Sa nouvelle chance ne commençait pas aussi bien que prévu.

La veille, sitôt que le Master de Terrae l’avait ramené à l’institut et lâché dans un dortoir avec un guide, la magie avait disparu. Une fois disparue cette voix, ce filtre de confiance artificielle, et passé l’entretien avec le psychiatre avec ses rebuts, Minoru s’était retrouvé seul en terre inconnue, soudain écrasé par le poids de toutes les informations qu’il avait à digérer.

Il avait lâché son lycée et ses parents. Complètement impensable.
Il était dans un lieu où les gens pouvaient contrôler les éléments, lire dans les pensées et se téléporter. Complètement inimaginable.
Lui aussi, il aurait bientôt un pouvoir. Complètement improbable.

Pour ne pas perdre pied, il avait fait ce qu’il savait faire le mieux. Poncer le guide du nouvel arrivant. Apprendre le plan par cœur. Récupérer et examiner toute la documentation qu’il pouvait sur les pouvoirs. Il avait fini par tomber de sommeil dans le dortoir entre deux lignes, pour se réveiller en sursaut quelques heures plus tard et recommencer. Par peur de retomber, il s’était levé et avait cherché un endroit, n’importe lequel, où poursuivre son étude. Son choix s’était porté sur une salle de classe, vide à cette heure, dont la vue lui inspira autant le calme que la nostalgie et l’angoisse. Qu’il étouffa, encore. Dans une lecture qui se faisait pourtant de moins en moins assidue, tant les mots commençaient à lui glisser entre les doigts et à tambouriner contre son crâne. Il avait envie de vomir la bile au fond de son estomac, et avec elle tous les souvenirs des deux derniers jours.

Quand il relut pour la cinquième fois la même ligne sans en comprendre le sens, il abandonna. Et commença à tiquer, un petit peu. Il avait certes peu dormi, mais pas assez pour que son attention en soit si perturbée. À défaut de supposer que cela pouvait avoir quelque chose à voir avec son état émotionnel ou le fait qu’il n’avait - depuis un certain moment - que de la bile à recracher, il pencha pour une hypothèse qui lui semblait bien plus probable : il devait être malade. L’idée qu’un virus quelconque soit responsable de son égarement était séduisante, celle de devoir passer à l’infirmerie dès le premier jour... beaucoup moins. C’était sûr, il donnerait l’impression d’être faible, dépendant ou pire, se cherchant une excuse pour ne pas aller en cours.

Résolu à ignorer le problème jusqu’à ce qu’il se résolve de lui-même, il se leva, ses documents à la main. S’il ne pouvait pas lire de la documentation nouvelle, il arriverait probablement à se replonger ses manuels scolaires et cahiers, qu’il avait emmené avec lui à Terrae et déposé aux dortoirs. Reprendre le programme avant ses premiers cours serait indispensable pour ne pas être à la traîne par rapport aux autres élèves.

Fort de cet objectif, il quitta la pièce et....

Voyant qu’il avait la tête d’autant plus sifflante et perdait l’équilibre, se résigna.
De toute façon, Terrae savait déjà tout de ses échecs.


Il descendit l’escalier qui menait au hall, tourna vers le dortoir des filles et approcha de l’infirmerie. Toucha la porte. Regretta tout au moment où il entendit son glissement strident. Serra les dents. Se glissa timidement dans l’entrebâillement. Soulagé de tomber sur une salle d’attente déserte, et donc sur moins de témoins, il s’installa sur la chaise la plus proche qu’il trouva. Histoire de partir si le virus disparaissait soudainement.

Malheureusement pour lui, les secondes passèrent, mais pas les vertiges.

Quand finalement ce qu’il devina être une infirmière se présenta, il se leva de façon un peu confuse, puis bredouilla quelques salutations.

« B- b- bonjour. »

C’était, à y réfléchir, la première fois depuis l’école élémentaire qu’il se retrouvait dans une telle situation, et il n’avait aucune idée claire du comportement à adopter. Surtout face à quelqu’un qui était, très clairement, d’origine étrangère. Dans quel pays avaient-ils les cheveux aussi blancs ? Les occidentaux ne s’appelaient-ils pas tous par leur prénom ? Devait-il l’enlacer ou lui embrasser la joue pour la saluer sans l’offusquer ? De peur de faire une erreur fatale, il resta planté là comme un piquet, complètement hagard.

Sa nouvelle chance ne commençait vraiment pas aussi bien que prévu.

Il fait beau, il fait chaud. J'ai donc mis une jupe. Oui j'en suis revenue à ça ; je m'habille pas pour me sentir bien dans ma peau, mais pour être confortable. Bon, ça m'aide quand même à être moi-même, je vais pas mentir... ...Mais ma saison préférée restera l'hiver quoiqu'il arrive ! Enfin bref, je n'étais pas siii confortable que ça parce que ma veste d'infirmière tenait chaud dès que je bougeais de trop. On dirait pas mais qu'est-ce que je peux piétiner dans ce boulot ! Mais j'ai la chance de pouvoir créer des courants d'air, et ça, ça n'a pas de prix. Enfin bref, ce n'était pas important... J'étais en train de faire le point sur les récentes visites à l'infirmerie grâce au carnet de notes quand j'ai entendu la porte de la salle d'attente s'ouvrir. J'ai lâché un "Hm" en me disant qu'il faudrait la graisser... D'habitude je ne l'entends pas, les patients ont tendance à débouler ici comme s'ils étaient chez eux, mais c'est vrai que ceux qui viennent plus rarement n'osent pas vraiment toquer à la porte s'il n'y a personne dans la salle d'attente...

...

...Oh punaise il n'y a personne dans la salle d'attente et le patient doit m'attendre !!! Mais quelle débile. Je me retiens de me frapper le visage, préférant me lever tout en vérifiant que rien n'a été laissé en désordre. J'ai ouvert la porte et je suis tombée sur un petit bonhomme, un peu tremblant, le teint pâle et des cernes affreuses. Je ne connais pas son âge que je sais déjà que son train de vie n'est pas du tout adaptée pour lui. Il se lève, me dit bonjour... Je lui souris en retour, et j'ouvre la porte en grand pour l'inviter à entrer. :

-Bonjour ! Viens entre.

Il a l'air intimidé, alors pas de gestes brusques. :

-Je suis Chrys Suede. Tu peux m'appeler comme tu veux, ce qui est plus facile pour toi à prononcer. Et toi, comment je dois t'appeler ?

Alors oui, je dois avoir son nom pour noter qu'il est passé ici dans le registre, mais je suis une infirmière trans. Bien sûr que je vais lui laisser l'occasion de me donner le nom qu'iel veut DUH. En voulant le rassurer autant que possible, je lui montre une chaise sur laquelle il peut s'installer, en tapotant le dossier. :

-On va discuter un peu de ce qu'il t'arrive avant que je ne t'ausculte, d'accord ? Est-ce que tu as mal quelque part pour commencer ?

Je l'encourage à s'ouvrir... J'ai vu passer beaucoup de monde l'air de rien ; des petits bobos du quotidiens au grosses blessures qu'il a fallu gérer le temps qu'un Téléporteur travaillant à l'hôpital vienne récupérer le patient, aux simples peines jusqu'aux profondes dépressions. J'en ai vu du monde, et j'ai pas la prétention d'être tous les jours ici, mais je crois que ce petit bonhomme n'est jamais venu. Est-ce qu'il vient d'arriver ? Ça ne m'étonnerait pas, mais j'ai aussi vu des timides et des discrets, alors on ne sait jamais. :

-J'ai des pouvoirs de Guérisseuse donc, si ça t'embêtes de parler, ou que tu ne trouves pas les mots, je peux aussi juste tenir ta main pour voir ce qui te tracasse. Même si c'est mieux et plus rapide si tu en parles.

Même si, pour l'instant, je vois une grosse évidence ; ce petit DOIT avoir une bonne nuit de sommeil complète.

Son nom... son nom...

Sonné aussi bien par le stress que par les vertiges (se lever aussi brusquement n’avait pas aidé, vraiment), il mit de longues et dérangeantes secondes à se rappeler qui il était.

« S... Saikawa. Saikawa Minoru. J- je suis arrivé hier. » baffouilla-t-il.

Même s’il craignait encore d’avoir indirectement offensé son interlocutrice ou d’avoir été ambigu sur son nom face à une étrangère, cet effort de concentration l’avait aidé à retrouver une (petite) partie de son sang froid. Assez pour s’accrocher aux paroles de Mme Suede et de les laisser le guider jusqu’à une autre chaise, sur laquelle il s’installa docilement.

Maintenant, se rappeler ce qu’il faisait là. Trouver un bout par lequel expliquer la chose. Une partie de lui était curieuse de voir à quoi ressemblait un pouvoir de Guérisseuse, puisqu’il n’avait jusque là qu’une connaissance purement théorique des pouvoirs - et sans doute encore du mal à y croire. Cependant, justement parce qu’il en avait une connaissance théorique, il savait que cela coûtait de l’énergie, et donc qu’il était particulièrement malpoli de demander. Il essaya donc de se montrer le plus précis possible :

« Je pense que je suis malade. »

... Encore un peu plus précis ?

« Je présente des nausées et des vertiges.. Du mal à réfléchir aussi... Depuis... Quelques heures. »

Du moins, cela faisait quelques heures que son état était suffisamment problématique pour l'empêcher de le fuir. Après plusieurs jours passés à se faire casser en deux par le Vide et quelques mois à en ressentir les premiers signes. C'était à peine s'il venait de mettre le doigt sur la couche extérieure, alors qu'il serrait encore entre ses bras des lectures dans lesquelles il espérait pouvoir se replonger aussi vite que possible. Alors qu'il oubliait de mentionner les palpitations, la fatigue, et toutes les petites choses qu'il s'évertuait à masquer. Alors que l’anxiété était son mode de vie.

« Enfin.. ça passera peut-être tout seul... » marmonna-t-il en plongeant son regard vers le carrelage, comme pour s’excuser d’avoir dérangé pour si peu.

Alors il venait bien d'arriver... Hier. Je suis à moitié surprise. Il y a beaucoup qui ont du mal à s'adapter, rien qu'à l'environnement. Un nouveau régime alimentaire et des personnes venant du tiers monde ont des diarrhées, s'ils viennent d'un pays très chaud, ou très froid, ils sont surpris par le climat selon la saison et tombent malades... Mais généralement, ça prend quand même quelques jours. Minoru, vu son état, était déjà souffrant avant qu'on vienne le chercher. Je l'écoute attentivement tout en l'observant encore un peu. Des nausées et des vertiges... A mon humble avis, il doit amenuiser sa souffrance. Il est pâle, tremble... ça ne fait pas "quelques heures" qu'il n'est pas bien. Ça fait quelques heures qu'il ne fonctionne plus, je veux bien le croire par contre. :

-Ça peut passer tout seul, mais il vaut mieux prévenir que guérir, tu as bien fait de venir. ...Je vais voir ce que je peux faire pour t'aider. je me tourne vers une armoire, prend le tensiomètre. Je vais mesurer ta tension à ton poignet gauche tu veux bien ? Détends ton bras et ne serre pas le poing. Je vais t'examiner aussi, voir si ce qui te donnes des nausées...

J'installe l'appareil, soutenant son avant-bras d'une main et j'en profite pour ausculter son corps... Je fixe un point dans le vide, mon regard devient blanc. Il n'y a quasiment aucune énergie dans ce petit corps. J'ai cru qu'il faisait une intoxication alimentaire, quelque chose qu'il aurait pu avoir la veille au soir pour que ça le travaille encore maintenant, mais il n'y a rien dans son estomac. Tout est abîmé à l'intérieur, entre le stress et le manque de sommeil, même à l'agonie, ses nerfs sont tendus... Comme des milliers de lucioles qui s'enflamment au point de crever plus briller toujours plus fort. Je ferme les yeux et souffle... avant de les rouvrir pour analyser les résultats du tensiomètre qui bipe. Hypotension. :

-Minoru... quand est-ce que tu as eu un repas pour la dernière fois ?

J'insiste bien sur le mot "repas", le reste dépendra de sa réponse. Je reste calme, parce qu'il est tout jeune ; je ne connais pas son histoire et peut-être qu'il n'a pas compris qu'il pouvait manger à la cafétéria de l'Institut... mais bon sang qu'est-ce que ça peut me briser le cœur de voir un gamin souffrir comme ça.

Elle allait utiliser ses pouvoirs, finalement.

Après avoir docilement remonté sa manche et tendu son bras, il dévisagea malgré lui l’infirmière, qui sembla - l’espace d’un court instant - être ailleurs. Peut-être même avoir les yeux encore plus clairs que ce bleu qui lui paraissait déjà irréel.
Pourtant, point d’aura lumineuse ni de courant d’air dans la pièce, si bien qu’il douta, finalement, que quoi que ce soit de paranormal ait pu survenir. Il n’avait rien ressenti non plus... Non pas qu’il puisse ressentir quelque chose de plus en l’état.

La question de Mme Suede coupa court à sa réflexion. La demande lui parut étrange : ce n’était pas comme s’il avait faim, après tout. Mais puisqu’il était poli de répondre, et parce qu’elle semblait soucieuse, il y réfléchit sérieusement.

« Hmm... »

Quand il avait eu un repas ? La veille, évidemment. Ses parents lui avaient mis quelques restes dans un bento, un peu en pagaille, pour qu’il mange sur le trajet. Il avait alors... laissé la boîte de côté sans y prêter plus d’attention, tant il était soucieux de suivre toute la procédure d’arrivée et de se renseigner sur son nouvel environnement.

Rien de grave à manquer un repas, il l’avait souvent fait. Le jour précédent, donc ? Ses parents lui avaient sûrement laissé quelque chose à manger. Soit sur le pas de sa porte, soit en venant le voir directement. Refuser un repas les inquiéterait, alors il avait forcément tout mangé pour montrer sa gratitude. Il n’avait certainement pas pu regarder le plat, se sentir coupable vis-à-vis de ses échecs et de la pitié qu’il devait inspirer... puis tout jeter discrètement pour continuer à se lamenter dans sa bulle.  

Alors qu’il devait paraître en pleine et intense réflexion, le visage de Minoru vira d’un coup au cramoisi.

« J-j-... »

C’était exactement ce qu’il avait fait. Pendant plusieurs jours d’affilée. Et il savait tout aussi exactement pourquoi c’était idiot. Comment ne s’en était-il pas rendu compte ? Et surtout, comment allait-il pouvoir le dire à Mme Suede sans passer, non seulement comme un enfant incapable de se prendre en main, mais surtout comme une personne qui incommodait les autres pour des broutilles ?

Il avait envie d’être un courant d’air pour se glisser sous un interstice et partir loin d’ici. Ou un Tonnerre pour se téléporter loin d’ici. N’importe quoi pour éviter le moment de gêne intense et de réprimande légitime qui allait suivre.

« J-Je suis t-terriblement désolé jaimanquéàmesdevoirsjenerecommenceraiplus » bredouilla-t-il alors qu’il faisait clairement de son mieux pour ne pas laisser monter les larmes.

Pour quelqu’un qui n’avait pas l’habitude de se faire engueuler, si tant est qu’une autre personne que lui-même lui ait déjà reproché quelque chose ces dix dernières années, que sa première interaction après son arrivée soit avec un membre du personnel qui le voyait perdre la face sur une broutille était possiblement l’une des pires choses qui pouvait arriver. Sinon la pire chose.

HRP:

Minoru s'était laissé faire et il s'en sortait comme un chef. C'est ma question qu'est pourtant sensée être toute simple qui le perdit. Il y réfléchit longuement, avant de devenir tout rouge d'un coup... Je tais mes inquiétudes alors qu'il bafouille et replonge dans le silence. Je lui laisse le temps de réaliser et de me répondre... Sauf qu'à la place, il m'a lancé une tirade à toute vitesse, je suis bien contente d'avoir mon oreillette traductrice. :

-Devoirs ? Hein mais- quels devoirs ?

Je secoue la tête, ça n'a pas d'importance. Je suppose que s'il ne me répond pas, c'est qu'il ne sait même plus depuis quand date son dernier repas et ça, c'est grave. Je libère son bras du tensiomètre avant de revenir vers son visage, prendre ses joues dans mes mains pour les caresser avec mes pouces. Le petit a les yeux pleins de larmes et de stress et c'est pas normal pour un gosse. Je murmure pour l'apaiser. :

-Calme-toi. Ça va aller... Quand tu es ici, tes devoirs n'existent plus d'accord ? Il n'y a que le mien qui me dit de prendre soin de toi.

Je le relâche pour déplacer un peu ses cheveux, mieux voir son visage. On va commencer par le mettre dans un endroit confortable, qu'il se détende un peu le pauvre... Je me retourne vers les lits cachés par des rideaux, j'en ouvre un à distance d'un mouvement de bras sec créant un vent brusque mais contrôlé. Je reviens vers Minoru pour prendre délicatement ses mains, l'encourager à venir avec moi... Des volutes d'air tournoyantes autour de lui pour le soutenir au cas où il soit pris d'un vertige. :

-Tu vas te reposer un peu. Je vais te chercher un peu de bouillon chaud... Tu aimes le bouillon ? Qu'est-ce que tu préfères comme saveur ? Le miso, le poulet ?...

Parce que je sais bien que, si ça fait déjà un moment qu'il n'a pas mangé, au point de pas comprendre que son corps a faim et est en train de bouffer sur ses réserves -qu'il n'a pas, soyons clairs-, il ne va pas pouvoir avaler une raclette. Faut que je reste professionnelle mais bon sang, j'ai bien envie d'aller embêter les Masters, voir qui a récupéré ce bout de chou et lui remonter les bretelles !

Je soulève les draps et aide Minoru à s'installer. Il ne faut pas qu'il s'allonge tout de suite, il doit être assis pour manger et ne pas trop contrarier son estomac durant la digestion. Je gonfle un peu les oreillers en tapant dessus pour qu'il soit confortable, lisse le drap qui le couvre et regarde une dernière fois son regard fatigué en frôlant sa joue de mes doigts. :

-Tu ne bouges pas, d'accord ? Je reviens le temps de te chercher à manger.

Si tu essaies de t'enfuir parce que le "devoir" t'appelle, je te retrouve, je t'attrape, je te ligote au lit. ...Je suis très sérieuse.

À la gêne déjà incommensurable de Minoru s’en ajouta soudainement une autre.

Elle avait a-a-a-a-ttrrrrapé ses joues. Elle était trop pp-p-p-pprroche. Ses propres parents ne l’avaient pas touché ainsi depuis qu’il était petit et, bien sûr, il n’avait jamais eu de petite amie, ni connu qui que ce soit qui se serait permis de venir si près. Pas même ses clichés sur les étrangers n’auraient pu lui permettre d’anticiper une si soudaine invasion de son intimité… tout au plus, ils permettaient d’expliquer, voire même de retourner la faute, Minoru se sentant alors coupable de ne pas pouvoir faire ce qui semblait normal à Terrae.

Figé et confus, il ne comprit qu’à moitié ce que Mme Suede lui racontait. Quoi qui ait pu sortir de sa bouche en réponse, ça n’avait rien d’intelligible - à moins peut-être d’être télépathe. C’est à peine, d’ailleurs, s’il eut un sursaut d’attention lorsque le rideau bougea tout seul, avant de comprendre qu’il devait se déplacer. Et qu’on lui tenait encore la main. À défaut d’oser dire qu’il en était terriblement mal à l’aise, il essaya de conserver au mieux sa contenance et de marcher le plus droit possible - c’est-à-dire de façon totalement hasardeuse quoi que sublimée par la brise qui le soutenait - jusqu’au lit désigné. En essayant de détourner son attention des m-m-m-m-ains qui le tenaient.

« M.. miso.. s’ilvousplaît… »

En temps normal, il aurait refusé net, ou tout du moins accepté avec réserve comme il était raisonnable de le faire avec une inconnue. Il se serait alors à nouveau platement excusé, puis aurait rampé de lui-même jusqu’à la cafétéria et ingurgité tout ce qu’il pouvait. Mais outre son état, il avait peur que l‘occidentale - qui était qui plus est infirmière et donc faisant son métier comme elle l'avait rappelé - soit vexée d’une telle attitude, et surtout il craignait d’être trop en échec pour ne pas incommoder plus tard une autre personne si les choses tournaient mal.

Alors il se laissa porter par le vent, conscient de la dette morale qu’il accumulait si tôt.

Un dernier doigt frôla son visage au bord de l’implosion.

« D-d-d’… d’accord. Je vous remercie encore. » tenta-t-il d’articuler, avant de retrouver son espace vital.

Sitôt certain qu’on ne l’entendrait pas, il relâcha une longue expiration. Ses mains rencontrèrent sa peau si brûlante qu’on l’aurait cru fiévreux.

Cinq minutes ne suffiraient pas pour faire retomber tout ce qui l’accablait. Ni même pour commencer à collecter ses pensées. Tout au plus, il pouvait laisser quelques émotions venir. Sentir, sous la gêne, la peur lui étreindre les boyaux - peut-être y avait-il sa faim oubliée en-dessous. Ouvrir un peu la vanne, délier le nœud d’un sac dont le contenu outrepassait les capacités du contenu. Quelques larmes de peur, de honte, d’anxiété. Et probablement d’autres dont il ignorait même le nom.

Des émotions aussitôt essuyées, pour mieux retrouver les apparences après. Du moins, il espérait.

HRP:

Ah zut. J'avais oublié que les japonais et les contacts physique c'est tout une histoire... C'est qu'à force de tenir la main de Chiri ça m'était sorti de la tête. Non puis c'est un enfant, forcément j'allais pas y penser plus que ça ! Les petits on les dorlote, on les emmitoufle, on les protège ! Je notais sa commande de soupe miso et je continuais à m'occuper de lui, en veillant à ne pas trop le mettre mal à l'aise... Manquerait plus qu'il finisse par avoir de la fièvre à force de rougir autant. Une fois installé, il me remercie poliment. Je lui souris avant de partir au trot.

Il y a des distributeurs de boissons chaudes dans le hall, je le sais parce qu'une fois je n'avais pas eu le temps de prendre un chocolat à la cafétéria pour le petit-déjeuner, j'étais en retard au travail. Ma collègue m'avait indiqué que je pouvais en avoir un au distributeur... Un distributeur japonais. Donc c'est pas mauvais ce qu'il sert, mais en plus il y a de tout ; café, thé, chocolat mais aussi ramens instantanés, soupes, et ce que je venais chercher, du bouillon. Je passais ma carte, appuyais sur le bouton "味噌 - miso" et en quelques secondes, il serait prêt et bien chaud. Cuiller en bois servie avec. Je pris un peu plus mon temps sur le chemin du retour pour ne rien renverser, m'aidant de l'air pour ouvrir et fermer les portes sur mon passage.

Je l'ai entendu pleurer avant de le voir, et j'ai ralenti un bref instant en me demandant ce qui était la meilleure chose à faire. S'il est aussi tendu à l'idée d'avoir "failli à ses devoirs" alors que c'est juste un enfant qui avait besoin de manger, je n'ose pas imaginer sa réaction s'il réalise que je l'ai vu pleurer... Est-ce qu'on dit aussi aux petits japonais que les garçons ne doivent pas pleurer ? J'ai bien l'impression que c'est universel... J'inspire... et je referme la porte bien fort derrière moi, la faisant claquer pour qu'on l'entende bien jusqu'au fond. Seulement je reprends ma marche jusqu'aux rideaux et au lit où m'attend Minoru.

Mon regard fixe le petit bol en carton, autant pour lui laisser le temps essuyer ses larmes que pour éviter d'en foutre partout, et je vais m'asseoir à côté de lui. Je commence à touiller tranquillement et je lui explique. :

-On doit y aller doucement. Il faut réhabituer ton estomac à avoir quelque chose à l'intérieur... Je vais te servir au début. ...Tu n'es pas obligé de tout manger non plus. C'est vraiment juste pour réveiller ton appétit.

Je remplis la cuiller, pour l'instant que de bouillon, laissant les légumes et le tofu pour plus tard. Je dois d'abord vérifier comment son corps va réagir rien qu'avec ça. Je lui tends la cuiller sans trembler.

Quand la porte claqua, il eut un sursaut. Heureusement, la distance qu’avait à parcourir Chrys était suffisante pour qu’il finisse de s’essuyer le visage, se redresse un peu et tente même un sourire. Pour un résultat, à vrai dire, plutôt médiocre, mais s’accrocher à des miettes était - moralement parlant - toujours mieux que de simplement s’abandonner. Parce que cela montrait l’intention de bien faire. Et parce qu’une excuse n’avait de sens que s’il agissait activement pour réparer ses erreurs.

Toujours en gardant un ton formel trop contrit pour être pleinement convainquant, il essaya d’aligner plus de deux mots :

«  Je vous remercie. »

Cela étant, il ne pouvait pas se contenter de la remercier. Il devait aussi savoir refuser.

«  S’il vous plaît, je peux me débrouiller moi-même, je vais un peu mieux… et je ferai attention. »

C’était vrai. Malgré la proximité physique qui restait assez gênante pour lui, il allait vraiment mieux que quelques instants plus tôt. Peut-être pas assez pour tenir dignement une cuillère, ceci dit : pas besoin d’être médecin pour voir qu’il y mettait ses dernières forces. Mais des forces qu’il voulait y mettre, et c’était ce qui importait.

Lentement, il prit le bol et commença à y plonger l’ustensile en bois. La chaleur dans le creux de sa main lui apportait un petit réconfort, dont il se serait peut-être contenté en temps normal. Dont il s’était contenté, de fait.

Il souffla sur sa première cuillerée à peine composée. Puis la porta, tout doucement, vers ses lèvres décharnées, entre lesquelles commença lentement à s’engouffrer le nectar.

En toute circonstance, comparer une soupe de distributeur à un nectar aurait tout de l’exagération démesurée. Ou, au mieux, de la référence maladroite.

Pour cette fois seulement, rien que pour celui qui revenait d’un long désert, elle avait le goût de l’oasis qu’il découvrait enfin. Une saveur intense et complexe qui remplissait son corps vide et inondait son estomac dans la confusion. Un volume incompréhensible, qui tout en n’étant qu’une cuillère, était à la fois rien, et en même temps tout. Ivre du dashi industriel, il manqua d’être emporté par l’empressement de tout avaler d’un coup, quitte à se noyer dans l’étang pour étancher sa soif, seulement pour être ramené sur terre par son souci pathologique de la politesse - bien utile pour une fois.

Alors il prit son mal en patience. Douloureusement. Laissa choir son bras aussi lentement que possible, remplit à nouveau la curette.

Et comme ça, il avala son bouillon. Trois fois sans en renverser. Une quatrième fois plus maladroite, où il faillit tout faire tomber. Des excuses. Puis une cinquième où il y remit toutes ses forces. Et une sixième où il abandonna à mi-chemin, aussi euphorique qu’ébranlé. Il aurait été difficile de décrire en un mot ce qu’il ressentait, ou même le peu qu’il pouvait exprimer malgré lui. Les quelques larmes qui s’étaient incrustées le long sa figure tombaient certes encore le poids de la peur, mais peut-être tout autant, désormais, sous celui de l’émotion si vive qu’elle en avait débordé d’un coup. Sur leur passage, les gouttelettes croisaient le chemin d’un regard embrumé et d’un sourire abscons, lesquels dégageaient pourtant, dans leur cacophonie, une impression simple…

Minoru n’avait pas avalé quelque chose de bon. Il avait vécu.

Même s’il ne le comprenait pas encore très bien. Même s’il faudrait encore du temps - beaucoup de temps - pour l’apprécier pleinement. Ça viendrait. Ça s’apprendrait.

Sa vie avait commencé par la soupe la plus fade du monde, dans laquelle se reflétait le visage d’un garçon perdu. Et maintenant, tel un nouveau né arraché aux eaux, il devait prendre son souffle.

Il inspira, d’abord. Le plus profondément qu’il le pouvait.



Puis il expira.

Cette fois, la sensation était bien différente de l’artifice produit par son corps affaibli. C’était un calme. Un soulagement. Un réconfort. Une douceur. Et surtout, un oubli, pour une fois, de tout ce qui devrait compter, au moins pour un instant. Une liberté qu’il ne connaissait pas. Qu’il ne connaîtrait peut-être plus. Il ne pouvait pas la dire à qui que ce soit, et peut-être pas encore à lui-même. Mais elle était là, juste là, et il pouvait la vivre.

La septième cuillerée était encore plus ordinaire que les autres. Lentement, pas assez lentement peut-être, le nectar s’effaçait, la vieille odeur du réchauffé remontait, guidant derrière elle les pensées parasites.

Un instant d’émotion ne suffit pas à faire un homme nouveau, ni même une personne différente ; tout au plus, en vous marquant, il peint une étoile dans votre ciel. Une étoile à admirer, à suivre, à désirer, à regretter parfois. C’était peut-être ce que Minoru venait de trouver dans le noir. Même si le chemin était encore long.

« Je vais un beaucoup mieux… Je vous remercie encore. » balbutia-t-il, moins parce qu’il avait à dire que parce qu’il voulait éviter de rendre son silence plus inquiétant encore. Pour une fois, la vérité était toute autre.

hrp:

J'ai haussé les sourcils avant de faire une petite moue quand Minoru m'a dit qu'il allait se débrouiller, qu'il pouvait manger tout seul. J'ai encore une fois agi par habitude... Ça me paraissait logique de le servir. Il tremblait encore, était faible, c'était pour éviter qu'il ne s'en renverse sur lui mais aussi pour maîtriser la vitesse à laquelle il allait manger. Je n'avais qu'une peur ; qu'il vomisse le peu qu'il allait réussir à avaler et ne blesse son estomac fragilisé. C'est un petit à mes yeux, mais un grand garçon quand même, un adolescent... Je lui fais alors confiance et lui tend le petit bol et la cuiller. :

-D'accord. Ne t'inquiètes pas si tu en renverses un peu, ce n'est pas grave.

...C'est pas moi qui change les draps aujourd'hui ahah. Je lui laisse son petit repas, lâchant le tout délicatement du bout des doigts pour qu'il s'en empare et je me lève tranquillement, pour ne pas créer de perturbation et le laisser manger.

Je me tiens à côté, histoire de surveiller d'abord le rythme auquel il mange, mais aussi son corps. Il ne rejette pas la nourriture, il a même l'air plutôt content. Je laisse échapper un petit soupir heureux de soulagement. Il aurait pu être tellement anxieux au point de rejeter tout aliment ; c'est rare mais ça arrive. Ça élimine tout un autre tas de pathologies variées. Je sens son corps vorace, ses organes internes lentement mais sûrement réagir au carburant qui vient d'être ajouté dans son organisme qui pétille de partout ; comme une fourmilière dont les ouvrières encore hébétées par l'hiver, s'animent aux premières chaleurs pour faire revivre la colonie.  Pourtant, Minoru se maîtrise, prenant le temps entre chaque bouchée. C'est vraiment un bon garçon...

Il faillit renverser sa soupe, mais au final, je n'ai même pas eu le temps de l'aider, que ce soit avec mes pouvoirs ou mes mains. Il s'était repris tout seul, luttant clairement pour rester propre... J'ai décidée de m'éloigner à ce moment-là ; noter son nom dans le registre et récupérer une boîte de mouchoirs au cas où. Je la déposais sur la petite table à côté du lit. Minoru avait inspiré et expiré comme s'il revivait enfin. Je le laissais manger à son rythme, attendant qu'il avale au moins une bonne moitié de bol avant de l'arrêter. :

-C'est très bien. Il faut arrêter là et faire une pause pour laisser travailler ton estomac... Ne t'inquiètes pas, je te mets ça de côté. On a un micro-onde, tu pourras le finir plus tard.

Je fais un rapide transfert du bol de miso pour le libérer. :

-Il faut te reposer maintenant, au moins un peu. Je te réveillerai si tu veux. Si tu as déjà des cours, ne t'inquiètes pas, tu es noté comme étant ici et tes professeurs seront prévenus.

J'allais pour l'emmitoufler mais je me suis contenue. Je lui ai envoyé un sourire avant d'aller vers les rideaux... :

-Si tu as besoin d'aide, appelle-moi. Je suis juste à côté.

Il fallait se reposer.

Perdu dans le tumulte de son corps, Il avait oublié ses vertiges, à tel point qu’il avait encore du mal à les retrouver… et qu’il serait peut-être même déçu de les retrouver, alors qu’il pouvait gratter quelques dernières minutes d’euphorie en insistant pour finir la soupe.

Mais avant d’être anxieux ou excité, Minoru était docile. L’idée de désobéir à un conseil médical ne lui venait pas, ou tout du moins jamais frontalement, jamais de manière si directe qu’il s’y opposerait fermement. Qui plus est, il n’avait pas de cours derrière lequel courir, puisqu’à défaut de s’être méfié de son bien-être apparent Terrae lui avait au moins laissé les premiers jours pour s’installer avant de s’insérer dans les cours (sans doute aussi le temps que les enseignants soient prévenus et s’arrangent). Il n’avait donc pas de forte injonction à satisfaire dans l’immédiat…

Et puis, il y avait une autre raison, moins avouable. S’il ne voulait toujours pas s’abandonner, il lui fallait un temps de repos, même minime, pour retrouver à la fois le contrôle de ses émotions et la clarté de son esprit. Juste ce qu’il fallait pour se retrouver lui-même, tel qu’il s’était toujours connu, même s’il était déjà trop différent.

« Je comprends. Je vais essayer de dormir un peu. »

Plus bas, il ajouta :

« Et je…. »

Vous remercie.

Ce serait la quatrième fois qu’il prononcerait la même formule. Il l’avait pensée sincèrement chaque répétition, mais à y réfléchir, il craignait d’incommoder Mme Suede. De ne pas assez développer pour transmettre ce qu’il voulait, de faire de quelque chose de naturel pour lui un artifice pour un autre. Alors il songea à en rajouter. Que pouvait-il dire d’autre qu’un simple merci ? Ajouter des précisions ? Un merci plus grand et plus fort ? Répéter les consignes qu’elle lui avait donné et dire qu’il les suivrait à la lettre ? Faire une action particulière ? Ou plutôt s’excuser d’occuper ainsi un lit de l’infirmerie ?

Trop occupé à réfléchir à cette question, il laissa passer sa chance, et l’infirmière était déjà partie sur un sourire - que Minoru avait au moins réussi à lui rendre timidement.

Il aurait tout le temps de réfléchir en essayant de s’assoupir. Du moins, il le croyait.

Lentement, car encore tremblant, il ôta sa veste et ses chaussures, puis se logea sous le drap.
Les affaires qu’il avait emmenées étaient posées à côté de lui. Il songea à reprendre ses lectures.

Aucun bras ne se leva pour les attraper.
Il se sentait comme coulé dans du béton, incapable de changer de position. À la fois trop vide et trop plein, trop léger et trop lourd. Affamé et ballonné, ne sachant plus penser ni éprouver, transi par le réel de sa honte et anesthésié par le sommeil qui monte, il ne se sentit pas tomber dans le repos qu’il avait tant reporté, ni ne se vit rêver - pour une fois - d’un examen remporté.

Comme il ne savait pas boire une soupe à moitié sans devoir se faire interrompre, il ne sut pas dormir "un peu". Sitôt les yeux fermés, il était pris tout entier par un corps qui retrouvait les premières nécessités et qui avait bien l’intention d'enchaîner les cycles jusqu’à l’écœurement... et la probable léthargie qui suit toute nuit récupératrice.

hrp:

Obéissant, Minoru accepta de dormir un peu. Je me retiens de rire quand il utilise le mot "essayer" ; mon garçon, ça ne m'étonne qu'à moitié mais vu ton état, tu vas dormir comme une masse... pas seulement essayer. Et pas qu'un peu, si je ne le surveille pas il va nous faire le tour du cadran et être complètement décalé. Je le laisse se reposer, l'isolant en tirant le rideau pour qu'il s'installe comme il le souhaite puis retourne à mon bureau.

Je réfléchis soigneusement à la suite... Minoru, du peu d'interactions que j'ai eu avec lui, était très japonais. C'est pas un mal hein, il faut juste que je prenne des pincettes que j'ai perdu en côtoyant les fous furieux de Terrae. Mon expérience au lycée de l'Institut aide pas mal pour ça, ainsi que les débuts de mon amitié avec Chiri. ... ...N'y pensons pas. J'ouvre mon traitement de texte sur l'ordinateur et commence à lui faire une prescription moyennement médicale, mais qui lui sera utile j'espère. Je l'imprime et la met de côté.

Les heures défilent doucement, j'observe l'horloge de temps en temps pour Minoru. Entre deux voyages pour ranger et nettoyer l'infirmerie, je tends l'oreille devant le rideau de Minoru pour vérifier qu'il se repose bien. Son souffle est régulier, lent... Je vérifiais mes horaires pour la semaine quand Norah est entrée sans trop prendre garde au bruit qu'elle faisait. Mon index sur les lèvres, je lui fis signe de baisser d'un ton avant de pointer en direction des lits. Elle hocha la tête et s'installa en silence. Je préparais le fond de soupe miso pour que Minoru puisse l'emporter sans le renverser ainsi que la feuille correctement pliée.

Doucement, j'ai soulevé le rideau et je me suis approcher du lit. J'ai posé ma main sur son épaule pour le réveiller en douceur. :

-Minoru ? Réveille-toi... Tu peux prendre ton temps pour te lever.

Je lui laisse son intimité pour qu'il puisse se rhabiller, mais dès qu'il sort je l'alpague pour lui donner tout ce qu'il doit emporter. :

-Voilà. Ta soupe et une petite liste de conseils pour pas que ça t'arrive à nouveau. Essaie d'avoir huit bonnes heures de sommeil chaque nuit. Trois repas par jour. Si tu te sens toujours pas bien, n'hésite jamais à venir à l'infirmerie. Je suis souvent là le matin, mais mes collègues t'accueilleront aussi, d'accord ?

Je prends une inspiration et je lutte contre tous mes instincts qui me dictent de lui caresser la joue pour le rassurer, en me répétant que ça allait bien plus le mettre mal à l'aise qu'autre chose. :

-Si tu n'oses pas venir ici, tu peux me parler aussi. Je suis dans le couloir des Airs, il y a mon nom sur la porte.

Je voudrais lui faire une leçon sur le fait qu'il n'y avait pas de honte de demander et recevoir un peu d'aide parfois, qu'il était encore jeune et qu'il devait surtout prendre soin de lui, à son âge, plutôt que se tuer comme un salary-man, qu'il devrait profiter de cette jeunesse et de son énergie pour s'amuser plutôt que de s'abîmer dans le travail qui arrivera bien assez vite de toute façon... Mais il vient d'arriver. Ça viendra.

« i  o u é e oi »

Minoru plissa des yeux sous une lumière douce mais aveuglante.
Quelque chose venait de faire du bruit. Peut-être même de l’appeler.

Le temps de réunir ses esprits, il tourna lentement sa tête engourdie. Une femme aux cheveux blancs se tenait juste au dessus de l….

« …. »

D’un coup, tout lui revint.
Où il était. Pourquoi il y était. Le fait qu’il s’était probablement endormi un bon moment.

Il se redressa en sursaut, rouge comme une pivoine, les paupières lourdes mais bien relevées.

« Tu peux prendre ton temps pour te lever. »
Trop tard.

Le cerveau déjà transi par l’adrénaline, Minoru était prêt à repartir, là tout de suite maintenant. Moyennant, évidemment, de ne pas trop s’arrêter pour penser aux percussions qui tambourinaient sur son crâne loin d’être remis de sa semaine d’insomnie... Ce que Minoru ne faisait jamais, de toute façon.

Après avoir bredouillé à Mme Suede qu’il viendrait très vite, il réenfila sa veste, en inspecta les plis afin de s’assurer qu’il était présentable, puis glissa ses pieds dans ses chaussures et les laça. Lorsqu’il se leva, il s’épousseta et vérifia encore une fois que tout était en ordre. Enfin, il se retourna et s’affaira à remettre en ordre le lit, pour être sûr qu’il le rendait dans un bon état et qu’il n’avait rien oublié.

Quand il parut devant l’infirmière, il avait donc bien pris son temps. Mi-calme, mi-énergisé, il affichait clairement une meilleure mine, bien que ses cernes soient toujours nettement apparentes. Il n'avait toujours rien dans le ventre, mais la soupe avait fait son effet en provoquant une faim paradoxalement vorace. Un faim que même Minoru remarquait… ou du moins avait remarqué avant que son stress n'atteigne un nouveau pic, face à toutes les indications simultanées qui lui étaient données et qu'il devait retenir sans pouvoir les noter. Trivial pour une mémoire habituée à faire du par coeur depuis le jardin d'enfant, diluvien pour une attention engourdie.

«  D-d-d'accord. Je ferai attention à l'avenir. »

En prononçant ces mots par pur réflexe de politesse, il commença à y penser réellement.

À ce qu'il allait faire.

À court terme, il devait trouver un micro-onde pour réchauffer la soupe et la finir. Puis lire en détails les indications de Mme Suede. Puis.. peut-être…. éventuellement…
Déjà pour la journée, il n'avait aucune idée claire et rassurante sur ce qu'il allait faire, si ce n'était pas des révisions pour quelque chose. Qu'est-ce que Terrae attendait de lui, au juste ? Il avait fui la question depuis son arrivée, seulement pour mieux la retrouver sur son chemin plus tard. Et il n'avait toujours pas de réponse à y apporter… ou du moins aucune qui ne soit pas simplement un cache-misère provoqué par ses vieilles habitudes et la peur de les changer.
Tout ce qu'il avait de nouveau pour l'instant, c'était le souvenir d'une soupe, une liste de conseils... Et quelqu'un, juste en face de lui, qu'il regardait pour la première fois avec une sorte de curiosité nouvelle. Pour un court instant. Avant de dévier le regard par peur de montrer une émotion déplacée. Puis de relancer une œillade, plus furtive. Devait-il chercher à la satisfaire elle, ou ne serait-ce qu'une impasse ? Quoi qu'il en soit, il s'en voudrait de partir sans donner une meilleure forme à ses remerciements.

Il n'était pas encore sûr de ce qu'il allait dire.
Mais, peut-être parce qu'il était complètement dans le coaltar, il put se lancer dans quelque chose de stupide.

C'est donc après un petit moment de silence qu'il enchaîna, par ce qui était peut-être ses premiers mots. Ses premiers mots qui n'étaient plus lui. Et par conséquent, ses premiers mots à lui.
« Je reviendrai vous remercier avec plaisir, quand vos mots auront fini de me montrer le bon chemin. »
Et quand, l'ayant arpenté, je leur donnerai un sens. À eux, et à mes jours ici.

Un bref éclat, qui se fondit aussitôt en gêne, en excuses à demi-balbutiées et en fuite.

Sa nouvelle chance ne commençait pas aussi bien que prévu.
Mais elle ne faisait que commencer, et elle pouvait l'emmener n'importe où.

HRP:

Minoru s'était redressé très vite... j'ai eu peur que ça lui donne la nausée, mais vu la bonne sieste qu'il venait de faire, je pense qu'il doit plus être affamé qu'autre chose. J'ai bien fait de le réveiller avant midi, il pourra prendre un bon repas dès que possible. Il s'est préparé mais a pris le temps de ranger derrière lui... Il n'a pas à le faire, il faut qu'on change les draps après de toute façon, mais ça reste adorable. Il avait l'air d'aller ne serait-ce qu'un petit peu mieux, et même si je m’inquiétais toujours un peu pour lui, je me dis que le relâcher de l'infirmerie est une bonne idée. Il avait l'air trop stressé dès qu'il s'agissait de communiquer avec moi. Je hochais la tête quand il m'assura qu'il allait faire plus attention et lui tendit le restant de soupe et le petit papier où j'avais tout noté au cas où. Il me zieutait timidement, je me demandais bien ce qui pouvait se passer dans ses pensées à ce moment... Je lui souriais simplement.

Il prononça une des plus jolies phrases que j'ai entendu au travail ; il viendrait me remercier, quand "mes mots lui auront montré le bon chemin". J'ai reçu beaucoup de merci, parfois des petits cadeaux des enfants, parce que je leur donnais toujours des bonbons... Je n'ai d'ailleurs pas eu le temps d'en offrir un à Minoru avant qu'il ne prenne le fuite. Je suis restée immobile en battant les paupières, interdite. C'était vraiment un bon garçon... ...j'espère qu'il ne va pas se faire manger tout cru par les personnalités hautes en couleurs de Terrae.

Norah, ma collègue, sortit de je ne sais quel coin de l'infirmerie, se pencha vers moi, avec un petit sourire aux lèvres. :

-Tu es tombé sur un poète !... Je ne l'ai pas reconnu, c'est un nouveau ?

-Il est arrivé hier. je marque une pause avant de partir changer les draps du lit que Minoru a occupé. Il me rappelle un peu moi.

-Ahah ! Alors j'ai hâte de voir quel genre de papillon il va devenir !

Je souris tendrement... c'est vrai qu'ici, nous sommes tous un peu des chenilles attendant de devenir papillons.


HRP : Voilà un bout de post histoire de clore ! J'espère que ça t'a plu et j'ai hâte de voir ces deux-là se retrouver en rp x) !