- Aaaaaaaaaaaaaah.

C'est à peu près le râle que je pousse, affalée sur le bar, après que les derniers clients soient partis. Je suis assise sur un tabouret, la tête contre le bois, mes cheveux s'effondre un peu tout autour. J'ai des fourches de partout et ils sont ébouriffé par mes allers retour en salle. J'ai viré ma chemise, et je suis juste en débardeur et en short.

- T'es sûr on peut pas baisser le chauffage ? Je crois que tu te poses un oeuf sur moi il cuit, quoi.

Je lance ça à l'attention de Kaiko. Avant de me lever et de me trainer jusqu'à la terrasse pour commencer à la ranger. Je revis en sentant la fraîcheur de l'extérieur.

Ouais, là c'est bien. Chu bien.

Je résume. Avec ce qui s'est passé pendant la mission de Luna, Kaiko et moi on tient le bar a deux. Bon, à trois c'était sport. A deux, je crois que je meurs tous les jours un peu plus. Mais on peut pas laisser tomber parce que Luna nous fait confiance et puis elle a besoin de nous pour tenir son bébé.

Elle nous a aussi filé des cristaux de Terre pour les plantes. Le problème, c'est que mon expérience en tant que Terre est lointaine. Et c'est vachement différents que le feu en terme d'énergie.

Je m'allume une clope en songeant à tout ça. Et je vais ranger en fumant, gardant ma cigarette dans mes lèvres. C'est affreusement inconfortable, mais un peu stylé aussi. Cela dit j'assume pas des masses. Si je pouvais je deviendrais invisible. Mais j'ai pas un pet d'énergie.

- Au fait, j'ai pas demandé, tu veux une clope ?

Ils sont partis ?... Ils sont partis. PUTAIN ILS SONT PARTIS. :

-Euwgraaaaaaaaaaah...

Ouais. C'est sûr que le râle de Kaiko, à côté de celui de Katsu, il est moins classe... mais comme elles le poussent en même temps, ça va, ça se remarque pas trop. Si, si... Si ça se remarque grave.

C'est qu'elle a foutu un sacré bordel cette mission. Y'a des gens qui ont fini à l'hosto... Y compris son frère, pendant qu'elle comatait derrière le bar : sœur de l'année tout le monde, elle est là. Complétement bourrée depuis. 'fin elle alterne bourrée et gueule de bois, mais ça va tellement vite des fois elle ne se souvient plus vraiment de quel jour il est et de si elle est effectivement bourrée. M'enfin pas au point d'abandonner son boulot naaan ! Parce que parmi les gens hospitalisés, y'a sa patronne... et la patronne, elle veut pas la laisser tomber. Elle veut laisser tomber personne, même si elle a l'impression qu'elle fait que ça... Donc elle va bosser, bourrée, dessoûle le temps de la journée et se sert une pinte à la fermeture parce que pourquoi pas ?...

Elle souffle et essuie la sueur qui perle de son front avant de boire une gorgée d'or liquide. C'est frais, c'est fin, ça se boit sans fin. :

-Ch'uis sûre. Faut pas que les plantes prennent un coup de froid.

Y'a ça, mais c'est surtout l'humidité ambiante qui est dure à supporter. Kaiko aime l'été, c'est une enfant du mois d'août japonais, lourd et étouffant. D'ailleurs, c'est bien un des seuls trucs qu'elle arrive à faire avec ses pouvoirs ; transformer n'importe quelle pièce assez chaude en jungle avec l'humidité qu'elle peut y foutre. Elle appelle ça son "mode brumisateur". D'ailleurs, en parlant des plantes, elle fait un p'tit tour, cristal Terre dans une main, sa bière dans l'autre, pour vérifier si "la matriarche ne manque pas trop à ses bébés"... Aucun malade en vue. Et c'est cool pour le pauvre mental de Kaiko qui a vraiment besoin de se dire, en ce moment, qu'elle est capable de prendre soin de quelque chose, si c'est pas quelqu'un.

Une fois que c'est fait, elle rejoint Katsu dehors, respirer un coup, bière déjà à moitié vidée. Sa collègue lui propose une clope. :

-Oh putain oui, steup'. J'ai oublié les miennes dans ma chambre.

Techniquement, elle les a perdu. Dans la nuit. Torchée, c'est dur de se souvenir d'où on a posé le moindre objet vous savez ? :

-J'te brumise un peu si tu veux ? Avec l'air du dehors, ça te rafraîchira un peu plus.

Même si c'est vrai qu'elle est toujours fraîche. :

-Même si t'es toujours fraîche pour moi.

C'est le genre de remarque qu'on garde pour soi quand il s'agit d'une collègue de boulot Kaiko. Et ponctuer ça d'un clin d'œil n'arrange rien !

Kaiko me rejoint alors que j'empile les chaises les unes sur les autres. Et visiblement elle a oublié ses clopes. Je souris.

- T'inquiète. Je suis un tabac à moi toute seule, héhé.

Je sors mon stuff et je lui roule une clope. À Todaï, j'ai appris à rouler vite, en marchant, bossant ou à une main. Là, j'prends mon temps pour lui faire une belle cigarette.

Surtout, qu'elle propose de me brumiser.

- Oh, ouais steuplait.

Et là, elle me sort une de ces disquettes. Alors. Minute. Je dois poser un peu de contexte.

Quand j'ai eu le job, je venais de coucher avec Luna. Et j'ai développé un crush, assez balèze. Sauf que j'ai bien capté que Kaiko et Luna avaient ken. J'aurai pu être jalouse et je pense que je l'ai été. Mais, franchement. Je comprends. Kaiko elle est grande, cheveux décoloré et tout.

Donc franchement, legit.

Tout ça pour dire et me rassurer sur le fait, qu'en fait, roule. On peut se faire des blagues.

- Mais non ! C'est toi qui est fraîche, tu me brumise en plus. Moi, j'suis plutôt chaude.

Elle est eau, je suis feu. Vous l'avez ? Putain, je suis plus relou qu'un mec. Incroyable. Je lui tends sa clope en tirant la dernière taff sur la mienne.

- Il me reste de l'herbe, on peut se faire un joint après avoir rangé si tu veux.

Oui non, parce que avant ou pendant je vais juste être stone avec mon état de fatigue, je saurais plus comment je m'appelle.

Fuck yeah une clope ! Kaiko ne tarde pas à la mettre au bec avant d'ouvrir sa paume de main vers le visage de sa collègue, créant une légère brume pour humidifier son visage et ses bras découvert. Avec le p'tit vent dehors, c'est nickel pour se rafraîchir. Même si, effectivement, pour Katsu qu'est Feu, être chaude c'est apparemment la base. Kaiko glousse bêtement quand elle rétorque. Elle a toujours kiffé Katsu, jolie brin de fille, un peu blagueuse. Elle réveille souvent son envie de défoncer du macho-connard quand des mecs mal intentionnés tentent de la draguer en plein service. Luna n'a pas besoin de videur ; être Titan suffit à faire planer une aura de menace à quiconque s'en prendrait à ses employées ou sa clientèle. Mais de son côté, Kaiko a développé son sourire de l'enfer. Celui qui dit "Si tu sors pas maintenant avec tes propres petites jambes, à la prochaine saloperie je te les casse avec ma batte de baseball " sans pour autant répondre aux clients. Qui aurait cru qu'elle aurait appris un minimum de self-control un jour ? Certainement pas elle. :

-C'est qu'on fait la paire ! On ferait de drôles d'étincelles au lit.

Un "minimum" de self-control on a dit, hein.

Katsu propose un joint et elle secoue la tête, refusant poliment. :

-Merci c'est gentil mais j'aime pas trop ça. Mon vice à moi, c'est la bière.

Elle ponctue sa phrase d'un clin d'œil avant de descendre d'un cul-sec la moitié restante de sa pinte de bière. Elle souffle, revigorée et allume la clope offerte. :

-J'me rendais pas compte que bosser qu'à deux ce serait autant épuisant. Mais on gère quand même et c'est cool, la patronne sera contente.

J'ai fais une blague et... Elle a répliqué, avec encore moins de tact. NON MAIS SERIEUX. C'est le bar qui nous enlève absolument toute formes de tact et subtilités ? Je crois bien. Des étincelles au lit, donc.

- Et pourtant, on est même pas tonnerre !

Petite blague de pouvoir en plus, allez. Elle décline ma proposition pour le joint, en me disant qu'elle préfère la bière. J'acquiesce avec un sourire. Et, je suis un peu impressionné quand elle termine son verre d'un coup, comme ça. Mais vas-y, skill de serveuse, ça aussi. Je continue sur la lancée.

- J'comprends. D'ailleurs, tu m'as un peu réconcilié avec la bière ! Je savais pas que c'était possible de découvrir autant de goût différent avec juste une "boisson".

Bon, pis aussi, avant y avait du mépris de classe, un peu. Dans les soirées de Todaï, on est plus cocktail bizarre, que bière. Cela dit, maintenant, ça m'arrive d'apprécier après le travail, un demi.

Non parce que, avec une pinte, j'suis soit malade, soit fracassé. Alors que je songe à ça, elle commence à parler de... la situation du bar. Je soupire en écho à ce qu'elle dit, en m'essuyant le front.

- Mais tu m'étonnes. J'ai l'impression y a encore plus de client, quoi ! Après, j'fais souvent la salle, donc en vrai, je cours juste plus, mais toi, tenir le bar toute seule c'est pas trop dur ?

J'acquiesce quand elle suggère que Luna sera contente.

- Ouais, on a pris de son bébé. Fin...

Je regarde le bar.

- De notre bébé.

Petite pause.

- Tu sais que les gens l'appelle le "bar à lesbienne" ?

Kaiko rigole fort à l'énième blague sur les pouvoirs. C'était peut-être facile, mais ça fait du bien, s'amuser sans se prendre la tête après tout ce qu'il vient de se passer... Elle pose son verre vide à côté d'elle pendant que Katsu lui rappelle qu'elle n'est pas si inutile que ça ; elle s'y connaît assez en bières pour essayer de trouver LA boisson qui pourrait plaire aux gens, même ceux qui l'apprécient moins. :

-Ah ! Je suis contente de t'avoir fait découvrir ça ! La bière, c'est comme le thé : y'en a énormément et trouver ce qui nous plaît c'est une sacrée galère. D'ailleurs je t'ai jamais remerciée de m'avoir appris certains cocktails ! C'est pas autant ma came mais eh ! Maintenant je sais que j'aime les cocktails au cointreau ahah !

Elle inspire une longue taffe de tabac, pensive, après avoir annoncé que malgré les circonstances, elles se débrouillaient bien. Katsu renchérit en disant qu'elle a l'impression qu'il y a plus de monde et... c'est vrai. Kaiko qui tient le bar voit très bien la différence ; il y a des nouvelles têtes et les habitués restent plus longtemps. Elle sait pourquoi. Le bar est un havre, il coupe de la réalité à l'extérieur et peu veulent y retourner. Mais elle ne le dit pas, elle sourit à a collègue. :

-Ça va t'inquiètes ! Les seuls moments où je panique un peu, c'est quand je dois vider le lave-verre plus vite qu'on ne le remplit !

Katsu regarde ensuite le bar. Kaiko l'observe à son tour... C'est vrai que c'est techniquement le bar de Luna ; elle est partout ici, dans le bois du comptoir, dans les plantes, la chaleur ambiante.... Mais c'est aussi la deuxième maison de Katsu et Kaiko maintenant. Même quand sa collègue n'est pas là, Kaiko imagine sa collègue traverser la salle, plateau à la main. Les post-its qu'elle a laissé à Kaiko pour qu'elle n'oublie pas les ingrédients de certains cocktails sont toujours là, même si elle les connaît maintenant. Kaiko de son côté a agrémenté les étagères de verres de différentes tailles et formes selon la bière servie.

Ouais leur bébé.

Le bar à lesbiennes. :

-AH ! S'ils savaient.

Elle aussi, elle fait une pause. Avant de pivoter brutalement vers Katsu. :

-ATTENDS. T'es lesbienne ?! C'était ton coming-out ?! C'était pas méchant comme remarque hein, c'est juste- je suis bi, je suis sûre que Luna est bi/pan/omni/j'en sais rien mais dans tous les cas pas regardante donc ça m'a fait rire ?

La comparaison entre la bière et le thé m'arrache un rire, c'est incongrue mais tellement vrai en fait !! Puis, elle me remercie de lui avoir appris certains cocktails.

- Ca m'a fait plaisir aussi, alors ! Je suis devenu très forte en cocktail, sur le plan théorique... En pratique, le shaker et les doses c'est pas ça, alors que je fais attention hein ! Mais y a toujours un truc qui merde ! Mais, ça me plait trop de faire des recettes, imaginez les ingrédients et tout. C'pour ça que c'est vous qui les faîtes les cocktails, héhé.

Je souris un peu sournoisement, l'air de faire ma diva. On continue sur la situation du bar avec le Centre et... bah tout le reste. Pendant qu'on range la terrasse qui est déjà bien vide. Et là !! Le lave-verre !!

- Ah mais tu m'étonnes, c'est pour ça que je suis si heureuse de faire le service, j'galère trop avec ça ! Et genre, quand je devais faire la vaisselle, pour aller plus vite j'essayais de sécher les verres avec mon feu, mais je le gérais super mal donc j'ai arrêté, mais comment j'aurais gagné un temps fou ! En vrai tu peux pas faire pareil avec l'eau ?

On finit par faire un peu de sentimentalisme, en regardant le bar avec un mélange d'émotion étrange. Jusqu'à ce Kaiko s'étonne de mon orientation sexuelle.

- Bah, c'est comme ça que j'ai eu le job. On a ken avec Luna, juste là sur le bar.

Je montre du doigts l'endroit, juste à côté des tireuses à bière.

- ... Mais, on a rangé après, hein.

J'espère je l'ai pas mis mal à l'aise omg, je suis déjà bourré ou quoi ???

- Non mais, en vrai, je me suis pas trop posé la question avant d'arriver à Terrae. Quand j'étais au collège et au lycée, ça m'intéressait pas des masses, puis à Todaï j'avais plus trop le temps de penser à ça, donc c'était plus facile avec les gars, parce que, c'est... hm... Déjà plus socialement accepté, et ensuite plus envisageable, j'ai l'impression. Je sais pas trop si tu vois ce que je veux dire ?

Je marque une pause.

- Puis, bon, après j'ai rencontré Luna, avec la poésie qu'on lui connait, j'ai été séduite immédiatement.

Je souris, un peu fière de ma blague.

-Alors. Techniquement en tant qu'Eau, je POURRAIS... Mais le lave-verre est plus efficace à cause de la chaleur qu'il dégage !... ET j'ai pas le niveau encore !... Enfin, un peu, mais clairement pas assez pour mieux nettoyer les verres que la machine. Par contre pour les sécher, c'est cool ouais ! je fais glisser les gouttes au bord du verre, un coup de chiffon et PAF ! TOUT PROPRE ! Mais j'ai quand même encore besoin du chiffon...

Mais tout ça... Est-ce que c'est pas moins intéressant que le reste de la conversation ? Franchement ? Parce que Kaiko s'en veut d'avoir potentiellement pris à la légère un potentiel "coming-out" mais d'un autre côté, l'explication de Katsu lui paraît... plus qu'évidente. Kaiko tend ses mains devant elle, l'air de dire "CERTES MAIS" avant d'inspirer profondément. Et de bloquer. :

-SUR LE BAR WOAH LA CHAAANCE !

Les risques sanitaires ? Être surprise en plein coït ? Non ça traverse pas l'esprit de Kaiko là. :

-Par pur respect, il FAUT que je t'offre un verre là. On a fini de ranger de toute façon, et j'ai compté la caisse donc LET'S GO qu'est-ce que je te serre ?!

Y'a pas de non qui tienne ; Kaiko s'en doutait un peu mais elle a la confirmation qu'elle fait partie du club de "J'ai baisé avec Luna donc maintenant j'ai un boulot".

Elle écoute avec bien plus de sérieux ce qu'explique Katsu. Le fait qu'être attirée par les filles, c'est pas tout de suite une évidence dans ce pays. Même Kaiko, sûr d'elle comme elle est, a eu ce moment de doute infime. "Est-ce que je suis bizarre de trouver les filles jolies à ce point ?". Elle a douté à partir du lycée, mais il a fallu qu'elle emménage à Tokyo pour qu'elle commence à se faire plus d'expérience. En tant qu'aînée, elle comprend sans peine ce que lui explique la petite Feu. :

-Je vois parfaitement ce que tu veux dire. Et, je sais pas si Luna était ta première meuf, mais si c'est le cas, je suis contente. Elle se prend pas la tête. C'est que du feel good. ...Même si ça craint d'avoir des relations avec ses collègues de boulot de manière générale MAIS-

Kaiko prend le temps de peser ses mots, après avoir servi Katsu, elle se sert une nouvelle pinte de pression et laisse un billet dans la caisse sans s'occuper de se rendre la monnaie. :

-...-Luna est cool. On fait ça dans ma chambre parce que... euh... elle hésite avant d'hausser les épaules. Ben y'a mon matos là. J'ai un kink spécial tu vois ? Et à chaque fois qu'on le fait, Luna est cool. J'crois que c'est que la deuxième fois que ça m'arrive dans ma vie en vrai, d'avoir quelqu'un qui juge pas et que c'est régulier comme ça, sans malaise.

Ne pas penser à son ex. Grosse gorgée. :

-Enfin bref tout ça pour dire, bar à lesbienne... Pas si faux mais en fait mais pas totalement vrai apparemment !

Elle rigole.