Comme j’me fais juger, là, vas-y. C’est pas moi qui fricotais avec ERIK dans l’ascenseur, hein. Non, j’déconne, j’ai compris de quoi il s’agissait et qu’il avait “juste” essayé de pisser dans l’ascenseur, bien que j’avoue ne pas très bien comprendre COMMENT ils en sont arrivés là dans leur vie. “Mais là n’est pas la question”…

—Bah pourquoi tu te justifies alors ?!

Je roule des yeux et souris en coin, à la fois désolé pour lui de devoir me subir et presque content de l’avoir vexé. J’ajoute rien, parce que clairement, pour moi c’est pas du tout un argument intéressant, ultime ou je sais pas quoi, hein. Y en a plein des mecs qui se disaient hétéros jusqu’à la pointe des cheveux et qui ont très très très bien kiffé le sexe gay, à partir de là, mon jugement sur les hétéros est un peu faussé m’voyez. Entre ces gars qui sont là “no homo bro” et qui se savonnent virilement après le sport et ceux qui ont aucune considération pour les meufs mais bien davantage pour les muscles et le cul de leur poto (no homo)… mon avis est un peu tranché, bon.

—Oui oui… Dommage pour lui, il sait pas ce qu’il rate, franchement.

Puis ouais, chais pas, il commence à me parler de son type de personne. Eh bah, on est déjà devenus intimes à ce point pour qu’on ait cette discussion ??? J’pensais pas que retrouver quelqu’un sous son bureau amenait à ce type de relation ensuite.

—C’est quoi pour toi un caractère de merde ? je rigole, sourire en coin. Et tant mieux, mais viens j’t’y emmène quand même, tu t’es bien bouffé la porte quand même j’aimerais bien qu’une des inf’ regarde ton nez.

On arrive en vue de l’infirmerie t’façon, donc ça ira vite.

Pourquoi je me justifie ?! Pourquoi je-

- Mais parce que c'est toi qui m'a posé une question ! Je réplique.

Laquelle déjà ? Aucune idée, j'ai oublié avec tout ce bordel. Ah si, c'était pas une question.

- Non, pas une question, mais c'est toi qui m'a parlé de protection ou je sais plus quoi ! Tu voulais que je te dise quoi ? Je prends un ton naïf et innocent. "Ah bah oui hein c'est important, hein. Faut faire attention." Sérieusement, tu l'aurais pris comment ?!

Je suis sûr qu'il serait reparti de plus belle. Et d'un autre côté je me demande bien pourquoi je tiens tant à imprimer dans le crâne de ce prof qu'il s'est rien passé ce jour-là... Pfouh ça me fatigue... De toute façon, comme je le dis, Erik est hétéro. La réplique d'Aaron me fait stopper net au milieu du couloir. Je le dévisage en clignant bêtement des yeux.

- Euh, alors, euh... Précise ta pensée ? Parce que là, ta phrase, elle est genre super ambiguë.

Est-ce qu'il est en train de flirter ? Parce que si c'est le cas, nez cassé ou pas je pars en courant. Je sais pas résister à ce genre de pression, c'est terrible. En plus, je suis désolé hein mais on se connaît pas, enfin pas beaucoup... Bon OK on se connaît pas tout court. Genre je sais pas vraiment qui il est, son caractère, tout ça... En parlant de caractère.

- Bah je sais pas... Un type agressif, ou violent... Genre super sanguin, quoi. Mais pas que en mode "s'énerve facilement", plutôt en mode "a le coup de poing facile". Je dis tout en me remettant en marche.

J'ai même pas le courage de protester pour lui dire que non, t'inquiète tout va bien. Je suis sûr j'ai rien, et j'aurais juste un bleu dans le style de celui que tu as quand tu t'es fait refaire le nez. Je sais, j'ai vu des vidéos de ça sur internet.

Je plisse les yeux, pas sûr que j’aie VRAIMENT posé cette question. En fait, il se mélange les pinceaux, trop drôle mdr. Le pauvre, j’ai tellement envie de continuer à le faire tourner en bourrique encore plus, c’est si marrant. Mais il va finir par péter une durite le nouveau p’tit Tonnerre hihi.

—Bah, quand quelqu’un est clairement en train de se foutre de ma gueule, généralement j’finis juste par ignorer ce qu’il dit, sinon ça lui donne encoooore plus envie de le faire, je ris. J’y peux rien si Erik fait des trucs complètement chelous, et tu sur-réagis complètement, ça donne envie de t’emmerder avec. … Nan mais par contre ma question de s’il t’avait rien fait c’était une vraie question, sinon j’serais allé le défoncer. Les comportements inappropriés sont pas autorisés.

Nan parce que j’rigole mais clairement c’est du foutage de gueule ce qu’il fait, et il aurait pu trauma quelqu’un donc ça m’gonfle mdr. L’argument des urinoirs est complètement con, quand on y va c’est POUR aller pisser. Et honnêtement j’ai toujours trouvé le principe moyen bof, mais parlons pas de ça là. Pour le moment, Camil a l’air d’en avoir rien à foutre, donc tout va bien, donc je peux bien le taquiner un peu pour être venu se téléporter dans ma salle de cours.

Et puis euh. “Précise ta pensée”… De quoi ? De quoi on parle déjà ?

—Super ambigu de quoi ??? J’ai juste dit qu’il savait pas ce qu’il ratait. (Silence.) Parce qu’il est hétéro. (Silence.) Parce qu’être hétéro c’est nul. (Silence.) Mais c’est une blague, me regarde pas comme ça !

Rah punaise. Devoir expliquer ses blagues, ça craint… Attendez, il a compris quoi ?? Merde on parle déjà d’autre chose. Je lui lance un regard genre “hmhmh”, toujours pensif, et finit par lâcher un gros soupir et rire à la fois :

—Oh bah ! T’as bien raison, ça réserve des surprises des fois ! Déjà, petit conseil : fais gaffe aux Feux et aux quelques Tonnerres un peu vénères, c'est souvent parmi eux que se trouvent les teignes !

Enfin en même temps, quand on pécho un ancien assassin de la mafia, j’imagine qu’il faut clairement, clairement se rendre à l’évidence : on a des goûts de merde et faut s’attendre à être un peu déçu, malgré les jolis yeux, le joli sourire et les mains fortes et douces, hein. Hm. HMMMMMMMMMMMMMM pourquoi j’arrête pas de penser à Gaetano, là ?? ‘Tain ça fait longtemps que je l’ai pas croisé, on s’évite trop bien et il est tout le temps en mission sinon, l’batard.

Enfin, la conversation est coupée par notre entrée dans l’infirmerie… Ah, c’est Norah ! Je lui souris largement et lui fais un signe de la main.

—Yo ! Je t’amène un rescapé, il s’est téléporté dans une porte. Tu peux checker son nez ?

Norah me lance un regard lourd de reproches et sourit en coin, proposant à Camil de s’asseoir.

—T’es censé être en cours, je peux savoir ce que tu fais ici ?
—L’ambulance. Pinpon.

Elle se décide à m’ignorer (parce que j’suis trop con, j’ai pas besoin d’être télépathe pour savoir à quoi elle pense) et se concentre sur Camil, lui demandant son autorisation pour checker son nez. De mon côté, je commence à trifouiller des trucs sur le bureau, qui finissent par s’envoler de mes mains.

—Roh.
—On va résorber un peu la bosse que tu vas avoir, histoire d’éviter que tu aies mal. Tu débutes, c'est ça ?

Nan mais c’est bon, j’ai compris qu’elle m’ignorait hein.

J'avoue, je suis vexé. Je sais que je ne marche pas, je cours. Mais quand c'est comme ça, faire tourner les gens en bourrique c'est super pas cool. Mais la dernière phrase d'Aaron adoucit tout et je soupire.

- Ouais je sais, je prends facilement la mouche... C'est sympa de te préoccuper de ça, mais vraiment, ça a été. Je dis, lâchant même un sourire.

Si on oublie l'épisode du maillot et de la plaisanterie sur mon père, on s'est même plutôt bien entendus finalement. Je ne dirais pas que c'était reposant comme rencontre, mais je me suis bien marré au moins. Et j'ai profité d'un jacuzzi, de cocktails gratuits et d'un irish coffee sorti d'une autre dimension. Je me trouve plutôt chanceux dans l'histoire.

Suite à ça, le grand brun précise sa remarque et je me rends compte que je suis totalement à côté de la plaque. Rho. Dommage.
Ahem.
Ouais c'est nul d'être hétéro, pas faux. Enfin, je crois. Je le suis pas. Et si j'ai bien pigé, lui non plus... J'essaye d'imaginer une conversation avec Erik en mode "Eh mec, ça fait quoi d'être hétéro ?". Je crois que ce serait hilarant, vu de l'extérieur. Je hausse les épaules et change de sujet.

- En même temps j'ai l'impression que c'est ceux avec le caractère le plus trempé ici... Ou les plus inconscients, idiots, ou je sais plus quoi, selon Luna.

Comment elle les avait appelés déjà ? "Ces imbéciles de Tonnerres", "les deux gammes de gros excités"... Ouais. Beh heureusement qu'elle savait pas que j'étais un futur Tonnerre à l'époque.

Nous entrons dans l'infirmerie et sommes accueillis par l'infirmière -logique-. Je m'assois sagement pendant qu'elle discute avec le prof. Je dois me retenir de rire face à la répartie d'Aaron. On ne tire pas sur l'ambulance, vrai. J'acquiesce quand elle me propose de regarder mon nez. Comme je le pensais, je vais avoir une bosse, donc rien de cassé.

- Merci c'est gentil à vous... Oui je débute, j'ai été initié il y a quelques jours. Je réponds poliment avant d'enchaîner avec une plaisanterie. Vu les débuts catastrophiques, je risque de revenir souvent ! Vous avez une carte de fidélité peut-être ?

C'est la dame qui soigne et je suis sûr qu'elle peut aussi faire mal alors profil bas, le but est de rester dans ses faveurs.

Pfft. Je pouffe de rire aux mots de Camil, sans trop de jugement. Bon, j’note qu’il a enfin répondu à ma question principale, à savoir : ça a été, Erik n’a rien fait de mal à part être ultra chelou comme d’hab, donc tout va bien. J’acquiesce finalement, et éclate de rire à sa mention des diverses caractéristiques des Tonnerres et des Feux.

—Roh, ça va. Bon, on en tient une couche, mais tu peux pas me dire qu’on est les seuls ! J’veux dire. Luna c’est pas le fruit le plus mûr de l’arbre, hein. Ils se repèrent juste moins de loin, c’est tout.

Ou alors mûr, mais niveau conneries, je sais pas trop encore. J’ai entendu de ces histoires, genre le coup de la jungle dans les dortoirs, Ashton était vert (lol) pendant des jours… Enfin, ça s’est réglé très, très vite, du coup, vu qu’il était suffisamment vénère pour la motiver à tout débarrasser fissa. C’est marrant, parce que quand on est là depuis suffisamment longtemps, on a plein de dossiers sur tout le monde. Enfin. On arrive dans l’infirmerie, et j’me fais bizuter par Norah. Elle m’juge à fond, c’est pas drôle. Je croise les bras en roulant des yeux, m’appuyant contre un meuble. Oh tiens, ils ont des nouveaux bouquins dans l’étagère, j’avais pas vu… Cette fois, c’est les livres que j’attrape pour regarder, pendant que Norah s’occupe de Camil en lui passant une petite lueur magique sur le coin du pif.

—Oh, ceci explique, rit-elle en direction de Camil. On va éviter la carte de fidélité, ça nous rend un peu chafouins de croiser les mêmes personnes en continu.

Elle lui fait un clin d’oeil entendu et termine son oeuvre.

—Voilà ! Tu peux me rappeler ton nom ?

Elle attend sa réponse pour aller regarder dans le trombinoscope en ligne.

—Camil… Voilà ! Fais attention avec tes téléportations, d’accord ? (Puis elle se tourne enfin vers moi, et le livre que je lisais s’échappe de mes mains, se referme et atterrit sur mon crâne.) Et toi arrête de sécher tes cours.

Roulement d’yeux. Roh.

—Ouais ouais. On pourra se voir un peu plus tard cette semaine pour discuter de la mission ?

Norah me fait les gros yeux, puis expire lentement du nez et me fixe. Elle veut dire un truc, mais finalement ne me répond pas.

—Plus tard, oui. Allez, retourne au travail toi. Je t’enverrai un message.

Je retrouve mon sourire et acquiesce, secouant la main pour lui dire au revoir, comme s’il s’était rien passé.

—A pluuuuuuuuus. Martyrise pas trop les élèves !
—Au moins, je fais mon boulot.
—Ca se voit, t’es tellement occupé que c’est vid-

On se fait virer de la pièce d’un courant d’air qui nous pousse dans le dos, et la porte claque. J’ricane encore et plante mes mains dans mes poches.

—Bon ben voilà, Norah, notre infirmière. Enfin une de nos infirmières, certains guérisseurs viennent en renfort des fois. T’as besoin de quelques conseils pour tes téléportations, histoire que je te relâche pas dans la jungle Terraenne sans aide ?

Je souris en entendant Aaron. Il devrait faire gaffe, je suis pas sûr que Luna apprécie ce type de publicité négative. Quoique, comme on dit : toute publicité est bonne à prendre. Nous rentrons dans l'infirmerie et je m'assieds docilement pour laisser l'infirmière s'occuper de moi. J'ai l'impression qu'elle et le grand brun se connaissent depuis un moment. Ils ont l'air plutôt bons amis. Quand elle fait apparaître une lumière - magique, vu qu'elle n'a rien dans les mains - sur mon nez, je ne peux m'empêcher de la suivre des yeux, ce qui me fait loucher. Ma blague aura eu le mérite de la faire rire.

- Je vais faire de mon mieux, mais je garantis rien. C'est un peu hors de mon contrôle pour l'instant. Je dis avec un sourire penaud.

Elle me demande mon nom et je lui réponds pendant qu'elle cherche quelque chose en ligne. Suite à quoi elle me demande de faire attention puis réprimande Aaron qui, après s'être fait confisquer les objets du bureau, était allé fouiller dans la petite bibliothèque... Le livre dans ses mains s'envole et lui tape sur la tête, ce qui me fait ricaner sans aucun scrupule. Je capte le regard de l'infirmière quand il lui parle d'une certaine mission mais je hausse les épaules l'air de dire "De toute façon, ce n'est pas mes affaires".

Je me lève et tente de caser quelques mots pendant que les deux autres se clashent le coin de la gueule.

- Merci pour les s-

On se fait virer dans un courant d'air, à cause d'Aaron. Je fais la moue et lui lance un regard de réprimande.

- Ah bah bravo, c'est malin tiens.

J'avais rien fait moi ! Pourquoi je me suis fait virer aussi ?! Je m'adoucis à la proposition du prof.

- Elle a l'air sympa. Je veux bien, j'ai largement la marge pour progresser vu d'où je pars. Du coup tout est bon à prendre.

Mais discuter comme ça dans un couloir, c'est un peu désagréable...

- Si tu as un peu de temps, je t'offre un café ? Je propose donc.

Le but n'est pas de l'inciter à sécher d'autres cours. C'est quand même lui le prof, je rappelle !

Boarf, quels pouvoirs ne sont pas hors de contrôle au début ? C’est toujours comme ça, va, ça viendra suffisamment vite… Mais bon, j’ai pas trop le temps de m’intéresser à tout ce qu’il se passe — j’suis un peu préoccupé par la mission maintenant que j’ai revu Norah, et j’ai le ventre qui se tord de l’imaginer partir avec mon fils et ses amis là-bas. Avec des armes, au milieu de criminels et de mercenaires qui vont chercher à les tuer. … Bon, à me tuer aussi. Mais moi, je ne serai pas avec eux.

Alors pour penser à autre chose je trifouille tout, et je la taquine un peu. Un peu trop, peut-être ; on finit à la porte. Je lance sourire forcé, le regard neutre, à Camil, l’air de dire “oups euh bah voilà”, avant de commencer à m’écarte de la porte, mains dans les poches.

—Ouais, elle l’est… je souris, mi attendri (parce que je l’aime beaucoup), mi contrit (parce que la mission, merde).

Puis je lâche un rire et lui donne une petite tape dans le dos à nouveau. Bon, c'est pas le moment de penser à ça, réfléchissons à des trucs moins glauques, on est toujours en vie hein lol.

—C’est clair. Bah écoute, je dis jamais non à un café !

Cette fois, je l’entraîne jusqu’à l’auuutre bout du couloir du premier étage… pour atteindre les escaliers, m’voyez, et qu’on puisse descendre jusqu’à la cafète. Bon en vrai le café est gratos là-bas, mais j’ai compris l’intention, c’est ce qui compte mdr.

—Bon, raconte ; c’est quoi le problème avec tes téléportations ? Et d’ailleurs, l’électricité, tu t’en sors comment ? Ah et, vraie question : quand tu réfléchis ou imagine un endroit, des objets, tout ça ; t’arrives bien à visualiser les choses, ou c’est compliqué pour toi ?

Ouais nan parce que si j’lui conseille de visualiser l’endroit et qu’il a une forme d’aphantasie c’est même pas la peine, faudra passer par un autre medium. (Au cas où vous vous posez des questions, ouais c’est pour ça que je donne des cours de pouvoirs aux Tonnerres en fait, j’sais que j’ai l’air d’un guignol mais bon.)

Je vois qu'Aaron ne semble pas vraiment là, quand je l'engueule. Son sourire est un peu crispé. Peut-être a-t-il des soucis en tête... Raison de plus pour un café ! Ma proposition semble lui plaire et nous voilà partis dans la direction de la cafétéria. J'ai envie de lui demander ce qui ne va pas, mais eh, je viens de le rencontrer. Je suis peut-être le psy de comptoir de mes potes, mais aux dernière nouvelles c'est pas mon pote. Et je vais pas aller fourrer mon nez là où on m'a pas demandé. Bref.

Je descends les escaliers en essayant de mettre mes pensées en ordre pour répondre clairement à Aaron. Avec toutes les questions qu'il m'a posé, si je prends pas quelques secondes pour répondre, ça va sortir un peu comme "Alors je afoinsdpsfgb." Et euh... Le ridicule ne tue pas, mais là je crois que je ferais exprès de rater une marche pour échapper à la honte que ça me provoquerait.

- Pour le moment, j'ai pas eu de difficultés majeures avec l'électricité. Bon, je me prends quelques coups de jus de temps en temps, mais vraiment, ça serait pareil si je touchait du métal après avoir enlevé une polaire. Tu vois le genre.

Maintenant, on passe au vrai problème.

- La téléportation, c'est autre chose. Je n'arrive pas sur mes pieds la plupart du temps, et je suis comme emporté par mon élan. Du coup, je tombe, je me cogne, ou je me prends des murs. (Littéralement.) Visualiser, ça va je le fais. Mais en fait, j'ai du mal à focaliser mon esprit sur quelque chose plus de quelques secondes.

Genre, vraiment : j'ai le temps d'attention d'un chiot sous caféine. En parlant de café, nous voilà arrivés. Je m'approche d'une machine et laisse mon doigt en suspension au dessus des boutons.

- Tu prends du lait ou des sucres avec ton café ? Je demande.

Direction la cafète, chic. J’espère ne pas croiser de collègue sur le chemin, j’vais encore me faire juger. Au pire, je remets un coup dans le nez de Camil et j’le refais saigner un peu, ça me donnera une excuse lol. … J’déconne ça vaaaa le télépathe, calmos, j’ai senti ton coup de stress à 10 mètres. Bon. Revenons-en à notre blond, qui est en intense réflexion. On a eu le temps de quasiment descendre un étage avant qu’il se remette à parler mdr.

Alors j’acquiesce. Bon, l’électricité il gère, ça veut dire qu’il assimile bien son élément et qu’il a peut-être des facilités avec. La téléportation, c’est ça le gros du problème. Se faire emporter par son élan — il réfléchit pas assez — ; tombe, se cogne, n’atterrit pas sur ses pieds — il est maladroit ? il a des soucis d’ancrage ? — ; se prendre des murs — est-ce une métaphore de sa life ? Ah. Voilà le problème : l’attention.

—Fais-toi tester pour un trouble de l’attention, je réponds sommairement.

… Non mais c’est vrai quoi, si t’es pas foutu de rester concentré, fais-toi tester, chais pas.

—Peut-être que c’est le coeur du problème, tu es trop impulsif quand - je le prends sans sucre, merci - tu cherches à te téléporter. Quand on a du mal à se concentrer, ça aide de d’abord s’entraîner à focaliser son attention. Par exemple, s’entraîner à regarder une flamme, une image, etc, et ramener ton esprit vers cette image. Même si tu dévies, c’est pas grave ; tu te dis un truc du style “ok je pense à autre chose, revenons à l’exercice” ou quoi. Pour la téléportation, ça marche bien de commencer sur des distances très courtes, qui sont visibles devant toi. L’idée, c’est pas que tu visualises seulement cet endroit, mais que tu t’imagines dans cet endroit, à cette place dans l’espace, avec les pieds bien ancrés par terre. Peut-être que t’imaginer t’ancrer dans le sol - sentir le sol sous tes pieds, palper le terrain quoi - ça peut aider. Autre possibilité : commencer par te téléporter en étant assis.

Voilà.

Je décris le problème à Aaron, et sa réponse est laconique. Le trouble de l'attention, oui ça me dit quelque chose. Mes collègues m'en ont aussi parlé, mais je ne me suis jamais fait tester tout simplement parce que ça ne m'a jamais empêché de vivre. Du coup, j'avais oublié. Haha. Hem. J'acquiesce, oui je me ferais tester, si j'y pense encore une fois cette conversation terminée. Autrement dit, c'est pas gagné.

Pendant qu'il continue de me donner des conseils, je lance le café, sans sucre pour monsieur. La machine bourdonne pendant qu'Aaron termine de parler. Je prends quelques instants pour réfléchir à ce qu'il a dit.

- Donc, plutôt me projeter que de juste me dire que j'y vais ? Limite presque sentir carrément les sensations comme si j'y étais ? Je lance, pas encore tout à fait sûr de ce que je dis.

Je tends son café à Aaron et lance le mien, un latté avec du sucre. Pendant que la machine reprend son bourdonnement, je reprends de mon côté :

- La téléportation assise c'est une bonne idée, avec un peu de chance, si je tombe, je me ferais moins mal.

Non parce que les cascades, je suis clairement pas fait pour ça. C'est vraiment le pouvoir auquel j'aurais aimé échapper, après Nikkou... D'ailleurs, autre supposition !

- Et tu crois pas que du coup je pourrais me bloquer inconsciemment, à cause de la fois où Nikkou nous a téléportés ? Ça m'a tellement pris par surprise que je me suis juré que plus jamais je le refaisais.

Je me dirige avec le prof vers une table libre et me laisse tomber dans une chaise avec un soupir. Quelle prise de tête ces histoires !

Camil semble avoir quelques difficultés à comprendre exactement où je veux en venir, si j’en juge par son expression faciale. Je souris tranquillement, plante mes mains dans mes poches, puis attrape le café quand il me le tend.

—Merci. Ouais, c’est à peu près ça. Plutôt que d’imaginer une hypothèse, t’imagines une réalité.

C’est un peu la même chose avec l’électricité ou l’aspect sensitif — l’imagination crée la chose, mais c’est seulement si on y croit qu’on peut réussir à vraiment lui donner la forme qu’on veut. Surtout au début, en fait, faut s’habituer au fonctionnement et à cette énergie nouvelle qui nous parcourt ; alors j’sais pas, j’trouve que c’est pas mal de passer par du concret pour pouvoir transformer un peu notre réalité.

Tranquillement, je souffle sur mon gobelet de café et souris en coin. Ca a l’air de lui activer quelques idées supplémentaires, donc finalement j’ai déjà quasiment rempli mon job. Maintenant c’est à lui de transformer tout ça.

—Ah ouais, c’est possible en vrai. Après plus tu tombes et te fais mal, plus tu vas avoir la crainte de recommencer. C’est comme le vélo ; faut pas craindre les premières chutes, elles font partie de l’apprentissage.

Puis on s’installe et je m’accoude à la table, café entre les mains.

—Faut pas te laisser bloquer par ce genre de trucs, c’est aussi tout nouveau. Personne arrive à gérer super bien ses pouvoirs dès le début, ou alors ils sont vraiment hyper fortiches et j’veux bien leur numéro, hein. Prends le temps d’en tester les limites, et si t’as peur de te faire mal, casque, genouillères, coudières. Prépare toi tranquillement, et essaie de te cantonner à la salle d’entraînement… les tapis sont mous.

Imaginer la réalité, ça je connais. C'est quand même la base de mon domaine : l'art. Donc ça me semble d'un seul coup beaucoup plus atteignable. Je pense que ça doit se voir à la lumière qui passe dans mes yeux. J'acquiesce et continue de préparer les cafés.

- Ouais imaginer la réalité ça va. Je pense que le plus difficile c'est de me projeter moi dedans. C'est comme peindre : quand tu peins un paysage, tu t'y intègres rarement. J'explique.

Je prends mon café et en bois une gorgée, me brûlant la langue au passage. Avec une grimace, j'attrape un morceau de sucre et le place dans ma bouche pour le laisser fondre sur ma langue. Il paraît que ça aide à faire passer la brûlure.

- En v'ai, h'est 'as 'omber qui 'e fait 'eur. Je commence.

Hm. Pas très compréhensible. J'attends que le sucre ait fondu pour reprendre :

- J'disais : en soi c'est pas tomber qui me fait peur. Ça, même sans pouvoirs, ça arrive. C'est juste que je me dis que si je foire vraiment, je risque de me retrouver n l'air, à un ou plus étages du sol. Et ça, ce serait plus embêtant.

Le but de venir à Terrae c'était quand même de vivre une vie tranquille hein. Pas de devenir cascadeur pro.

- Mais si en effet je me cantonne à la salle d'entraînement, et qu'en bonus y'a des tapis mous... Pour les protections...

Par contre, je viens d'essayer de m'imaginer en équipement intégral, comme l'a décrit Aaron. Je ris jaune, ça ressemble plus à un aboiement qu'à un rire. Même quand il m'apprenait à faire du vélo, je n'ai jamais porté de protections : "ça rend faible ces conneries !" disait mon père. Quelle foutue ironie qu'aujourd'hui on me propose d'en mettre. Le vieux se retournerait dans sa tombe si il me voyait avec ne serait-ce que des genouillères.

- En tout cas, c'est cool de prendre le temps de m'aider. J'apprécie vraiment. Je dis avec un sourire.

On s’est posés tranquillement le temps de discuter. Camil semble un peu mieux comprendre ce qui le stresse dans la téléportation, finalement, et crée des liens dans sa tête tout seul. J’ai même pas besoin de faire le taf, au final, il a aucun problème à s’analyser lui-même. Ca lui serait sûrement bénéfique d’assister aux cours de pouvoirs, mais il n’y en aura sûrement plus jusqu’à la rentrée des cours en janvier. Je déduis aussi intelligemment (hm) de sa réplique qu’il doit aimer la peinture… S’il se visualise pas du tout dans l’espace, tu m’étonnes qu’il se cogne partout ou qu’il arrive pas à se téléporter mdr.

Et puis là il met un sucre entier sur sa langue. Ouais, j’le juge, je comprends pas pourquoi il fait ça.

—Tes pouvoirs c’est une extension de toi, s’ils te mettent en danger c’est que t’acceptes de te mettre en danger. Et si tu te dis ça pendant que tu te téléportes, c’est une évidence que ça se passera pas bien, parce que ton cerveau est pas concentré sur l’endroit où tu veux aller, mais sur l’endroit où tu ne veux pas aller. Si tu te dis, “je veux pas aller à cet endroit”, ton pouvoir va t’y amener, parce que tu mets de l’énergie vers cette visualisation et ce lieu-là.

Je hausse alors une épaule et m’appuie en arrière sur mon siège, avant d’acquiescer. En effet, il vaut mieux y aller mollo au départ. C’est pas parce que c’est le pouvoir le plus pratique de la terre qu’il est facile à utiliser cash, hein !!

—Aucun problème, c’est mon rôle aussi. Puis comme ça, on pourra pas me reprocher d’avoir quitté ma classe, je souris, à demi moqueur. Je pense que tu aurais intérêt à venir aux entraînements des Tonnerres, quand t’as un peu de temps. Il devrait y avoir de nouveaux créneaux proposés en janvier, a priori, donc hésite pas à faire un tour. On s’y recroisera sûrement si tu viens.

Je zyeute mon café déjà à demi fini, je les bois trop vite mdr.

—Enfin voilà, le meilleur conseil que je puisse te donner c’est de te visualiser là où tu veux aller, et de rester focus au max sur cette image. Et laisse pas la peur t’envahir, sinon ça marchera pas dans tous les cas. Y a vraiment pas de mystère, c’est un coup de main à prendre.

Putain la vache je me suis bien cramé la gueule. Même si le sucre atténue en effet la douleur, j'ai quand même l'impression d'avoir la langue détruite. Aaron le sirote comme si il était pas tout juste sorti de la machine, ce mec n'est pas humain. J'écoute ce qu'il me dit en hochant la tête de temps en temps. En effet, je n'avais pas vu ça de cette façon. Si j'anticipe en me disant "pas par là", je vais forcément aller exactement là. Mais supprimer ce réflexe va être long et difficile.

Bon, plus qu'à travailler ça aussi. Je pense que c'est comme supprimer un réflexe inutile, ça prendra du temps. Je dis avec un soupir.

J'aurais presque la flemme pour le coup. Mais ça, c'est parce que travailler pour atteindre un but, je ne l'ai jamais vraiment fait. Même pendant ma scolarité : j'ai jamais vraiment taffé, tout m'a paru facile. Et maintenant je ne sais pas trop comment faire. Je remercie quand même Aaron, qui prend du temps pour moi. Mais par contre, je te juge mec, d'avoir quitté ta classe par pure flemme. De quoi, la solidarité entre profs ? Haha bah non j'en ai pas, j'suis plus prof, cheh ! J'ai bien compris que je serais son prétexte si jamais on vient lui dire quelque chose. Et en soi, je m'en fiche c'est pas mon problème, mais heureusement que je suis pas juste un prétexte et qu'il m'aide vraiment hein.

- Ouais j'y ferais sûrement un tour, histoire de garder la motivation. Je suis sujet aux ragequit ! Je plaisante.

Ouais c'est sûr qu'on va se revoir, mon coco. Je suis loin de la maîtrise minimum de mes pouvoirs. Puis avoir d'autres téléporteurs pour discuter de nos ressentis c'est cool. Parce que si j'ai bien pigé, Aaron est pas téléporteur, mais sensitif. Donc même si il peut me conseiller en tant que Master, il me manque le ressenti. J'ai siroté mon café aussi en discutant, et j'arrive à la fin. Hm. To reprendre un café or not to reprendre un café ? Nan, j'ai encore des trucs à faire aujourd'hui.

- Entraînement et consistance, c'est comme n'importe quoi en fait. Sport, art, école... C'est toujours la même chose. Je dis en haussant les épaules.

Même si pour l'école j'ai pas trop eu cette expérience.

- En tout cas, c'était cool de discuter avec toi. Même si ça a mal commencé, je me souviendrais que tu t'es foutu de ma gueule ! Je le préviens avec un sourire.

Un sourire en coin s’installe sur mon visage et j’acquiesce en reprenant mon café bien chaud bien brûlant comme il faut. C’est souvent comme ça avec les réflexes au départ, il faut pratiquer jusqu’à n’en plus pouvoir pour s’en débarrasser et acquérir la méthode. En maths, c’est un peu la même chose, d’abord faut comprendre la logique, la tester, l’éprouver, et ensuite recommencer jusqu’à ce que ça s’imprime.

—Courage va, c’est que le début. Petit à petit, tu te rendras compte que c’est de plus en plus facile, parce que tu auras appris à dompter cette nouvelle énergie en toi. Plus tu l’utiliseras, et plus tu la reconnaitras.

J’arrive pas à retenir un éclat de rire peu discret.

—C’est souvent le cas avec les téléporteurs, t’en fais pas ! C’est pas comme si on n’était pas habitués, je rigole.

Est-ce que je devrais lui dire que Nikkou s’occupe souvent de la partie téléporteur durant nos entraînements ? Naaannn, je vais le laisser le découvrir par lui-même, ce sera marrant héhé. J’espère vraiment que je serai là pour voir ça, ce jour-là, et que ça ne tombera pas sur une des sessions de Jeremy ou (pire) Ipiu… même si bon habituellement elle vient une ou deux fois l’an max, et que son état le lui permet paaaas trooooppp. Mais j’m’en fous, depuis qu’on bosse sur son nouveau traitement elle va quand même vachement mieux, donc elle aura qu’à venir prendre ses responsabilités une fois, oh.

Quand Camil parle de persistance, je lui envoie un finger gun. C’est l’idée, même si ça saoule. Feel, mon gars, feel. Je souris à nouveau.

—Ouais écoute avec plaisir. Ahaha. Moi c’est justement de ta tête qui rencontre la porte dont je me souviendrai~ Allez, tu devrais te mettre dans la queue pour la cantine si tu veux pas manger dans mille ans ; du monde commence déjà à venir.

Je termine mon café et me redresse en m’étirant, de meilleure humeur. Humeur qui s’efface un peu quand je me rappelle qu’il faut que j’aille causer à Norah avant de rejoindre le village pour manger. Misère… J'aurais vraiment dû être téléporteur !

—Allez, à plus Camil, prends soin de toi. On essaie de se revoir à la rentrée, si j’suis en un seul morceau ! Courage pour la téléportation !

Et je me casse vers la porte en lui faisant un signe de la main, jetant mon gobelet dans la poubelle au passage. Je grimpe à nouveau les marches, à contre-sens des élèves qui descendent, et me fait juger par deux trois collègues qui descendent au même moment. Oui ben hein, j’étais occupé, tu veux quoi. Je file jusqu’à l’infirmerie, et y passe la tête avec un sourire un peu moins fier que précédemment. Je sais qu’elle laissera rien arriver à Nico, Alice ou Ariana, mais j’ai vraiment besoin qu’elle me le dise en face.