Voilà maintenant deux mois que je suis arrivée là. Entre les événements avant mon arrivée et les événement après mon arrivée, je sentais bien que le manque de suivi ostéo et kiné commençaient à impacter ma façon de bouger. Quand on est habituée à un corps souple et vif comme une mécanique bien huilée, le moindre grain de sable se fait remarquer. J'aurais dû m'apercevoir des signaux que m'a envoyé mon corps. Mais, trop occupée à l'idée de m'intégrer (et de digérer l'existence de pouvoirs surnaturels), je les ai ignorés. J'ai continué les séances de course à pied, de musculation et d'entraînement au combat, seule ou avec les deux zigotos Senri et Nana rencontrés un peu avant.

Lors de la dernière séance de musculation, j'ai oublié de m'étirer avant et ce qui devait arriver est arrivé : après une énième série de fentes, je me suis redressée et la douleur est arrivée sans prévenir. Impossible de me baisser, impossible de m'accroupir. J'ai dû tout abandonner et aller m'allonger. Mais ça ne s'est pas amélioré après ça... J'ai attendu quelques jours avant de me rendre à l'évidence que c'était le signal pour prendre rendez-vous avec le kiné de Terrae.

C'est comme ça que je me retrouve à l'hôpital avec un rendez-vous chez le kiné en urgence. Le bas de mon dos me faisait un mal de chien, la douleur irradiant jusque dans mes jambes et me faisant boiter un peu plus chaque jour. Avec plus ou moins de soulagement, je m'assieds dans la salle d'attente. L'hôpital n'est pas un endroit où j'ai l'habitude d'aller et l'endroit me rend anxieuse : tout y est propre, stérile, ça sent le désinfectant. Je prends mon mal en patience en attendant qu'on appelle mon nom... Enfin, un grand gars aux cheveux blancs sort d'une salle. Il a l'air punk et pas très fréquentable. Mais je suis mal placée pour dire ça avec ma peau tachetée, mes tresses serrées et mon air renfrogné. Bref, il appelle mon nom et je me lève.

Ca fait quelques temps que j'ai pu reprendre mon boulot de kiné à l'hosto, et ça me fait vraiment du bien. Déjà, ça m'occupe largement l'esprit en plus d'occuper mes journées. Et puis avoir cette impression de pouvoir me rendre utile, ça m'aide aussi à avancer. A remonter après ce que j'ai toujours du mal à considérer autrement que comme un échec lors de cette mission.

Mission dont tout le monde est revenu depuis plusieurs mois maintenant. Si les premiers soins vitaux ont été donnés et que tout le monde peut reprendre sa vie comme il le veut, c'est aussi à ce moment que les soins de kinésithérapie arrivent en jeu, alors on ne peut pas dire que mon emploi du temps soit particulièrement vide. Ce qui ne me dérange pas. J'ai toujours été particulièrement sociable, alors même si certains me gonflent vite, ça me va plutôt bien de voir les visages défiler à longueur de journée. Surtout quant ils sont là en attendant que j'agisse.

Alors quand ce matin l'une des secrétaires m'a informé qu'un nouveau rendez-vous avait été bloqué sur les créneaux d'urgence de la fin de journée, je ne suis pas mécontent pour autant. Un nom que je n'avais jamais vu ni entendu. Avec les pouvoirs qu'on trouve à Terrae, ces créneaux d'urgence sont très régulièrement pris. Surtout par de nouveaux initiés, que je ne connais donc pas spécialement. Puis que j'apprends à connaitre souvent. On ne va pas se mentir, ce sont souvent les mêmes qui se blessent.

Quand j'arrive au niveau de la salle d'attente, je ne m'attendais en revanche pas à ce que ma patiente ait une telle carrure. Ok, j'ai eu le temps de comprendre que les gentilles filles toutes douces et toutes mignonnes ne sont pas celles qu'on croise le plus souvent à Terrae, mais là je crois qu'on est au niveau du dessus. Ce n'est pas ce qui risque de m'impressionner pour autant.

- "Salut Vittoria. Moi c'est Tiago, tu peux me suivre, on va s'installer dans le cabinet à l'autre bout du couloir, et tu vas pouvoir m'expliquer ce qui t'arrive !"

Je la guide jusqu'à la pièce dans laquelle j'exerce habituellement, la laissant s'installer tranquillement tout en commençant déjà à observer la manière dont elle se déplace. Je laisse également mon énergie lunaire se tendre légèrement vers elle, juste pour sentir où se font les résistances.

Vittoria. Le nom me fait grincer des dents, mais je ne le corrige pas. C'est mon nom après tout, Tori n'est qu'un surnom auquel j'attache une trop grande importance. Je le suis en boitillant jusqu'à une petite salle. Ici aussi, tout es net, bien rangé. Ça me file un de ces cafards... Mais je garde mon air un peu grognon.

Je dois avouer que je suis étonnée par l'amabilité dont l'homme fait preuve. Je m'attendais à ce que son ton et sa voix aillent avec son apparence. Mais ce n'est absolument pas le cas. Ça m'aide à me détendre et je m'assois donc sur le bord du lit d'examen. Je ne sais pas trop par où commencer... Est-ce que je dois juste dire que je me suis coincé le dos ? Enfin, si coincé est le bon mot, je ne connais pas vraiment le vocabulaire médical. Quand la porte se ferme, j'attends que Tiago me fasse face pour me lancer.

Je sors d'une carrière dans les sports de combat, et j'ai recommencé à m'entraîner en arrivant ici. Sauf que lors des dernières séances, il y avait quelque chose qui coinçait. Et il y a quelque jours, je dois m'être coincé le dos pendant un exercice, parce que depuis j'ai des douleurs dans le bas du dos et les jambes. Impossible de me baisser ou de m'accroupir et je ne peux plus dormir sur le dos.

Je me sens parfaitement ridicule, j'ai l'impression d'être une gosse qui se plaint. Je sais que le passage chez les professionnels de santé est obligatoire, j'étais suivie pendant ma carrière pro, mais j'ai toujours détesté ce moment où il faut expliquer le pourquoi de la visite... Du coup je me tais et balade mes yeux sur les murs du cabinet plutôt que de regarder le kiné dans les yeux.

Je ne sais pas bien si ça vient de ce nouveau pouvoir ou seulement d'un ressenti global, mais je capte bien qu'elle n'est pas super ravie d'être ici. Ok, on ne vient pas à l'hosto par plaisir, mais eh, j'ai aussi certains de mes patients qui sont contents de me voir, et ça fait toujours plaisir. Cela dit, avec Vittoria, on ne se connait pas, alors j'ai bien dans l'idée de faire en sorte qu'elle ressorte un peu plus heureuse que ce qu'elle n'arrive ! Bien sûr que je me soucis des patients qui viennent me voir, faut pas croire que je fais ce job complètement pas hasard.

Je la laisse s'installer comme elle le veut et écoute cette première version de la raison qui l'amène ici. Evidemment que je vais avoir davantage de questions, mais c'est important d'avoir cette base. Et si vu sa carrure je ne suis pas si étonné qu'elle ait un passé dans les sports de combat, je ne m'attendais pas au simple accident. Ce qui doit pourtant être la norme dans les cabinets de kinésithérapie partout ailleurs qu'à Terrae.

- "Quand tu dis que tu as recommencé à t'entrainer en arrivant, ça veut dire que tu as arrêté de t'entrainer un certain temps avant de reprendre ?"

Je n'ai pas trop de mal à reconnaitre cet accent qu'elle a en parlant pour avoir eu l'habitude de traiter avec des trafiquants brésiliens par le passé. Je ne connais pas tous les gens issus des favelas, mais je me doute que savoir se battre devait faire partie des conditions de survie.

- "Quel genre d'exercice tu faisais quand tu as senti cette douleur ? Et, ça impliquait des pouvoirs ou pas du tout ?"

Ouais, j'ai dit que j'allais avoir des questions.

Je me doutais que mon résumé ne suffirait pas. Maintenant viennent les questions. Si c'est moins embarrassant, ça reste un peu étrange. La première question de Tiago, cependant, est assez facile.

Non, enfin pas arrêtée à proprement parlé. Je crois.

Pas si facile que ça finalement. Combien de temps je suis restée sans exercice entre le moment où j'ai été dégagée de la ligue et le moment où j'ai au moins repris la course à pieds..?

Je crois que je me suis arrêtée à peu près trois semaines... Puis j'ai repris par de la course à pieds. Et ensuite j'ai repris la musculation et les entraînements à proprement parlé.

Je crois que ça doit être ça. Entre les quelques jours passés en prison et dans les décombres, puis le trajet de Rio à Tokyo, puis le temps de m'acclimater à Terrae. Enfin, acclimater... C'est un bien grand mot. D'ailleurs, la question suivante me prend au dépourvu et je fixe le jeune homme avec un mélange d'horreur et de surprise.

Quoi ? Non ! Ça n'a rien à voir avec des pouvoirs ! Mon ton sonne comme quelqu'un qui se défend d'une accusation horrible.

Je baisse la voix pour reprendre.

Je faisais juste un exercice de fente avec des poids dans les mains.

Un truc purement physique, musculaire, normal quoi. Je ne sais pas pourquoi les pouvoirs me font encore aussi peur, après les démonstrations d'Alyona et du Terre pendant la fête de Nana. Je crois que c'est juste mon cerveau qui se rebelle. Il va pourtant falloir que je m'y habitue si je veux rester ici, puisque je vais en avoir moi aussi. Mais pour le moment, mon dos me fait souffrir le martyre puisque je me suis redresser d'un seul coup à la mention des pouvoirs. Je frotte mes reins d'une main distraite.

Je suppose que j'ai dû faire un faux mouvement.

Je laisse le temps à Vittoria de m'expliquer la situation, écoutant ce qu'elle me dit. Trois semaines, ce n'est pas un véritable arrêt, même si à un niveau professionnel, ça représente un peu plus que pour le type lambda qui se fait ses petits entrainements tous les jours. Et j'imagine qu'elle doit bien connaitre son corps pour faire gaffe. Alors ça ne me parait pas si déconnant que le problème vienne d'un pouvoir. Idée qui parait l'horrifier. Une réaction qui me tire un haussement de sourcils étonné. Ok, je ne m'y attendais pas.

Mais je la laisse poursuivre. Avec tout ça, je n'ai pas trop de mal à comprendre qu'elle est arrivée récemment à Terrae et n'a probablement pas encore été initiée. Ce qui correspondrait bien avec le peu d'énergie que j'ai pu ressentir précédemment. Et dans ce cas là, je n'ai aucune idée de ce qui a provoqué son Vide, mais je sais qu'elle doit encore être dans une période un peu compliquée, ce qui explique probablement une erreur basique menant à cette blessure. En tout cas, je vois bien qu'elle ne fait pas semblant (de toute façon elle n'a pas l'air du genre de meuf qui vient se plaindre au moindre petit bobo).

- "Ok, je vois, un faux mouvement ça arrive vite, et avec des poids, ça peut avoir des effets à long terme qui méritent quelques manipulations. Mais avant ça, est-ce que tu veux bien te mettre en sous vêtements et commencer par faire un aller retour dans la pièce, en marchant normalement ? Que je puisse voir à quel niveau ça bloque. Ensuite je veux bien que tu me montres les mouvements qui te font mal. Sans aller jusqu'au bout bien sûr, le but n'est pas de te faire souffrir."

Je me tiens debout contre l'un des murs de la salle, endroit où je suis habituellement posté pour ce premier aperçu de la situation.

Si je pouvais me tendre encore un peu plus, je l'aurai sûrement fait après la demande de Tiago. Mais, bon gré mal gré, je m'exécute. Je retire mon sweat gris et le pantalon noir que je porte, les pose sur une chaise. Puis j'y place mes bakets et mes chaussettes. Ça me fait bizarre d'être là à me faire examiner dans un endroit inconnu. Ma routine était bien huilée quand j'étais conseillée par le coach. Mêmes professionnels de santé, même planning, même routine. Si la douleur n'avait pas été aussi agressive, je crois que j'aurais même abandonné l'idée de venir et que j'aurais attendu que ça passe. Mais là...

Je fais donc un aller-retour dans la petite pièce, boitillant comme je peux. Chaque fois que je pose un talon par terre, la douleur irradie depuis mes reins jusque dans mes genoux. Quand j'ai terminé, je me remets face au kiné.

J'ai mal un peu tout le temps, mais me pencher en avant ou m'accroupir, ou encore monter les escaliers me fait plus mal.

Et pour chaque mouvement j'exécute un semblant de ce que normalement je devrais pouvoir faire. J'ai beau être grande et musclée, je suis aussi très souple. Ça me sauve dans les combats et ça m'aide beaucoup dans mes entraînements, alors de me retrouver aussi raide est assez frustrant.
Je me penche en avant jusqu'à ce qu'un éclair de douleur arrive, puis me redresse. J'ai à peine touché mes genoux. Je mime le geste de m'accroupir comme pour un squat, les talons collés au sol, mais n'arrive qu'à esquisser le geste avant que la douleur s'intensifie. Frustrée, je monte une jambe devant moi, le genou plié à angle droit. Et même ce simple mouvement est bloqué par la douleur. Je baisse à nouveau la jambe.

Il y a moyen de remettre ça en place sans que ça mette trop de temps à guérir ? Le ton est plus sec et grognon que je l'aurais voulu. S'il vous plaît ? Ajouté-je donc pour adoucir ma phrase.

J'essaie de faire taire ce pouvoir de sensitif en moi, parce que ce que je ressens n'est vraiment pas ce qu'il y a de plus agréable. Sauf que je ne suis pas encore assez à l'aise pour me concentrer sur le maintien de ce genre de barrière tout en restant suffisamment focus sur ce qui se passe sous mes yeux pour en examiner les tenants et aboutissants. Et comme je tiens à rester pro quand même, je laisse assez vite tomber l'idée, faisant avec, pour me concentrer sur les mouvements effectués par Vittoria.

C'est évident qu'on n'est pas sur une petite blessure qui va vite passer d'elle même. J'imagine que si c'était le cas, elle ne serait pas là de toute façon. Alors je ne me formalise de ce ton sec qu'elle prend pour faire cette demande. Après tout, c'est bien mon job.

- "Je vais voir c'que j'peux faire, mais il faudra sûrement y aller tranquille les prochains jours dans tous les cas."

Evidemment, il va me falloir un examen un peu plus poussé pour savoir exactement ce qu'il en est, mais vu son état actuel, ça me parait évident qu'il va lui falloir adapter largement ses entrainements pour les quelques semaines à venir.

Je termine de préparer la table d'oscultation correctement avant de replacer le petit marche pied devant, joignant le geste à la parole pour l'inviter à y prendre place.

- "Tu peux t'allonger sur le ventre, je vais regarder d'où vient la douleur exactement pour commencer. Ensuite, j'essaierai de remettre ça en place. N'hésite pas à me dire quand les endroits sur lesquels je passe sont plus douloureux."

Même si avec ce que j'ai ressenti précédemment, je doute qu'elle ait réellement besoin de me parler pour que je puisse savoir directement les points qui lui font mal.

Heureusement, Tiago ne semble pas se formaliser de ma réponse sèche. Me sentant à la fois un peu coupable et rassurée, je me plie à ses demande sans rechigner. L'idée d'abandonner la seule chose que j'ai encore de mon ancienne routine m'inquiète mais je me rassure en me disant que je n'aurais qu'à passer voir Alyona à son salon ou Luna au bar. C'est pas si dramatique, tu vas pas perdre ta masse et tes techniques pour quelques malheureux jours de repos ! Je me réprimande intérieurement.

D'accord.

Mon ton est plus doux et respectueux cette fois. C'est un professionnel, il est là pour m'aider alors si je vais à l'encontre de lui, on en a pour un long moment. Je délaisse le marchepied et monte sur la table, qui est assez basse pour moi pour que je n'aie pas de difficultés à m'allonger. Une fois sur le ventre, je laisse Tiago commencer son examen. Au premier contact, je tressaille parce qu'il me prend par surprise, mais après ça va mieux. Je suis surprise qu'il n'ait rien dit à propos de ma peau. Je sais que j'ai une longue tache claire qui parcourt mes côtes et mon dos, il est obligé de passer dessus pour faire son examen. Mais non, pas de questions, pas de remarques. Et d'un autre côté, même si il en faisait, qu'est-ce que ça pourrait me faire ? C'est pas comme si je pouvais claquer des doigts et changer ça. Donc osef. Il finit par appuyer à un endroit, un peu au dessus du bassin, qui me fait serrer les dents.

Là vous êtes pile dessus. Sifflé-je.

Pendant que Vittoria s'installe, je concentre machinalement une partie de mes pouvoirs autour de mes mains pour les réchauffer. Rien d'apparent, seulement la chaleur qui circule plus vite dans mes veines à ce niveau. Habitude prise depuis un moment, autant pour assurer un minimum de confort à mes patients, que pour me permettre de sentir plus facilement les muscles se délier à mon passage.

Je pose doucement mes doigts sur son dos, partant du centre, me laissant seulement guider par ce que je perçois sous sa peau. Ce n'est pas bien compliqué de sentir certaines raideurs clairement dues au problème qu'elle vient de m'énoncer, mais j'en cherche avant tout la source. Alors quand la miss m'interrompt, je relâche la légèrement pression que je mettais pour cet examen, gardant ma main seulement en surface de sa peau.

- "Ok, c'est donc un blocage au niveau des lombaires. Et t'as de la chance parce que pour ça, j'ai exactement le pouvoir qu'il faut !"

Non, je ne suis pas guérisseur, mais en complément de soins et exercices de kinésithérapie, une grande partie de la guérison passe par l'application de chaud ou de froid. Alors oui, j'ai largement eu le temps de perfectionner mon contrôle de la chaleur.

- "Je vais commencer par réchauffer toute la zone douloureuse pendant quelques minutes, tu devrais avoir beaucoup moins mal grâce à ça. Ensuite, je pourrai appliquer quelques massages qui permettront de remettre en place tout ça sans que ce ne soit insupportable."

Ouais, on parle de massages, mais clairement, ce ne sont que rarement les plus agréables qu'on peut recevoir. Parce que masser une zone de base douloureuse, ça ne fait pas souvent du bien. Pas sur le coup en tout cas. Tout en lui expliquant le plan de ce début de séance, je concentre à nouveau mon énergie élémentaire dans le creux de ma main qui effleure à peine le dos de Vittoria, faisant augmenter la température.

- "Tu faisais quoi exactement comme sports de combats ? Oh, et j'y pense, mais pas besoin de me vouvoyer hein, ici c'est tranquille."

Les doigts de Tiago sont étonnamment chauds au contact de ma peau. Cette partie de l'examen n'est clairement pas ma favorite et il me fait mal presque à chaque endroit où il appuie. Je pensais que c'était parce que j'avais mal partout pareil, jusqu'à ce que ses doigts se posent sur un endroit particulièrement douloureux. Quand je le signale, il stoppe la pression et je lâche un soupir de soulagement. Je me détends un instant jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche. Un pouvoir ? Du genre... magique ? Genre un pouvoir de Terrae ?! Sur moi ?

Il est assez prévenant pour m'expliquer ce qu'il va faire, ce qui me permet de ne pas m'enfuir à toutes jambes dès que je sens sa main chauffer le bas de mon dos. Si au début, la crainte me paralyse et m'empêche de me détendre, la chaleur finit par me bercer et je sens que je commence à somnoler. Il ne faut pas que je m'endorme, il ne manquerait plus que je fasse un cauchemar devant lui. Alors à la place, je parle.

Mh-mh va pour le tutoiement alors... J'ai été combattante pro dans le MMA, c'est un mix d'arts martiaux et de lutte, un peu tous les coups sont permis. Genre, dans certains combats on nous encourage même à utiliser des objets, comme des chaises pliables, pour taper sur nos adversaires. J'explique.

Ne pas dormir, surtout pas.

Et donc... tu es Feu je suppose, puisque tu peux réchauffer tes mains. C'est pratique pour un kiné.

La chaleur a dénoué chacun de mes muscles, petit à petit et la douleur s'est fortement atténuée. J'ai presque l'impression d'être déjà guérie, mais je me doute que s'il arrêtait de chauffer mon dos, tout reviendrait rapidement.

Ca fait suffisamment longtemps que j'exerce pour remarquer facilement que Vittoria n'est franchement pas à l'aise depuis qu'elle est arrivée, ce qui ne s'améliore pas quand je commence ce massage qui a pourtant pour but de détendre les muscles. Pas besoin d'être sensitif quand on sait faire attention. Alors ouais, je suis quand même un peu content quand je me rends compte que tout se détend sous mes doigts.

Et pour ça, j'ai plutôt l'habitude de faire la conversation tout en bossant. Déjà parce que je suis un peu curieux, ok, mais en plus souvent, ça me permet d'identifier des solutions faciles à mettre en place pour la personne afin d'aider à ce que son état s'améliore.

- "Ah ouais, j'vois bien c'que ça donne le MMA. C'est balèze en effet. Tu devais être sacrément douée pour ne pas être défigurée ou avoir de membre en moins."

D'un autre côté, son gabarit laisse facilement penser que ouais, elle ne devait pas se laisser démolir si facilement. Mais des gars qui gagnaient de la thune en se battant, j'en ai connu quelques uns. Il n'y en a aucun qui ressemblait encore à quelque chose quand je suis parti.

- "Bien vu. C'est vrai que c'est pratique d'être Feu, mais, honnêtement, j'pense que tous les pouvoirs peuvent être pratiques pour toutes les situations. Ca demande toujours un peu de travail dans tous les cas, mais il suffit de trouver l'une des solutions possibles à nos problèmes."

Même si être Feu et marionnettiste en tant que kiné, je dois admettre que c'est vraiment cool. Peut-être pas autant que pour les Guérisseurs mais il n'y en a de toute façon pas assez dans tout Terrae pour remplacer tout le personnel actuel de l'hôpital.

- "Tu n'as pas encore été initiée ?"

Une question toute simple, sans aucune marque de jugement dedans. Seulement, je ne ressens encore aucune énergie qui émane d'elle, et avec un contact direct entre nous, je sais être normalement capable d'identifier assez clairement le stade auquel se trouve la personne.

Les mots de Tiago me parviennent comme de très loin. Entre le massage et la chaleur, j'ai l'impression que mon cerveau est rempli de coton. Finalement, les pouvoirs, c'est peut-être pas si mal... Je dois faire un effort pour me concentrer et répondre au kiné.

Mh-mh... J'étais dans le top 10 de mon pays. Les autres aimaient pas me toucher là où j'ai des taches... Pensaient que j'étais malade et que c'était contagieux. En fait, je suis juste malade. Mais ça m'a évité d'avoir le visage trop amoché, je suppose. C'est déjà ça.

Quelques unes de mes blessures me reviennent en tête. Les côtes, classique. Le nez aussi, mais heureusement il s'est remis droit. J'ai pris des sacrés coquards, des bleus et des hématomes.

En vrai, j'en ai pris quand même des sales coups. Genre la fois où je me suis cassé trois doigts... Ou celle où on m'a ouvert le crâne avec une chaise. En fait je dois surtout avoir eu du cul.

Mais comment je parle moi ? La chaleur m'a aussi ramolli le cerveau... Mais comme si je n'avais plus vraiment de contrôle de moi-même, je continue :

Non, mais il faut se rendre à l'évidence. En vrai les pouvoirs ça me fait pas mal peur, mais je préfère largement que tu me chauffes le dos plutôt que je prendre un coup de jus par exemple.

Et puis vient la question fatidique. Ça me fait comme un électrochoc, justement. Le brouillard créé par la chaleur et la détente s'éclaircit et je cligne des yeux. Non, en effet, je ne suis pas initiée. Je ne vois pas pourquoi je le serais : j'ai peur desdits pouvoirs, et en plus on peut pas me faire confiance. J'ai quand même fracassé ma dernière adversaire au point de l'envoyer à l'hôsto.

Non j'ai pas de pouvoirs. Je sais pas si ça serait une bonne idée que j'en aie en fait. J'avoue, et ma voix me paraît moins pâteuse.

Toujours placé sur le côté de la table d'occultation, mes mains continuent leur travail tout à fait naturellement, pendant que j'en profite pour pouvoir poser quelques questions à Vittoria. D'ailleurs, je ne m'attendais pas franchement à une telle réponse. Bien sûr que j'ai remarqué les différences de pigmentation de sa peau par endroit, mais je n'ai pas eu d'hésitation à la toucher pour autant. Sûrement parce que j'ai eu un certain niveau d'éducation malgré tout. Finalement, ce n'est peut-être pas si étonnant.

- "Ouais, quand on peut tirer parti de la conneries des autres, autant en profiter !"

Je ris légèrement quand elle mentionne que, en fait, sa situation doit beaucoup être due à de la chance. Moi, quand je vois quelqu'un à Terrae, je me dis que non, il n'a sûrement pas eu tant de chance que ça. Mais je me retiens de tout commentaire allant dans ce sens. On ne se connait pas et je ne veux pas donner l'impression d'aller chercher des détails trop intimes.

- "Je comprends que les pouvoirs puissent faire peur. Souvent au début, c'est plus relou qu'autre chose. Mais t'apprendra vite que quels que soient les pouvoirs, tu peux les utiliser de façon totalement différente, et c'est ça qui est important."

Ahah ouais, dis comme ça avec mon super rôle de kiné on pourrait croire que je suis le genre de gars honnête qui n'utilise ses pouvoirs que de façon charitable. Pas du tout. Mais quand je suis au boulot, j'essaie quand même de donner un minimum une bonne image de moi.

Sauf que des fois, il y a un élément perturbateur qui vient tout foutre en l'air. Et cette fois, il se manifeste sous la forme de l'une des petites mouches bien reloues qui commence à me tourner autour. Ce qui a le don de m'agacer. Très vite. Si je n'étais pas déjà concentré sur l'exploitation de mon pouvoir élémentaire, je l'aurais cramée en plein vol. Mais avec les difficultés que j'ai à assurer la maîtrise de mes pouvoirs en ce moment, il ne vaut mieux pas que je me disperse.

J'essaie donc de resté concentrer sur les paroles de Vittoria tout en arrivant sur la fin de ce massage. Et quand elle arrive à la conclusion qu'elle n'est pas sûre de vouloir de ces pouvoirs, j'aimerais seulement lui répondre qu'elle peut toujours en parler avec Hideko lorsqu'elle l'appellera. Qu'elle sera la plus à même de la guider correctement.

A la place, mes yeux repèrent un moment de faiblesse de la mouche qui se pose juste sous mes yeux. Ni une ni deux, je coordonne mon pouvoir de marionnettiste pour l'empêcher de s'enfuir avec ma main qui lui assène le coup fatal. Une bonne claque fouettée qui raisonne bien fort dans la pièce. Et si un petit sourire victorieux prend place sur mon visage lorsque je vois le cadavre tomber au sol, mon expression change radicalement lorsque je me rends compte de la piste d'atterrissage qu'elle avait choisi. Une piste qui aurait dû la prémunir d'une telle attaque. Oui oui, il s'agit bien du postérieur hyper musclé de ma patiente actuelle.

- "Ok, alors, heu... C'est pas c'que tu crois."

Mon coeur accélère beaucoup trop vite et mes mains n'ont pas tardé à revenir de mon côté. Je sais c'est nul comme excuse, mais c'est à dire qu'on n'apprend pas non plus en cours comment on se sort de ce genre de situation hein.

La remarque de Tiago me fait plisser le nez dans un rictus à la fois amusé et féroce. Ça oui j'en ai profité. J'ai eu aucun scrupule à envoyer mes adversaires au tapis. Le coup d'adrénaline que m'a donné la question du kiné me rend les idées plus claires. Ce qu'il dit alors a pas mal de sens, en fait. L'important c'est pas qui tu es, mais comment tu te sers de tes pouvoirs.

Mais j'imagine un instant que je tombe sur le pouvoir de Titan. Puis un jour, j'ai une autre crise de violence, pour une phrase maladroite ou une plaisanterie mal placée. Si j'ai pu annihiler la carrière d'une adversaire à mains nues... Qu'est-ce que ce serait avec une force surhumaine ? Je risque tout simplement de tuer la personne. Et alors... Je pourrais dire au revoir à ce refuge qu'est en train de devenir Terrae. Je me retrouverai à la rue, sans argent et sans nulle part où aller. Retour à la case départ. Cette idée me révulse et m'angoisse.

Tout ce que j'espère, c'est qu'il n'arrivera rien, une fois que je les aurais. Dis-je d'une voix sombre.

Je sens que Tiago arrive à la fin du massage, alors je m'efforce de rassembler mes esprits pour être prête quand il me demandera de me redresser. Ce à quoi je ne m'attendais pas, par contre, c'est la claque supersonique que je me prends sur le derrière. Je reste un instant figée, le cerveau complètement vide. Puis vient la colère, comme une vague. Je n'entends même pas ce que veut me dire Tiago. Avant d'avoir compris ce que je m'apprêtais à faire, mon poing part et percute le visage du kiné. Heureusement, j'étais dans une position inconfortable, et le coup est moins fort qu'il aurait pu l'être. Il l'envoie quand même contre le mur, et j'en profite pour bondir de la table, la mettant entre nous. Je le fusille du regard, mon derrière encore brûlant.

NON MAIS ÇA VA PAS ?! Rugis-je, hors de moi. Gros dégueulasse ! Putain j'y crois pas ! Tu t'es cru chez ta mère ?!

Je tremble de fureur, les poings serrés à m'en faire mal. Je recule et attrape mes vêtements, prête à me rhabiller. La douleur dans mon dos revient, j'ai bougé beaucoup trop vite et les muscles protestent à nouveau.

J'aurais jamais dû venir ici !