J'ouvris les yeux subitemment, haletante. Je me redressai et me prit la tête entre les mains. Quelques larmes coulèrent sur mes joues. Je les essuyai, étirant mes yeux fatigués. Encore un cauchemar. Depuis le retour de mission, c'était habituel. Les premiers jours, ça n'avait pas été si mal. Mais ça, c'était parce que mon cerveau avait été dans le déni. Et là, bam, la charge émotionnelle m'était tombée dessus.

L'être humain était étrange. Je ne regrettais pas d'avoir tué ces types. Et pourtant, j'avais ce sentiment de dégoût qui ne me quittait pas. Était-ce ça, l'humanité ? Même s'ils l'avaient mérité, vu que c'était des êtres humains, je me sentais mal ? Hum...

Il était encore très tôt et je n'avais pas suffisamment dormi. Je m'affalai sur le lit pour reprendre mon sommeil, espérant que mon rêve n'ait pas de continuité. Lorsque je me réveillai de nouveau, il était 8h du matin. J'avais rêvé à quelque chose d'autre, mais je me souvenais plus quoi.


Je m'arrêtai devant la porte. Je figeai. Oh putain, je n'avais pas envie de faire ça. Moi et la confrontation, c'est pas trop ça hein. Mais il fallait que je le fasse. Depuis que quelqu'un m'avait révélé que Bito et Nana étaient allés en boîte de nuit ensemble avant la mission et qu'il les avait vus main dans la main, je n'arrêtais pas d'y penser. Surtout étant donné la fin de notre rencontre à la bijouterie. J'avais l'impression que cette pimbêche se foutait de moi.

Je n'avais pas encore discuté avec Bito à ce sujet. Je préférais parler à la blonde avant. Je souhaitais savoir quelles étaient ses intentions et j'avais bien intention de le découvrir, qu'elle le veuille ou non. Je ne comptais pas me laisser marcher sur les pieds.

*DÉFONCE SA PORTE !!!*

Hein, quoi ?! Mais non, je suis pas un certain crâne d'oeuf ! Alala, heureusement que je n'agissais pas sur toutes mes pensées violentes moi... Genre je lui aurais bien foutu une baffe à Nana, mais je voulais essayer de garder ça civil.

*DÉFONCE SA POOoOooOOoO-*

Cette pensée fut interrompue par mon poing qui cogna doucement contre la porte de la chambre de la japonaise.

*BOUUUHH !*

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah-

*ÇA OUVRE !*

Je me donnai une contenance pour masquer mon anxiété. Elle apparut dans le cadre de porte. Elle me regarda. Je la regardai. Elle était couverte de bandages. Moi, j'en avais juste un au bras droit. Je me sentis un peu mal en la voyant amochée comme ça. La mission au Centre devait avoir été dure pour elle.

— Salut. On peut discuter ? demandai-je sur un ton hyper neutre.

Oui, la mission au Centre l'avait clairement retourné. Elle avait une sale tête. Les cernes sous ses yeux étaient bien plus prononcées que les miennes. Et sa voix... Venait-elle de se lever ? On était en plein après-midi, mais elle devait sûrement avoir besoin de se reposer.

Je ravalai ma salive. J'avais envie de faire demi-tour. Ne serait-ce pas préférable de venir lui parler quand elle aurait davantage récupéré ? Le seul problème, c'était que ça me torturait. Mes nuits étaient hantées par des cauchemars et mes jours par des pensées désagréables. Je devais digérer le fait que j'avais tué des gens et, en plus, j'avais appris qu'il s'était probablement passé quelque chose entre mon petit ami et son ex. Je songeai que je pourrais m'excuser pour le timing.

*T'excuses pas. Tu n'as pas à te soucier d'elle.*

Plus facile à dire qu'à faire. J'avais beau être verte de jalousie, je ne m'étais pas encore fait une idée claire sur elle. Cette conversation m'aiderait à déterminer ça, justement.

— Je vais aller droit au but. Je peux savoir ce que tu faisais en boîte avec Bito, peu de temps avant le départ en Namibie ? la questionnai-je en croisant les bras, les sourcils froncés.

Il était facile de comprendre au ton de ma voix que j'étais mécontente. Qui ne le serait pas, à ma place ?

J'observais la Tonnerre, silencieuse, en attente d'une réponse. La fatigue et la confusion sur ses traits furent remplacées par de l'irritation. Elle poussa un soupir tout en roulant des yeux. Elle s'exclama qu'ils s'étaient croisés là-bas, que ça n'avait pas été prévu. Oh, si ça n'avait été que ça, il n'y aurait pas eu de problème. Seulement, il y avait d'autres éléments à prendre en ligne de compte.

Autre chose ? AUTRE CHOSE ?! La conversation n'était pas finie ! Elle agissait comme si de rien n'était. Comme si je n'étais pas raisonnable. Je n'avais plus eu envie qu'elle d'être dans cette situation. La cause de ce conflit, c'était elle. On récolte ce que l'on sème, comme on dit.

— Attends attends, je t'explique c'est quoi le problème. Un : tu m'as menti lors de notre première rencontre. Deux : tu viens encore de me mentir. Ou devrais-je dire que tu as omis une information volontairement ? Quelqu'un vous a vu sortir de la boîte ensemble, main dans la main. Tu m'expliques ? Oh et, faudrait peut-être penser à arrêter de mentir.

Plus elle mentait, plus j'étais suspicieuse d'elle. Elle avait laissé échapper (quoi que, je me demandais si ça n'avait pas été volontaire, pour me défier ou quelque chose dans le genre) la preuve de son mensonge à la bijouterie, juste avant qu'elle parte. Bito et elle ne s'étaient pas « juste croisés ». Et ça, ça ne m'avait pas laissé une bonne première impression. C'était l'élément déclencheur de toute cette affaire.

Suite à ma question, j'activai mon pouvoir de Sensitive. En fait, c'était mon plan depuis le début. De l'utiliser. Avant de venir cogner à sa porte, j'avais longuemment pensé à ce que j'allais dire et faire. C'était intrusif (ce qui m'avait d'ailleurs fait hésiter), mais elle n'avait pas le moyen de savoir que je m'en servais. J'ignorais même si elle savait quelle était mon affinité. Moi, j'avais découvert qu'elle était Tonnerre parce qu'Aylan l'avait mentionné. Puis, lorsque j'avais décidé d'aller lui parler, j'avais facilement pu trouver où se situait sa chambre grâce à mon rôle de préfète.

En tout cas, c'était le bordel dans ses émotions, un gros mélange dans lequel il était difficile d'identifier ce qui était quoi. Elle roula des yeux une nouvelle fois. Elle le faisait exprès ou quoi ? Je fus étonnée lorsqu'elle s'excusa de m'avoir menti à la bijouterie. Son ton était encore plutôt sèche, mais tout de même. Elle ajouta que, cependant, c'était à elle de décider ce qu'elle voulait révéler ou pas. De plus, la première fois qu'elle avait revu Bito, c'était également un hasard. Ensuite, elle passa à la soirée en boîte. Elle déclara qu'ils étaient simplement allés fumer dehors. Elle ajouta que ce n'était pas le genre de Bito d'aller dans ce genre d'endroits.

Humph. Ouais. Ça devait avoir un lien avec le fait qu'on s'était disputés et qu'on ne se parlait plus du tout à l'époque. Ne savait-elle pas que nous nous étions disputés ? Possible. Ou alors elle prétendait ne pas le savoir. En tout cas, ça aussi ça jouait dans le fait que j'étais vénère. Ton petit ami passe une soirée avec son ex alors que vous êtes en froid ? Ouais, tu te poses des questions, et tu t'inquiètes.

Chouiner ?!! Putain mais... Je poussai un gros soupir.

— Bon. Écoute. J'te connais pas. À la bijouterie, à la fin de notre discussion, bah j'ai cru que peut-être tu te foutais de ma gueule. Et ma première impression de toi, c'est que t'es une menteuse. Alors j'ai pas vraiment de raison de te croire. J'ai pas de façon de savoir ce qui s'est réellement passé quand vous êtes sortis de la boîte.

Je marquai une pause pour réfléchir un peu.

— T'as raison. C'est mon mec. Et si mon mec traîne avec son ex, une fille qui ne m'inspire pas confiance, alors ça me refroidit un peu, tu vois. Tu choisis ce que tu veux dire, oui, mais si tu mens eh bah ça porte à croire que t'as quelque chose à cacher.

Je haussai les sourcis à sa réponse. En fait, je n'insinuais pas du tout qu'elle était une stalkeuse. Je n'avais même pas envisagé l'option. Non, je pensais que ce qu'elle avait à cacher, c'était qu'elle aimait toujours Bito et voulait le récupérer.

— Ah, non, c'est pas ce que je voulais dire... déclarai-je sur un ton plus posé.

J'écarquillai les yeux à sa prochaine déclaration. Hum. Bon. Ouais. Il fallait admettre que si j'étais une femme super confiante, je ne serai probablement pas là où j'étais présentemment, à avoir cette discussion. Je m'étais améliorée, mais j'avais encore du chemin à faire. Par contre, ça, je n'allais évidemment pas le partager avec Nana. Je me tus donc.

Elle continua. Encore une fois, il y avait un petit malentendu. Ce n'était pas que je ne croyais pas qu'ils se croisaient par hasard. Moi, ce qui m'importait, c'était ce qu'ils faisaient ensemble. Puis, elle me posa une question.

...

— Sale-

J'avais vraiment envie de l'encastrer dans le mur, là. Surtout avec son sourire. Mais je n'allais pas le faire parce que : 1. Ça me causerait des problèmes et 2. Je n'allais pas attaquer une fille qui était déjà amochée. Oui, j'avais peur. C'était un peu mon truc, avoir peur. Je me remémorai que, lorsque j'étais adolescente, j'avais faites une liste qui énumérait tous les potentiels désavantages d'être en couple. Et parmi ceux-ci, il y avait : devoir gérer un/une ex et que mon partenaire me quitte pour son ex.

Ce n'était pas Bito qui avait mis fin à leur relation. Lui, ça lui avait brisé le coeur. Et s'il ressentait encore quelque chose pour elle ? Et si je n'étais pas assez ? Et si j'étais seulement l'option numéro 2 ? Est-ce qu'il allait m'abandonner ? Ces questions tournaient dans ma tête. Ça m'énervait. Et je n'avais pas voulu aborder le sujet avec lui. Pas tout de suite. On venait à peine de se réconcilier... Et il m'avait affreusement manqué.

Je me concentrai sur Nana. Il me fallait tenter de déchiffrer ses émotions. Il y avait, bien entendu, de l'irritabilité. Et si je creusais plus loin... Un brin de nostalgie et... d'espoir. Avais-je eu raison ? La seule raison pour laquelle elle pourrait ressentir de l'espoir, c'était si elle croyait qu'il lui était possible de réellement me « voler » Bito.

— Bien sûr que non, mentis-je. J'ai juste pas envie que tu viennes foutre le bordel dans notre relation. As-tu l'intention de te mettre entre nous deux ? Est-ce le genre de personne que tu es ?

En tout cas, désormais, c'était pratiquemment confirmé qu'elle avait toujours des sentiments pour lui. Hé merde. En dernier recours, j'avais songé lui demander de manière directe et analyser son ressenti, mais cela ne me semblait pas nécessaire maintenant.

La question fatidique. La raison pourquoi j'étais débarquée à sa porte ce jour-là. Peut-être que j'aurais dû m'y prendre autrement. Peut-être que j'aurais dû attendre. Mais attendre, c'était vraiment une torture pour moi. J'avais déjà perdu assez de temps dans ma vie. Je n'avais plus envie d'être passive et d'espérer que l'avenir soit clément et résolve tous mes problèmes.

Le silence s'installa et le sourire qu'elle arborait quelques secondes plus tôt disparut. Je l'observais alors qu'elle était en pleine réflexion, et mon regard s'adoucit légèrement. Ce qu'elle ressentait... Je n'arrivais pas à comprendre... C'était comme si j'étais perdue dans un épais brouillard.

— Non.

Ce fut sec. Net. Comme si c'était une évidence. J'écarquillai les yeux. Je m'attendais plutôt à une autre moquerie. Puis, elle reprit parole et m'étonna une fois de plus. Elle était passée de la provocation à la sincérité en un éclair. Euuuh........ Est-ce que je parlais soudainement à une personne différente ?!!

J'arrêtai d'utiliser mon pouvoir de Sensitivité. Je commençais à m'en sentir mal et de toute manière, je n'en avais plus besoin.

— ...

Ok. Hum. Je ne savais plus quoi dire. Qu'est-ce qui se passait dans le cerveau de cette fille ? C'était quoi son plan ? Entretenir une amitié avec Bito en espérant qu'éventuellement, il se passe quelque chose ?

— Ok. Ouais. J'comprends.

Ce que je comprenais, c'était que les sentiments, ça ne se contrôlait pas. Quant à sa personne, je n'y captais rien du tout.

— Tu penses pas que... ce serait mieux d'arrêter de le voir ? Tu vas juste te faire souffrir, sinon.

Je devais l'avouer, ma question était en grande partie égoïste. Ça m'aurait arrangé qu'elle réponde quelque chose qui ressemble à un « Oui ». Si seulement ça avait pu être aussi simple. Ses prochains mots me surprirent. Ooooook... Elle continua et je plissai légèrement les yeux. Besoin de ? Elle ne termina pas cette phrase.

Elle s'exclama qu'elle souhaitait juste garder contact avec Bito et que je ne pouvais rien y faire, car cette décision revenait à lui et à elle. Elle répéta qu'elle le voyait uniquement quand ils se croisaient. Peut-être était-ce la vérité. Ou pas. Mais clairement, si ce ne l'était pas, je n'allais pas parvenir à lui faire cracher le morceau. De toute manière, ce qui me tracassait le plus était de ne pas savoir ce qui se passait entre eux quand ils passaient du temps ensemble. Même si, ouais, si EN PLUS ils s'organisaient des sorties et tout, ma colère et ma jalousie n'en seraient que pires.

— ... Ok.

Je faillis ajouter « Je te garde à l'oeil ». Je me contentai de la dévisager une dernière fois, puis tournai les talons. Je n'avais pas envie de prolonger cette discussion plus que nécessaire. Le malaise... J'avais eu l'info principale que je voulais. Je repartis donc en direction dans ma chambre.