J'ai décidé de suivre le conseil de ma psy et de lire quelques bouquins de "développement personnel". J'ai toujours trouvé que c'était un peu des conneries bonnes pour les gens pompeux tout ça, mais bon, au point où j'en suis, j'suis prête à essayer n'importe quoi. Et même si je doute que ça m'aide, au moins lire devrait m'occuper suffisamment l'esprit pour ne pas penser à d'autres trucs... Des trucs comme la Namibie, exemple au hasard.

J'arrive donc à la bibliothèque en début d'après-midi, et me dirige vers la blonde bien connue au comptoir de l'accueil.

"Salut Ipiu, ça va ?"

Elle relève la tête vers moi. Non, clairement, ça n'a pas l'air d'aller fort. Cernes, traits tirés, visage amaigri et teint terne - on dirait presque que j'me regarde dans le miroir, avec une perruque blonde et des lentilles. Je grimace.

"T'inquiète, moi non plus. N'en parlons pas. J'recherche des bouquins, est-ce que tu pourrais m'aider ?"

Enfin, oui forcément, on vient rarement à la bibliothèque pour commander des saucisses. Je soupire, ajoute après quelques secondes de battement.

"Des bouquins de développement personnel, ce genre de trucs..."

"Salut."

Merci de nous épargner les informations qui se lisent sur nos tronches. Jevais très bien suffit de regarder ma gueule. J'ai jamais été si pâle de ma vie... Même mes boucles m'ont quitté depuis que je peux plus les entretenir...

"Tu cherches à développer quoi ? Ton amour propre? Ta créativité? Ta tolérance?"

Ipiu me fait la grâce de ne pas relever mon commentaire et attaque directement le sujet qui m'amène ici. Je hausse une épaule - développer mon envie de vivre j'crois ? Quoi que, en ce moment c'est pas juste la développer qu'il faudrait, ce serait carrément de la retrouver.

"Euh. Mieux communiquer ? Avec les autres, avec moi-même."

Apprendre à passer au-dessus de son déni avant de se noyer dedans. Je me gratte la joue, un peu mal à l'aise, avant d'ajouter.

"Développer sa compassion, aussi. Pareil, envers les autres et soi-même..."

J'me demande si c'est une caméra cachée et si j'vais pas voir Aaron débarquer de nulle part. Ce serait son genre. Totalement.

"Du coup on va partir sur un truc pour prendre conscience de ses besoins et apprendre à les formuler."

Parce que j'ai la théorie figurez-vous, à portée de roue. Juste. J'suis master tonnerre. J'peux me couper de mes sentiments. Plus rapide quoi.

"Et on va partir sur de l'empathie plus que de la compassion... souffrir avec les autres ça t'apportera rien de bon."

Je hoche la tête à sa proposition. Oui voilà, c'est bien ça. Enfin, j'suppose qu'elle parle de besoins "psychiques" plutôt - j'ai pas besoin d'un livre pour m'aider à identifier quand j'ai faim ou que j'dois pisser.

Par contre, l'autre je suis moins convaincue. Je ne suis pas dénuée d'empathie, mais j'suis pas Sensitive non plus. Je grimace légèrement.

"C'est pas tellement l'empathie le problème, j'ai pas besoin des autres pour me faire souffrir. Plutôt... J'sais pas, apprendre à accepter ses erreurs et vivre avec ses casseroles, j'imagine ?"

Elle doit en avoir un paquet aussi d'ailleurs, elle. Et j'voudrais pas juger, mais j'ai pas l'impression qu'elle gère trop bien le truc. On devrait les lire ensemble ces bouquins en fait.

Pour ça te suffit d'être élue au gouvernement français.

"Tu connais les accords toltèques ?"

J'pense que c'est un peu la base là... Genre : la base c'est tu fais toujours de ton mieux, et tu acceptes que ton mieux d'hier c'est pas ton mieux d'aujourd'hui. Après. Bah. Tu ragequit le game et tu te mets un caisse. Ca peut marcher.

Je fronce les sourcils - on est toujours en train de parler du même sujet ou on a viré sur la politique là ? Non, j'sais pas, ce mot me fait penser à un vieux traité chiant que personne ne respecte de toute façon.

"Euh non, j'ai jamais entendu parler de ça je crois... C'est quoi ?"

"C'est plus ou moins les bails qu'il faut passer avec soi-même pour être bien dans ses baskets. C'est des sagesses humaines."

Les résumés c'est pas mon fort. Non, mais sérieux comment vous les définiriez vous ?

Je hausse un sourcil. Des sagesses humaines ? Ouais, des belles paroles et du pipeau quoi. Enfin, un peu comme tous les trucs de développement personnel quoi, qu'est ce qui m'a pris de venir ici.

"Et c'est un bouquin ou juste des conseils de vieux sage ?"

Je me racle la gorge. C'est sans doute sorti de façon un peu plus cynique que je le voulais.

"Est-ce qu'il y a des bouquins genre, plus terre-à-terre, sur ce genre de sujet ? La philosophie, c'est pas trop mon truc..."

Les phrases pompeuses qui sonnent bien mais ne veulent à moitié rien dire, voilà quoi. J'préfère des conseils et des exemples concrets.

"T'auras pas de planning en cent jours pour apprendre à t'aimer, ou alors pas qui marchentcommeune équation mathématique..."

Je préfère la prévenir, juste au cas où. J'lui sors tout ce qui pourrait convenir de près ou de loin et elle se retrouve vite avec une quinzaine de livres en anglais dans les mains.

Je ricane à la remarque d'Ipiu - non sans blague, ce serait un peu tropfacile quand même.

"J'me doute. Mais bon, si c'est pour passer des heures à lire des affirmations positives ou je sais pas quoi... J'pense pas que ça m'aidera beaucoup non plus. Des conseils un peu plus pratique, si ça existe, ça m'intéresse déjà plus."

J'sens bien que ça va être des conseils genre "méditer" et "prendre l'air" mais bon. Y'aura peut-être quelques trucs intéressants quand même dans les bouquin que la jeune femme me sort des rayons. Puis une idée me traverse soudain l'esprit.

"T'es Sensitive toi, non... ? Les affirmations positives un peu plus concrètes, ça aide ?"

Dans la même veine que "fake it until you make it" - recevoir des fausses vagues d'auto-compassion jusqu'à ce que le sentiment bien réel s'ancre, ou quelque chose du genre.

Je souris. Clairement, j'sens qu'elle est pas convaincue de ce qu'elle fait... Et moi dans cette histoire je peux rien lui apporter.

"Sensitive pas boudiste... Et encore mois psy, après si tu veux un cristal qui regorge de joie de vivre, j'peux essayer de dealer ça."

Je hausse une épaule à sa remarque.

"J'en ai déjà une de psy, c'est d'ailleurs elle qui m'a conseillé de tenter la lecture..."

Et je suis là, même si je ne suis pas convaincue. Alors qu'on ne vienne pas me dire que je suis une tête de mule qui ne fait pas d'efforts, hein !

"J'pensais pas spécialement à de la joie de vivre, plutôt... J'sais pas, un genre de paix intérieure ? J'me disais juste qu'il y a peut-être moyen de déclencher un véritable sentiment à partir d'un faux ? Enfin, je dis peut-être des conneries, je connais pas trop le pouvoir de Sensitif en fait..."

Bah, euh, ok, j'suis pas psy alors j'vais pas essayer de comprendre le bail de donner des devoirs à la maison. C'est clairement une arnaque de prof ça non ?

"Tu peux tenter une bonne baise..."

La petite mort c'est pas le sentiment idéal, mais il es provoqué et il anesthésie bien le reste...

Bon, visiblement Ipiu n'est pas d'humeur à parler de ses pouvoirs, de ce qu'on peut faire en tant que Sensitif - dans ce cas-ci, ce qu'un Sensitif pourrait potentiellement faire pour moi ? Peut-être que c'est juste une idée à la con et qu'elle n'a pas l'énergie de me le dire gentiment. Autant ne rien dire du coup.

"C'est une proposition ?"

Je demande quand elle me parle de baise. Même pas l'ombre d'un sourire en coin, mon sarcasme est plus sec que jamais ces derniers temps, c'est dingue. J'peux pas empêcher mes yeux de descendre vers son fauteuil, me demander si elle ressent encore quelque chose sous la ceinture. Non, j'demanderai pas.

"J'crois que j'préfère éviter. C'est comme l'alcool ou la drogue, y'a un peu trop de chances que ça me serve de béquille et que j'arrive plus à m'en passer."

Comme la dernière fois. Ne retombons pas dans le même précipice s'il vous plaît - cette fois je m'en creuse un différent vous voyez.