avant d’entrer dans sa chambre.

L’efficience de son parcours avait été perturbée et son regard se posa sur un cactus qu’on lui avait offert. Il dépérissait. Elle essayait bien de l’arroser tous les jours mais il semblait vouloir noircir. Elle fronça les sourcils et attrapa l’écharpe et le coupe-vent dont elle avait besoin. Quand elle sortit de sa chambre elle referma la porte de la même manière qu’elle l’avait ouverte. Elle se tourna vers l’australien, dont elle ne connaissait pas le payx d’origine cela-dit et lui tendit son écharpe.

« Dis tu sais comment on sauve la vie d’un cactus ? »

Soit Afya est dénuée de tout sens de l'humour, soit elle s'en fout complètement. Les deux hypothèses se valent, et Lloyd n'arrive de toute façon pas à faire la différence. Il obtient en tout cas une réponse tout à fait sérieuse à sa piètre plaisanterie, qui lui laisse matière à réfléchir pendant que sa guide disparaît dans sa chambre. Il est vrai que les soigneurs doivent être bien occupés, avec tous ces pensionnaires qui ne maîtrisent pas ou peu leurs pouvoirs nouvellement acquis. Ce sera probablement le cas du rouquin aussi, il n'y pas de raison que l'âge lui donne un quelconque avantage dans un domaine aussi original. S'il ne veut pas passer sa vie à l'infirmerie il faudra qu'il se souvienne d'utiliser son don avec parcimonie, ce qui ne devrait pas poser trop de souci dans un premier temps.

La jeune femme ne le fait pas attendre trop longtemps, et lui tend l'écharpe promise avant de le surprendre avec une question à laquelle il ne s'attendait pas du tout. L'entretien d'un cactus est un peu le cadet de ses soucis actuellement, mais il fouille tout de même dans sa mémoire tout en enroulant le tissu autour de son cou, à la recherche d'un quelconque conseil à ce sujet qu'il aurait entendu par hasard. Avec un petit sourire, il réalise qu'il n'a pas à aller chercher trop loin et après avoir noué l'écharpe correctement, il se remet en marche pour répondre.

"Ma mère en avait quand j'étais petit, c'est à la mode par chez moi... je crois qu'elle recréait plus ou moins leur habitat naturel, assez peu d'arrosage et beaucoup de lumière. Vu la saison, ce sera peut-être compliqué, mais il y a toujours les lampes qui servent pour les plantations de weed. Enfin ça doit pas être leur utilisation de base, remarque."

Le fait qu'il connaisse ne signifie pas qu'il a pratiqué, loin s'en faut, à peine une légère consommation pendant ses folles années. Il a quand même traîné avec une poignée de fumeurs, assez pour savoir comment ça marche.

"Merci pour l'écharpe, au fait. Et je pensais pas qu'il y aurait autant de gens ici, mais tant mieux. Ça fera plus de rencontres... on commence par quoi, le village ?"

Impatient, Lloyd ? Certainement pas !

Les lampes pour les plantations de weed ? Bien entendu qu’Afya sursaute quand il y fait allusion. Est-ce qu’il sait ? Est-ce qu’il se doute de quelque-chose ? Non ! C’est impossible, totalement impossible, c’est un nouvel arrivant, il ne peut pas avoir fait exprès cette référence. Est-ce qu’il a été envoyé par les masters, après tout il serait logique qu’ils s’intéressent au commerce de Tiago un jour ou l’autre, pourquoi ne s’y sont-ils pas intéressés avant qu’elle ne trempe dedans ? Genre quand elle se faisait beaucoup de soucis pour Baxter ? Bref, ce n’est clairement pas la question. La question est : est-ce qu’elle sera en prison ou un truc comme ça le lendemain à la même heure ? Et un bref coup d’œil sur le futur lui apprend que ce n’est pas le cas.

« Ah, euh… Je vais me renseigner… Elle te va bien l’écharpe, elle fait ressortir tes taches de rousseurs ! »

Elle aussi, elle trouve sa remarque débile… Mais elle était tellement en train de paniquer dans sa tête que c’est sorti tout seul.

« Oui, je t’emmène au village. Il y a une ligne de bus régulière, mais on peut y aller à pied, on met une petite demi-heure c’est pas si loin que ça. »

Dans tous les cas elle lui montrerait les arrêts. Personnellement elle oubliait souvent de prendre le bus, ou plutôt, elle était tellement en retard qu’elle avait aussi bien fait de l’attendre que de se rendre en ville à pieds. Elle connaissait donc « le chemin le plus court ! » et « le chemin le plus sympa. » Au vu du temps elle opterait pour le plus court.

Tiens, voilà qu'Afya regarde le rouquin avec un drôle d'air, et même s'il se demande ce qu'il a bien pu dire ou faire pour mériter autant de suspicion, il se félicite tout de même intérieurement d'avoir réussi à lui tirer une réaction visible à l'oeil nu. La parenthèse cactus se referme déjà, pas une énorme perte, et après les regards douteux l'accompagnatrice de Lloyd repart dans les signaux contraires. Un compliment sur l'écharpe, ou sur ses tâches de rousseur, au choix. Déjà qu'elle l'a quasiment invité dans sa piaule, maintenant elle flatte plus ou moins son physique. Si c'est une bonne chose que les tâches ressortent, c'est bien qu'elles sont à son goût ? Lloyd aurait-il mal interprété la proposition de tout à l'heure, ça n'avait rien à voir avec le froid ? La théorie de la secte vouée au stupre et à la luxure fait son grand retour.

"Euh, merci. Je le note pour mes prochaines emplettes."

Il ne trouve rien de mieux à dire, alors qu'ils arrivent devant les escaliers et commencent à les descendre. Trop tard pour prendre ses jambes à son cou, il porte une écharpe qui n'est pas la sienne, ce serait du vol. Entre ça et finir esclave sexuel d'un groupuscule de dépravés... bon, fuir n'est peut-être pas une mauvaise solution. Il doit tout de même leur laisser le bénéfice du doute, si le premier endroit qu'elle lui fait visiter au village est un sex-shop il sera toujours temps de considérer le sprint comme une mesure prioritaire. Par contre, l'idée de marcher une demi-heure dans le froid ne l'enchante pas des masses, s'il y a possibilité de faire le trajet en transports en commun.

"On verra selon la météo, j'avoue que si le vent souffle comme tout à l'heure je préférerais sûrement le bus."

Certes il est maintenant équipé, mais il ne faut pas non plus tenter le diable. Même s'il aura plus de mal à s'échapper d'un bus au cas où Afya lui ferait encore des avances. Il n'aurait pas eu ce souci s'il était resté sagement en Australie... d'ailleurs, cette pensée lui rappelle un tout autre sujet.

"J'y pense... si tout ce que j'ai vu aux infos est bel et bien vrai, vous avez aidé avec les incendies en Australie. Du coup... merci, j'imagine que c'est des « Eau » que vous avez envoyé."