Ce n’était pas commun de trouver l’ivoirienne dans la salle d’entrainement, et ce principalement car l’hivers elle préférait se rendre aux abords du lac qui était déserté par les terraens. Elle n’aimait pas que les autres fussent témoins de ses expériences… Elle n’aimait pas non plus tellement croiser ces autres d’une manière générale. Elle en était revenue à une période solitaire, fuyant les nouvelles rencontres, qui n’avaient d’ailleurs plus rien d’hasardeuses pour la voyante. Chaque rencontre était choisie et acceptée, parfois à contre cœur.

C’était le cas cet après-midi-là. La rencontre qui allait avoir lieu n’avait rien de flou pour Afya. Elle avait choisi de se trouver à cet endroit à cet instant précis. Elle savait ce qui allait arriver, une grande blonde téléporteuse allait majestueusement se ramasser. Salement se ramasser. Seulement après l’effervescence des derniers évènements, l’hôpital de Terrae n’avait plus vraiment la ressource de soigner tout le monde. Les équipes étaient à bout… Alors on avait demandé aux préfets de veiller à ce que les autres terraens ne se fassent pas trop mal.

Elle avait donc déjà empêché plusieurs départs de feu, et autres bourdes du genre… Mais l’objectif de sa journée c’était cette fille qui allait se péter salement la jambe si on ne la ramassait pas. L’ivoirienne attendait donc, fixant la pendule au mur. Quand le temps fut venu, elle fit apparaître une boule d’eau pour englober le corps qui venait d’apparaitre à une bonne distance du sol. Elle accompagna sa chute dans un tunnel d’eau laissant la poussée d’Archimède freiner sa course plus que ne l’aurait fait l’air. Celui qu’elle prenait pour une femme toucha le sol en un seul morceau juste à côté d’elle. Elle jura intérieurement, elle aurait du le déposer ailleurs. Elle allait devoir interagir. Et si elle le privait un peu plus longtemps d’oxygène ? Non si ? L’eau s’était déjà rependue sur le sol. Comment se sortir de cette sale situation ?

Après ma rencontre avec Taegin, ma motivation à maîtriser mes téléportations est revenue. Je suis déjà capable de me débrouiller un minimum avec l'électricité mais mes téléportations foireuses sont un peu devenues à la fois mon mouvement signature et un enfer. Les rumeurs sur ma téléportation sous le bureau d'Aaron s'étant un peu calmées, je me sens moins embarrassé à l'idée d'utiliser la salle d'entraînement.

C'est donc porté par l'enthousiasme débordant du petit Novice et ma confiance en moi boostée à bloc par ma (seule) téléportation réussie que je me rends dans la salle d'entraînement en début d'après-midi. Celle-ci est déjà occupée par d'autres Terraens mais ça ne fait rien, je trouve un coin tranquille et commence par m'échauffer en modelant un peu mes éclairs. Je prends un petit quart d'heure pour tenter des formes simples : sphères, triangles, carrés... Puis je m'essaie à nouveau à former un petit ersatz de dragon. Le petit éclair, pas plus grand que ma main, se tortille comme pour m'échapper. Puis une gueule rudimentaire et des ailes minuscules se forment. Ça m'a pris moins de temps que la dernière fois ! Content du résultat, je laisse l'électricité se disperser.

Place aux choses sérieuses. Je me secoue et tente quelques téléportations à très courte distance. Il y a du progrès : je vais bien dans la direction souhaitée, et je ne me prends plus de mur ! Je chute encore assez souvent mais c'est plus parce que je suis emporté par mon élan. Je lance un regard à la salle. Celle-ci s'est un peu vidée, et j'ai le champ libre pour essayer de me déplacer plus loin. Je me concentre et cherche cette sensation d'élastique tendu à l'intérieur de ma tête. Encore un peu...

À l'instant où je relâche tout pour me téléporter, le souvenir de ma chute quasiment sur Taegin me traverse l'esprit. Déconcentré, ma téléportation rate, et je me retrouve juste sous le plafond, à plus d'1m50 du sol.

- Ah mer...

Je vais vraiment me faire mal cette fois. Je ferme les yeux en me préparant au choc et à la douleur, mais rien ne vient. À la place, je me retrouve plongé dans de l'eau. Je n'ai pas le temps de prendre une inspiration, panique et cherche la surface. Je me sens tomber, ou couler ? Finalement, je sens à nouveau le sol sous moi et je me mets à tousser et cracher. Dans la panique, j'ai avalé un peu d'eau. Résultat je me retrouve aux pieds d'une jeune femme à la peau très foncée, qui a l'air tout sauf heureuse de me voir là.

Mes vêtements pastel me collent à la peau et mes cheveux gouttent partout. Je dois avoir l'air d'un rat noyé... Est-ce que c'est elle qui m'a aidé ?

- Euh... Salut ?

C'est à peine compréhensible, ça sort plus comme une croassement étranglé que comme un vrai bonjour. Je soulève d'une main une des lourdes mèches qui m'encombrent la vue et me racle la gorge.

- C'est toi, le sauvetage ? Merci, je pense que je me serais vraiment fait mal cette fois...

Gratitude malgré mes airs de rat crevé. Je reste assis, encore en train de reprendre mes esprits.

Le problème en modifiant le futur, c’est justement qu’on modifie le futur. Elle n’avait pas recherché ce qu’il se passait après le sauvetage, et pas réfléchi au fait qu’elle préfèrerait se tenir loin. C’était l’un de ses problèmes du moment, elle n’arrivait plus à anticiper les conséquences des changements qu’elle apportait au futur. Ou plutôt, elle oubliait de le faire quand ce n’était pas son but.

Elle s’interdit de répondre qu’en effet, la blonde se serait salement ramassé et se serait fait bien mal. Il faudrait qu’elle lui parle des matelas quand ce serait le bon moment. Pour l’instant il fallait que l’eau s’excuse. Elle avait manqué de noyer la téléporteuse sous couvert de l’aider. Ce n’était pas très malin, seulement elle était allée au plus simple. Elle n’avait pas eu à créer différents courants ascendants pour la freiner tout à la gardant à moitié au sec. Cela aurait été impressionnant, certes, mais elle ne se faisait pas assez confiance pour être certaine de ne pas faire plus de mal que de bien.

« Euh. Oui salut, euh désolée j’ai pas essayé de te noyer promis, attends je vais te sécher. »

Elle venait de réaliser que la jeune femme était trempée, et si cela lui avait évité une opération, cela risquait de lui couter une bonne crève. Elle se concentre et l’eau qui se trouvait sur la femme s’envole goutte par goutte pour venir former une sphère d’eau dans chacune des mains de l’ivoirienne avant de prendre la direction d’un syphon prévu à cet effet non loin.

Avant que j'ai pu me remettre debout, l'eau qui alourdit mes vêtements commence à s'envoler goutte à goutte pour aller se placer sagement dans les mains de la jeune femme. Je comprends qu'elle est donc Eau... Je sais, ça aurait dû me frapper avant : un gars qui fait du toboggan dans une colonne d'eau, ça ne se fait que dans deux cas de figure. Le premier et le plus courant, c'est dans un parc aquatique. Or, on est actuellement dans une salle d'entraînement. Le deuxième, beaucoup moins courant, c'est quand tu vis à Terrae et qu'une Eau te sauve d'une chute involontaire de quelques mètres pendant un entraînement. Et je le rappelle : on est dans une salle d'entraînement.

Je me remets debout, hypnotisé par les sphères d'eau qui tournoient dans les paumes de la jeune femme. La soudaine légèreté de mes cheveux m'informent que je suis sec, jusqu'au cuir chevelu. J'avoue je suis impressionné, mais mes yeux se mettent carrément à briller quand l'eau se dirige toute seule vers un espèce d'évacuation, sûrement prévue à cet effet.

- Ouah c'est dingue. Comment tu fais ça ? Ça doit te demander une concentration de fou non ?

Je détaille son visage pour la première fois : elle est magnifique, avec ses yeux clairs. Presque intimidante, en vérité. Mais c'est pas ça qui va me dissuader de rencontrer de nouvelles personnes ! Je lui tends la main avec un sourire.

- Au fait, je m'appelle Camil. Encore merci. Je dis d'un ton enthousiaste.

L’ivoirienne s’attendait presque à des remontrances plutôt qu’à de la curiosité, même si l’indifférence ne l’eut pas dérangé. Maintenant il fallait réfléchir à quoi dire, au sens à donner aux paroles prononcées. Qu’est-ce qui était dingue ? Le fait de contrôler l’eau ? Le tunnel aquatique ? Le séchage rapide sans risque de faire rétrécir les vêtements ? Non, il est vrai que cette dernière question n’ébranla pas l’esprit de la jeune femme. D’autres se multipliaient, et elle n’était pas certaine de la réponse qu’elle devait apporter à la première partie de la question… Alors elle l’ignora…

« Non, c’est pas très compliqué, tant que l’eau est liquide et que les quantités sont pas trop importantes ça va. Le tube d’eau était un peu plus contraignant, mais je n’ai pas eu besoin de le maintenir trop longtemps. Ca va tu n’as pas trop bu la tasse ? Excuses-moi, j’ai pas assez réfléchi avant d’agir. »

Ce qui est un comble pour un voyant, mais nous ne reviendrons pas une énième fois sur ça. Elle se dit que Camil était une dérive du prénom Camille qu’elle connaissait. Du moins, au vu de la peau claire de son interlocutrice, elle se disait qu’elle n’était pas asiatique, alors elle ne se méfiait pas tellement de ces prénoms à consonnances complexes. Elle rendit fugacement sa poignée de main à Camille.

« Ombre. Euh, tu peux enlever ta puce traductrice un instant ? Elle traduit souvent mon prénom, je ne comprends pas pourquoi. »

Sans doute parce qu’elle mettait dans son prénom le sens de ce dernier.

Les explications de la jeune femme déclenchent chez moi un nouvel intérêt. Je vais sûrement passer pour un nerd, mais j'ai tellement envie de lui poser plein de questions. Comme elle a l'air plutôt calme et que je n'ai pas non plus envie de la faire fuir (c'est quand même ma source d'infos quoi !), j'agite la main avec un sourire.

- Haha, nan ! Puis je préfère boire la tasse plutôt que de me casser quelque chose. J'ai été déconcentré pendant que je préparais ma téléportation...

Tomber de cette hauteur m'aurait sûrement brisé quelque chose. Et je ne suis pas très fan des hôpitaux, ni de la douleur en général. Donc je suis bien content d'avoir bu la tasse à la place.
Je me présente en lui tendant la main et elle la serre rapidement. Ah, le contact physique ne doit pas être son truc... Je tenterais de m'en souvenir. Son prénom est particulier, mais elle dit que la puce le traduit souvent.

- Pas de souci, je l'enlève... Pour que tu sache, je parle anglais à la base alors si toi aussi, on devrait pouvoir se comprendre.

J'enlève ensuite docilement la puce et lui jette un regard interrogateur.

- Alors du coup, c'est quoi ton vrai prénom ?

La question sonne mal, on dirait que je l'accuse de m'avoir donné une fausse identité.

- Je veux dire, quand il est pas traduit par la puce hein. Je t'accuse de rien, c'est pas ce que je voulais dire.

Et je m'enfonce.

Elle préfère ne pas développer ce que la jeune femme se serait cassé, elle ne souhaite pas se remémorer l’angle anormal qu’aurait pris sa jambe… Et ce d’autant plus que ce futur a cessé d’être, elle n’y a plus accès que par ses souvenirs.

Elle regarde l’anglaise retirer sa puce, en s’excusant. Elle se demande un instant qu’est-ce que c’est un vrai prénom. Est-ce celui par lequel on vous nomme à la naissance, ou celui qui est usité par la suite. Par exemple, son amie Ariana, est-ce que son vrai prénom était maintenant Aria ? Elle n’était pas du genre à s’offusquer pour si peu. Par contre elle était du genre à se poser miles questions. Quand la puce fut enlevée pour la jeune femme, elle essaya de parler dans son meilleur anglais.

« I don’t speak good english. I speak French. My name is Afya.”

Elle se débrouille, elle a appris quand elle pensait suivre des cours en présentiel à la faculté de Tokyo. Elle n’en avait jamais eu le niveau, et sa visite des lieux avait littéralement été une douche froide pour la voyante. Elle préférait ne plus y penser.

« You can » elle fait le geste de remettre la puce.

C’était bien compliqué pour l’ivoirienne. Elle espérait que la blonde comprenne où elle voulait en venir.

« Désolée, j’parle vraiment pas bien anglais, tu as réussi à me comprendre ? Faut qu’on recommence et je dis juste mon prénom ? »

Elle préférait être sûre, même si dans le font, cela ne changeait pas grand-chose. Certaines personnes l’appelaient encore Ombre.

L'anglais de la jeune femme est hésitant mais compréhensible. J'acquiesce et remets ma puce quand elle me fait signe. Donc, on peut traduire "Ombre" par "Afya" ? Ou alors c'est l'inverse, et c'est "Afya" que la puce traduit en "Ombre". Plutôt ça je pense. La jeune femme s'excuse et je fais un nouveau geste de la main pour balayer celles-ci.

- Nah, pas la peine ! J'ai tout compris. Enchanté, du coup.

Je souris à la jeune femme, qui a l'air toujours un peu en retrait. Peut-être qu'elle n'aime pas trop les interactions sociales ?

- Mais du coup, si je prononce ton nom, ça va le traduire dans ta puce aussi ? Ça doit être ennuyant d'avoir ce souci tout le temps... Je dis d'un ton compatissant.

Je n'ai pas oublié ses pouvoirs mais je ne veux pas la brusquer... J'ai déjà vu ceux d'un Feu, d'une Terre... Il me manque ceux d'un autre Tonnerre, d'un Air et d'un Eau... Et j'ai une Eau en face de moi alors forcément, je bous d'impatience. Pardonnez ce jeu de mots douteux. Un silence s'étire entre nous, et j'ai peur qu'elle s'en aille tout simplement. Du coup, je me lance.

- Euh, j'aimerais te poser des questions sur les pouvoirs Eau, si ça t'embête pas... J'ai dans l'idée de tous les connaître un minimum alors, comme, enfin... Comme tu es là...

Je lève les mains dans un geste d'apaisement.

- Tu as le droit de refuser, je comprendrais. Je suis un inconnu et puis je t'embête alors que tu devais sûrement être en train de t'entraîner. J'ajoute gentiment.

Mais dans ma tête, j'espère vraiment qu'elle dise oui.

Elle a l’impression que la blonde a déjà été enchanté de la rencontré, mais après un bref re-visionnages des instants précédent l’arbitre ne siffle pas de faute.

« Ah, pas toujours, je n’ai jamais compris comment ça fonctionnait certains le prononcent bien, et d’autres c’est traduit… Et parfois ça change en cours de route, dans un sens comme dans l’autre. Je n’y comprends pas grand-chose.. »

Il faut dire que la technologie n’était pas son dada, alors bien entendu, même si on lui avait déjà expliqué elle n’avait pas tout compris.

« C’est plus ou moins en fonction du sens que les gens mettent dans mon prénom, si j’ai compris. »

Finalement ce n’était pas si difficile d’avoir une interaction sociale avec un autre être humain. Sans même s’en rendre compte, ils avaient échangé pendant plusieurs minutes, et elle n’avait pas encore trouvé de prétexte pour fuir. La blonde essayait de lui en fournir, en lui offrant gentiment plusieurs portes de sortie que l’ivoirienne ne prit pas.

« Ah, euh, non j’m’entrainais pas, j’étais venu pour pas que tu ne te fasses mal. J’avais vu le bazar que ça allait être dans les couloir, et du coup… ‘fin voilà. Tu sais que tu peux mettre des matelas par terre avant de t’entrainer à la téléportation ? C’est moins risqué… »

Elle avait enfin accompli sa mission, elle lui avait donné toutes les connaissances nécessaires à sa survie. Enfin, peut-être pas à celles de ses chevilles, mais ce n’était que du détail.

« Mais toi tu es tonerre, à quoi bon en apprend plus sur les pouvoirs des eaux ? »

C'est quand même super bizarre cette histoire de prénom qui se traduit tout seul ! Enfin, je dis ça mais la dernière fois, quelqu'un a bien cru que je m'appelais Camille... Ces puces marchent bien la majorité du temps mais elles semblent quand même avoir leurs défauts. Je n'y connais malheureusement pas grand chose dans les technologies, je les utilises juste.

- Donc, si je me mets en tête que c'est simplement ton prénom, et que je le prononce, ça devrait marcher et ne pas traduire... Je dis en réfléchissant à voix haute.

Je suppose que ça doit être comme ça que ça marche, mais c'est bizarre. Je hausse les épaules et abandonne en utilisant la carte "Ta gueule c'est magique". Et je passe aux pouvoirs. La réponse d'Afya me déstabilise un instant. Je la dévisage quelques secondes avant de comprendre.

- Aaaah mais oui, j'ai lu que les Eaux pouvaient être voyants ! C'est ton cas, du coup... Et comme tu as vu que j'allais créer le chaos en me faisant mal, tu es venue empêcher ça...

C'est gentil, mais elle doit passer sa vie à faire ça du coup non ? Je ne dois pas être le seul à me faire mal en m'entraînant avec mes pouvoirs. Ça doit être fatigant... Je me promets intérieurement de faire plus attention.

- Disons que j'aime bien en apprendre plus sur tous les pouvoirs de Terrae... C'est quelque chose qui m'intrigue beaucoup. Puis ça me fait comme une collection sous forme de souvenirs. J'ai déjà vu un Master Feu créer des figures de flammes. C'était superbe, alors ça m'a donné envie de voir d'autres démonstrations de pouvoirs.

Puis ça me distrait de ma médiocrité aux téléportations... Au moins maintenant je sais que je peux utiliser des matelas pour amortir mes futures (et nombreuses) chutes !

« Oui, quand je vois quelque-chose de grave, j’essaie de limiter la casse… »

Seulement, il ne faut pas se mentir elle ne voyait pas tout. Elle n’avait pas une réserve de pouvoirs illimités. Elle surveillait quelques personnes, à des instants précis du futur, et quelques lieux aussi. S’il s’y trouvait des évènements sortant de l’ordinaire, elle remontait leur histoire pour mieux les appréhender. Ainsi en surveillant la salle commune, elle avait vu un jeune eau pleurer à chaudes larmes. Si la scène n’était pas rare, comme elle était préfète des eaux, elle était tout de même remontée à la source de ses larmes. Il avait été traumatisé par la chute d’une femme dans la salle d’entrainement. Il était persuadé que les pouvoirs ne pouvaient que blesser…

S’il y avait bien quelqu’un qui pouvait comprendre la notion de collectionner les souvenirs, s’était sans doute une voyante. Elle est curieuse l’ivoirienne quand il parle de figures de feu. Elle ne lui demande pas la permission de remonter sa ligne temporelle jusqu’à sa rencontre avec Huo. Elle voit le masque de dragon qu’il a créé dans le parc. C’est assez beau, il a le sens de l’artifice.

« Je comprends que tu souhaites voir de beaux spectacles… »

Il aurait pu y avoir un mais, seulement il ne vint pas. Elle comprenait vraiment, elle-même avait été émue maintes fois par la magie des hôtes de ces lieux.

« Quand les beaux jours reviendront, essaie d’aller voir du côté de l’arène, il y a souvent des démonstrations impressionnantes. »

- Ça doit te prendre un temps fou et beaucoup d'énergie... Je dis, impressionné. N'en fais pas trop, prends soin de toi aussi.

J'ai l'impression de sonner super paternel alors qu'elle doit avoir à peu près le même âge que moi, mais c'est une inquiétude tout à fait sincère. Je ne sais pas ce qui se passe quand on utilise trop ses pouvoirs, mais sûrement rien de bon. Et Afya a l'air d'avoir le cœur sur la main, alors je préfère le lui rappeler. Si ça la dérange, je m'excuserai bien entendu.

Quand Afya reprend la parole, je m'attends à un "mais"... qui n'arrive pas. À nouveau déconcerté, je n'ai pas le temps de lui répondre qu'elle me conseille d'aller du côté de l'arène. Je me souviens à mon arrivée d'avoir pensé qu'il s'agissait d'une simple décoration, mais on dirait bien que ce n'est pas le cas. J'acquiesce.

- Dans ce cas, j'irai voir. Mais je ne cherche pas forcément du sensationnel. Quand j'ai vu la démonstration d'Huo, oui c'était impressionnant, mais ça m'a aussi permi de progresser dans ce que je voulais faire de mes propres pouvoirs.

Je crois qu'il faut que je m'explique. J'écarte les bras.

- Tu l'as vu, la téléportation n'est vraiment pas mon truc. J'en réussis une de temps en temps, mais pas à plus de quelques mètres. Quand je tente plus loin, ça a tendance à m'envoyer dans les murs, ou à des endroits embarrassants.

Je grimace en me rappelant de l'incident sous le bureau d'Aaron. La rumeur a mis du temps à s'éteindre.

- Je maîtrise mieux mes éclairs, et après ce que m'a montré Huo j'ai eu envie d'essayer de faire des formes avec. Et ça marche ! C'est joli et plutôt agréable à faire sans prendre trop d'énergie.

Je glisse mes mains dans mon dos en me balançant sur mes talons. J'ai l'impression de beaucoup parler de moi, je n'aime pas trop ça.

- Tout ça pour dire que les autres pouvoirs m'intéressent parce que chaque personne en fait un usage différent. C'est beau, mais pas que. Et indirectement, ça m'aide à comprendre les miens. Je conclus.

Elle hausse les épaules en souriant. Elle sait qu’elle est assez grande pour prendre soin d’elle, et ce genre de remarque lui glisse un peu sur la couenne sans l’atteindre.

« Tant que je suis en accord avec ce que je fais. Les regrets me prendraient plus d’énergie que l’action. »

A peut-être que si en fait. On lui a quelques-fois fait cette réflexion : prends soin de toi… Mais n’est-ce pas prendre soin de soi que de dépenser son énergie dans ce qui a de la valeur pour soi ? Doit-on s’empêcher d’être soi pour épargner quelques bribes d’énergie. C’est peut-être un conseil qu’elle lui donne. Ne te poses pas la question des conséquences tant que tu es en accord avec toi-même : vis.

Elle réfléchit ensuite à ce que la blonde vient de dire. Elle comprend tout à fait. Regarder les autres faire peut aider, donner des idées de nouvelles utilisations pour ses propres pouvoirs… mais surtout faire rêver. C’était ce point-là qui l’intéressait à elle, mais sans doute que ce n’était pas pareil pour la blonde.

« Peut-être, qu’avant de t’inspirer des autres il faut apprendre à te connaitre toi ? On voit tous nos pouvoirs de manière très personnelle, et on les utilise de manière à ce qu’ils nous soient utiles. Si pour toi te téléporter n’a pas d’intérêt pratique, ce sera plus difficile. Peut-être qu’il faut t’interroger sur ce que t’apporterait la téléportation par rapport à la marche par exemple ? Si tu aimes les formes, et leur beauté, peut-être que voir les téléportations comme les pas d’une danse ? »

Elle se tait. Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle parlait tant.

« Excuses-moi, tu n’avais pas sollicité mon avis. »

La réponse de la jeune femme me fait réfléchir. Être en accord avec ce que l'on fait, c'est vrai que c'est important. Et parfois on pense l'être, mais ça peut changer. Comme pour ce qui s'est passé à Dublin. J'étais en accord avec ma décision, puis petit à petit je me suis éloigné de ce que j'aimais faire et ça a eu un gros impact sur moi. Mais je sais aussi que quand j'étais encore en accord avec mes actions, celles-ci me prenaient parfois plus d'énergie que ce que je pensais.

- Il faut trouver un juste milieu je suppose. Être en accord avec ce que l'on fait, sans pour autant s'épuiser à le faire.

Si j'avais été plus économe de mon énergie pendant cette année de ma vie, est-ce que j'aurais quand même fini par regretter ? Je ne le saurai jamais, aussi je décide de passer à un autre sujet même si je sais que ces réflexions tourneront longuement dans ma tête quand je serais au calme.

Après avoir expliqué mon point de vue sur ma "collection" de pouvoirs, Afya dit quelque chose qui semble déverrouiller une porte dans ma tête. Puis elle s'excuse.

- Non, non ! T'excuse pas ! C'est une idée géniale ce que tu me dis là ! Je dis, enthousiaste.

Je me mets à faire les cent pas en réfléchissant.

- J'ai toujours trouvé ça pratique, la téléportation. Mais ma première expérience ne s'est pour ainsi dire pas très bien passé : un Master m'a téléporté sans me prévenir et ça m'a rendu malade. Un peu comme le mal des transports. Et du coup, je suppose que j'ai depuis une sorte d'appréhension.

Ça, et le fait que j'ai un temps de concentration absolument misérable.

- Mais si j'y pense comme une sorte de pas de danse... Alors peut-être que... Ah. Oui. Non en fait.

Il y a un énorme pépin : j'ai le sens du rythme d'une crevette unijambiste. Je suis infoutu de danser pour sauver ma peau. Une vraie calamité.

- C'était une super idée. Genre, vraiment. Mais euh... La danse et moi... On est pas compatibles. Je crois que je créerai encore plus d'accidents que maintenant.

Et clairement c'est pas le but ici.

Elle ne discuta pas plus sur la forme ils disaient des choses différentes, dans le fond, c’était bien semblable. Il ne fallait pas donner plus que ce que l’on était capable de donner, sous peine de s’épuiser. C’était pour cela qu’elle parlait d’être en accord avec elle-même. Tant qu’elle était en accord avec elle-même, elle restait à l’équilibre de ses compétences. Quand elle commençait à en faire plus pour les autres, elle s’épuisait. Elle était seule garante de ses compétences, et seule également à pouvoir poser ses limites.

Pour l’ivoirienne, la danse n’a pas à être quelque-chose d’harmonieux, de réglé comme du papier à musique. Non, la danse est quelque-chose de puissant, de transcendant, d’exutoire. Une répétitions de pas, qui se veulent précis mais ne servent qu’une seule chose : l’expression. Elle aime la danse, alors l’analogie lui est venue d’elle-même. Elle réfléchit encore.

« Peut-être plus le mouvement que la danse, tu arrives à faire des formes avec ton électricité, peut-être que tu peux faire la même chose en te téléportant ? Ne plus raisonner en lieu mais en formes ? Pardon. Je vais encore trop loin, mais si tu te loupes, c’est que tu n’as pas encore trouvé ta façon de visualiser ton pouvoir. »

Elle ne disait pas ça en l’air, elle avait retenu cela de l’éclipse. S’ils avaient fait un guide des pouvoirs quand ces derniers fluctuaient, ils avaient vite compris qu’il n’était qu’indicatif car chacun avait son propre ressenti de la chose. Elle essayait de comprendre comment fonctionnait sommairement la blonde, pour adapter ses conseils. Elle aurait peut-être pu fouiller dans l’avenir, en trouver un où elle lui dirait la réponse… Mais le process était important. Si elle donnait cette solution, sans que la blonde n’en ait encore trouvé le sens, cela ne marcherait pas.