Début mai, après le mariage d’Elwynn et Jeremy.


Bien. Je ne suis pas stressé, tout va bien. Maintenant que le mariage est terminé, on peut enfin baisser en pression — on a aussi fait l’annonce à la famille pour le bébé, et autant vous dire que je suis encore plus énergique que d’habitude. C’est de l’énergie, c’est pas de la nervosité. C’est pour ça que j’ai passé la matinée à briquer la maison, tout est NICKEL, j’suis trop content. Et c’est uniquement parce que je peux et que j’ai de l’énergie, pas parce que je suis stressé. J’ai même rangé mon bureau ! Ah, la pile de copies, là ? Non, mais ça, ça attendra un peu, hein, aha, c’est l’énergie des Tonnerres, ça, vous comprenez, se concentrer c’est compliqué, tout ça-

—Aaron, tu peux arrêter de tourner en rond ?? Tu es en train de me stresser, gémit Lou.

Je m’arrête au milieu du chemin (vu que visiblement je faisais les cent pas) et cligne des yeux, étire un sourire qui n’est en réalité qu’une grimace.

—Ah, nan, mais je, je cherchais un truc.
—Aaron.
—Nan mais c’est rien hein.
—Aa.ron.
—Oh je vais aller dans le potager un peu-
—Aaron, pose tes fesses sur le canapé, gronde-t-elle en désignant la place.

Et j’obéis, j’ai même pas réfléchi ptdr. GENRE ELLE EST PAS SONORE. (La vérité c’est qu’elle en a pas besoin.) Elle tend la main vers moi pour que je l’attrape et me lance un regard de reproche. Mais c’est du gentil reproche, son vrai regard du reproche est juste flippant.

Vous savez, depuis son initiation, on a fini par s’habituer à la nouvelle Lou. Comment est cette nouvelle Lou ? Bah pareil qu’avant, en fait, sauf qu’elle peut me jeter des peluches en pleine tête pour s’amuser et me dire “oups j’ai pas contrôlé mon pouvoir pardoooonn” mais en fait c’est juste une GROSSE MENTEUSE. Je me fais harceler à la maison, j’vous jure, je suis-

—… -tu en penses quoi ?

…………….. Elle était en train de parler. Un petit filet de sueur froide me coule dans le dos.

—Euh, pardon, tu disais ?

AH, LE VOILA, C’EST CE REGARD DE REPROCHE. Elle souffle et s’appuie contre mon bras, sa tête contre la mienne.

—T’abuses, c’est moi qui devrais être stressée.
—Oui ben euh.
—Aaron, c’est pas tes collègues qui te font tes consultations gynéco, alors si tu pouvais, je sais pas, faire semblant d’être concentré et super confiant quelques minutes pour éviter que JE panique ??
—Mais je suis super confiant.
—Aaron tu me transmets ton stress depuis ce matin, je te jure que tu si tu continues j’y vais toute seule.

Moue boudeuse de ma part, et je dépose un baiser sur sa main, où il y a sa jolie bague de fiançailles hihi.

—Désolé. Je suis pas stressé, c’est juste que euh.
—Hmhm.
—Oui bon d’accord, j’essaie de. Me calmer. Mais j’ai trop hâte et je suis trop stressé et je tourne tous les scénarios en tête-

Regard noir.

—Non mais ok, ça va bien se passer, t’inquiète, tout baigne, j’ai préparé le paquet de mouchoirs au cas où, et euh, j’espère qu’ils ont de l’oxygène là-bas parce qu- ok j’ai compris.

Je ferme les yeux en portant sa main contre mon front, et respire un peu. Ok ok. Elle est encore plus stressée que moi mais je capte son stress du coup j’angoisse du coup je tourne en rond du coup je la fais angoisser — imaginez si c’est pas bon pour le bébé ????? Déjà que je sens à peine sa présence déjà, imaginez juste que euh, je sais pas, IL VA AVOIR UNE PARTIE DE MES GENES OK, vous savez pas le nombre de maladies débiles qu’il y a eu dans ma famille, et ça c’est juste du côté de ma daronne, et vu que mon père biologique est euh… ouais non je vais pas penser à lui mais WOAH BON SANG JE PETE UN PLOMB POURQUOI C’EST SI LONG D’ATTENDRE. On aurait dû prendre le rendez-vous en début de matinée, pas en fin de matinée là ! J’ai déjà eu droit au pep talk de Nico et Jérémy ce matin ; j’ai même eu droit au pep talk d’Elwynn (c’est-à-dire qu’elle a attrapé mes épaules et m’a lancé son regard du “BRO. DECONNE PAS. FOCUS.”) récemment, alors c’est vous dire à quel point j’ai déjà dû changer de chemise ce matin, aha.

J’disais quoi ? Que j’essayais de respirer et de me calmer, c’est vrai.

Bon, vous l’avez deviné, on va faire la première écho ce matin. Lou a essayé de se changer les idées en lisant avec un peu de musique en fond sonore, je sais pas comment elle fait parce que quand je regarde un papier, y a toutes les lignes qui se mélangent et tourbillonnent et il se peut. que j’angoisse à fond.

Nan mais parce que là, c’était déjà trop bien, mais maintenant je commence à sentir une petite énergie un peu cheloue qui pointe dans son bidon, encore masquée par la sienne, alors ça commence à être vraiment très très réel. On dirait que je suis pas content, mais la réalité c’est qu’on essaie depuis l’an dernier et que j’ai super hâte d’être papa à nouveau. (Faut croire que les Guérisseuses sont hyper fertiles, hein, c’est tout ce que j’ai à dire.) Puis là… là c’est pas pareil ; Charlotte c’est mon bébé, bien sûr qu’elle restera à tout jamais aussi importante à mes yeux que ce petit bout’chou, mais tout le processus ? La décision, l’annonce, les démarches, la grossesse ? Ca c’est tout nouveau pour moi, et juste, je suis tellement heureux que je pourrais faire une crise cardiaque sur place.

Alors pour m’ancrer un peu, je me concentre sur la douce énergie de ma fiancée — elle a toujours un peu eu cette allure-là à mes yeux, mais là c’est de l’énergie magique. C’est tout pur, c’est vraiment un bol d’air frais, et ça m’apaise juste de la sentir. Quand je rouvre les yeux, Lou me regarde et c’est très doux dans ses yeux — c’est aussi très doux à l’intérieur d’elle, ces émotions qui flottent un peu. Je suis tellement amoureux, tellement heureux de cette relation qu’on a, de la complicité qu’on continue à avoir MÊME SI JE SUIS UN PUTAIN DE CASSOS.

—Ca va mieux, désolé. C’est un peu long, d’attendre. Tu aurais envie de sortir faire un tour en attendant l’heure ?

Elle se penche pour sur ma joue pour me déposer un baiser et se lève, me tirant à sa suite, tout sourire et le pas un peu sautillant.

—Viens alors ! Au lieu de réfléchir à n’importe quoi.

On se dirige dans l’entrée pour mettre nos chaussures ; je lui prends son sac pendant qu’elle enfile son gilet et le met à mon épaule, telle la fashion victim que je suis, jusqu’à ce qu’on se mette en route.

—Réfléchir ça implique d’avoir des pensées.
—Hmhm. Excuse-moi chéri, j’avais oublié que tu n’étais qu’un Tonnerre.
—EH ça veut dire quoi ça ?
—Rien rien.
—J’vais le dire à Nico.
—Jérémy et Elwynn me soutiendront.
—C’est quoi cette coalition ??? J’attendais plus rien de Mymy, mais alors El ?!
—Elwynn sera mon témoin, bien sûr qu’elle est de mon côté, tu crois quoi, sourit-elle en coin. Vous êtes en infériorité numérique maintenant héhé.
—Genre. Un Air c’est juste un Tonnerre qui…

…

—Qui ?
—Nan, tu vas encore retenir que ce que tu veux.
—Alleeeez.
—C’est un Tonnerre qui réfléchit avant d’agir.
—Tu vois, je te l’avais dit, rit-elle en attrapant mon visage et en montant sur la pointe des pieds pour m’embrasser.
—J’ai dit : réfléchit avant d’agir !!
—Je ne retiendrai que ce que je veux de cette conversation, en effet, rit-elle.
—C’est ce que je disais, c’est du harcèlement.
—C’est ma vengeance après que tu m’aies fait stresser toute la matinée, j’ai vraiment cru que tu allais commencer à déplacer des meubles parce que tu étais déjà passé partout avec l’aspirateur.
—Cela étant, on peut-
—Non.

Rohlala ça va, si on peut même plus proposer de changer des meubles de place, mais où va-t-on hein. Au moins, la discussion a le mérite de nous faire penser à autre chose le temps qu’on marche jusqu’à l’hôpital ; on est un peu en avance, donc on fait un petit tour du parc avant, histoire de se dégourdir les jambes en s’envoyant des petites piques. Tout le monde me dit que Lou est trop mignonne et gentille, et c’est le cas hein, mais si elle est Air et pas Eau ou Terre, c’est pas pour rien putain. Des fois j’ai l’impression qu’il y a que moi qui arrive à voir quel gremlin chaotique elle est parfois, je vous assure qu’elle fatigue aussi. Elle est juste plus, euh. Constante. Dans sa vie. Et elle a un cerveau fonctionnel, aussi, donc ça aide.

Bref on disait quoi. L’hosto. Oui. Bon. Ca va être l’heure bientôt.

—Ca va aller ? je lui demande finalement.

Elle hésite et grimace. On a appris à éviter de nous cacher mutuellement nos émotions, elle parce que je suis sensitif et que je SAIS, et moi parce que ça fait partie de mes objectifs de vie avec mon psy. Développer des comportements de gestions des émotions sains, tout ça.

—Imagine ils trouvent rien ???

Oui alors, j’ai dit qu’elle avait un cerveau fonctionnel, mais c’est quand même une angoissée aussi mdr.

—T’as fait la prise de sang non ?
—Oui.
—Donc c’est bon ??
—Mais imagine.
—… Mais je le sens ???
—Tu le SENS ?
—Bah oui ??? Enfin un peu quoi, y a un p’tit truc, mais c’est tout petit encore. J’ai encore du mal à le séparer de ton énergie…

Elle cligne des yeux et grimace.

—Tu crois qu’il y aura des boules de Feu qui vont me sortir de ventre comme pour Aoi ?
—Hein ??? Mais personne n’est Feu ici, qu’est-ce que tu racontes ??
—Ou des éclairs !
—Ca c’est plus probable.
—Excuse-moi ??
—Non mais attends, attends, on en est pas encore là- Aïe bordel, tu me fais mal à la main, serre pas si fort, je geins. Je te promets que ça ira. C’est quoi les risques, après tout ?
—Que je fasse pas une grossesse normale ? Que ce soit nerveux ? Que mes pouvoirs fassent juste n’importe quoi ? Que, euh, le bébé aille pas bien ?

Woaaaaaaah woah woah woah. J’allais pas aussi loin dans ma tête moi (c’est faux, repasse-toi la discussion précédente en tête ptn). Je passe ma main sur mon visage et regarde le vide quelques instants, avant de jeter un regard en biais à ma chérie d’amour en train de psychoter à côté. Lou ptn. Et après JE te fais stresser ??? J’suis sûr que c’est ton stress à toi que j’absorbe ce matin. (La mauvaise foi, tout ça.) Elle est en train de se mordiller l’ongle du pouce, le regard un peu perdu en avant sur le chemin du parc.

—Et si on faisait un deal ?
—Oui ?

Ah, j’ai accroché son regard. Je souris tranquillement et dégage une mèche de cheveux blonde de son visage.

—Plus de “imagine si ???”, on se fait juste paniquer. (Lou acquiesce et grimace.) On prend une inspiration, et on y va. Ca va être l’heure.

Son visage se décompose et je lui fais un bisou.

—Je t’aime. Ca ira, on est ensemble. Et si t’es trop stressée, je peux euh, t’aider à-
—Si tu touches à mes émotions, ça va barder. Mais je t'aime aussi.
—Eh, faut savoir.
—Non mais t’as raison, on peut le faire- ALLEZ AARON.

??? Elle commence à me tirer par le bras en trottinant à moitié, secouant mon bras pour attirer mon attention quand je vais pas assez vite. S’pèce de gremlin. Ca me tire un sourire et finalement on fait la course jusqu’à l’hosto en se marrant. Je m’en fous, j’ai gagné. JE DOIS TOUJOURS LAISSER CHARLOTTE GAGNER, LAISSEZ-MOI MON MOMENT DE GLOIRE. Appuyée contre le mur, Lou reprend son souffle…

—C’était… peut-être pas la meilleure des idées, rit-elle aussi, complètement hors d’haleine.
—Je croyais que le sport c’était bon pour la santé ? Ils nous ont menti ?

Elle me donne un mini coup du dos de la main sur le bras et, avant d’entrer dans l’hôpital, on échange un regard. Je lui retends la main… et on entre.

Ca s’agite toujours un peu dans les couloirs, mais ces derniers temps c’est tranquille. Ca fait du bien, après tout le drama de cet hiver. Tout le monde s’est bien remis depuis, même si psychologiquement certains ont pris plus cher que d’autre. Finalement, je me rends compte que de mon côté, ça va relativement bien ; c’est sans doute parce que j’ai eu l’occasion de faire d’autres missions plutôt violentes par le passé. Mais c’est un peu dur de voir les gamins aller pas bien. Enfin, Nana aussi s’est remise, et Senri… Senri va falloir qu’on parle lui et moi, mais j’ai pas trop le temps pour ça en ce moment donc je repousse toujours le moment de le faire, alors voilà. On verra une fois qu’on sera rassuré avec le bébé.

Avec tout ça, ça m’oblige à réfléchir à ce que j’ai vraiment envie de faire… et Jérémy a pas tort, je peux sûrement faire fonctionner mon boulot avec la Cantina avec un peu d’effort et d’organisation. Et avec le petit en plus… Enfin on verra, moi je crois que c’est ça qui me fait doucement paniquer aha. Et je sais à quel point c’est important pour Louisa, elle a pas été impliquée dans les premières années de vie de Charlotte et… ouais, je crois que ça lui a manqué, même si elle me le dit pas directement. Y a aussi le fait que les garçons sont grands, et Charlotte grandit aussi maintenant… On a pas envie qu’il ait trop de différence d’âge avec elle non plus.

Enfin. Ca ira, hein ? C’est pas parce qu’on a la tête pleine que ça se passera pas bien.

On attend un peu, et finalement Aoi vient nous rejoindre et nous salue avec son sourire habituel. On prend des nouvelles tranquillement, et je sens les émotions contradictoires fuser chez Lou. Réassurance parce que sa collègue est là, stress parce que l’examen arrive, tout ça. La médecin nous fait rentrer dans son bureau, où elle a rassemblé le matériel d’échographie ; j’écoute attentivement pendant qu’elle nous explique la marche à suivre, un peu plus que Lou qui connaît déjà un peu tout ça, les procédures et le reste. Lou s’installe finalement et Aoi lui met le gel pour l’échographie.

—Ca va être froid.

De mon côté, je tiens la main de ma fiancée, passant mon pouce sur ses doigts par automatisme. Quand l’écho commence à apparaître, mes mouvements s’arrêtent et je garde simplement les yeux focalisés sur l’écran… et là d’un coup on entend un battement de coeur, comme en écho.

Woah. Ca…. ça bat, c’est un coeur qui bat. J’crois que j’ai arrêté de respirer tellement je suis ému… Et je suis pas le seul, mais par contre je suis le seul à pas faire une tête bizarre et être interpellé. Aoi colle presque son visage sur l’écran en fronçant les sourcils et Lou les a levés subitement, tout aussi attentive à ce qu’elle observe sur l’écho. Moi j’cligne des yeux.

—C’est l’année, ou quoi ?

Aoi désigne un truc sur l’écran. Ouais, j’vois rien du tout, excusez-moi mais c’est un amas de cellules hein, j’arrive pas à distinguer un bout d’organe d’un bébé là. Lou porte son autre main à sa bouche. Et moi, ben, je continue à cligner des yeux. Aoi me sourit, et Lou est déjà en train de pleurer. Mais elle est contente. Je crois. Et surprise.

—Oui ?
—Regarde, ça c’est votre bébé.
—Oui.
—Et ça c’est votre autre bébé.
—Ok.

…

—Hein, attends, quoi ??

Putain, j’avais oublié qu’y avait des jumeaux dans ma famille. Lou m'envoie un regard en biais, un peu inquiète. Mais j'suis déjà en train de chialer, j'sais pas quelle expression faciale prendre, là. Je porte sa main à mes lèvres. Elle attend que je dise un truc. J'reste comme un con à rien dire, mais c'est parce que mon cerveau est vide. Ma chérie, n'aie pas peur. Pas de ça, en tout cas ; pas de ma réaction, s'il te plaît.

—Bon bah va falloir mettre des gens dehors pour avoir de la place hein, je plaisante.
—Aaron.

Son regard est à la fois plein de reproches et amusé, ému, triste, heureux ; et on rit, finalement, le choc passé, front contre front.

Par contre pour de vrai, je sais pas où on va les mettre.
ET. SURTOUT. On va devoir se mettre d'accord sur deux noms, ça va être la misère.