__–ENFIN IL FAIT CHAUD DANS CE PAYS.
__–AH.
__–Enfin, chaud, pas d’exagération tout de même. Disons plutôt qu’il fait, pour mes standards équatoriaux, à peu près correct. Et du coup, histoire de profiter de mon jour de repos hebdomadaire et du soleil, je suis allé, hé bien, ne rien glander sur le toit. Chaise longue. Petit pétard. Cannette de bière. Un livre de bio histoire de conjurer ma culpabilité montant à mesure que je contente de profiter de l’instant présent par une petite - donc saine ! - dose de travail. Je suis là, posée, le bouquin sur les yeux, à juste profiter du contact du soleil sur ma peau. La belle vie quoi.
__–Enfin je sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’on m’observe.

__–« Hé ! Madame ! »
__–Ah ben, pour une fois que ça me fait bien chier d’avoir raison. Évidemment c’est juste au moment où je suis bien qu’on vient m’emmerder. Hé, peut-être que c’est comme les guêpes : si je ne bouge pas, il partira de lui-même.
__–« Madame ! »
__–…
__–« Madame ! »
__–…
__–« Madame ! »
__–…
__–« Madame ! »
__–Hé ben raté.
__–– Alors déjà on se calme sur le « madame », ça c’est ma grand-mère. Moi c’est Luna p’tiot. »
__–« Oké Luna, t’es Titanide nan ? »
__–« Hé ben correct. Qu’est-ce qui t’as fait dire ça ?
__–– Euh ben ta cannette. »
__–Ah oui, effectivement. Dès que je l’ai vidée, je me suis amusée à la plier entre mon pouce et mon index. Bon mais alors. Il me veut quoi ce môme. Un truc qui impliquerait la force, ça si vous ne l’aviez pas deviné du premier coup vous êtes au moins aussi con que moi. Sauf que. À tous les coups. Ça implique de bouger. Et là c’est mort en fait. Je remets donc mon bouquin sur les yeux te me remets à ne plus bouger. On va retenter le coup de faire la morte et espérer qu’il se lasse.
__–« Allez steuplééé ! »
__–C’est… pas comme ça que ça marche. D’abord tu demandes ce que tu veux, ensuite peut-être j’envisage d’étudier l’éventualité de songer à considérer la possibilité de me poser la question de savoir si je réfléchis à m’interroger sur si oui ou non je le fais. J’ai bien envie de lui dire un truc du genre. Mais je n’en fais rien. Je reste stoïque. Comme devant une guêpe.
__–« Steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé steuplé—
__–– Okay, okay… c’est bon… juste… respire gamin t’es tout rouge. »
__–Je regrette déjà. Ne serait-ce que de savoir ce qu’il veut. À tous les coups c’est un truc complètement claqué au sol.
__–« Tu peux me lancer de l’immeuble steuplééé ? »
__–Okay alors je ne pensais pas que c’était lui qui voulait se claquer au sol.
__–« Bah. Non.
__–– Mais j’ai une wingsuit regarde ! »
__–Il en a… en effet une. Huh. Les enfants de nos jours. Il devrait pas être en cours là ? Ou quitte à sécher les cours, au moins être en train de, je sais pas, faire du skate ou jouer à des jeux vidéos comme les autres gosses de son âge ?
__–« Et tes parents sont d’accord que tu aies ça ?
__–– Bah oui c’est eux qui me l’ont acheté. »
__–Ah, okay, soit. Oh après tout, qui suis-je pour juger, hein. Et on est à Terrae, s’il est Air je suppose que c’est… normal ? J’en sais rien ? Déjà qu’il faut pas trop-trop compter sur moi pour tenir des raisonnements, là vu mon état, c’est encore plus mort. Surtout que, à son âge j’avais déjà une moto et un cran d’arrêt, alors vous savez, ’faut pas trop compter sur moi pour ce qui est de savoir ce qui est adapté à tel âge ou pas. Déjà je sais que je ne dois pas servir d’alcool au mineurs et c’est déjà pas mal. Et plutôt contre-intuitif quand je pense à ma propre expérience.
__–Mais c’est toujours non. Je ne vais pas en plus faire des efforts, oh.
__–« Alleeeez quoi ! Et en échange je viens plus t’embêter.
__–– Non mais p’tite tête, tu ne peux pas me donner en récompense ce que je vais déjà obtenir si je le fais.
__–– Hein ? Et pourquoi pas ? C’est… pas ça le principe d’un échange ? »
__–Le pire, c’est que , son raisonnement tient plus la route que le mien. Ouais, me faire battre mentalement par un mioche haut comme trois pommes allongées, c’est pas super glorieux. Et le pire, c’est que j’imagine que ça implique que je vais devoir me lever. Euuah.
__–« Sûr de sûr qu’ils sont au courant ?
__–– Pfff mais ouiiii alleeeez lance-moiiii !
__–« Okay, okay… Je suis trop défoncée pour discuter t’façons. »
__–Et quel dommage que je ne le sois pas assez pour ne plus pouvoir bouger. Enfin non. Enfin si. Enfin bref.
__–Je me lève donc, regarde le gamin… ouais, c’est faisable… l’attrape par la ceinture, le soulève, le pose sur mon épaule. On va essayer de faire comme si c’était un javelot. Ouais enfin attend. Non mais attendez en fait il veut faire quoi là c’est quoi le projet.
__–« Il faut que tu me lances le plus méga super méga giga haut que tu peux ! »
__–Aaah oui d’accord. J’aurais dû m’en doutez, mais j’en ai beaucoup trop pris pour réfléchir. Ou supporter qu’il me hurle dans les oreilles plus longtemps.
__–Bref, je prends un peu d’élan, me fléchis, eeeet hop. Il est parti. Et je regrette déjà.

__–Porté par quelque sylphe comme par l’insouciance – d’aucuns diraient la profonde stupidité – de la jeunesse, Aylan traversait les airs terraens avec, disons-le sans ambages, un enthousiasme aux antipodes de la grâce.
__–Et comme le premier était à son paroxysme, cela laisse songeur sur les profondeurs abyssales où était située la seconde.
__–Mais enfin, une fois passée la stupéfaction liée au grisant sentiment de traverser sans moyen de propulsion aucun le domaine d’Ouranos pour le rejoindre – et non s’effondrer sur la terre, ce à quoi il était bien plus accoutumé –, Aylan put reprendre le contrôle, hé bien, de lui-même.
__–Et de ses moyens de flottaison. En substance, il déploya les ailes de sa tenue et généra des courants d’air pour le porter. Sa maîtrise était bien trop faible pour qu’il volât : s’il générait un vent suffisant pour cela, il risquait surtout de perdre le peu d’équilibre qu’il arrivait tant bien que mal à maintenir. Mais au moins, grâce à sa magie, pouvait-il tutoyer les oiseaux un peu plus longtemps.
__–À ce sujet, avait-il pensé à quoi faire pour l’atterrissage ? Toute wingsuit allait avec un parachute, mais il fallait aussi un terrain adapté, or Aylan se dirigeait dangereusement vers la forêt.
__–Bah. Chaque problème en son temps.
__–Oh, mais c’est qu’il voyait Chrys en bas ! Elle devait rentrer du travail. Il ne pouvait lui faire coucou, mais il y a d’autres moyens de signaler sa présence, comme en hurlant son nom, par un « SALUT CHRYYYYYYS LÈVE LA TÊÊÊÊÊÊTE ! » qu’il allait être difficile de manquer, pour elle comme toute personne aux alentours.

Sortir sans être accompagnée de Roda n'était plus aussi triste... Dans ma tête, je la voyais dans un paradis à l'image du champ fleuri de Terrae, où elle courrait éternellement après des balles de tennis, avec Lag. Ça me suffisait pour me mettre de meilleure humeur... Et le retour de l'été avait aussi ramené celui des papillons. J'avais donc le sourire en me promenant, zieutant de temps en temps le sol à la recherche d'insectes, me faisant une idée de la journée qui m'attendait. J'allais peut-être cuisiner des gâteaux au miel... Il me restait du fromage de chèvre aussi, je pourrais faire une quiche avec. Aaah il fallait aussi que je perfectionne mes donburis et que j'apprenne à agencer mes bentos de manière jolie ! Je pourrais faire ça en musique, en laissant la fenêtre ouverte au cas où Aylan veuille passer dire bonjour...

...Tiens d'ailleurs c'est pas la voix tonitruante d'Aylan que j'entends ?

Je retire mes écouteurs, je n'étais pas sûre... C'est en voyant d'autres personnes autour de moi lever le nez vers le ciel et pointer une direction du doigt avec horreur que j'ai finalement suivi cette direction... C'est Aylan qui dégringole... Hm. OH PUTAIN DE BORDEL DE MERDE C'EST AYLAN QUI TOMBE DU CIEL ! Je cours dans sa direction en suivant sa chute des yeux... Il a une étrange combinaison sur lui. Je ne sais pas ce que c'est mais j'ai pas besoin d'avoir le Q.I. d'Einstein pour comprendre que les espèces d'ailerons vont bien m'aider à corriger sa route.

Je crois que c'est la première fois que j'invoque une aussi grosse bourrasque... mais je me suis tellement entraînée à être précise avec mes pouvoirs qu'elle n'emporte pas tout de suite Aylan, je lui fais faire du sur place, comme un oiseau planerait. Seulement après je le dirige, le pose délicatement sur le toit de l'Institut et pousse le plus gros soupir de ma vie. ...J'ai les mains qui tremblent et je sens l'adrénaline monter en moi bien que le danger soit passé... Je m'en sers pour sauter dans les airs, me soulever jusqu'au toit pour rejoindre Aylan et avoir des explications que j'imagine déjà complètement farfelues. Heureusement que Mathéo m'avait donné des astuces pour voler -j'en suis pas encore là, je m’entraîne à faire des sauts de plus en plus grand mais je n'ose pas faire plus.

C'est donc encore un peu tremblante, les larmes aux yeux, mon chignon défait que je débarque sur le toit avec tout sauf la douceur qu'on me connaît sur le visage. Ma voix grave s'adresse autant à Aylan qu'à la jeune femme qui, à mon avis, soit a laissé faire, soit a participé à tout ce mauvais plan... Dans les deux cas, ça va pas me plaire. :

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?...

Je leur laisse UNE chance.

__–Ouuuah mais c’est qu’il vole bien… Je l’ai pas loupé mon lancé, dites. Tiens ben vous savez quoi, je vais me poser et le regarder fendre les airs, ça me fera un spectacle. Du coup ma bière… Ah ben on je l’ai déjà vidée. J’en ai pas une autre ? Ah, on dirait que j’ai oublié de prendre ma glacière. Où est Kaiko quand on a besoin d’elle… Bon ben tant pis, déjà j’vais finir ce pétard au calme sur ma chaise longue, pour la suite on verra.
__–Ah, il a heurté un mur invisible le gamin ? Pourquoi il avance plus ? Il était bien parti pourtant… Je sais pas vers où, mais il l’était. Ah mais il faut demi-tour même… Vers moi… Hm. Il doit contrôler son vol avec ses pouvoirs d’Air, je ne vois que ça. Sinon, il se serait contenté d’avancer tout droit en descendant petit à petit, jusqu’à devoir utiliser son parachute. Là, il s’est posé, au calme, à deux pas de moi, l’air à l’ouest. Comme si son propre succès l’avait étonné.
__–« Joli vol p’tit gars. »
__–Ah mais merde il va pas me demander de le faire redécoller, si ?
__–« Par contre je te relance pas, on a bien dit que si je le faisais t’arrêtais de me courir avec ça. »
__–Il ne me répond pas. Curieux, ça. En fait, il a l’air de pas trop trop comprendre ce qui lui est arrivé ni ce qu’il fout là.
__–Et je vous avoue que quand une meuf déboule du ciel, à la Superman, l’air extrêmement énervée, les cheveux déliés au vent, nous regarde le minot et moi – et attendez, depuis quand on est considérés comme dans le même groupe ? – puis pose une question fatale avec, ouah, une voix tellement grave pour un p’tit corps de gonzesse tout fluet comme ça, c’est à croire qu’elle a un cancer de la gorge. Ou qu’elle, il, je sais pas, est trans. Enfin c’est pas incompatible, certes.
__–Et est en tout cas quelqu’un qui doit avoir quelque chose contre le fait de lancer des enfants dans le vide…
__–…
__–Ooookay d’accord je crois que je viens de me rendre compte du niveau astronomique de la connerie que je viens de faire.
__–« Euh, bah… il m’a dit que ses parents lui ont laissé l’autorisation… Ou je sais pas quoi, là… »
__–Difficile d’avoir une défense crédible là, surtout que, j’ai plus trop la tête à être ici moi. Aide-moi petit stp.

__–En effet, Aylan n’avait pas tout compris à ce qui s’était passé lors de son décollage. Il était tout à fait en contrôle de son plan de vol, arrivait avec quelques subtils courants à maintenir stable son altitude, tangage, lacet et roulis. Certes, il y avait encore cette épineuse question de l’atterrissage qui restait irrésolue, ou celle des arbres qui finiraient immanquablement sur son trajet, mais ceci mis à part, pour un premier vol d’essai, c’était très concluant.
__–Et puis, Aylan perdit la capacité de commander sa direction. Cela aurait dû le faire paniquer, mais son mouvement restait régulier, d’une vitesse modérée et il finit posé délicatement sur le toit. Encore surpris, presque sous le choc pourrait-on dire, il essayait de réfléchir à ce qui avait pu causer ce retour arrière, sans vraiment porter attention à ce qui disait Luna. Les sensations qu’il avait ressenti lors de son court mais intense séjour dans le royaume de la gent ailée lui avait fait une très vive impression : son cour battait à toute allure, il prenait de très longues inspirations, ses extrémités étaient froides, son cerveau était encore trop calibré sur ressentir son corps, son environnement et ses pouvoirs pour être capable de raisonner calmement.
__–Et comme dans un rêve, Chrys atterrit, dans ce qui fit penser à notre protagoniste à une apparition magique. Il la regarda, avec son air ébervigé.
__–Ah, elle semblait courroucée.
__–On s’en doute, Aylan n’avait absolument pas compris la situation.
__–« Oh mais t’es là trop cool ! Hé dis on le refait ensemble !? Y’a Luna elle va nous lancer comme ça et on va aller suuuuper haut et puis toi t’es Étoile alors tu dois savoir voler et puis moi regarde regarde regarde regarde regarde regarde la SUPER MÉGA COOL wingsuit que je me suis achetée !!! OH MAIS ATTEND si tu veux tu t’en commandes une toi aussi sur mon site et on pourra s’envoler et rester dans les airs tous les deux super longtemps comme ça ! »
__–Et dans ses yeux plein d’étoiles se dessinaient, comme des constellations, l’image de lui et sa grande-sœur volant côte à côte au-dessus de Terrae, observant la ville en contrebas et le Soleil se coucher sur la baie de Tokyo, pour mieux revenir se poser et boire des jus de fruit et manger des chips sur le toit en compagnie de la titanide, tous riant de leur complicité et des belles aventures qu’ils vivaient ensemble.
__–Pour Luna, c’était plutôt sa vie qui défilait devant ses yeux.

Je me tourne d'abord vers la jeune femme. Elle avait l'air parée à prendre un bain de soleil ; je remarque la bouteille de bière vide et la cigarette. Son explication est plus bancale qu'une chaise à trois pieds. J'articule dans un souffle. :

-Ses parents ?... avant de serrer les poings et de lâcher, plus fort. Et tu l'as CRU ?!

Que ses parents soient effectivement à Terrae ou en contact avec lui pour lui donner cette fameuse "autorisation", j'en avais strictement rien à branler. Et quels parents autoriseraient ça ?! Tu ne balances pas un gamin dans le ciel, point barre. :

-Et toi.

Cette fois je fais face à Aylan. Il a l'air tout heureux dans cette "wingsuit" qu'il a acheté -où mais où il achète ça ?!- et ses cheveux décoiffés par les vents... Mais je ne peux pas laisser passer ça. Il y a des idées trop dangereuses pour qu'il les teste à son âge et/ou sans surveillance. Je dois le lui faire comprendre maintenant avant que ce ne soit l'escalade et qu'il tente quoi la prochaine fois ?!... Se glisser dans un canon géant avant de demander à un Feu de l'allumer ?! Qu'il ne s'achète un hélicoptère et tente de le démarrer dans la cour de l'institut ?!! Je m'approche à grand pas de lui. :

-Est-ce que tu réalises à quel point ça aurait pu mal finir ?! Tu n'es encore qu'initié Aylan ! S'il y avait eu un vent plus fort et que tu avais été emporté ? Tu as un parachute là-dedans pour atterrir en cas d'urgence ? Et atterrir où ? En bas , là au milieu des gens que tu aurais pu blesser ? Dans la forêt, à percuter tous les arbres sur ton chemin ? Et si toi tu avais été blessé hein ?! Personne autour de toi pour t'aider même en criant très fort ?! Quand est-ce qu'on t'aurait retrouvé ? Dans quel état ? ...Si on t'avait perdu...

Je tombe à genoux, devant lui et je le serre fort tout contre moi. Mon petit courant d'Air... si je t'avais perdu... Ah, ça y est... Je suis incapable de me mettre en colère sans pleurer. Je recule un peu pour voir son visage, j'essaie de le recoiffer, les mains tremblantes, encore en train de penser au mille scénarios où Aylan aurait pu disparaître ou souffrir... Sale gosse. Je suis sûre en plus qu'il a des réponses à toutes les questions que j'ai posé... Mais pareil putain qu'est-ce que je m'en fous, j'ai tellement eu peur ! Je renifle, retrouve ma voix plus calme, plus posée. :

-Je sais que tu es pressé mais chaque chose en son temps. Je te promets qu'on s'envolera tous les deux un jour, et si tu veux, je vais regarder où tu peux utiliser ta toute belle wingsuit en sécurité d'accord ?

Je caresse sa joue en essayant de contrôler le tremblement de mes doigts... Il va peut-être me faire une scène, et probablement ne m'écouter qu'à moitié mais il fallait au moins que je lui propose quelque chose de moins... .........de moins dangereux.

Je me relève, reprend un visage plus autoritaire... Non, la conversation n'est pas terminé jeune femme. :

-Terre Titan si j'ai bien compris donc... Ton nom.

Je fais ce que je peux pour rester polie mais j'ai encore les nerfs à vif.

__–S’il y avait bien une personne dont Aylan était attentif aux émotions, c’était Chrys. Elle déployait envers lui un panel d’expressions qui était tout à fait inédit à son encontre. Chrys n’était jamais lassée, jamais en colère, jamais agacée, jamais blasée. Elle pouvait, comme bien d’autres Terraens, être surprise, heureuse, apeurée, épuisée, triste ou angoissée. Mais seule elle pouvait, envers Aylan, être inquiète, soucieuse, attentionnée. Et là encore, elle avait révélé à notre protagoniste un autre sentiment qu’il ignorait. C’était un fort curieux mélange : elle pleurait à chaude larmes, ses guibolles étaient en gelée, sa voix chevrotante mais forte – et étrangement grave.
__–Et bien sûr, il avait une série de réponses à lui apporter, mais il était clair qu’elle n’était pas en l’état d’écouter un débat technique.
__–En fait, quelque chose de grave se jouait là. Aylan ne comprenait certes pas les reproches et les objections de Chrys, il était pour lui en totale maîtrise de la situation et l’avait été du début à la fin, mais il aurait fallu être aveugle, sourd – et autre chose que Tonnerre lunaire – pour ne pas comprendre que quoi qu’il eût fait, il avait fait pleurer sa grande-sœur.
__–Rien qu’à cette idée, Aylan se sentait minable.
__–Et au final, ce fut lui qui eut envie d’exploser en larmes. Ce qu’il ne manquât de faire dans ses bras, après s’y être jeté.
__–« Chui désolééééé… »
__–Aussi, quand Chrys se releva, ce fut avec un Aylan dont les bras allaient autour de son cou, maintenu suspendu par l’air qu’elle générait. Et comme il était occupé à se vider de toute l’eau que pouvait contenir son corps sur l’épaule de sa grande-sœur, il ne comprit qu’à moitié ce qui se passait avec Luna.

__–« Luna elle va nous lancer » okay, non mais aussi, si je mets mes œufs dans un panier où il n’y a plus que l’anse.
__–Enfin, là visiblement les deux aux cheveux blancs ils sont occupés à se chialer l’un sur l’autre et… attendez… Mais ils se ressemblent trop en fait, putain de merde, me dites pas que j’ai balancé son frangin dans les airs là ? Oh. Ouais. Bon bah. Je crois qu’il est plus que temps pour moi de me désolidariser de cette petite aventure. Mais c’était sympa. À refaire. (Non.)
__–J’vais laisser ma chaise longue là, histoire de pas rester plus longtemps que nécessaire hein, je m’en voudrais de les déranger dans leur réunion de famille, c’est plus mes oignons ça, hoOoOOooolàààààà.
__–Alors, j’essaie de pas me faire remarquer et de me diriger vers la porte, tourne la poignée aussi doucement que possible, eeeeeet elle me claque dans la gueule.
__–« Euh puchain cha fait mal… »
__–Et euh… Comment quelqu’un avec des bras fins comme des ramens fait pour tenir un mioche qui fait pas trente centimètres de moins qu’elle au calme comme ça…? Euh… C’est moi qui suis défoncée où l’air vibre genre autour d’elle ? Euh… Euh… Ah… Alors déjà oui, c’est moi qui suis défoncée, mais elle est Air. Et me parle. Elle me parle là, j’hallucine pas. Ses lèvres bougent et elle me regarde. Ouais enfin meuf, si tu veux qu’on ait une discussion, commence par ne pas exploser ma capacité à réfléchir que j’ai déjà bien pulvérisé moi-même en m’envoyant des portes dans la gueule. À tous les coups c’est un truc qui lui a appris Senri ça, si elle le connaît.
__–Bon mais ’faut que je réponde là.
__–« Euh… J’sais pas… »
__–C’était quoi la question déjà ? Sur mon nom, genre ? Quelque part, c’est cohérent que je réponde ça.
__–Ouah j’ai soif sa mère les gens. Je secoue ma cannette. Oh énorme, il reste trois gouttes au fond, je suis sûr je peux les entendre.
__–« Attend j’suis à toi dans, euh… pas longtemps, truc là. »
__–Sauf que je crois que j’ai oublié deux choses.
__–Premièrement, que ma cannette, c’est plus que de l’alu plié là.
__–Secondement, que l’ai bien repéré trois gouttes au fond, mais c’était il y a v’là longtemps en fait, avant que l’autre mioche ne débarque. Du coup forcément là, je lèche le goulot de mon déchet, un peu désespérée que rien ne coule sur ma langue.
__–Ah non mais, quand il s’agit d’aggraver mon cas, j’y déploie des efforts surhumains.
__–Je lui ai répondu à l’autre ou pas là déjà ? Vu comment elle me regarde, euh… p’têt bien que oui, p’têt bien que non. Je me dis, ou elle me fait les gros yeux parce que je ne lui pas répondu, ou elle le fait parce que c’est pas en connaissant mon blase qu’on allait devenir copine. Donc si quoi qu’il arrive, je vais me faire buter, pas besoin de faire masse d’efforts en plus, vous me comprenez ? J’espère, parce que moi non.

Ça me faisait de la peine, de voir mon petit frère de cœur pleurer parce que j'ai paniqué... J'étais encore secouée à cause de l'adrénaline mais je ne refusais pas son câlin. Je n'allais pas lui dire que tout allait bien, pas le rassurer. J'espère au fond de moi qu'il va retenir ce petit moment, qu'il va éventuellement réfléchir à sa prochaine bêtise... bon je n'y crois qu'à moitié par contre. Aylan a une notion dangereuse de "s'amuser", je fais avec la plupart du temps. C'était juste la limite. C'était peut-être la mienne, mais il lui en fallait une avant qu'il ne tente toujours plus. Je le soulevais, aidée par mes pouvoirs pour le maintenir correctement d'une main, l'autre caressant ses cheveux pendant que je cherchais du regard la jeune femme qui-...

...Ben mince où elle- Elle... Elle tente de fuir ?! Sérieusement ?!!

Je lui ai fermé la porte au nez. Bon je n'avais pas prévu de lui éclater ce même nez. J'ai lâché une grimace sans le vouloir... mais une partie de moi était ravie. Un coup dans le nez c'est bien peu de chose quand elle a BALANCÉ UN ENFANT DANS LE VIDE. Non, non. Reste calme Chrys. Si je m'énerve je vais me remettre à pleurer, et là, c'est du sérieux. :

-Tu ne sais pas ton nom ?

J'aurais craché de l'acide ça aurait eu le même effet. "J'sais pas" non mais elle se fout de ma gueule... Ou elle est bien plus intoxiquée que je ne le croyais. Est-ce que ça excuse son geste ? Absolument pas. C'est à cause de gens comme elle que des gens comme moi grandissent sans parents. "Pas longtemps, truc là".... C'est moi qu'elle appelle truc ? Elle secoue sa canette écrasée pour tenter d'y boire quelque chose... Soûlarde. Une soûlarde Titan. Elle pourrait m'éclater d'un revers de sa main mais là, j'en ai plus rien à foutre.

Je fais de grands pas pour me mettre bien en face d'elle, Aylan toujours dans mes bras. Elle est plus grande que moi, je dois lever la tête pour la fixer comme si j'étais prête à l'envoyer dans le ciel d'un mouvement de sourcil, de la même manière qu'elle a balancé mon petit courant d'Air. :

-Pas longtemps, j'espère bien. J'ai hâte de voir ce que pensent les Masters du fait que tu balances des enfants du toit de l'Institut.

Je répète en serrant les dents, faisant vraiment de mon mieux pour ne pas que ma voix redevienne grave. :

-Ton. Nom.

__–Ouah… Je veux bien être complètement stupide, je me suis faite à l’idée à force, mais là elle pousse. Non enfin après j’ai compris qu’elle me portait pas des masses dans son cœur. Ou dans son estime. M’enfin je sais pas, un peu de pitié pour ceux qui sont plus tout à fait en capacité de réfléchir, non, quelqu’un ?
__–Et qu’est-ce qu’elle me bave la p’tite, là. Pfiou, déjà que le conflit ça me gonfle, je suis pas du tout en l’état en plus là, mais elle me cherche, elle me cherche… et appuie sur une corde sensible. Comment lui expliquer… Comment vous l’expliquer, j’ai plus la tête à ça, ni à grand-chose.
__–Je passe ma main sur mon visage. Okay. On va essayer hein, sinon je sens qu’elle va me courir encore longtemps.
__–Basiquement, par chez moi, y’a une règle… Ne jamais parler. Quelque chose est arrivé dans le quartier ? On était pas là. On a rien vu. Ça n’est pas arrivé. Et on règle nos affaires entre nous. Pas de police. Jamais. Et même si les masters peuvent être des gens ultra réglos, des gens dotés d’une autorité, quand ils parlent au nom de celle-ci, c’est en fait elle qui parle et pas eux. Sauf que… L’autorité, c’est pas cool, ’faut être cool. Paix et amour sur la société quoi.
__–« Ahh, chaipas, c’est une bonne question… Je me demande aussi ce qu’ils penseraient du fait qu’on le laisse acheter une wingsuit et la mettre. Puis c’est pareil, ils penseraient quoi du fait que tous les trois jours, j’ai ou ses panards qui traînent sur ma fenêtre, ou je le vois escalader le mur de l’institut avec zéro sécurité quand je suis posée sur mon balcon ? Ou encore, j’en sais rien, le fait que selon ma p’tite sœur on ne le voit jamais pointer son cul en cours et que à chaque fois que je vais me promener, je le vois traîner dehors alors qu’il devrait y être ? Ah… Ou y’a cette fois aussi, où je me suis rendue compte qu’on m’avait piqué des poivrons et le même jour, une odeur de poivrons grillé s’est échappée de l’étage du dessus… Tu sais, celui des Airs… Je dis pas, c’est peut-être une coïncidence, mais c’est curieux quand-même… Surtout que la rumeur des disparitions d’objets et de bouffe depuis qu’il est là, elles se sont multiplisées. »
__–Hé ouais meuf. Quand t’appelles les flics, ’faut assumer. J’aime pas trop mettre leur nez dans leur merde aux gens, mais c’est elle qui a commencé. Puis à un moment, tu veux jouer la grande-sœur responsable ? Mais y’a pas de problème, je suis passée par là aussi.
__–« Après j’dis pas, je m’en fous, il m’aurait demandé je les lui aurais filé de bon cœur, pareil c’est pas mon problème ce qu’il fait de ses journées, ni comment il gère ses trajets entre chez lui et les apparts qu’il veut dévaliser, hein. Après, bon… Pose-toi les bonnes questions meuf. Franchement. C’est qui de nous trois qui prendra le plus cher, si t’en fais un patacaisse ? Moi, lui ou toi parce que tu vas te détester de l’avoir foutu dans la merde ? J’dis ça pour toi… »
__–Puis je sais pas merde, un peu d’éthique. Je n’ai jamais balancé Aylan – okay mauvais choix de mot, je ne l’ai jamais dénoncé, on va dire –, lui ne l’a jamais fait alors que ça ne m’étonnerait pas qu’il sache ce qu’est de la beuh, chacun nos délires, y’a pas de problèmes, on reste bons voisins.
__–« C’est genre… Ton p’tit frère ou je sais pas quoi ? Ah ouais, tu me diras, t’es peut-être pas sa responsable légale ou je-ne-sais quoi, m’enfin lui c’est un gosse, il est pas responsable de quoi que ce soit, c’est le principe. Si tu veux m’engueuler, voire me dénoncer, libre à toi… mais ’faut que tu sois prête à assumer ce que ça veut dire en terme de responsabilité envers lui, quoi. »
__–Okay là je deviens limite méchante. Et ça ne va pas en s’améliorant. Je m’approche d’elle. La regarde de haut. J’fais facile quinze centimètres de plus qu’elle et mon unique bras est plus épais que les deux siens réunis. J’aime pas spécialement faire la meuf et montrer mes gros bras, mais si ça peut l’impressionner assez pour qu’elle monte pas plus dans les tours, ça me va.
__–« T’es prête à aller jusqu’où ? Hm ? Pose-toi les bonnes questions avant d’venir me chercher. »

Si vous me connaissez, vous savez que j'ai tendance à fuir la confrontation... A une période, dès que quelqu'un haussait le ton avec moi, je partais, purement et simplement. Il y a des choses qui sont restées ; je lève rarement la voix, je ne m'avance pas si quelqu'un essaie d'entamer un débat et dès qu'il y a des violences, je me ratatine plus vite qu'un soufflé au fromage raté. Je sais pas si c'est parce que je mûris, parce que j'ai un peu plus confiance en moi ou parce que l'Étoilisation a débloqué quelque chose en moi, mais là, j'avais décidé de ne pas fuir face à la Titan. Oui, donc, Titan ahah... J'ai déjà entendu d'autres terraens dire que les Airs étaient "cheatés" mais alors je soupçonne ces gens de n'avoir jamais vu un Titan soulever quoi que ce soit qui pèse plus de cinq cent kilos. Je peux être Guérisseuse de ce que je veux, si elle décide d'envoyer ma mâchoire en aller-simple vers Tombouctou... beh j'ai plus de mâchoire. Et pourtant... Et pourtant y'a pas moyen que je la laisse partir l'air de rien après ce qu'il vient de se passer. Avec ou sans mâchoire, j'arriverais à la balancer d'une manière ou d'une autre.

Alors que je partais dans l'idée d'y perdre la moitié de mon visage, voilà qu'elle se lance dans un long discours... et franchement pas aussi dénué de sens que je m'attendais. Elle soulève un point important tout de même, c'est qu'Aylan n'est pas tout blanc non plus. Il ne va pas en cours -en même temps, il en a moyen besoin-, il vole de la nourriture -parce que ça l'amuse- et la plupart du temps oui, il se met en danger sans l'aide de personne. Mais à mes yeux, ce n'est pas une raison. Ça n'excuse ni l'acte de la jeune femme, ni ceux d'Aylan. Il y a eu faute, point barre. J'apprécie moyen le fait qu'elle essaie de me faire culpabiliser avec cet argument, comme si dans ce cas le "mettre dans la merde" était mauvais... Dans ce genre de situation, pour ces bêtises, la seule personne qui met Aylan dans la merde, c'est Aylan. C'est pas faute de lui avoir dit que s'accrocher dans le vide à une corde et ne pas aller en cours n'était pas bien. Et la seule à s'être mise dans la merde en lui cédant un voyage "vingt mille lieues au-dessus de la mer", beh c'est elle. Dis donc, je suis pas collabo hein, on est en train de parler d'envoyer un gosse dans le ciel !

Alors je zappe la plupart des questions rhétoriques pour répondre à son "Pose-toi les bonnes questions, meuf.". :

-C'est tout réfléchi. Merci de te soucier de moi. je penche la tête sur le côté. Mais j'ai aucun scrupule à aller parler des débordements d'Aylan, des débordements d'enfants d'ailleurs, si ça peut punir les actions d'une adulte qui est sensée être responsable. ...Et depuis quand faut-il avoir un lien de parenté pour s'inquiéter de la sécurité d'un enfant ?...

Elle a une petite sœur en plus ? Je pense qu'elle apprécierait moyen que je la fasse flotter bien haut au-dessus du sol. ...Bon je vais pas le dire à voix haute par contre ça, j'ai miraculeusement encore ma mâchoire et puis c'est affreux de menacer les proches des autres. :

-Aylan n'est pas mon petit frère de sang, je ne suis pas sa responsable. Je suis son amie et je tiens beaucoup à lui. C'est un enfant et le moins que je puisse lui offrir en étant adulte c'est de l'amour et la sécurité de grandir heureux et en bonne santé, pas le balancer dans le vide. Je ne peux pas le punir comme le ferait une mère ou une sœur, les Masters le peuvent... Peut-être que je serais punie aussi pour ne jamais réussir à l'empêcher de faire des bêtises, mais je l'accepterais parce que c'est vrai. Je n'ai pas d'autorité sur lui. S'il faut ça aussi pour que tu fasses face aux conséquences de tes actes, beh allons-y tous ensemble... La Salle des Masters n'est pas loin après tout.

Je hausse les épaules. Elle pensait que je la cherchais, elle me donne pas son nom, beh tant pis hein. Je suis prête à aller jusqu'où ? Ben voilà sa réponse.

__–Si Luna, au fond, s’en tamponnait le coquillard de se faire passer un savon, c’était très loin d’être le cas d’Aylan. Après tout, c’était lui qui avait le plus à perdre. Soulever tous les points que cette vile traîtresse de Luna avait dévoilé à Chrys allait avoir des conséquences très graves : peut-être l’obligerait-on à aller en cours, voire lui confisquerait-on son kit de crochetage, son grappin, sa wingsuit. Si notre protagoniste pouvait admettre, sans vraiment en comprendre la raison, qu’il fallait qu’il limitasse les actes que les adultes pouvaient considérer comme dangereux, s’emparer de ses précieuses possessions était un autre niveau.
__–« Euuuhhh oui mais moi j’ai pas du tout envie d’y aller, et puis je vous aime bien toutes les deux et j’ai pas envie qu’on vous engueule… Puis c’est pas vrai que je suis un enfant pas responsable ! J’ai douze ans d’abord ! Pis Luna elle pouvait pas savoir, c’est moi qui lui ai demandé et puis elle a pas voulu alors j’ai insisté et… et j’ai menti en lui disant que j’avais eu l’autorisation et… »
__–… Et là s’arrêtait sa capacité à émettre des sons intelligibles entre deux poussées de larmes.
__–En vérité, plus que la crainte pour ses biens, qui dans le fond n’étaient que de vulgaires objets, de la simple matière, cette situation évoquait à notre protagoniste des choses bien sombres de son passé. Déjà auparavant une fille qu’il aimait avait risqué une punition par sa faute. Aylan se souvint alors de la voix, du visage de Miguel, qui s’était sacrifié, avait menti pour la couvrir et enduré la sentence à sa place. Parce qu’Aylan, ne sachant pas quoi faire, était allé pleurer dans ses jupes. L’avait supplié de trouver une solution.
__–« C’est ok de faire de la merde. Juste entraîne personne avec toi dedans. Souviens-toi de ça pour la prochaine fois. »
__–Et l’état déplorable dans lequel son grand-frère avait fini, les ravages sur son corps qui avait été provoquées par la faute d’Aylan, l’avaient pour longtemps dissuadé de se montrer aussi insouciant du sort des autres.
__–« C’est moi qui irai. C’est ma faute. Ou alors personne n’y va. C’est pas juste que vous soyez punies alors que vous avez rien fait. »
__–Sur ce dernier point, ni Chrys qui avait toujours une dent contre Luna, ni Luna qui estimait Chrys responsable d’Aylan, n’auraient été d’accord. Et elles auraient eu raison. Mais il ne fallait pas demander à notre protagoniste un raisonnement strictement logique.

__–Okay, il m’impressionnent, tous les deux. Ah comme quoi, jamais de la vie sous-estimer quelqu’un, ici, on est sûr de se planter. (Moi pareil, mais dans l’autre sens : je suis toujours plus une glandue que ce qu’on pense.) Je pensais pas que la p’tiote Air serait capable de ne pas bêtement s’énerver et d’aller à ce point au bout de sa pensée. Ouah la vache, ça veut dire qu’elle doit vraiment pas me blairer. Et que le lien qu’elle a avec ce mioche est sacrément costaud.
__–Puis en parlant de lui, y’a des trucs que je reconnais. Il a déjà vécu cette situation. Il a déjà fait ce qu’il ne fallait pas faire dans ce cas-là. Il a eu envie de se racheter et s’est probablement promis à lui-même de ne plus jamais se faire honte comme il s’est déjà fait honte par le passé. Ça fait beaucoup sur des épaules aussi petites. Après, c’est un gamin de Terrae. Il a sûrement vécu des trucs pas jojos du tout avant de venir ici. J’aimerais pouvoir te dire que je te comprends et te soutiens, p’tit gars, qu’en fait je vous comprends et vous soutiens tous les deux – même, non surtout contre moi –, mais y’en a une qui a pas l’air prête à entendre quoi que ce soit de ma bouche. Hé, je la comprends. Puis t’façons je suis un peu trop déchirée pour aligner deux pensées cohérentes.
__–Et puis, ça a l’air d’être une affaire entre eux, maintenant. Déjà, j’ai un peu trop bu et fumé pour supporter plus longtemps d’écouter autant de paroles d’un coup – ouais je sais c’est un comble sachant que c’est moi qui ai le plus parlé là, mais justement, je suis pas capable de réitérer l’exploit. Ensuite, ouah mais qu’est-ce que je m’en bats les ovaires, sérieusement. Hé, si je voulais la dissuader de me balancer, je m’y serais pas prise comme ça. … Alors, je ne sais pas comment je m’y serais prise, mais pas comme ça. T’façons, ce qui est fait est fait, ’faut assumer. Je vais pas lui sortir un laïus sur le fait qu’il ne faut pas se défiler devant les conséquences de ses actes pour ensuite essayer de me défiler moi.
__–« Bon ben si vous avez plus besoin de moi, je me casse. »
__–Un jour, je vais apprendre à fermer ma gueule. Un jour.
__–« Gamin, jamais de la vie je te laisserai y aller seul, si au final vous décidez d’y aller. »
__–Ouais, mieux.
__–Non mais, sans déconner. Je suis sûre que je prendrai cher, hein. On est tous prêts à assumer les conséquences de nos actes ici, donc en plus aucun de nous trois ne va chercher un seul instant à se défendre.
__–« J’habite, euh… septième porte en partant du couloir, de mémoire ? T’façons y’a mon nom dessus. Lui, il le connais. Là il faut que, euh… ben déjà je prenne une douche et puis on verra. »
__–Et si l’autre là maintient la porte toujours fermée avec ses courants d’air, je la pousse un peu plus fort. Étoile contre étoile, ce serait marrant de voir qui gagne, tiens.

En écoutant Aylan, j'avais d'abord tenté de lui sourire, mais s'il a eu le temps de s'afficher, il a dû vite partir... J'ai eu du mal à comprendre d'où lui venait cette panique jusqu'à ce que je saisisse un peu mieux son "je vous aime bien toutes les deux"... Je n'ai juste aucune idée des épreuves qu'il a dû traverser avant d'arrivée à Terrae. Oui, je suis pas complètement débile, un enfant qui sait se servir de matériel d'escalade et qui est capable de crocheter une serrure, je suppose qu'il a pas reçu que de l'amour... Mais il est si petit, je suppose que j'ai voulu fermer les yeux là-dessus. Je suppose... qu'en lui faisant croire que je ne le voyais pas, il pouvait se sentir comme un vrai petit garçon. Il n'a que douze ans mon petit courant d'Air et il se dit déjà "responsable"... quelque part ça me fend le cœur. Il dit que soit il ira, soit personne n'ira, avec une détermination si pure dans la voix que j'ai l'impression qu'il utilise ses pouvoirs Sonores mais non ; c'est comme si c'était une question de vie ou de mort pour lui. Je souffle en passant une main dans ses cheveux que je repousse pour embrasser son front à découvert.

Je le repose par terre ; c'est que je sais plus où j'en suis avec tout ça ! On y va, on y va pas ? ...On fait un barbecue sur le toit de l'Institut ?! C'est la Titan qui désamorça la situation en disant d'abord qu'elle comptait se casser... J'ai haussé un sourcil, l'air de dire que non en fait, madame, la conversation n'est pas terminée mais elle enchaîne avant que je n'ai le temps d'expliquer... Si Aylan y allait, elle n'allait pas le laisser tout seul. Donc, elle aussi a compris. C'est bizarre, j'aurais cru qu'elle aurait été trop... disons... enivrée pour comprendre quoi que ce soit mais BON. Je vais pas refuser cette "interlude" qu'elle nous offre -parce qu'il s'agit bien d'une interlude le temps de sa douche, je vous le garantis- et j'arrête tous les courants qui maintiennent la porte. Je dois avouer que je n'ai pas l'habitude d'utiliser mes pouvoirs aussi forts, je suis un peu fatiguée. :

-Merci... Nous ferons vite.

Et qu'elle soit encore là ou pas, je m'en tape. Je me tourne vers Aylan. J'ai de la peine... Pour lui, je dois être une grande soeur bien ennuyante. :

-Si tu sais que ce que tu fais peut créer des ennuis, pas qu'à toi, mais à d'autres, pourquoi tu le fais ? T'es pas si bête Aylan. On peut tous manger à la cafét' mais tu voles des gens qui ont peut-être payé pour ça, des choses pour lesquelles ils économisent et qu'ils trouvent précieux. Tu ne vas pas à l'école et je comprends que c'est peut-être ennuyant pour toi, mais il n'y a pas que ça, l'école ça peut te donner des copains, ça te donne un rythme pour dormir et manger sainement. Tu insistes et tu mens pour que quelqu'un te jette du toit... Même si tu sais ce que tu fais... tu comprends qu'on ne le sait pas tous ? Moi, je t'ai vu tout là-haut et même si je t'ai vu faire d'autres choses dangereuses, et tu as peut-être fait pire dans ta petite vie, mais est-ce que tu comprends que ça m'a fait peur ? S'il t'était arrivé quoi que ce soit, madame la Titan aurait eu beaucoup de problèmes...

Je m'approche de lui, prends une de ses mains. :

-Je dis pas que tu n'as pas le droit de t'amuser... Je veux te rappeler que tu n'es pas tout seul Aylan. Moi je tiens à toi. Terrae a des gens qui essaient d'être heureux aussi. ...Alors on ne va pas aller voir les Masters d'accord ?

Je le prends dans mes bras, encore. :

-Mais on va aller s'excuser auprès de la dame d'accord ? Toi parce que c'est effectivement pas bien de mentir... et moi parce que je me suis mise en colère.

Je grimace... Oui ça me fait chier d'aller m'excuser mais si ça peut éviter plus de problèmes, faisons ça.

__–Il fallait bien se rendre à l’évidence pour Chrys : Aylan n’était pas, n’avait jamais été et n’allait plus jamais être un petit garçon ordinaire. Comme dirait Bill Waterson, on peut sortir un tigre de la jungle, mais la jungle ne quitte jamais le tigre. En parallèle, il fallait bien qu’Aylan se rendisse à l’évidence qu’il n’en restait pas moins effectivement un petit garçon que si la jungle ne quitte jamais le tigre, le tigre peut être sorti de la jungle.
__–En vérité, il avait déjà pris plus ou moins conscience de l’énorme différence de référentiel entre lui et le reste des Terraens. Mais jusqu’ici et quelque part c’est bien normal, Aylan n’en avait pris que les bons côtés : aucune punition ne pouvait l’atteindre vu que les châtiments corporels et l’enfermement étaient proscrits et ils n’avaient pas de proches à châtier à sa place. Les sécurités étaient, mis à part la présence de pouvoirs, inexistantes. Les serrures simplissimes à crocheter, parfois les portes n’étaient-elles même pas fermées, pas de caméra, de gardes et leurs chiens, aucun dispositif technique et les voyants et télépathes avaient bien souvent mieux à faire que d’être vigilants aux appartements des autres.
__–Peut-être un juste milieu était-il à trouver. Chrys avait bien démontré que c’était urgent. Mais de son côté, Aylan était dans l’état de confusion le plus total. Quelles étaient ces limites qui devaient être mises ? Où, et comment ? Lui-même n’en savait rien, qui allait le lui dire ? Au Centre, celui qui s’était chargé de son éducation avait été Miguel pendant un certain temps, aussi Aylan avait-il l’habitude que ce fût les grands-frères et sœurs qui s’en chargeassent. À la différence près qu’Aylan vivait en permanence avec Miguel, or le petit Air avait besoin, comme tous les enfants de son âge en vérité, d’une supervision permanente. Visiter Chrys, même plusieurs fois par semaine, serait insuffisant pour cela. Qui serait là pour le faire se lever le matin pour qu’il aille en cours, limiter son temps de jeu sur Starcraft II, le réprimander quand il se mettait en danger, surveiller qu’il mangeait sain et équilibré, lui apprendre diverses choses et participer à son enrichissement intellectuel et physique en faisant des activités avec lui ? Mais Aylan pouvait-il lui demander d’emménager chez elle, d’imposer sa présence et l’attention qu’il requérait ? En vérité, Aylan n’osait pas. Ils ne se connaissaient, dans le fond, que depuis quelques mois et s’ils avaient pu nouer en tout ce temps une relation solide, ce n’était pas encore comparable avec la relation qu’il entretenait ses compagnons du Centre ; à être noué par les liens de la vie en commun sur des années et à avoir bravé les pires difficultés et même la menace de la mort ensemble.
__–Mais ils n’étaient plus là.
__–Même dans les bras de Chrys, Aylan se sentait seul.
__–« D’accord… »
__–Il pouvait marcher, mais pas encore s’arrêter de pleurer.