__–Il s’avérait que si, Karen était tout à fait au faite de l’existence de la péridurale, mais toutes les préconceptions qu’elle avait pu avoir à ce sujet, les croyances sur son caractère néfaste, inauthentique ou autres s’évanouirent à l’instant où Aoi lui montra la tête du bébé qui pouvait passer par son vagin. La masturbation est certes un péché, mais Karen avait déjà tenté la chose et s’était très vite rendue compte qu’il ne fallait pas beaucoup d’écartement pour que ce soit déjà très sensible. Elle frotta machinalement sa bague de chasteté. Il y avait une explication bien moins religieuse à la présence de ce bijou à son doigt.
__–« Euh, un peu douloureuses ouais quand-même. »
__–Là aussi, il était fort étrange pour Karen qu’on lui posât cette question. Jamais le mot même n’avait-il été dit à voix haute devant elle, par qui que ce soit, y compris sa mère. Si, une fois, sous la forme d’un euphémisme ridicule à la valeur à peine supérieure à celle d’une métaphore de miel et d’abeilles.
__–« Et genre… j’vais pas être super moche après ? Avec le ventre tout niqué et tout là ? »

—Bon… alors ce sera sûrement plus douloureux que ça, et pas tout à fait le même genre de crampes. L'avantage, c'est que ces crampes ne dureront que le temps de l'accouchement. Pour le reste… il va falloir du temps pour que ton corps se remette. Ca va être difficile de t'assoir durant un moment, et il te faudra des serviettes spéciales parce que tu vas encore saigner quelques jours… Heureusement, ici on a des guérisseurs, donc ça devrait aller plus rapidement dans le processus de soin. Et surtout, on fera tout ce qu'on peut pour que ta convalescence se passe bien.

J'essaie de la rassurer au max. L'avantage ici, c'est que la reconstruction de tout, hum, l'appareillage, on va dire, est beaucoup plus rapide et efficace. J'ai pu m'assoir sans douleur quelques jours après. Ca permet d'être sur ses jambes et s'occuper du petit plus efficacement ensuite.
Sa question suivante est plutôt adaptée à une jeune fille de son âge. J'ai un haussement de sourcil puis un sourire mutin. Je lâche avec un rire en désignant ma taille de mes mains :

—Eh, pourquoi, tu me trouves moche ?! Non, en fait, ne réponds pas à cette question. (Je cherche les ennuis, hum.) Ca dépend un peu de l'organisme de chacun, l'important c'est d'avoir une diète équilibrée et peut-être de faire un peu de sport si tu as envie de perdre. Tu prendras peut-être des hanches et de la poitrine. Il se peut aussi que tu aies des marques de vergetures sur le ventre, qui apparaissent quand la peau s'étire trop vite et n'est pas assez élastique. Il y a des crèmes ou des huiles hydratantes qui sont censées aider un peu, à appliquer pendant la grossesse ; si tu veux je peux te conseiller des produits, mais ça ne fera pas des miracles… Après, par contre, ton ventre mettra quelques temps à revenir à la normale. Il va d'abord pendouiller un peu, être fripé, puis ça se résorbera avec le temps. Tu as l'air assez sportive, je crois ?

Je pense à ses muscles, pas à sa dégaine. On voit qu'elle s'entretient et prend soin d'elle ; mais clairement ça risque d'être une épreuve de voir son corps se modifier comme ça.

__–Bien sûr que si, qu’elle allait y répondre. D’autant plus que se faire entraîner ainsi sur son terrain de prédilection permettait à Karen de penser à autre chose qu’aux horreurs que lui avait dit Aoi. Elle lui lança un regard inquisiteur, le sourcil levé et la moue dédaigneuse.
__–« Bah moche non quand-même, mais tu pourrais faire des efforts quoi. Genreuuh, excuse-moi hein, mais tes bottines là, si tu veux passer pour une MILF ouais d’accord mais sinon c’est pas possible quoi. Ma mère a les mêmes. Puis euh, ton pull là, j’vais pas parler de la forme hein, mais juste la couleur, il faut au moins deux tons en-dessous. Avec ta peau de, euh… ’fin ta peau là, ça se voit pourtant chaipas. Et puis tes lunettes, ça te fait un visage énorme et ça te va pas du tout. Puis tu pourrais faire des efforts sur le maquillage, là c’est juste pour pas qu’on voie que t’es vieille. Et ouais je fais du sport genre, mais toi t’en fais ? On dirait pas et ça te ferait du bien. C’est du 31 ou du 32 ton pantalon ? C’est peut-être du 33 ceci dit… »
__–Pour ceux plus accoutumés aux mesures françaises qu’américaines, cela voulait dire entre du 40 et du 44 – ou pour les japonaises, entre du 15 et du 17.
__–« J’pourrais t’en conseiller à toi aussi des produits j’crois là… »

Woah mais des fois faut que j'apprenne à me taire, en fait, l'humour ça marche vraiment pas sur elle. Cette fille a aussi peu de retenue qu'Ipiu et Aaron réunis, mais la tronche de bitch en prime (quoique, eux aussi des fois...). C'est vraiment un truc de Tonnerre, je crois, d'être des complets inadaptés sociaux. Comme dirait Allen : j'suis pas venue ici pour souffrir mdr. Je relève la tête et baisse les yeux pour l'observer, de haut ouais. Et je souris en coin. Plus je souris, plus je suis énervée, c'est bien connu.

—Oh je te remercie pour tes conseils excellents, quoique t'es encore largement insultante, surtout vu ce que tu portes aujourd'hui et ta tête épuisée. Dormir, ça fait du bien, tu sais. Dans tous les cas, je suivrai avec attention ton état après ton accouchement pour savoir comment tu te débrouilles de ton côté. J'ai hâte de voir. Cela étant, la prise de poids ça dépend en grande partie de la génétique, on n'y peut rien, hélas... Enfin ! Je note pour la couleur du pull, j'y penserai. (Pour de vrai, oui.)

Est-ce que je suis en train de sous-entendre "bon courage si ta mère a pris 10kg pendant sa grossesse" ? Ouais, à fond. Penses-y bien fort. En tout cas, je lui rappellerai bien qu'elle a plus une taille de guêpe quand je prendrai son poids lors des consult', à cette p'tite reloue désagréable. D'autant que je suis une MILF. Je suis une mère. Je fais du sport. Huo est content, j'suis contente, ça devrait suffire. Enfin, dans tous les cas, entre les cernes et la fatigue après avoir eu bébé, bon courage. Le temps de la vengeance viendra, si tant est que je me souvienne qu'il faut que je la défonce verbalement d'ici là. Si elle s'autorise ça avec moi, j'imagine pas avec les autres. Je crois que c'est pour ça que je m'autorise à la tacler à chaque tacle. Qu'elle ne prenne pas trop l'habitude, avec moi.

... Bon, c'est un peu puéril, mais au moins j'ai pas insulté sa mère à voix haute. J'aurais pu. J'y ai pensé. Et puis, elle dit qu'elle me trouve pas moche, donc j'vais me consoler avec ça dans ma vexation. Je tape donc doucement mes mains l'une contre et continue à sourire, toujours avec enthousiasme.

—Bon ! Après cet interlude charmant, est-ce que tu as d'autres questions, ou on peut passer aux miennes ? J'en ai besoin pour pouvoir t'examiner correctement.

__–« J’crois que tu peux noter d’autres trucs hein. »
__–C’est qu’étant la cadette, Karen n’avait jamais pu constater l’état dans lequel sa mère avait fini après ses grossesses. Ce n’était pas vraiment un sujet de discussion qu’elles avaient, en outre. Pas qu’elles en eussent aucun.
__–« Ouais alors euh y’a pas besoin d’être aussi passive-agressive là, j’dis ça pour t’aider hein. Mais nan ça va là vas-y fais tes trucs c’est bon. Ça m’saoûle. »

Mon sourire s’étire en coin et je hausse un sourcil.

—J’ai tendance à répondre un peu comme on me parle, mais je ferai l’effort de te penser bien intentionnée dans ce cas. Excuse-moi de m’être emportée.

Je me lève pour faire le tour du bureau et m’installer derrière l’ordinateur pour entrer les informations au fur et à mesure :

—Déjà, si tu veux bien me donner ton poids, ta taille… Si tu te souviens de la date de tes dernières règles, la date de ton dernier rapport,… Ensuite je vais sûrement te faire faire une prise de sang pour vérifier si tu n’as pas une infection sexuellement transmissible et ton état de santé global. On peut attendre demain pour ça si tu le souhaites, sinon ça prendra juste quelques minutes.

Je continue à prendre des notes, puis attend qu’elle m’ait répondue pour croiser mes mains devant moi et lui demander :

—Est-ce que le père de l’enfant est au courant ? Et plus important, tu souhaitais le garder ? Tu te sens en capacité de l’avoir, de t’en occuper ?

Il est évident qu’il est trop tard pour avorter aujourd’hui, mais la question se pose malgré tout. On ne la gèrera pas de la même manière si elle ne souhaite pas le garder après...

__–« Ouais ben moi aussi j’réponds comme on m’parle hein. »
__–Passons. Karen connaissait bien entendu par cœur ses mensurations et les donna à Aoi. De même pour ses dernières règles – 23 juin – et le jour fatal du « dernier rapport » – 7 juillet. Qu’il soit évoqué dans des termes aussi médicaux lui faisait étrange. Elle n’avait pas mis de mots dessus. Elle ne se souvenait, en fait, même plus de cette soirée.
__–« Nan c’est bon on l’fait maintenant ça va. »
__–Restait les trois terribles questions. Karen, on s’en doute, n’avait absolument aucune idée de comment à répondre à une seule. Elle regardait dans le vide, avec un air gêné. Son masque de dédain ne pouvait plus vraiment tenir sur son visage.
__–« Non, chaipas, oui… »
__–Difficile de dire à quoi elle répondait ; même pour elle.
__–« J’veux pas que… Enfin, j’sais pas quoi. J’aimerais bien. »
__–Je dois avouer que pour ce qui est de la partie sentiment, je suis bien incapable de décrire la suite.
__–Normal c’est mon boulot.
__–Ce qui ne veux pas dire que je souhaitais te voir revenir. Où étais-tu, d’ailleurs ? Cela fait bien trois réponses que tu te signales par ton absence, alors qu’il est impossible de te faire taire plus d’un paragraphe, ordinairement.
__–Excuse-moi d’être occupé hein. Non, oui, alors. Putain le bordel, j’arrive au bon moment moi. Bon après ceci dit, c’est pas bien cul à comprendre. Karen veut garder son futur moutard, ça c’est sûr, après pourquoi, bon en fait accrochez-vous. Depuis qu’elle a, genre, fui sa famille, l’autre andouille là a un peu l’impression d’être seule face au monde. Plus de repères, que des gens étranges, vous avez le bail. (Ça me tue parce que la Aoi là est la preuve que, bah non, mais bref.) Du coup, admettons qu’elle veuille lâcher son môme. C’est juste impossible de se dire que ce sera pour le remettre à quelqu’un de confiance. Karen, on l’a élevée pour qu’elle ait confiance en personne. Puis y’a aussi le côté, ça fait chier d’avoir un gosse de cette façon, mais on l’a aussi éduquée pour en faire une mère, m’voyez ? Les histoires de daronnes qui abandonnent leur gosse dans son milieu, c’est la honte, la misère. Déjà qu’elle est au fond du trou, pas besoin de creuser encore plus.
__–Bon après moi j’mets des mots dessus mais ’faut pas s’imaginer que notre imbécile de Karen nationale là le fait elle. Dans sa tête ça ressemble plus à un gros blanc d’où sortent parfois des décisions sans que ce soit trop possible pour elle de savoir d’où elles sortent leur petit cul. C’est bon t’es éclairé ?
__–Cela me tue de le dire, mais merci.
__–Mais de rien ma gueule. Ah et comme j’y suis, vous savez ce qui monte super vite là ? Une énorme insécurité de ses morts, qui explose donc dans la gueule… ben de la seule personne présente, désolé pour elle.
__–« Pourquoi ça t’emmerde, t’as un truc à r’dire p’têtre ? »
__–La vérité vraie j’suis atterré.

J’acquiesce lentement et prends les choses en notes… Cette fois, je prends une distance suffisante pour rester concentrée et l’amener à se sentir suffisamment en sécurité pour pouvoir parler. Je lui laisse le temps qu’il faut, ça a l’air difficile pour elle. Et ce n’est plus une petite reloue hautaine que j’ai face à moi, lorsqu’elle me répond, mais une ado perdue qui attend un bébé. Toute seule. Malgré sa réponse agressive, je souffle seulement du nez et m’appuie dans le fond de mon siège. Comment lui expliquer ça sans qu’elle monte au créneau…

—Non, ce sont des questions que je me dois de poser au vu de ta situation et ton âge. Je veux simplement m’assurer que tu sois pleinement consciente de ce que ça implique comme responsabilités, mais aussi que nous puissions t’aider à trouver des solutions si c’est ta volonté de le garder. Elever un enfant, ce n’est pas simple ; élever un enfant seule, à seize ans, c’est encore plus difficile. Je ne me permettrai pas de juger ton aptitude à t’en charger.

Même si je le voulais, je ne pourrais pas. J'ai été cette enfant née d'une mère célibataire de dix-sept ans. Je me dis que Maman et elle s'entendraient peut-être bien.

__–Bon bah ça va c’est pas si pire.
__–Admettons.
__–« Ouais ok d’accord. »
__–Toujours avec un regard fuyant et une expression faiblarde, Karen n’arrivait pas à esquisser quelque réponse que ce soit qui ne fût pas bateau, sans intérêt. C’était donc cela que ressentait Minoru au quotidien ?
__–Hé du calme oh, il a rien fait laisse-le en dehors de ça.
__–« Bon et euh, on la fait ton écho là ? Tu vas genre me mettre l’espèce de produit sur le ventre et tout ? »
__–Roh, si je devais être genre la personne qui sait tout de ses émotions, j’dirais que Karen essaie d’en savoir un max histoire de pas trop être en terre inconnue et pas flipper sa race, mais, oh ben ça alors, je suis la personne qui sait tout de ses émotions. Désolé Aoi ma gueule mais attends-toi à recevoir une question sur chacun de tes gestes là.

Doucement, j’acquiesce et me lève. Je désigne la table de consultation, dont j’ai relevé le dossier pour qu’elle puisse être mi-allongée, mi-assise.

—C’est l’idée. On va devoir faire ça dans ce coin de la pièce ; si tu veux bien t’allonger et remonter ton t-shirt jusqu’ici. Il va peut-être falloir descendre un tout petit peu ta jupe pour que je puisse accéder à cette zone.

Ce faisant, sur moi-même, je désigne le bas ventre, juste au-dessus du pubis. Pendant qu’elle s’installe, je rassemble le matériel, allume la machine et lui explique :

—Le gel est un peu froid, et mes mains le seront peut-être un peu aussi. Si tu n’es pas à l’aise, dis-le moi. Et n’hésite pas si tu as des questions.

Quand elle me donne son feu vert, je mets le gel et l’étale avec l’embout de l’échographe, cherchant tranquillement le petit coeur, expliquant que ça peut mettre un peu de temps avant de trouver les battements. Enfin, le petit coeur… Je fronce les sourcils lorsque je trouve le bon angle. Le son des battements est un peu dissonant, mais au moins il est présent. Je jette un regard à Karen, un peu inquiète de comment je peux lui annoncer ça… On voit pas encore très bien sur l’échographie, il me faut juste encore quelques secondes pour confirmer ce que j’entends, vois et perçois.

__–Une fois n’était pas de coutume, Karen obéit docilement à son docteur. Une fois nu, elle put voir son ventre légèrement bombé, qui commençait déjà à être quelque peu déformé. Et à l’intérieur, un petit être—
__–Un petit être ?
__–C’est ce que je dis, oui, pourquoi m’interrompre ?
__–Hm. Nan, pour rien. J’sais pas, j’ai eu une impression bizarre.
__–Soit. Un petit être donc, qui se reposait là, bien paisible et allait être affiché sur l’écran, bientôt. L’étrange mystère de ce que Karen avait en elle enfin révélé.
__–Comme annoncé, Karen posa autant de questions que possible. Sur à quoi pouvait bien servir ce gel, comment fonctionnait l’étrange manche qu’elle déplaçait sur son ventre, ou pourquoi ne pouvait-on voir que du noir et blanc et pour le moment, qu’une indescriptible bouillie de pixels.
__–Aoi fronça les sourcils.
__–Ouais, pourquoi elle fronce les sourcils là ?
__–« Pourquoi tu fronces les sourcils ? S’passe quoi ? Il va bien ? »

Je souris à Karen et la laisse s'installer.

Et puis bon, l’échographie commence, et clairement, bon. C’est encore trop petit pour que je le distingue, et en utilisant discrètement ma magie de Guérisseuse sur elle, je peux clairement constater deux choses. Heureusement, elle pose plein de questions, ça me permet de me concentrer sur autre chose pour savoir comment je peux lui annoncer ça.

—Hm.

Oui, c’est une réponse, “hm”. Je m’humecte les lèvres. Soudain, à travers l’écran, on peut entendre bien distinctement les battements de coeur, rapides, décalés ; chaotiques, en fait. Et deux petites silhouettes en forme de haricot, dont l’une un peu moins visible sous l’angle que j’ai trouvé. Je lui indique sur l’écran, de la main, à la fois un peu mal à l’aise, mais décidant qu’en cet instant, je n’avais pas le droit de montrer mon trouble. Je souris, pas avec bonheur, simplement de manière rassurante.

—On dirait bien… qu’ils vont très bien, oui ; il y en a deux. Là, regarde ; ici, c’est une première tête. Là le corps, les bras… Les jambes sont par ici. Et le second, ici…

En même temps que je parle, je m’autorise à scanner de mes pouvoirs son corps et les deux petits êtres qui y sont, blottis à quelques centimètres l’un de l’autre, afin de checker leur état de santé, la formation des organes,…

—Tu attends des jumeaux qui ont l'air en parfaite santé.

Je ne la félicite pas encore... j'attends un peu.



[Si tu veux tu peux peut-être faire un premier jet de dés pour savoir si c'est des vrais ou faux jumeaux ? En général, si c'est des vrais jumeaux je crois qu'ils partagent la poche amniotique et le placenta, sinon y en a deux différents et ça se remarque à l'échographie vu qu'y a une ligne de séparation entre eux ; si c'est des vrais jumeaux, bah ils seront forcément identiques, et des faux, ils peuvent avoir un sexe et une apparence différente.]

__–Comment donc, « Hm. » ? Que signifiait cette pause – elle a le droit de respirer du calme –, ce pincement de lèvre – elle se les mouille c’pas pareil –, cet air soucieux – que dalle elle essaie juste de bien capter ce qu’elle voit –, ce sourire pincé – c’est juste un sourire ! – ?
__–Ils ?
__–Ils ?
__–Ils ?
__–Mais genre.
__–« Mais genre. »
__–Alors ça, ça me la coupe.
__–« Mais genre comment c’est possible ça. Fais voir. Ouah. »
__–Karen resta silencieuse un long moment. C’était la première fois, en fait, qu’elle voyait ses enfants. Ses deux petits et étranges miracles, deux taches floues et grisâtres. Elle caressa l’écran. Puis son ventre. Ils étaient là.
__–C’était… proprement terrifiant.
__–T’es ouf c’est trop cool.
__–Ah.
__–Bah ouais, mate son sourire à notre Karen nationale. J’crois j’l’ai jamais vu autant heureuse. Et j’ai accès à tous ses souvenirs, j’existe que depuis quelques mois mais ça veut rien dire, j’vous vois venir.
__–« C’est, euh. Okay. »
__–Et en plus, ils étaient en parfaite santé. N’était-ce pas magnifique.
__–« J’suis heureuse. »
__–Et vous voyez, à sa tête là, on peut plus douter qu’elle est solaire.


Et donc ce sont deux vrais jumeaux.

HRP : HONHON

L’instant flotte. J’observe Karen en tâchant de garder un air détaché, pas vraiment distant mais… pas inquiet, en tout cas. Parce que oui, je suis sacrément préoccupée. Un bébé, c’est pas facile ; deux, c’est terrifiant. Alors je lui laisse le temps de digérer, de comprendre, de prendre conscience… Et puis son visage se détend, s’illumine, et mes épaules se détendent. Je lui renvoie un sourire heureux, émue.

—Félicitations, Karen.

Je lui laisse encore quelques instants, savourant le soulagement qui m’envahit. Une partie de moi avait peur qu’elle rejette en bloc l’idée, qu’elle soit en colère, qu’elle pleure. Ca n’aurait pas été facile à gérer… Mais non, rien de tout ça. Pour certaines personnes, devenir maman, c’est une annonce formidable.

Après un temps, je désigne des zones sur l’échographie.

—Tiens, regarde. Il n’y a qu’une seule poche amniotique — ça ressemblerait à deux grosses bulles collées, s’il y en avait deux. Ils sont dans la même, donc ça veut dire que ce sont de vrais jumeaux. Ils seront des copies conformes l’un de l’autre.

Je plisse les yeux en fixant pour intensément l’écran.

—Pour le moment, on ne voit pas encore leur sexe… Mais on en saura plus d’ici quelques semaines.

__–Karen regarda avec attention. Des copies conformes. Elle essaya de se souvenir s’il y avait des vrais jumeaux dans son – ancien – entourage. Des camarades de classe, des cousins, des parents peut-être, mais rien ne lui vint en tête. C’était assez peu fréquent. Cela voulait aussi dire qu’elle pouvait se retrouver avec deux filles ou deux garçons.
__–… Ou tout ce qu’il y a entre les deux.
__–Pchhht toi, oust.
__–« Ah ouais okay… Et c’est genre si différent que ça des autres bébés, les jumeaux ? Chais pas du tout comment on fait moi… T’as des gamins toi genre ? »
__–Karen était-elle inquiète ? Peut-être est-ce une question auquel l’autre luron voudrait répondre…?
__–Ah bah nan, t’as dis dégage, j’reste les doigts de pied en éventail.
__–Pourquoi faut-il qu’il n’obtempère que quand cela déplaît au plus grand nombre. C’est qu’effectivement, si un seul lui semblait déjà une tâche impossible, deux était bien pire en la matière. Ceci dit… allez savoir pourquoi, la présence d’Aoi était rassurante. Karen avait décrété qu’elle était insupportable, que ce n’était pas une personne très charmante ou très respectable – sans parler de respectueuse –, mais pour une raison que j’ignore, elle sentait que les défis à venir pouvaient être abordés non sans une certaine sérénité, si c’était avec des gens comme elle.
__–Oh c’est pas bien cul, c’est la première personne à qui elle dit qu’elle a, bon ben du coup deux polichinelles dans le tiroir et direct elle est sympa et tout là. Forcément quand tu flippes tellement ta race de ce qu’on va dire que tu traverses le Pacifique pour pas avoir à l’entendre et que là, direct à Terrae, en fait non ça ce passe super bien, forcément c’est un bon départ.