Bordel. Mais quelle galère ! Je ressors mon moule avec la pâte à gâteau à moitié cuite du micro-ondes qui bipe en continu depuis cinq minutes.

Replaçons le contexte : il est une heure du matin et ça fait justement deux heures que je me bats littéralement avec mon four à micro-ondes pour faire cuire un gâteau au yaourt. J'avais vraiment, mais vraiment envie d'un gâteau au yaourt, alors je me suis dit "pourquoi pas qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?"
Alors j'ai fait ma pâte dans les règles de l'art, à la main, avec un fouet. Bien battue, bien aérée, je l'ai versée dans un de mes moules. Jusqu'ici, pas d'incidents. J'ai donc glissé mon gâteau sur la grille du mini four, et j'ai tendu le doigt pour appuyer sur la touche de temps. Et là, impossible de dire ce qui s'est passé. Je crois que j'ai mal géré mes pouvoirs. Quoi qu'il en soit, y'a eu une étincelle, j'ai pris un coup de jus et le four s'est mit à biper comme un fou. Et à partir de là, plus rien à faire, il est parti en grève.
Je l'ai débranché, rebranché, j'ai tapé dessus -mauvaise idée -, je l'ai cajolé, insulté... Les bips ont cessé (ouf !) et il a daigné faire cuire mon gâteau, mais seulement la moitié du temps demandé. Puis il s'est remis à biper tout ce qu'il pouvait. Re-belote, je l'ai débranché, branché, cajolé, insulté... Mais cette fois, rien à faire c'était la fin. Revenons donc à nos moutons, que je ne suis pas près de compter.

Je pose le moule sur la table et fusille du regard l'appareil qui continue à hurler ses bips. Seule solution : le débrancher. Au moins là je ne réveillerais pas le reste de l'étage... Je crois que j'afficherai un petit mot d'excuse demain. Enfin, je veux dire quand le soleil sera levé. Mais maintenant j'ai une pâte à gâteau à finir de faire cuire... J'enfile donc un bas de jogging lilas et un t-shirt bleu pastel avec un soleil jaune sur le pectoral gauche. Tout à fait en désaccord avec mon humeur, tant pis. Une fois l'appareil du diable débranché et silencieux, direction la cafétéria pour emprunter le four le temps que mon gâteau finisse de cuire.

En entrant, je ne fais pas attention au monde autour, et je vais droit sur le four. Ce que j'avais oublié de prendre en compte c'est qu'il faut le préchauffer pour que ça marche. Fuck. Soûlé, je pose un peu agressivement mon moule sur le comptoir. Et c'est là que je remarque que je ne suis pas seul. Mon agacement, retombe comme un soufflé.

- Ah... Euh désolé pour le bruit. Je m'excuse, embarrassé par mon comportement.

Le pauvre garçon sursaute quand j'abats mon moule sur le comptoir. Bichette, j'ai dû lui faire peur, oui... Et puis il me dévisage avec un air vaguement paniqué. Je remarque aussi qu'il avait un casque sur les oreilles. Il n'a pas dû m'entendre...

- Euh... Bonjour ? Désolé pour le bruit. Je répète en essayant d'avoir l'air plus accueillant.

Je ne l'ai jamais vu par ici, peut-être qu'il est nouveau. Et si il est debout à cette heure, il a peut-être un décalage horaire dans les pattes et n'a donc peut-être pas encore vu qui que ce soit. Oh là là ! Si c'est le cas, je suis le premier à l'accueillir ! Il faut que je sois sympa ! Les premières impressions sont super importantes. Je le regarde et lui souris gentiment, en espérant que ça l'aide à se détendre.

Et je crois que ça marche : il hausse les épaules et ouvre la bouche pour parler... Et se met à saigner du nez ! D'abord un peu, puis de plus en plus, lui faisant lâcher la clope qu'il avait au bec - il faudra que je pense à lui dire de ne pas fumer à l'intérieur d'ailleurs.

- Ouah la vache, attends bouge pas !!

Je me dépêche de sortir un rouleau d'essuie-tout et d'en détacher quelques feuilles que je tends au pauvre garçon.

- Tiens essaie de garder la tête penchée en avant, et surtout te mouche pas. Laisse couler, jusqu'à ce que ça s'arrête. Je lui conseille.

Après les nombreux coups dans le nez suivis de saignements, j'ai appris à les gérer. Mais c'est jamais le grand kiffe. Je pose le rouleau près de lui.

- Bouge pas, j'ai des mouchoirs dans ma chambre, je reviens tout de suite.

Je filais aux escaliers. Flemme de les monter, gogo gadgeto téléportation. On se concentre, et pop ! Me voilà en haut des escali-
Je trébuche sur la dernière marche et effectue un roulé-boulé pour éviter de m'aplatir au sol. Bon. Déjà j'ai pas pris de mur, c'est un progrès. Je file à ma chambre et attrape un paquet de mouchoirs. Et comme une téléportation quasi-réussie suffit, je redescends les escaliers quatre à quatre jusqu'à la cuisine où j'entre en brandissant le paquet.

- Et voilà ! Ça sera plus agréable que le Sopalin.

Juste avant d'arriver, j'entends un grand bruit. En entrant dans la cafétéria, je retrouve le jeune homme accroupis devant le four. Il l'a allumé pour moi ? C'est sympa de sa part, par contre qu'est-ce qu'il fiche..? Je crois qu'il a dû se cogner parce qu'il se tient un instant la tête. Pauvre cœur, c'est pas sa journée décidément.

Je le regarde se frotter les yeux et enlever ses lunettes. Eh, il a de plutôt beaux yeux quand on les voit ! Puis il me remercie. Je crois que je l'ai coupé plus tôt alors je souris gentiment.

- Y'a pas de quoi, ça va mieux ? Tiens je pose les mouchoirs près de ton café. Ah d'ailleurs, tu devrais t'en refaire un parce que clairement, un café à la clope c'est pas le plus conseillé.

Joignant le geste à la parole, je pose le paquet de mouchoirs à côté de la tasse et regarde un instant la clope flotter dans le liquide noir. Ah, ça me donne envie de fumer... Depuis cette clope avec Erik et les derniers événements à Terrae, j'ai de plus en plus souvent envie de m'en griller une. Mais pour le moment j'ai résisté, bravo moi ! Je fais un geste vers le four.

- Merci pour le four, c'est chouette de ta part. Je dis avec un sourire, ma mauvaise humeur étant un peu passée.

Je suis curieux de savoir ce qu'il fait ici aussi tôt, surtout que je l'ai jamais croisé. Mais il a l'air d'un jeune assez timide et je ne veux pas le brusquer alors au lieu de continuer la conversation, je vais prendre des mitaines et un couteau pour la suite de mon gâteau. Une fois que j'ai tout rassemblé, je lance un nouveau regard vers le jeune en espérant qu'il ait eu le temps de reprendre contenance.

- Tu es nouveau non ? Désolé si je fourre mon nez dans ce qui me regarde pas, tu me dis hein. C'est juste que je t'avais encore jamais croisé. Je dis sur le ton de la conversation.

Le but n'est pas de faire fuir le pauvre petit.

Le jeune se ressert un café pendant que je lui pose mes questions. Et la réponse ne tarde pas à tomber. Oof, c'est rude.

- Ah, c'est parce que je l'ai pas dit... Je m'appelle Camil.

C'est vrai que je lui pose des questions mais je me suis même pas présenté. Comment je suis malpoli. Voilà maintenant je me sens trop mal. Mais lui a la gentillesse de me répondre quand même. Il vit la nuit, voilà pourquoi je ne l'avais pas encore croisé. Il essaie d'éviter le plus de gens possible... Et moi j'arrive avec mes gros sabots. Ouah de pire en pire. Damn.

- Ah euh... Désolé, je t'embête plus alors. Désolé de t'avoir embêté. Je dis, un peu embarrassé maintenant.

Je me tais donc en regardant le voyant du four. Je tapote le comptoir de la pulpe des doigts en attendant que celui-ci s'éteigne, signe qu'il aura fini de préchauffer. Heureusement, ce four est assez efficace et la petite loupiote s'éteint après quelques minutes de silence gênant. J'ouvre le four et y glisse mon pauvre gâteau mi-cuit. Une fois que c'est fait, je sors mon téléphone et mets un minuteur. Et j'attends...

Bon ok, j'avoue je tiens pas trois minutes de plus avant d'ouvrir à nouveau ma grande bouche.

- J'étais prof avant de venir ici, alors... Si jamais t'as des soucis, tu peux venir me voir. Même si c'est la nuit ça me dérange pas. Enfin, si tu veux. Je te force à rien. Vraiment.

Oh mais tais-toi, Camil !

- Pardon, je me tais.

Je sors mon téléphone et lance Summoners War pour passer le temps et laisser de l'espace au jeune homme.

Kyosuke, donc. Il a l'air d'être un chouette garçon, même si en effet c'est visiblement un grand timide. Par contre, je ne suis pas certain d'avoir bien saisi le compliment...

- Euh... Merci ?

Est-ce qu'il m'a appelé Camille ? Je veux m'en assurer mais il reprend sans que j'ai le temps de trouver les bons mots. Il me rassure comme quoi je ne l'embête pas. Le minuteur est en marche, le gâteau dans le four, et ma patience se consume rapidement. On vous a déjà dit que les Tonnerres sont des moulins à parole ? Non ? Bah voilà, maintenant vous le savez ! Donc je me dis, quitte à discuter, autant que ce soit de quelque chose qui pourrait aider Kyosuke. C'est pourquoi je lui annonce que j'ai été prof.

Je ne sais pas pourquoi ça lui fait un tel effet, mais le voilà qui recrache son café. Je me demande l'espace d'un instant si il arrivera un jour à boire un café entier... Ça m'a l'air bien mal parti. D'après lui, c'est effrayant... Je ne sais pas si il parle de moi en tant que prof, auquel cas je l'avoue je serais un peu vexé, ou bien du métier de prof en lui-même. Il enchaîne en disant qu'il a de bonnes notes, des A+. Je souris, j'ai beau connaître ce drôle de personnage depuis moins d'une heure, je pense l'avoir assez cerné pour deviner qu'il ne se vante pas.

- C'est super, bravo. Je ne sais pas en quelle classe tu es, mais dans tous les cas, ça veut dire que tu t'en sors bien, c'est rassurant. Mais quand même, si il t'arrivait d'avoir une question sur un cours, viens me chercher.

J'ai dit ça d'un ton amical, pour éviter qu'il ne prenne ma dernière phrase pour un ordre. Ce n'est qu'une invitation. Après tout, je veux juste qu'il trouve sa place ici. Par contre...

- Par contre euh... Tu m'as appelé Camille, je crois...

Comment dire ça pour ne pas le mettre mal à l'aise..?

- En fait, c'est Camil. Je m'appelle Camil. C'est assez proche je sais, mais voilà. Pas que ça me dérange qu'on m'appelle Camille, c'est pas la première fois !

Awkwaaaaard...

Je fais un sourire rassurant à Kyosuke.

- Je suis dans une chambre au 3ème étage de ce bâtiment. C'est pas trop dur à trouver : il y a mon nom sur la porte.

Encore faut-il qu'elle reste sur ses gongs, avec l'espèce de fou furieux qui vit au même étage... Mais c'est une autre histoire.

- J'étais prof d'art et d'histoire de l'art, mais je peux aussi t'aider dans d'autres matières et pour la méthodo si tu as besoin.

Ce n'est qu'une proposition, il a le droit de dire non... Mais avant ça, je crois qu'il a mal entendu mon nom donc je me permets de le corriger. Je regarde le jeune homme buguer et me détailler à nouveau. J'incline la tête, un peu perplexe. Qu'est-ce qu'il pensait..? Comment ça, "tu es un garçon ?!" ?

OH. Oh non ça recommence. Nooooon... Encore quelqu'un qui m'a pris pour une fille ! C'est à mon tour de rougir, parce que je suis gêné par son compliment un peu ambigu et parce que tout ce temps, il pensait vraiment que j'étais une femme !

- Non, non, non je suis un garçon ! Enfin, c'est gentil de me trouver mignonne - enfin je crois - Je me murmure à moi-même. Mais non, je suis définitivement un gars !

Biologiquement y'a zéro place au doute, mais plus je me prends ce genre de remarques et plus je me rends compte que visuellement c'est difficile de le savoir. Mais non, je me vois mal changer de pronoms... Nope, définitivement un mec. Pour sûr. Je suis totalement cramoisi cette fois, incapable de bouger. Quel embarras.

- Désolé, le choc que ça doit te faire... C'est vrai que des fois on me prend pour une femme... Mais d'habitude ma voix... Enfin...

Je me mélange les pinceaux. Je décide de me détourner le temps de reprendre contenance. Je m'accroupis près du four et regarde mon gâteau par la vitre, faisant semblant de vérifier la cuisson. Mais en vrai, je suis infoutu de me concentrer dessus. Je me sens trop mal. Les "bonjour madame" sont déjà assez malaisants sans qu'en plus ce genre de situation se passe. J'attrape une mèche de mes longs cheveux.

- Je devrais peut-être les couper... Avec les cheveux courts, on confondrait peut-être moins...

Même si je serais triste de perdre toute cette longueur durement acquise... Puis les cheveux courts ça me va pas très bien...