Il surinterprète beaucoup, mais c’est vrai qu’elle aime les taches de rousseurs. Elles lui rappellent Ariana, et tout le monde sait que l’ivoirienne n’aime rien plus que sa meilleure amie. Ariana a toujours raison, elle sait tout, et puis elle sent bon. Bon, certes, elle sait que ce ne sont pas des règles absolues, mais si on lui demande son avis sur la question voilà ce qu’elle répondra. En crush sur Ariana ? Rien n’est moins vrai, et nous ne reviendrons pas une énième fois sur ce sujet.

« Dans ce cas on va attendre un peu dans le hall, sinon on va attendre le bus longuement. » dit-elle après avoir jeté un coup d’œil au futur. Le temps ne s’améliorait pas vraiment, alors autant éviter le coup de froid.

Elle haussa les épaules.

« J’y suis pour rien, ce n’est pas la peine de me remercier moi, mais je peux essayer de te trouver les noms de ceux qui ont participé à cette mission si tu souhaites réellement les remercier. »

Elle n’ajouta pas qu’elle-même avait trop à faire à Terrae pour s’occuper du reste du monde. Ce qui n’était pas forcément vrai. En réalité à chaque fois qu’elle avait quitté Terrae cela s’était mal passé. Elle ne le formulerait sans doute jamais, mais elle était presque persuadée qu’elle ne devait pas quitter Terrae. Elle n’aurait plus utilisé les termes maraboutés, mais c’était tout comme. Elle ne participait donc aux missions que si on lui demandait explicitement, et toujours en prévenant qu’elle porterait sans doute scoumoune.

« Le bus arrive, allons-y ! » dit-elle au bout d'un moment et en effet ils arrivèrent pile au moment où ce dernier s'arrêtait. Elle les fit descendre en face de la bibliothèque par habitude. « Je te présente notre bibliothèque ! »

Lloyd s'arrête un instant pour regarder sa guide en fronçant les sourcils. Elle l'a vu dans le futur, que le bus n'arriverait pas tout de suite ? C'est tout de même bien pratique ce pouvoir, il doit y avoir toute une ribambelle d'utilisations pratiques. Plus besoin de minuterie pour les pâtes, il suffit à tout moment de jeter un œil dans l'avenir pour savoir si elles seraient cuites en les mangeant à cet instant. C'est en tout cas comme ça que le rouquin imagine le fonctionnement de la chose, même s'il a rarement eu l'occasion de causer voyage temporel avec quelqu'un. Il se remet à marcher pour rattraper Afya, avant qu'elle n'enchaîne sur l'intervention de Terrae en Australie.

"Oh c'est pas la peine de chercher leur nom, c'était plus un remerciement général... ça ne m'a pas non plus touché au point d'aller retrouver tous les secouristes, mais voilà. Au moins c'est fait. D'ailleurs je trouve ça chouette que les pouvoirs servent à ce genre de causes, ce serait dommage de laisser faire."

Laisser faire quoi, il n'en sait rien. Mais rester passif à se regarder le nombril alors qu'on peut aider à sauver des vies lui paraît bougrement idiot. Cela dit, il n'est pas certain de pouvoir apporter sa pierre à l'édifice le moment venu, s'il parvient déjà jusque là, tant toute cette histoire lui paraît encore surréaliste. Et c'est sur cette pensée qu'Afya l'interrompt pour le prévenir de l'arrivée du bus.

"Ah, parfait !"

Elle ne s'était pas trompée, s'ils avaient attendu à l'extérieur ils seraient sans doute congelés. Après un court trajet jusqu'au village, c'est devant un grand bâtiment qu'elle leur fait quitter le bus et lui annonce qu'ils se tiennent devant la fameuse bibliothèque.

"Comme ça je saurais où me rendre utile, merci."

Pour ce qui est de leur emprunter le moindre bouquin, c'est une autre histoire, on trouve tout ce qu'on veut sur internet de nos jours. Sans compter que Lloyd n'est pas très friand des ambiances coincées, il ne risque pas de passer ses journées là-bas si ce n'est pas pour s'occuper des ordinateurs même si il faut bien le reconnaître, l'édifice est plutôt joli vu de l'extérieur.

"Il y a des lieux de loisirs ? Un cinéma, un bowling, je sais pas... c'est pas que je me sente en vacances, mais le temps que je trouve ma place il faudra bien que je m'occupe, ou que je rencontre des gens."

Il se doute qu'il y en a, mais c'est plus une façon de demander à les repérer pour savoir où aller quand il sera seul.

"Si tu le dis."

Elle haussa les épaules, elle n'avait pas envie de se lancer dans de houleux débats sur ce qui est bon et ne l'est pas. Sur ce qui est naturel, et ce qui ne l'est pas. Elle ne se disait pas que l'Australie aurait du brûler car elle était responsable des feux. Elle ne se disait pas non plus que c'était là une punition divine. Elle ne se sentait juste pas concernée, et si on lui avait demandé d'utiliser son pouvoir pour quelqu'un d'extérieur à Terrae, elle n'accepterait que si elle avait un bénéfice à en tirer.

Elle lui sourit quand il se rappela qu'il pourrait être utile à la bibliothèque. Elle n'était pas certaine que cette information ne se soit pas noyée dans la floppée de celles qu'elle lui avait partagées.

"Bien sûr, suis-moi !"

Elle s'éloigna quelques peu de l'arrêt de bus pour avoir une meilleure vue sur la rue et sur les commerces qui la composaient.

"Alors cette bâtisse-là c'est un cinéma, le programme est affiché tous les mercredis pour la semaine. En face c'est une salle d'arcades, je ne sais pas ce que les gens trouvent dans ces jeux bruyants cela-dit... Là bas tu as un bar, ici c'est une boite de nuit..."

Il aurait fallu qu'on lui réexplique l'intérêt de s'enfermer dans une boite pour écouter de la musique. Elle préférait tellement la musique en plein air, elle adorait danser... Mais là-bas, tout résonnait bien trop fort ! Elle continua à avancer vers le parc.

"Là-bas, tu as une patinoire et une piscine, et de l'autre côté du parc il y a des thermes. Grâce aux pouvoirs il nous est plutôt aisé d'entretenir tous ces lieux de détente."

Sans se faire prier, Lloyd obtempère et marche derrière la voyante pour avoir une vue plus dégagée sur les bâtiments qui ornent chaque côté de la rue principale. Un cinéma, ça peut toujours être utile, même si Lloyd n'a jamais trop pris l'habitude d'aller s'enfermer dans des salles sombres il n'est pas contre s'en mettre plein les mirettes une fois de temps en temps. La salle d'arcades, par contre, il ne se voit pas y aller souvent... rien de mieux que son propre ordinateur pour profiter d'un jeu vidéo, et il partage l'avis d'Afya sur le côté bruyant.

Ah, le bar, ça devient intéressant ! Le rouquin a passé suffisamment de temps dans les rades australiens pour s'y sentir comme chez lui, il en a même fait son travail quelques temps pour payer ses études avant qu'on ne le force à passer ses étés en entreprise. La boîte de nuit voisine ne le fait pas spécialement rêver, il a passé l'âge de se déhancher sur de la musique assourdissante, mais avec la bonne quantité d'alcool dans le sang on ne sait jamais ce qui peut se passer. Bref, il est au moins soulagé de savoir qu'il aura de quoi oublier ses soucis dans une bonne ambiance.

"Eh ben, vous avez tout ce qu'il vous faut ici... enfin ça n'a rien d'étonnant, mais tant mieux."

Le village n'a pas l'air immense, mais il n'empêche que les pensionnaires n'ont pas de quoi s'ennuyer. Quelques minutes plus tard, Lloyd et son accompagnatrice s'approchent d'un parc et les indications continuent, même s'il est plus intéressé par la verdure que par une piscine en plein hiver. Il s'imagine plus facilement allongé dans l'herbe quand les beaux jours seront revenus, qu'en maillot à faire des brasses, mais étant donné l'affinité de sa guide il n'est pas étonnant qu'elle s'attache aux activités en rapport avec l'eau.

Ce qui le fait vraiment tiquer, une fois qu'elle lui a confié que les pouvoirs aidaient au fonctionnement de toutes ces joyeusetés, c'est qu'il faut aussi de la main d'oeuvre pour faire tourner la boutique, et à moins qu'il ne se plante depuis le début, la moyenne d'âge du coin est tout de même relativement basse.

"Il y a des gens extérieurs à Terrae qui viennent travailler ici ? Ou c'est réservé aux habitants... "

« Il y a très peu de personnes extérieures et c’est souvent des postes qualifiés qui nécessitent de longues études. Par exemple on a quelques médecins qui viennent de l’extérieur à l’hôpital, des psychologues aussi. Jusqu’à peu on croyait que les pouvoirs n’arrivaient qu’aux jeunes, aussi tous les métiers nécessitant de longues études ne pouvaient être pourvus. »

C’était évident, mais si on pouvait en quelques mois de formation s’improviser bon boulanger, on ne pouvait pas, même avec beaucoup de volonté improviser tous les métiers. Heureusement parmi les master, beaucoup s’étaient spécialisés, si bien qu’ils n’avaient plus réellement besoin d’aide de l’extérieur… ce qui ne nous leurrons pas, ne déplaisait en rien à l’ivoirienne. Elle était persuadée que Terrae pouvait être auto-suffisante, et que ce serait bien mieux quand elle le serait.

Le reste du monde n’était pas important, enfin, si mais pas tellement. Certaines personnes y étaient importantes, mais peu pour l’ivoirienne qui gardait de très mauvais souvenirs de ses dernières sorties. Elle avait beau essayer d’être quelqu’un de bien, de se dire que les gens dehors étaient similaires à ceux qu’elle rencontrait dans Terrae, elle n’y arrivait plus. Ce sentiment d’abord fragile, s’était intensifié avec le temps et la remémoration des souvenirs qui l’avaient poussé dans cette direction quelque peu extrémistes.

« Je crois que je t’ai montré ce qu’il y a à voir au premier abord à Terrae, à moins que tu n’ais des demandes particulières, je pense que je te laisserais découvrir le reste par toi-même. Qu’en penses-tu ? »

Voilà qui doit être un sacré bordel à gérer, si des médecins extérieurs viennent travailler ici. Ils voient sans doute des blessures plutôt inhabituelles, Afya lui a dit elle-même que les bobos du quotidien étaient plus ou moins ignorés, et il faut s'assurer qu'ils gardent leurs expériences pour eux. Certes Terrae s'est ouverte au monde, mais de là à accepter que tous les dérapages soient connus il y a une marge. La remarque sur l'âge ne passe pas non plus inaperçue, le rouquin se demandant s'il sera vraiment un doyen par ici. Pourvu que non, il a toujours été plus à l'aise en compagnie des plus anciens que lui, mais encore une fois il est venu ici pour secouer toutes ces vieilles habitudes.

Et puis sa guide lui annonce qu'ils ont fait le tour de ce qu'il y a à voir, en tout cas de ce que l'australien a demandé à voir, et celui-ci jette un dernier regard autour de lui comme pour trouver de nouvelles idées avant de revenir sur la voyante, à court de questions à lui poser pour le moment. Pour découvrir un endroit, il n'y a rien de mieux que d'y passer du temps, il pourrait bien interroger tous les pensionnaires pour se préparer à sa nouvelle vie qu'il n'obtiendrait pas plus de réponses qu'en... vivant, tout simplement.

"Oui, on a fait le tour je crois... enfin j'en sais rien, mais tu m'as montré assez de trucs pour que je puisse me débrouiller, il me semble. Merci beaucoup, d'ailleurs, c'est sympa de prendre de ton temps. Je pense que je vais rester un peu ici pour me balader..."

Et peut-être aller boire un coup, parce que ça fait tout de même beaucoup à digérer en quelques heures et le liquide aidera sûrement à faire couler. Mais ça, il va le garder pour lui, il ne faudrait pas qu'elle le prenne pour ce qu'il est dès le premier jour. Avant de se souvenir qu'elle peut très bien fouiner dans le futur si ça lui chante et le voir assis dans un bar avec une pinte à la main.

"Eh bien... à la prochaine ! Merci encore !"