__–Au final, le contact avec le bras de Misao fut tout à fait apprécié par Karen. C’est que, cette fois, il avait eu la politesse de lui demander.
__–« Nan ça va c’est bon t’inquiètes. »
__–Enfin, elle ne se sentait pas encore de lui dire merci ; c’est qu’après tout, c’était de sa faute si elle avait fini dans cette situation. Le moins qu’il pouvait faire, c’était de lui rendre service. Et en plus de cela, il s’excusait. Non vraiment, cela ne finissait pas si mal. Si on excluait sa tentative de faire ami-ami, que je trouve quelque peu ridicule, si vous voulez mon avis…
__–Ben on l’veut pas.
__–Oh, très bien, je comprends.
__–« J’m’appelle Karen. »
__–Enfin, tout de même, l’absence d’hostilité ne veut pas dire vouloir engager le dialogue pour autant. Il y a des limites.
__–Alors que l’hôpital apparut dans son champ de vision, un sentiment de gêne difficile à cerner poignit en Karen. Soyons sérieux : qu’allait-elle dire à l’hôpital, qu’est-ce que ce « Misao » (encore un prénom fort étrange, les gens ne pouvaient-ils pas s’appeler normalement, dans ce pays ?) allait bien pouvoir raconter ? Qu’elle s’était assommée toute seule après avoir tenté de lui mettre un poing ? Honte. Disgrâce. Embarras.
__–« Euh c’est bon hein, j’peux marcher toute seule en vrai, j’sais où il est là. Genre ça va, j’t’ai assez emmerdée, j’suis pas un bébé et j’suis pas mourante non plus quoi. »
__–Effectivement, il ne restait plus que quelques pas à faire et Karen pouvait les faire sans dodeliner de droite à gauche. Enfin tout de même, cela restait un au revoir bien peu satisfaisant. À condition, bien sûr, que celui-ci voulût la lâcher, ce dont on aurait pu douter. Il manquait un petit quelque chose…
__–« Et, euh. Merci. Et pardon. Et, euh… Voilà quoi. »
__–Je n’aurais pas dit cela, mais ce n’est pas moi qui décide. Il était en tout cas apparent, au vu de la confusion et la brièveté de sa dernière réplique, que Karen était bien peu habituée à s’exprimer de la sorte. Ce Misao était, en quelques sortes, un privilégié.

Finalement, quelque chose qui a dramatiquement mal commencé — c’est la première fois que Misao assomme quelqu’un sans le toucher, généralement il tape suffisamment fort pour avoir mal aux jointures et là il a de vraies raisons de s’en vouloir ptn — ne continue pas trop… mal. Enfin, elle a toujours pas l’air super emballée, mais pour sa défense, tout ce qu’il vient de se passer est complètement débile et hors norme donc que dire ?

Misao acquiesce quand elle donne son prénom. Elle… a un peu une tête de Karen, faut dire. Ça explique des choses, c’est sûrement ce qu’on appelle le karma. Ou vraiment pas de bol.

… Bon peut-être qu’il l’a jugée un peu fort.

… Non mais en même temps il est Feu, il y peut rien.

—Tu m’emmerdes pas, t’es blessée à cause de moi et je préfère attendre que tu sois entre de bonnes mains. Je viendrai pas te tenir la main parce que tu as pas l’air d’avoir envie que je reste, mais laisse moi t’accompagner jusqu’à ce que tu sois prise en charge s’il te plaît.

Ils arrivent en vue de l’hôpital. Y sont presque. … Et elle s’excuse. Misao cligne des yeux, surpris puis honteux. Vraiment très, très honteux. Il se racle discrètement la gorge.

—C’est rien, t’inquiète… J’ai été con et j’ai abusé. Désolé. (Il fait une pause, hausse un sourcil.) Bon, on est arrivés. Donc. Je te laisse là, ou je t’accompagne à l’intérieur ? Fais gaffe, parce que je vais m’assurer que tu ressortes pas direct.

Il a bien compris qu’elle avait pas envie d’aller à l’hosto, hein. Franchement. Bon. Il culpabilise, donc vraiment, s’il pouvait s’assurer que sa connerie soit réparée au mieux pour elle, il le ferait.

—Si jamais, je suis dans le dortoir des Feux. Si t’as besoin d’un truc, une fois. Ce sera pour me faire pardonner.

… Ouais, genre si tu dois péter la gueule à quelqu’un, de préférence que je connaisse pas, quoi. (Sauf si c'est Ryu, lui ça me dérange pas.)(...)

__–Voyez-vous, l’ennuyeux pour Karen, considérant son état mental et physique, était qu’elle ne savait absolument pas ce qu’elle voulait. La preuve en actes :
__–« Nan allez ça va j’ai compris viens c’est bon. »
__–Comme on peut s’en douter, cela avait été dit avec le ton usuel de l’adolescent blasé, qui consent à demi-mots sa défaire devant l’adulte, pour lui faire plaisir et qu’il cesse de l’importuner par ses paroles et ses actes. Une manière de céder sans ployer, de conserver son honneur et son esprit de résistance comme d’écourter le pénible moment où la personne en face se montrait prolixe en paroles et gestes autant paternalistes qu’impératifs.
__–Enfin, c’était teinté d’autre chose, d’assez perceptible même pour un Misao dénué de pouvoirs mentaux.
__–En un mot comme en cent, elle n’avait pas envie d’être toute seule.
__–Par contre, si sa présence était souhaitée, elle n’était pas appréciable pour autant :
__–« T’excuses pas là, tssk franchement. »
__–Oui bonjour, j’fais que passer, mon collègue dit de la merde, elle a juste pas envie qu’il s’humilie devant elle alors qu’il fait que l’aider, c’est sa manière à elle très, très niquée de la tête de lui dire qu’elle apprécie ce qu’il fait pour elle et tout, mais ’faudrait qu’elle se l’avoue, c’est compliqué, tout ça…
__–Non mais dites donc, c’est trop tôt, beaucoup trop tôt, respectez la continuité que diable, Karen est encore novice dans ce sujet.
__–Bah raconte mieux connard.
__–Passons…
__–« Pff ouais comme tu veux, viens c’est bon là. »
__–Ce qui, si je prends – à mon corps défendant je tiens à le souligner – en compte l’avis de celui dont j’aurais l’infini déplaisir à partager la compagnie, signifiait qu’elle désirait qu’il l’accompagnât et aurait mal vécu un refus. Heureusement, il lui emboîta le pas.
__–Je devrais aussi, alors que le personnel infirmier prit le relai pour s’occuper d’elle et que le temps de la séparation arriva, vous livrer quelques détails supplémentaires. Au final, lors de leur courte ballade jusqu’à l’accueil, Karen et Misao n’avaient échangé de mots que ce qui avait été absolument nécessaire : des excuses d’un côté et des remontrances sur le caractère superfétatoire de celles-ci.
__–Quelque part, elle aurait voulu plus. Sa proposition finale lui fut agréable. Mieux valait sa compagnie que l’absence de contacts humains. Hmm ? Je veux dire, elle la tint en haute estime et cela lui mit un peu de baume au cœur ; enfin quelqu’un qui s’intéressait à elle et lui proposait de parler pour de vrai, depuis son déracinement. (Ce qu’il ne faut pas dire pour éviter d’autres interruptions intempestives…)
__–« Ouais okay. Bah euh. Au r’voir. »

Finalement, quand on crie pas, tout va mieux d’un coup, hein. Misao retient un soupir de soulagement quand Karen accepte finalement qu’il l’accompagne ; elle semble même balayer ses excuses… Non pas comme une personne qui ne veut plus l’entendre parler, mais plutôt par embarras. C’est marrant ce que l’égo peut faire : on s’écoute plus parler, et finalement on se rend compte qu’on a eu tort tous les deux. Misao lâche un sourire et acquiesce, lui tenant la porte pour qu’elle passe, et expliquant la situation en éludant certains passages, tant pour la réputation de Karen que pour la sienne ; il est déjà connu pour avoir tabassé son beau-frère, ce serait limite si on apprenait qu’une ado s’était blessée par sa faute…

Tout ça pour dire, Karen est bientôt prise en charge. Il ne sait pas trop ce qu’elle a pu penser de sa proposition, ni même si elle en a pensé quelque chose ; il se contente de hocher la tête à son au revoir et lui faire un petit signe de la main. C’est une situation un peu bizarre, qu’il vient de vivre. Faut dire que la meuf est un peu bizarre elle-même, mais il essaie de se rassurer en se disant que ça doit être ça, un ado. Ouais. Sûrement.

Enfin vous voyez.

—Rétablis-toi bien.

C’est tout ce qu’il dit avant de partir et se diriger vers sa chambre. Sobre, cette fois. Ouais.

Bon, faut quand même qu’il bosse un peu plus sur son impulsivité, lui.