__–Des sentiments contraires parcouraient Aylan.
__–Il se rendait alors en direction de la salle où Alice proposait ses ateliers pour les jeunes. S’il n’y allait pas à reculons, ses pas n’étaient pas non plus animés de sa célérité habituelle ; indicatrice de son enthousiasme, qui était par conséquent quelque peu amorphe.
__–D’un côté, c’était l’obligation qui poussait le petit Air à s’y rendre. Pratiquement déscolarisé de son état, Chrys lui avait bien fait comprendre que cette situation n’était pas tolérable pour quelqu’un de son âge et que, s’il était compréhensible qu’il s’ennuyât en cours, il fallait néanmoins qu’il essayât un peu plus d’y aller, qu’il apprisse les choses utiles que le collège pouvait lui enseigner et qu’il en profitât pour faire des rencontres avec des gens de son âge. Il ne pouvait pas rester dans cet état de désœuvrement et conjurer l’ennui des journées par les passer à jouer sur l’ordinateur et accumuler les conneries, qui allaient trop souvent dans les territoires de l’illégal et du dangereux pour sa santé. De cela, Aylan avait fini par en être conscient. Il estimait grandement sa grande-sœur et reconnaissait qu’elle avait raison. Mais ce que son cerveau disait, le reste de son être n’avait pas encore réussi à l’accepter. À défaut d’aller plus souvent en cours, Chrys avait émis comme proposition de rejoindre les ateliers d’Alice. Celle-ci avait déjà une certaine habitude à s’occuper d’enfants ayant abandonné le système scolaire et peut-être, au cours d’activités ludiques où il ne risquait pas de trop s’ennuyer, Aylan se ferait-il des amis de son âge qu’il aurait ensuite bonheur à retrouver en classe.
__–Sur le papier, l’idée était tentante, Dans les faits, notre protagoniste connaissait en vérité depuis longtemps les activités que proposait la nouvellement master. Elles n’avaient jamais réussi à attirer son attention. Aylan n’était pas quelqu’un de très porté vers les activités artistiques. Il ne dessinait pas, ne s’intéressait nullement à quelque art plastique que ce soit, ne lisait que des bandes dessinées et des mangas légers et humoristiques et si sa culture cinématographique était à présent devenue tout à fait respectable, jamais se placer de l’autre côté de la caméra n’avait été ne serait-ce qu’envisagé. Les principales images qu’ils consommaient étaient celles ayant trait au sport, y compris électronique.
__–Mais en dépit de ces doutes, ces hésitations et ces regimbements, la proposition de Chrys disposait d’une qualité qui était loin d’être négligeable : la présence d’Alice elle-même. Ils ne s’étaient jamais fréquentés, mais c’est par son entremise qu’Aylan avait été introduit à tout ce que les pouvoirs de masters impliquaient – et qu’importait qu’elle ne les eût pas encore débloqués alors. En clair, les sentiments qu’il avait à son égard étaient comparables à ceux que notre protagoniste aurait eu envers Serral, Raynor ou Scarlett, Petra Klingler, Keegan Palmer ou Vincent Reffet.
__–Il n’était pas envisageable qu’il lui demandât un autographe.
__–Et comme tous les jeunes qui vouent une admiration pour des sportifs, Aylan ne pouvait pas imaginer un défaut à Alice, Peu importe ce qu’elle allait proposer, ce serait forcément super cool, n’est-ce pas ?
__–En tout cas, c’est dans cet état esprit tiraillé qu’il rejoignit les autres enfants qui allaient entrer et alla se présenter directement auprès d’Alice.
__–Il l’imaginait plus grande.
__–« Euh salut, c’est moi Aylan. »
__–Impossible qu’elle ne connût pas son nom. Après tout, n’était-il pas son plus grand fan ? Quoi qu’il en était, il y avait une intonation étrange dans sa voix. Quelque chose comme de la timidité et une certaine culpabilité : il était ici, après tout, parce que Chrys lui avait fait prendre conscience qu’il avait et causait des problèmes.
__–« Y’a encore de la place pour, euh… ben pour que j’vienne quoi ? »
__–Rien que cela était un signe qu’Aylan n’était pas tout à fait confortable avec la situation. Il avait tendance à imposer sa présence et partir du principe que s’il pouvait physiquement être là, il en avait le droit.

Être nouvellement Master n'était, comme prévu, pas de tout repos. Oh, pas qu'Alice ne tenait pas le rythme, elle avait l'habitude de vaquer d'une activité à l'autre sans arrêt, aider, préparer un cours, donner une directive pour l'atelier qu'elle ne ferait pas elle-même, aller à ses cours, faire ses devoirs, aller boire un verre avec ses amis... et puis apprendre petit à petit le rôle de Master. Rien de si compliqué pour Alice, ce qui la soulageait un peu, mais elle voulait bien faire, prenait des notes, partageait ses questionnements avec Nicolas et Aaron quand ils étaient libres.

Aujourd'hui, c'était atelier crochet pour les "grands". La Terre avait disposé tout le nécessaire sur les tables : pelotes en tout genre, patrons, crochets de différentes tailles, idées de modèles, elle avait tout prévu. Lorsque les enfants arrivent, elle les salue un à un en souriant et leur propose de s'installer. La plupart sont ses élèves habituels, ils se connaissent. Puis arrive une nouvelle tête. Tête qu'Alice a bien trop entendue pour ne pas la reconnaître immédiatement. Avec douceur, Alice lui répond en souriant.

« Bonjour Aylan. Moi c'est Alice, mais je crois que tu le sais déjà. »

Elle hoche ensuite la tête. Elle était surprise de le voir si calme, presque timide et honteux comme s'il avait fait une erreur. Elle en avait entendu sur lui et ça ne ressemblait pas à ce qu'elle savait, et voyait dans les des autres.

« Bien sûr qu'il y a de la place pour toi. Aujourd'hui, on apprend à faire du crochet, est-ce que ça te va ? Tu peux aller regarder les couleurs de laine qui te plaisent pour commencer. »

Elle sourit, avant de le laisser aller vers les tables. Une fois que tout le monde est là, elle pousse la porte sans la fermer entièrement, et viens s'installer avec eux autour de la grande table.

« Bien. Pour commencer, vous pouvez tous choisir un patron d'un ouvrage qui vous plaît. Vous avez des petites formes basiques pour commencer, ensuite on pourra passer à des formes plus complexes et à des ouvrages plus complets. En fontion de l'épaisseur de la laine, vous pouvez choisir un crochet plus ou moins épai, je vous ai fait une petite fiche pour comparer, et vous avez les numéros des crochets écrit dessus. Je vais vous montrer la technique de base. »

Elle attend que tout le monde ait récupéré un crochet, avant de commencer par montrer comment commencer son ouvrage en nouant la laine autour du crochet avec un noeud spécifique, puis le mouvement à répéter pour faire son crochet. LE mouvement est simple, répititif, mais terriblement efficace. Elle s'approche de certains pour les aider et leur faire prendre le coup de main, jusqu'à arriver à Aylan.

« Alors Aylan, tu t'en sors bien ? »

__–Du crochet, donc. Travailler la laine, faire des pulls ? Aylan était ouvert d’esprit, mais l’était-il à ce point ? D’emblée, cela ne semblait pas très passionnant, aussi ne répondit-il rien et alla directement sur une place libre. Il pouvait au moins aller voir de quoi il en retournait, avant de profiter d’un moment d’inattention pour fuir.
__–Il se ravisa sitôt qu’il fût assis. Ces outils, ils les connaissait. Ces formes rigolotes, ces images de peluches qui pouvaient être réalisées avec seulement des outils simples, de la laine et du temps, cet éventail de formes, couleurs et textures… Beaucoup d’informations à assimiler et surtout, d’idées qui lui venaient en tête. Les seules fois où il avait vu autant de trucs qu’ils avait envie de câliner en un seul endroit, c’était dans la chambre d’Ariana… et les yeux de Lola.
__–Fort de son expérience dans les crochets de serrures, Aylan se trouva doté d’une dextérité et d’une finesse largement suffisante pour appréhender le travail de la laine. Un peu d’observation des gestes de la master plus tard, il arrivait déjà à faire s’enchaîner les lignes avec une certaines célérité. Son choix de modèle à réaliser s’était porté sur un hérisson : un boule pour le corps, un cône pour la tête d’une couleur différente, le bout du nez et les détails, rien de très compliqué certes, mais c’était l’objectif.
__–À mesure que sa pensée divaguait – un mouvement aussi répétitif était insuffisant pour retenir toute son attention –, Aylan s’imaginait ce qu’il pourrait faire avec une telle compétence. C’était parfait pour offrir des présents aux gens. Chrys, bien sûr, qui déjà adorait les trucs mignons. Il ne savait pas encore quoi lui confectionner, mais était déjà en train de réfléchir à quel serait le prochain cours qu’il pourrait sauter pour lui faire ça. Et bien sûr, il y avait sa mère, Ipiu, qui l’avait tout de même accueillie chez elle. Le fait qu’elle exprimait très peu ses sentiments et qu’il fût forcé de pénétrer par effraction chez elle pour qu’elle le reconnût enfin comme sien, donnait toutefois envie de lui donner un cadeau un peu moins mignon et plus, disons, humoristique. Il savait tout à fait quel modèle prendre : un facehugger. Une créature parasite. Un squatteur qui en offrait un autre, c’était ton sur ton. Il avait déjà vu passer quelque chose comme cela sur un site de même et le concept lui semblait on ne pouvait plus adapté. Bien sûr, il faudrait qu’il se fasse une création pour lui aussi. Aylan avait toujours voulu une peluche de zergling, or celles éditées par Blizzard ne l’avaient été que pendant un temps très court et les rares encore disponibles d’occasion étaient tout à fait hors de prix. Il ne lui restait donc plus qu’à faire la sienne. Et puis évidemment, il fallait en faire une pour Lola. Décidé à la retrouver, mais n’en sachant pas encore le moyen, il pouvait, à défaut d’avoir quelque idée sur comment faire, au moins préparer son arrivée et lui faire un cadeau de bienvenue. Cela faisait beaucoup de cours qui seraient sautés, ce qui défiait quelque peu le but originel de sa présence ici.
__–C’est donc ce mélange de plans pour sécher, images de peluches et la figure entêtante et omniprésente de Lola dans la tête d’Aylan, qu’Alice pouvait détecter si elle tendait l’attention aux pensées du petit Air. À dire vrai, il était difficile de les manquer, surtout la dernière, tant elle prenait de la place.
__–Il fut surpris et à moitié tiré de sa rêverie quand elle passa derrière lui.
__–« Oui ! J’aime beaucoup, c’est rigolo. J’vais, euh… J’vais faire des cadeaux pour ceux que j’aime. »
__–Sa voix s’était certes affaiblie, mais elle était aussi devenue quelque peu chevrotante. Aylan regrettait presque d’avoir mis de lui-même ce sujet sur la table, tant il était sensible pour lui.

Alice, comme dans tous ses ateliers, reste attentive au comportement de chacun. Elle laisse flotter les pensées les plus importants des enfants dans son esprit pour pouvoir intervenir rapidement si besoin, ou changer son approche sans qu'on ait besoin de lui demander. Tout le monde semble à peu près convaincu par l'exercice du jour. Même Aylan semblait satisfait, pour des raisons qu'Alice évite d'aller fouiller.

L'atelier commence une fois les instructions passées, et Alice passe déjà dans les rangs auprès de ceux qui n'ont pas l'impression d'avoir correctement compris. Elle les aide à faire leurs premiers mouvements, les fécilite, passe aux suivants. Le groupe est majoritairement silencieux, mais dans ses pensées, elle entend un brouhaha constant. Elle capte une image de Chrys venant d'Aylan, une autre de Tomoe, ou encore de Houston, il ne manquait pas d'idées de cadeaux dans la classe. Et puis en s'approchant du jeune garçon, une image s'impose à elle, comme elle s'impose à lui.

Une jeune fille rousse, sans sourire. Il cherchait un cadeau pour cette fille. Alice était certaine de ne jamais l'avoir vue à Terrae. Elle en conclut rapidement que cette jeune femme est une personne de sa vie d'avant. Elle a l'étrange impression de l'avoir déjà vue, mais chasse cette pensée assez rapidement avant de se pencher vers Aylan.

Elle le surprend évidemment pour elle, lui sourit pour le rassurer. Elle hoche la tête d'autant plus souriante quand il lui dit qu'il aime beaucoup.

« J'en suis ravie ! »

Elle s'agenouille à côté de lui en regardant son ouvrage qui avance vite et bien. Elle se permet de regarder la laine qu'il a choisit sans rien dire de plus, juste pour observer son choix. Puis elle tourne la tête vers lui et demande gentiment.

« C'est une très bonne idée, je suis sûre que ça leur fera très plaisir ! Tu penses en offrir à qui donc ? »

Elle pose une main dans son dos, tout doucement, encourageante. Elle s'affiche clairement là pour lui, attentive et prête à l'aider. Non sans évidemment rester vigilente à toute panique ou frustration dans les pensées dominantes des enfants de la salle.

__–Ah, tiens, contact physique.
__–Aylan avait l’habitude d’être câliné – et de se jeter dans les bras – d’à peu près toutes les personnes qu’il croisait, aussi ne le releva-t-il pas plus que cela, si on excepte le fait qu’il était très content que la personne dont il s’était auto-proclamé le plus grand fan se montrât si amicale et familière. Ce qui représentait tout de même beaucoup, il est vrai. On peut donc dire que s’il le releva, il ne l’exprima pas beaucoup. Sauf par un très large sourire. Hm. Comme quoi, je peux vous décrire ses pensées, mais pas forcément les suivre.
__–Il s’arrêta dans son hérisson – c’est qu’il commençait à prendre une forme tout à fait acceptable – et regarda Alice. Elle devait sûrement savoir ce qui ferait plaisir à Chrys, la seule pour qui n’avait pas encore trouvé de cadeau. Et Lola, bien sûr, mais Alice ne pouvait pas la connaître, aussi ce serait futile de lui demander, en plus d’être dangereux pour son équilibre émotionnel.
__–« Euuh, à ma maman et à Chrys, mais je sais pas quoi lui offrir. Tu la connais, non ? Tu sais ce qui lui ferait plaisir ? J’ai pensé à essayer de faire un casque des Daft Punk mais j’ai pas trouvé de modèle en ligne et puis c’est peut-être un peu dur, ou alors un personnage du Voyage de Chihiro ou de L’Histoire sans Fin – ils avaient bien sûr vus quantité d’autres films depuis ceux-ci, mais s’étaient adoptés d’un l’autre devant ces deux premiers, d’où leur valeur symbolique – mais je sais pas lequel choisir. Ah et j’pourrai emporter de la laine chez moi ? J’aurai pas le temps de tout finir. Et puis en fait… »
__–Idée.
__–Stratagème.
__–De quoi faire d’une pierre deux coups.
__–« Tu les gardes chez toi les pelotes ? J’pourrai passer te voir ? »
__–Obtenir du matériau et passer du temps en tête à tête avec l’équivalent pour lui d’une grande célébrité, si l’idée passait, ce serait tout bénèf. Bien sûr, il y avait toujours le risque qu’elle ne gardât pas le matériel de crochet à son domicile, mais il n’aurait alors plus qu’à trouver un autre prétexte. Lui demander des conseils sur un modèle difficile, par exemple – même si ce serait complètement superfétatoire au vu de sa maîtrise déjà très bonne et de la présence de tutos sur Internet qu’il pouvait avaler à la chaîne.

Ellipse - Quelques semaines plus tard, chez Alice.

Le dernier atelier qu'elle avait fait avec Aylan s'était bien terminé, si ce n'est la mélancolie qu'elle avait pu percevoir de ses pensées avant de quitter le groupe d'élèves. Elle savait bien qu'il avait tenté de trouver une technique pour venir chez elle, en contournant, se cassant la tête pour trouver une faille dans son mode de vie pour infiltrer sa maison avec une bonne raison, et profiter de sa compagnie. Seulement voilà, des failles, il n'y en a pas vraiment lorsque la porte est déjà grande ouverte. Alice était prête à recevoir le garçon chez elle dès qu'il en ferait la demande.

Et la demande est venue après une autre déclaration, une autre demande, d'une toute autre mesure. Une réunion de Master a été nécessair epour expliquer la situation et mettre en place un plan d'action. Pour l'instant, rien de concret, de plus concret en tout cas que le travail acharné des Voyants et la possible préparation des membres volontaires pour aider. Un début d'entrainement, des discussions aussi, avec les Masters, avec ses amis. Elle savait déjà qu'au vu de l'implication d'Ariana, elle partirai avec elle. Elle ne savait pas comment ni quand, ni pourquoi elle en était si sûre, mais Ariana voudrait sauver sa fille, et Alice à la fois en tant que Master, mais surtout en tant qu'amie, ne la laisserait pas partir seule. Elle savait déjà qu'elle prendrait part à cette histoire, elle était volontaire pour participer à toutes les réunions sur le sujet.

Alors quand Aylan lui a demandé s'il pouvait venir chez elle pour un ouvrage au crochet, elle a accepté immédiatement. Elle ne le croyait pas assez idiot pour ignorer qu'elle savait - elle savait que tout le monde oubliait qu'elle sait beaucoup, mais pas suffisament sur des sujets aussi importants. Elle prépare son salon avant l'arrivée du garçon. Autour de son peuplier central, elle a rangé les poufs autour du canapé, nettoyé le tapis en toile de jute plein de poils de chats qui ne lui appartiennent pas, rangé le matériel de peinture et les livres d'Adé qui trainaient dans la grande bibliothèque qu'elles partagent. Elle a préparé des sablés à la canelle, un paquet de bonbons vegan mais pas moins sucré que les autres, et tout le matériel est prêt pour faire un chocolat chaud, supplément chantilly guimauve épices et douceur dans le coeur.

Qu'on ne s'y trompe pas : elle aurait fait la même chose si la situation était on ne peut plus normale. Seulement, elle le fait d'autant plus qu'elle sait la situation actuelle. Qu'elle sait qu'Aylan comprend, entend et voit. Quand le petit Air toque à la porte, elle est d'abord surprise qu'il se contente de toquer et ne se permette pas une entrée plus mirobolante. Alors elle se dirige vers la porte pour lui ouvrir et lui adresser un grand sourire, de sa douceur habituelle.

« Bonjour Aylan, je suis contente de te voir. Entre je t'en prie. »

__–Bien sûr, qu’Alice savait.
__–Après tout, c’était Alice.
__–Est-ce qu’Aylan savait qu’elle savait ? Il n’en avait eu aucune confirmation. Un sourd aveugle aurait pourtant compris qu’elle et Ariana étaient amies, qu’Alice était master, qu’Alice était télépathe. Il y avait peu de chances que quoi que ce soit en rapport avec l’affaire qui nous occupe allait lui passer inaperçu.
__–Restait la question épineuse : allait-il lui en parler ?
__–C’était avec cette question en tête qu’il lui avait fait la demande par message téléphonique de passer chez elle pour continuer ses travaux manuels, qu’il avait constaté avec joie une réponse positive, s’était chaussé, avait transféré sur une clef USB les plans de ce qu’il voulait réaliser, était sorti de l’Institut puis s’était dirigé vers cette maison, qui avait bien changé depuis la dernière fois où il y était entré, par effraction.
__–Jusqu’ici, Aylan avait donc eu une expression songeuse. Quand la porte s’ouvrit, elle devint heureuse de voir Alice, puis curieuse de son intérieur et envieuse des sucreries préparées.
__–« Salut ! Ouaah c’est trop bien chez toi ! »
__–Il entra dans le salon, presque timidement. Plus Aylan était fragile, plus il devenait presque timide, soucieux de ne pas déranger, de ne pas prendre trop de place, ne pas être trop expansif. Ce qui lui faisait poser des questions auxquelles il avait déjà la réponse et qui ne lui serait jamais venues à l’esprit auparavant, comme « J’peux m’asseoir ? » – bien sûr qu’il allait en avoir le droit, il était en partie là pour ça –, ou encore « Oh des sablés, j’peux en prendre steup ? » – non sans parfaitement savoir qu’ils étaient là au moins en partie pour lui –, sans oublier le non moins superfétatoire « Ça va j’te dérange pas t’es sûre ? »
__–Vous avez saisi l’idée.
__–Il y eut quelque déballage de matériels et plans, Aylan demanda à Alice si elle avait un ordinateur pour les lire, lui présenta sa clef, se servit quand il y fut autorisé… Puis se posa une dernière fois la question qui lui était entrée en tête dès qu’il s’était levé et qui n’avait pas voulu en sortir.
__–Il lui fallait une réponse.
__–« J’veux faire un truc pour Lola. »
__–Nul besoin de transiger, donc.
__–« Je sais pas quoi, juste. »
__–Les plans confiés à Alice étaient pour un casque des Daft Punk, un hérisson plus élaboré que celui qu’il avait déjà fait et un facehugger, à destination respectivement de Chrys, Ariana et d’Ipiu.

Le bonjour d'Aylan lui tire un sourire, et elle le laisse explorer la maison. La maison qu'elle partage avec sa Lune est composée d'un rez-de-chaussée et d'un étage. En bas, on arrive directement sur une grande pièce ouverte sur tout le bas, avec une petite cuisine en couleurs, une table à manger assez grande, et un coin salon, avec un canapé et plusieurs fauteuils aux airs tous très confortables. Une table basse en bois massif au centre du cercle de confort, et puis surtout, au milieu de la maison : un arbre. Peuplier massif, un peu tordu, avec une branche qui pousse à l'intérieur, proche de la grande baie vitrée qui donne sur le jardin. Un hamac en intérieur, un jardin rempli derrière.

Malgré l'enthousiasme évident du garçon, il semble être bien plus timide qu'à son habitude. Alice le regarde faire tranquillement, suis ses mouvements avec bienveillance. Elle hoche la tête en souriant quand il demande l'autorisation une première fois, puis une seconde.

« Bien sûr, je les ai fait pour toi. »

La jeune femme vient s'asseoir à côté de lui, et attrape un sablé elle aussi, comme pour l'encourager. Elle croque dedans, et s'amuse de sa dernière question, elle sourit un peu plus et cette fois, répond par la négative.

« Tu ne me déranges pas du tout Aylan. Si ça arrive, je te le dirai, mais pour l'instant, tout va bien. »

Après ça vient le moment plus logistique, Alice déballe son matériel, va chercher son ordinateur portable pour Aylan, elle écoute ses projets, regarde les patrons, s'en amuse sans juger et réfléchi surtout à la faisabilité de la chose. Quand vient à voix haute la question du départ, la question qui lui tournait en tête.

« D'accord. Eh bien, on va trouver quoi. »

La voix d'Alice est douce mais ne laisse pas place au doute. Ils vont trouver, un point c'est tout, et ils vont le lui faire, son cadeau. Alice se penche un instant, lance les impressions nécessaire pour les patrons un peu plus compliqué, et puis se tourne vers l'Air pendant que tout s'imprime.

« Tu veux lui faire quelque chose au crochet ? Est-ce que tu as une idée quelconque. Une couleur, un animal, une émotion, quelque chose qui lui plairait ? Ou que toi, tu aimerais lui donner ? »

__–Alice était douce.
__–Le petit Air en était tout tranquillisé, tout apaisé, ce qui était d’autant plus précieux et authentique que c’était là sans le moindre artifice magique. (Une leçon que pourrait apprendre sa mère, mais nous ne sommes point là pour persifler.)
__–Mais, plus que cela encore, Alice était assurée. Elle avait dit qu’ils trouveraient avec la même assurance qu’Aylan l’avait vu dire à Ipiu qu’elle s’appelait Chantal. La réalité même se pliait à une telle injonction de sa part.
__–Aylan hocha de la tête et commença à réfléchir. Il avait fort besoin, en ce moment, de ce roc de détermination inflexible.
__–Une émotion, un animal, une couleur… un symbole en fait, quelque chose qu’ils partageaient…? Quelque chose qui serait mignon comme un hérisson, associé à ses goûts comme les casques des Daft Punk pour Chrys, non sans avoir un ton humoristique et décalé comme avec le facehugger (nul doute qu’Ipiu serait flattée d’être comparée à une reine alien).
__–Il se concentra.
__–Longuement.
__–Sans résultat.
__–Quoique.
__–« Oh mais oui je sais ! Attends j’vais te montrer. »
__–Il ouvrit Firefox et pianota quelques instants, pour afficher un bol – en verre – de cacahuètes – en crochet. Avec de petits yeux et un sourire.
__–« C’est parce que… elle aime le salé. Et c’est mignon. Et chaipas, je trouve ça un peu rigolo quoi… »
__–Et puis, en vérité, il ne connaissait que mal les goûts de Lola. C’est que, le Centre n’était point un lie approprié à ce qu’ils se développassent.

Aylan n'a aucun doute après que la Terre lui a assuré qu'ils trouveraient quoi offrir à son amie. Son amie simplement ? Alice n'était pas Sensitive, mais la place qu'occuppe Lola dans l'esprit du garçon est immense. Mais ce n'était pas ses affaires après tout. L'important, c'était de trouver quelque chose qui lui plairait.

C'était loin d'être évident, encore plus lorsqu'Alice comprend qu'ils n'avaient pas partagé une enfance banale, loin de là. Il ne devait pas savoir tout ce que la jeune fille aimait. Le savait-elle elle-même ? Tout à coup, Aylan s'écrit et attrape l'ordinateur. Alice regarde l'écran. Des bols de cacahuètes. Elle hausse les sourcils, l'air amusée, et scrute la réaction d'Aylan.

Elle aimait le salé. Le bol avait en effet son charme. Et c'était amusant. Alice passe sur le fait qu'une des seules informations importantes qu'il a sur Lola, c'est qu'elle aime le salé. Pas les cacahuètes spécifiquement. Le salé.

« Oh, c'est une bonne idée ! Ce qu'on pourrait faire, mais ça demandera un peu plus de travail, c'est lui fabriquer un vrai bol pour l'intérieur. Le crochet serait comme un "couvre-bol". Et comme ça, en lui offrant, elle a une surprise à l'intérieur. Un vrai bol rempli de cacahuète. Ou de quelque chose qu'elle aime manger. Ca te plairait, comme idée ? »

Elle lui proposait gentiment, se sachant tout à fait apte à lui fabriquer un bol aussi rapidement qu'il le souhaitait, de la taille qu'il voulait. Après tout, elle avait sculpté d'innombrables fois la terre qu'elle fait naître dans ses mains depuis longtemps. Il n'aurait qu'à prendre les dimmensions du bol, crocheter, et se procurer la nourriture.

« J'ai cru comprendre que toi, tu aimes bien les surprises. Ca lui fera sûrement plaisir d'en recevoir une de toi. »

__–Aylan écouta avec attention et considéra l’idée. S’il la comprenait bien, Alice proposait de faire de la poterie, puis de recouvrir le produit d’argile d’une couverture faite au crochet et enfin de glisser dans le tout des plaisirs salés, certains étant des simulacres de laine et d’autres réels.
__–L’idée était plaisante. Elle aurait ainsi de quoi contenter son appétit pour les amuse-gueules et un souvenir impérissable et cocasse, qui pourrait ainsi décorer sa chambre.
__–« Hmmm oui c’est bien ça ! Puis en plus on peut mettre plein de sortes différentes. »
__–Aylan pianota encore un peu sur son ordinateur, jusqu’à afficher plusieurs modèles à réaliser au crochet : une cacahuète certes, fort simple, une pistache dans sa coque, un poil plus technique, des chips, dont le vrai défi était d’arriver à rendre leur subtile ondulation, des noisettes, des amandes, nachos, ainsi de suite. Beaucoup de petits modèles, qui ne brillaient pas par leur complexité mais plus par leur variété.
__–Le projet prenait forme dans la tête d’Aylan, il voyait bien quelles laines seraient nécessaires. Restait à déterminer sa couleur. Le petit Air inspecta la collection de laines d’Alice et en dénicha une bobine d’un vert jade et une autre dans une teinte brillante, un argenté sombre. Tout à fait convenables.
__–« J’pense que celles-là elle les aimerait bien. »
Après mûre réflexion, Aylan en vint à la conclusion que si elles imposaient une contrainte temps non négligeable, ces réalisations n’étaient pas des défis techniques trop grands. Il regardait les modèles et voyait peu près comment s’y prendre. Enfin, un peu d’aide, surtout pour commencer, ne serait pas de trop.
__–À la question de savoir s’il aimait les surprises et de la réaction de Lola, Aylan ne sut pas tout à fait que répondre. Ils ne s’étaient pas vus pendant très longtemps. Elle avait sûrement vécu son lot d’horreurs. Lui avait pour ainsi dire reconstruit sa vie et sa personnalité. A leurs âge, un an et demi, cela représentait plus du dixième de leur existence. Plus qu’une surprise, Aylan voulait lui proposer quelque chose de rassurant. Qu’elle connaissait déjà. Qu’il partageaient déjà. Du connu, qui les renverrait à des sentiments plus simples et à un passé commun, qui participerait à renouer avec la chaîne des temps.
__–Il y aurait plus que des fruits secs et des chips, dans ce bol.
__–« Tu veux faire le bol ? »
__–Une démonstration de pouvoirs Terre. C’était là quelque chose d’heureux auquel assister.

Je laisse à l'idée le temps de faire son chemin dans l'esprit d'Aylan, c'était amusant, de ce qu'elle percevait sans creuser, chaque idée était disséquée avant d'être acceptée. Elle patiente jusqu'au verdict positif du jeune garçon, et elle hoche la tête à son tour. Oui, c'est bien, alors faisons ça.

« Oui bien sûr. Et tu pourras même lui en offrir d'autres si, à un autre moment, elle en a envie ou besoin. »

C'était un cadeau précieux, intemporel, impérissable, qui n'en perdait pas de sa beauté au moment de l'offrir. Quelque chose de pratique, de jolie, et d'amusant hein ? Il cherche ensuite pour trouver des patrons qui lui serait utiles, je les valide pour la majorité, ils ne sont pas particulièrement compliqué, ils demandent simplement un peu de patience... Et un peu d'imagination, ou d'expérience ?

« Pour les formes plates comme les chips ou les nachos, je dois avoir du fil de fer très fin, comme ça tu pourras leur donner la forme que tu veux et ça la gardera. »

Elle sourit doucement au garçon. Elle ne se rendait pas tout à fait compte mais elle solutionnait les problèmes avant qu'ils arrivent vraiment. Elle était là pour ça après tout, Aylan lui avait demandé son aide, elle était donc là pour y répondre. Surtout quand il s'agissait d'une situation aussi sérieuse et délicate. Vient ensuite le choix crucial de la laine pour entourer le bol. Il lui montre des pelottes que la Terre prend le temps d'examiner.

« Hmhm, très bien. Attention avec l'argentée, elle est plus fine que la verte. Si tu ne veux pas que tes mailles soient trop disparates, tu peux doubler ton fil, voir le tresser avant, mais il te faudra faire attention à ne pas t'emmêler avec le crochet. »

Elle lance un clin d'oeil au petit Air, l'air malicieux.

« Rien que tu ne puisses pas réaliser. »

Il fallait simplement le savoir avant pour y faire attention. L'affirmation qu'elle ajoute le teinte de mélancolie, ses pensées ralentissent, ses yeux partent un peu dans le vague, un bref instant, la Terre le sent. Elle s'en excuse silencieusement et aimerait pouvoir l'apaiser un peu, mais il y arrive très bien tout seul. Il lui demande seulement de créer le bol. En silence, elle n'allait pas en rajouter non plus, elle pose en creux ses mains sur les genoux du petit Air.

Délicatement, sans que cela semble lui coûter le moindre effort, elle fait naitre de l'argile d'un beau brun teinté de rouge, qui s'assemble à mesure qu'il naît de sa peau. Le bol se détache de son corps doucement à mesure qu'il prend forme. Un bol simple, comme il le lui a demandé, tout rond, tout équilibré. Elle ajoute avec un voix très douce.

« Tu veux ajouter quelque chose, un mot ou un dessin au fond du bol ? »

__–Aylan écouta avec grand intérêt les conseils techniques prodigués par Alice. Cela ne lui était jamais apparu, mais l’idée de mettre du fil de fer était excellente. Celui ayant trait à la laine argentée lui demanda un plus grand effort de visualisation, pour savoir laquelle des deux options proposées offrirait un meilleur rendu. Doubler le fil serait effectivement la technique la plus simple, mais aurait l’inconvénient de montrer qu’Aylan avait utilisé deux matériaux de finesse inégale. Cela pourrait donner un intéressant effet visuel et tactile, mais encore fallait-il que cet effet fût recherché. Après réflexion, il considéra qu’une apparence plus lisse serait plus appropriée, aussi jeta-il son dévolu sur un tressage préalable.
__–D’autant plus qu’Alice l’encourageait dans cette direction. Un défi technique, il n’y avait rien de tel pour attirer son intérêt. Il lui rendit son sourire :
__–« Ok je fais ça ! »
__–Mais avant, il y avait le bol à faire. Aylan regarda Alice poser ses mains sur ses genoux. Et ce fut comme si un liquide ocre avait été invoqué, saillait des pores mêmes de sa peau. Il prit une belle forme ronde et symétrique, s’éleva dans les airs sous les yeux admiratifs du petit Air. La question d’Alice fut comme le retirer d’un rêve.
__–Il ne trouva pas de réponse. Cette fois-ci, point de grande réflexion, à peser le pour et le contre, point d’investigation prolongée, de revue accélérée de toutes les images qu’il avait en tête et qui pourrait coller. En lieu et place, il prit un papier, un crayon et traça la lettre alif, un signe plus et la lettre lâm : ل + ا ; A + L.
__–« Ça, steuplé. »

On peut dire ce qu'on veut d'Aylan, sa dissipation n'est pas son principal trait de caractère. Non, c'est sa curiosité, capable de surpasser tout le reste pour le mettre dans un état de concentration extrême. Et lorsqu'il a un objectif en plus, il n'y a rien d'autres que les explications, le nécessaire à assimiler et comprendre l'informations, et l'exécution. C'était à la fois fascinant, adorable et un poil terrifiant. C'était tout à fait abordable pour Alice, finalement.

Elle hoche la tête avec enthousiasme à sa réponse, son plan avance, ses idées aussi, c'est bien. Vient l'étape du bol, et la concentration du petit Air est telle qu'Alice ne perçoit que ce qu'elle voit elle aussi avec d'autres yeux. Elle sourit doucement, et lorsqu'elle lui demande s'il a une envie, il n'y a aucune hésitation, même pas un souvenir en surface. Le papier, le crayon, et les formes se dessinnent. Alice sourit tendrement en comprenant ce que ça signifie, sans en avoir le contexte. Sans commentaire, elle grave le fond du bol en reproduisant l'écriture du garçon. Elle pose ensuite le bol sur la table, en face de lui.

« Et voilà. »

Elle laisse plâner un silence, lui laisse le temps de revenir vers elle, et dit presque dans un souffle, avec un sourire.

« Une étape de réalisée. Ca te plaît ? »

Elle lui laissait la porte ouverte : il pouvait lui poser une question, lui répondre simplement, vouloir s'arrêter, ou continuer simplement... ou une autre solution qui lui appartiendrait. Elle se tient prête à le suivre en tous les cas.

__–En vérité, Alice était une des rares adultes – pour être précis, une des deux seules adultes – à pouvoir à la fois appréhender le fonctionnement d’Aylan et être tout à fait en mesure de le gérer. Certains se trouvaient quelque peu démunis, voire désemparés soit par son excitation, sa capacité à aller bien plus au fond de quelque chose qu’on ne pouvait seulement l’envisager, son hyperactivité ou, effectivement, ce certain talent qu’il avait d’être capable d’adresser n’importe quel problème technique et de le résoudre.
__–Il observait avec grande appréciation les réactions d’Alice. Son calme impérial et son contrôle total de la situation était particulièrement appréciable. Canalisateurs, même. Elle n’avait pas besoin d’explications. (Les télépathes, n’est-ce pas.) L’inscription reproduite – sous ses yeux très attentifs à la calligraphie –, il y eut un petit moment de silence, tout à fait agréable pour contempler l’objet… et l’inspecter sous tous les angles.
__–Il était sans défaut.
__–« C’est méga beau. Merci beaucoup. »
__–Avec cela, le cadeau pour Lola serait presque prêt. Il ne restait plus qu’à faire les parties au crochet, ce dont il pouvait tout à fait s’occuper… Mais, on s’en doute, Aylan allait tâcher de rester encore un peu. Pour ses conseils ? Oh, certes, aussi pour la simple présence rassurante d’Alice. Pas trop : il ne voulait pas l’importuner. (Et à ce stade, peu importait qu’il sût ou non qu’il était totalement le bienvenu pour rester.)
__–Nous pouvons, je pense, les laisser là finir leurs travaux manuels et passer au moment où, après avoir terminé ce qu’il avait à faire, s’être levé, l’avoir chaleureusement remercié, avoir rangé ses affaires, Aylan finit sur le pas de la porte d’Alice, prêt à repartir. Il ne s’était que rarement senti aussi calme. Oui, décidément, cela avait été une bonne idée, de venir ici. Il faudrait qu’il y retourne, à l’occasion.
__–« Il faudra que je te la présente, quand-même. »