Huile de massage à la lavande, donc, c'est parti. Je fais mine d'ignorer les regards hautains de la blonde alors que je prépare les flacons de produit, frottant ensuite mes mains l'une contre l'autre pour les réchauffer. Vous savez, quand on a des parents aussi accomplis que les miens et qu'on décide d'être une petite esthéticienne sans prétention, on en essuie pas mal, des regards de dédain. Et j'ai toujours détesté ça - mais dans le cas présent, c'est différent. Je regarde la jeune femme allongée sur la table, et j'ai un peu pitié d'elle. Une adolescente, enceinte, sans personne pour la soutenir et sans doute complètement paumée - ce n'est pas surprenant qu'elle se cache derrière une façade hautaine et désagréable... J'ai de la peine pour elle, mais je sais aussi que dire quelque chose ne ferait qu'empirer la situation.

Aussi je me contente de la masser, en silence. Je prends soin de ne pas appuyer trop fort au niveau du milieu et bas de son dos pour ne pas écraser son ventre contre la table. Sa grossesse ne se voit pas encore, mais ça ne change rien au fait qu'il y a quelque chose - ou plutôt quelqu'un - là-dedans !! Je sens Karen se détendre progressivement sous mes doigts, et comme je suis sympa je rajoute un quart d'heure de bonus au massage - de toute façon je n'ai pas d'autre rendez-vous après. Je finis par ôter mes mains du dos de la jeune femme, parlant à voix basse pour ne pas la sortir trop brusquement de son état de relaxation.

"Voilà, j'espère que ça t'aura aidée à te détendre... Je te laisse te rhabiller, je t'attendrai dans la pièce principale, d'accord ? Prends le temps qu'il faudra pour revenir au moment présent."

J'ai l'habitude que certains clients s'endorment, carrément - du coup ils ont besoin de 5 bonnes minutes pour revenir pleinement à eux, en général !! Je sors donc de la pièce, fermant doucement la porte derrière moi, et passe à l'évier pour me laver les mains en attendant ma cliente - enfin, "les mains", j'ai de l'huile de massage jusqu'aux coude !

__–Comme je le disais tantôt, ce fut ma foi fort agréable.
__–En dépit de toutes les réserves que Karen pouvait avoir à son encontre, cette Alyona connaissait fort bien son affaire et se débrouillait à merveille.
__–Karen ferma les yeux.
__–Ce n’était là qu’une distraction temporaire, mais si douce. L’espace d’un instant, d’un long instant, elle ne pensait plus à ses parents, à son frère, à sa fuite, à ses anciens amis, à ses études, à ce nouvel environnement étrange, aux pouvoirs qu’on lui avait promis qu’elle aurait un jour avec tout ce qu’ils comportaient de terrifiant inconnu, à son, enfin, ses enfants… Nous pourrions nous risquer à dire que le doux contact des mains sur son dos avait en sus quelque chose de rassurant : comme si, malgré tout ce qui lui arrivait, même à l’autre bout du monde, seule, isolée, Karen pourrait trouver quelque instants de bonheur.
__–Cette seule pensée la fit sourire.
__–Elle rouvrit les yeux. Se redressa, s’étira un peu.
__–Karen se rhabilla le plus lentement possible. Trop vite aurait été comme rompre cette douce magie. Elle alla s’admirer dans un miroir de la pièce. C’était très bien.
__–Quand elle revint devant Alyona, elle avait l’air plus calme, plus détendue, plus rayonnante.
__–« Ok bah, c’était super, merci hein. J’reviendrai, c’est sympa ici en vrai et tout là. »
__–Chaud sa mère de faire des compliments, hmm ? Pas l’habitude encore ça.
__–À un moment, il faudra bien que tu cesses tes intempestives interruptions. Il n’en restait pas moins que nous n’étions en effet pas encore dans une période où Karen se rendait vraiment compte du caractère, hmm… niqué de la tête ? Peu adapté au milieu social présent de son comportement.
__–« À la prochaine. »

Karen prend plusieurs minutes à réapparaître dans la pièce principale, aussi j'en profite pour ranger les produits utilisés plus tôt pour ses soins. C'est ma dernière cliente de la journée, je pourrai passer aux thermes profiter d'un petit moment de relaxation bien mérité après ça !

Quand la jeune femme sort finalement de la salle de massage, je nous dirige vers le comptoir pour l'encaisser. Elle a l'air plus détendue qu'à son arrivée, plus sereine aussi peut-être. Un sourire étire mes lèvres, je suis contente d'avoir pu l'aider, ne serait-ce qu'un tout petit peu - et puis, soyons honnête, je suis un peu fière d'avoir réussi à percer sa carapace hein, parce que ce n'est clairement pas la cliente la plus facile à qui j'ai eu affaire !

"Merci ! Je suis vraiment contente que ça t'aie plu. N'hésite pas à repasser à  l'occasion, ou à me donner un petit coup de fil pour prendre rendez-vous ! Tiens, je te laisse ma carte..."

Avec un sourire aimable sur le visage, je lui tends un petit rectangle de carton avec l'adresse et le numéro de téléphone du salon.

Une fois la note réglée, la blonde quitte l'institut, et je lui adresse un dernier signe de la main. J'espère qu'elle reviendra - et potentiellement, qu'elle s'ouvrira un peu plus ! C'est qu'on n'a pas trop papoté, malgré qu'elle soit resté un moment quand même... Mais bon, je ne vais pas me plaindre de m'être fait une nouvelle cliente hein !!