Depuis que je donne des fois un coup de main pour les ateliers dessin, mon envie d'accueillir des nouveaux s'est renforcée. J'ai donc petit à petit commencé à faire des tours dans les dortoirs pour accueillir ces être un peu paumés à coups de gâteaux et de cookies. Et aujourd'hui étant un jour où je ne travaille ni en tant que décorateur, ni en tant qu'assistant, je peux me permettre de faire un peu de pâtisserie. Ce qui veux dire... Tournée des dortoirs !

J'ai fait l'acquisition d'un petit four pour ne plus avoir à dépendre du micro-ondes qui, bien que réparé, est toujours d'une humeur massacrante... Donc pour une fois, je décide de faire des cookies, de ceux qui ont encore des cristaux de sucre dessus et d'énooormes pépites de chocolat. De quoi adoucir une arrivée souvent très déstabilisante pour les nouveaux.

J'ai donc mon tupperware de cookies bien au chaud dans ma sacoche et sors de ma chambre, fermant la porte à clé avant de me téléporter au bout du couloir. J'ai beaucoup progressé les deux derniers mois, et ce genre de petite téléportation ne m'inquiète plus autant qu'avant. Et ça fait gagner un temps fou !

Une fois dans les dortoirs, je vais toquer à la porte des filles, qui s'ouvre doucement. On dirait que la porte n'était pas vraiment fermée...

- Bonjouuuuur..? J'apporte des cookies. Je m'annonce en faisant un pas dans la grande pièce.

Tu es dans ton coin, sur le lit qui t’a été donné. Tu le veux pas, ce lit. En plus, il est trop dur. Toi, t’aimes les matelas tout mou, ceux où tu t’enfonces pour bien dodo. Là, t’es trop dessus. Et puis, t’as la couette… Elle est pas toute douce et elle sent pas bon. T’aimes pas leur lessive, elle pue ! Elle pourrait sentir la lavande que tu serais pas ok avec l’odeur. Aéna, tu pourrais faire un petit effort quand même… Mais non, tu refuses parce que tu veux pas être là.

On t’a laissé ta journée pour que tu t’habitues un peu à ton nouveau chez toi. Sauf que même sans ça, tu refuses d’aller à l’école ! Tu comptes rester dans ton coin parce qu’ils sont bizarres les gens d’ici et que ton papa t’a dis de toujours éviter les gens bizarres et les gens qui offrent des bonbons, même si c’est du chocolat. En parlant de ça…

Voilà qu’un personnage entre dans le dortoir et offre des cookies. Ton papa a dis que tu devais pas, mais cachée derrière ta barrière de cheveux noirs, tu observes cette personne bizarre. Euh… elle est encore pire que les autres, t’arrives pas à savoir. C’est un garçon ou c’est une fille ? T’as jamais vu ça toi. Ce n’est pas possible d’être ça, c’est forcément un monstre ! Les cheveux longs, c’est pour les filles et la voix grave pour les garçons. Mais il a les deux… Tu dois faire quoi toi ? Tu ramènes tes genoux contre toi pour te cacher derrière, espérant que le monstre ne te voit pas.

Mais il a des cookies… Tu les regardes avec envies, les cookies. Tu en veux ! Mais tu veux pas parler aux monstres. Ton papa t’a toujours dis de faire attention avec les gens qui font peur. Ta sœur t’a dis qu’il fallait taper entre les jambes ou au tibia, mais tu veux pas taper le monstre, il a pas l’air méchant non plus. Non, tu vas juste attendre. Et pas de chance, tu es toute seule dans la pièce...



[Je précise juste que Aéna n’a jamais vu de personne au physique androgyne et ne connaît rien d’autres que des hommes « virils » et des femmes « féminines » donc elle a peur de Camil qui est androgyne. Ce n’est en rien une vraie insulte, juste la petite qui connaît pas]

Je suis étonné de n'avoir aucune réponse enthousiaste à mon appel alléchant. En parcourant du regard la pièce, je me rends compte qu'il n'y a personne... Des lits vides, surtout. Puis une petite silhouette recroquevillée sur un lit qui m'observe avec un regard de chat sauvage. Et puis ses yeux tombent sur mon tupperware et je vois tout de suite que ça lui fait envie. Pourquoi n'est-elle pas venue alors ? Je suis un peu étonné, mais je m'approche un peu, avec un sourire rassurant.

- Coucou ! Je suis Camil, j'habite dans les étages du bâtiment...

... Pas de réponse. Elle a l'air ultra méfiante, et je peux comprendre. Un inconnu qui débarque comme ça en proposant des cookies. À sa place, je me méfierai aussi. Comment faire pour la mettre en confiance..? Essayons de nous présenter plus en détail.

- Je travaille avec la professeure d'arts plastiques, j'aide aux ateliers dessins. J'aime bien les couleurs pastel, les bombes de bain et les gâteaux. Je déteste les bruits forts et quand il fait très chaud, je suis malade.

Je m'accroupis pour me mettre à hauteur du visage de la petite et manque de me casser la figure en marchant sur mes cheveux. Gonflant les joues, j'attrape ma crinière et les remonte en chignon avant de faire un grand sourire.

- Ah, et si tu te demandes, je suis un monsieur ! J'ai juste pas coupé mes cheveux depuis super longtemps.

J'ouvre ma boîte de cookies et la bonne odeur de pépites de chocolat embaume l'air autour de nous. Je prends un cookie et croque dedans avant de tendre la boîte à la petite.

- Tu en veux ? Ils sont super bons, avec plein de pépites de chocolat.

Le monstre se rapproche ! Qu’est-ce que tu peux faire ? Tu attrapes ta couverture et malgré la chaleur de ce mois de juin, tu te caches dedans, ne laissant sortir que tes yeux pour le regarder avancer. Tu ne savais pas que les monstres avaient des prénoms. En plus, Camille, c’est comme ça qu’elle l’entend, ça fait fille et garçon. C’est encore plus un monstre à tes petits yeux terrorisés et cachés derrière ta frange. C’est ta barrière, c’est ta sœur qui l’a dis, alors tu veux y disparaître parce que ça fait peur, les gens bizarres comme lui.

Oh… Il aime les dessins ? C’est un professeur de dessins ? Comme ceux que ta sœur voulait te faire voir pour que tu continues tes progrès ? Est-ce que ça fait que tu peux lui parler ? C’est peut-être un gentil monstre en plus, même s’il est bizarre et idiot. Bah oui, il a manqué de tomber à cause de ses cheveux. Il faut couper les cheveux quand on est con. C’est le vilain moment que ta maman utilise souvent. Toi, t’as pas le droit, mais si tu le penses, personne saurait que tu l’as dis, non ? Les monstres, ça ne doit pas lire dans les têtes non plus. Ton papa dit que ce n’est pas possible. T’avais demandé à cause des gens à l’école.

Mais il a quand même des cookies au chocolat, le monstre qui ressemble à une fille, mais qui est un garçon. Timidement, très très timidement, tu tends la main pour prendre un cookie avant de vite la faire disparaître avec le gâteau sous la couette, là où se trouve ta bouche puisque tu es presque totalement cachée dessous. Peut-être qu’il est vraiment gens si garçon monstre. Tu ne sais pas trop et le regardes avec attention avant d’enfin oser parler un peu.

- M… M… Mer… ci.

Oh, tu sais parler clairement, mais tu as trop peur pour y arriver. Même s’il n’était pas un monstre, ça le ferait puisque tu as dû mal à parler en public dans tout les cas et que tu n’es à l’aise qu’avec les gens que tu connais. Sauf que pour apprendre à connaître les gens, il faut leur parler, ce que tu ne fais pas. C’est idiot, selon ta maman. Ta maman, elle dit toujours que toi, tu es idiote, mais ta sœur a toujours dis que tu étais très intelligente et que tu avais le droit de prendre ton temps.

- F… Faut c… cou… per.

Tu te recroquevilles encore plus sur toi-même. Oh, si tu savais te rendre invisible, tu le serais probablement devenu là. Tu as parlé à un monstre ! Et s’il était un faux gentil et qu’il allait te tuer. C’est comme ça qu’ils font dans les séries pour adultes. Toi, tu te dis que lui, il est peut-être gentil en vrai, mais tu n’oses pas demander, toujours apeurée par sa présence. N’empêche que le cookie, bah, il est très bon parce que tu l’as déjà dévoré. Tu crois que tu peux en reprendre un ? Tu regardes la boîte avec envie sans bouger.

La pauvre, je dois lui faire peur pour une raison ou une autre... Elle s'est réfugiée sous sa couette ! C'est bien la première fois que je fais peur à quelqu'un, avec ma dégaine de brindille... Je m'arrête à une distance qui me permet de lui tendre un cookie sans être intrusif, et je me présente. J'essaie d'avoir l'air le plus inoffensif possible, à tel point que je finis par m'accroupir sur mes cheveux.

Mais mes efforts semblent porter leurs fruits ! Elle a prit le cookie !! Je grignote le mien, content qu'elle ait accepté. Sûrement parce que j'en ai mangé un aussi ? J'ai l'impression d'avoir affaire à un petit moineau très très timide... Il va falloir que j'y aille tout doucement avec elle. Elle me remercie ! Tellement adorable, je fonds...

- Je t'en prie. Je dis avec un sourire.

Le cookie a tôt fait de disparaître sous la couette mais en tendant l'oreille je peux entendre le "crounch" caractéristique d'une enfant qui se régale. Et puis elle reprend la parole et je la fixe avec étonnement.

- Couper..? Je prends une mèche de mes cheveux entre mes doigts. Ah tu parles de ça ? Oui... Je devrais les couper. Tu te rends compte, ils m'arrivent jusqu'aux fesses ! Tu penses que les cheveux courts ça m'irait ?

Je babille sur le ton de la conversation en espérant la détendre un peu. J'observe le peut que je vois de son visage, c'est à dire une franche de cheveux foncés et de temps en temps l'éclat d'un regard inquiet. Regard qui, j'en suis sûr, vient à nouveau de se poser sur ma boîte. Je la tends vers elle.

- Sers-toi autant que tu veux ! Comment tu t'appelles au fait ? Je demande.

J'aimerais bien connaître son nom. Je préviendrai Alice, Tomoe et les autres de faire attention à elle pour qu'elle puisse s'intégrer en douceur.

Jusqu’aux fesses ? Toi aussi ils sont très long tes cheveux, mais toi tu es douée, tu ne t’assoies pas dessus. Il faut être idiot pour ça et lui, il a l’air idiot. Et gentil. Est-ce qu’il est vraiment gentil ? Tu ne sais pas et tu restes extrêmement méfiante, apeurée par sa présence. Sauf qu’il demande ton avis. Euh… Tu ne sais pas toi. Ta sœur saurait, elle ! Tu prends le temps de réfléchir à ce qu’elle dirait sur ces cheveux. Déjà, tu es sûre qu’elle serait heureuse de les coiffer, mais moins que quand c’est toi sa poupée, c’est sûr ! En tout cas, un monsieur doit avoir les cheveux courts, c’est sûr alors il serait quand même bien mieux avec les cheveux coupés, tu en es sûre !

- Ou-ou-oui. Ça se-se-serait m-mi-mi-mieux.

Tu penses en tout cas qu’il serait mieux qu’avec les cheveux longs ! Les longs, c’est pour les filles, comme toi par exemple. T’es sûre que ça, c’est normal. Lui, il n’est pas normal, mais tu ne sais pas si tu peux le qualifier de monstre par contre… Il a l’air d’être un vrai gentil avec des cookies alors c’est une question que tu te poses sérieusement. Est-ce que c’est toujours un monstre ? Hmm… Oui, parce qu’il est bizarre et qu’il n’est pas normal. Voilà, tu as choisi. Par contre, peut-être qu’un monstre peut faire de bon gâteau !

Oh oui, il tend la boîte de cookies ! Tu crois que tu peux la prendre en entière ? Non, c’est mal poli de faire ça alors tu te contentes juste d’attraper un cookie qui disparaît vite sous la couverture pour être manger comme l’autre juste avant. Tu vas avoir des miettes dans le lit, mais tu nettoieras ça quand il sera parti, le monsieur femme. Oh, c’est parfait ça ! C’est un monsieur femme monstre ! L’idée te fait un peu sourire sous ta couette, parce que c’est amusant comme appellation qui est ton secret parce que tu ne comptes pas le lui dire ! Il ne faut pas abuser.

Et maintenant, il veut ton nom ? Mais tu ne lui donneras pas ! On ne donne pas son nom aux inconnus, c’est interdis par papa ! Et lui, bah, c’est un inconnu toujours aussi bizarre avec un prénom de fille et garçon. D’ailleurs, il pourrait te mentir et en fait, être une madame… Cette idée, tu n’y avais pas pensé avant… C’est compliqué les monstres ! Trop compliqué, mais dans tous les cas, Camil n’aura pas ton nom ni ton prénom.

- J-j-je d-donnes p-p-pas aux in-in-inco-inconnus.

Et oui, tu es une grande, tu sais très bien ce que tu dois faire ou ne pas faire et ça, c’est interdis ! Si jamais c’est un faux gentil, il pourrait s’en servir. Papa t’a dis qu’il ne fallait pas donner parce que le méchant peut nous retrouver grâce à ça et qu’il ne faut pas qu’il nous retrouve. Après, s’il est ici à… euh… Terrae, c’est qu’il fait parti de ces gens et qu’il peut te retrouver facilement. Ou alors, ici, ce n’est pas la sécurité.

Plutôt cash la petite ! Elle n'hésite pas et me dit ce qu'elle pense. Mais je crois que je l'inquiète encore, parce qu'elle ne sort pas de sa couverture... Je me demande si elle bégaye par nature ou si c'est juste de la timidité.

- Hmm... Bon d'accord, j'y réfléchirais. En attendant, je les mets en chignon ! Je ne peux pas les couper moi-même ce serait une catastrophe.

Et, joignant le geste à la parole, je termine de remonter mes cheveux en un chignon grossier. Je tends ensuite ma boîte à la petite qui attrape un cookie. Comme le précédent, il disparaît sous la couverture à la vitesse de l'éclair. Le "crounch" caractéristique revient alors, m'arrachant un sourire.

Je pensais avoir réussi à gagner un peu la confiance de l'enfant, mais je dois m'être trompé parce que dès que je lui demande comment elle s'appelle, elle se braque !

- Mais je suis plus vraiment un inconnu non ? Toi tu connais mon nom. Et tu sais même ce que j'aime ou n'aime pas. Je dis en prenant un air triste.

J'aimerais vraiment son prénom pour pouvoir suivre ses progrès... Mais je sens que si je force trop, je risque de la rendre plus méfiante et ça serait contraire à ce que j'essaie de faire. Du coup je hausse les épaules.

- Mais bon je comprends... Dommage, j'aurais bien aimé devenir ton ami.

Comment la rassurer..? Je pose la boîte de cookies à portée de la main de la petite pour qu'elle se serve comme ça lui chante.

- Tu sais à Terrae, il y a plein de gens très gentils. Il y a même des enfants. Et les adultes ne sont là que pour aider les enfants à aller mieux. Parce qu'on comprend à quel point c'est dur d'arriver ici tout seul. Ça fait peur aussi. Du coup, c'est pour ça que tu es en dortoir pour l'instant, même si les autres ne sont pas là pour le moment.

Je baisse les yeux sur les cookies.

- Mais du coup, prends ton temps pour t'habituer. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis souvent dans le coin. Même si je suis un inconnu, je suppose...

C’est vrai que s’il coupe tout seul, ça va être moche et pas droit, mais ça ne serait pas pire que là. Là, Camil, tu ne le trouves pas beau du tout ! Tu es sûre que les cheveux courts, il serait mignon comme dirait ta sœur. Elle aime bien les garçons qui ont les cheveux courts. Tu crois en tout cas. Enfin, ça, toi, tu t’en moques, t’y accordes aucun d’intérêt et puis, il est vieux, ça se voit. Ce genre de choses, de toute manière, ne t’intéresse pas et heureusement, tu es un peu trop jeune pour ça. Aéna, tu n’as que dix ans alors tu as encore le temps avant de porter de l’intérêt à la gente de ton choix. Ou les gentes d’ailleurs.

En attendant, le chignon, c’est mieux que lâché sur lui. D’ailleurs, toi, tu devrais peut-être les attacher aussi, tes cheveux… L’idée, aussi étrange soit-elle, te fait mal. Non, ils sont mieux en liberté, brossés, mais en liberté. Personne n’a le droit de les toucher ! Ton papa te fera une natte quand tu le verras alors en attendant, personne n’y touche. Mais tu ne sais pas quand tu le verras. Tes larmes montent à tes yeux en pensant qu’on t’a privé de ta famille ! Sauf que tu te retiens fort en reprenant un cookie pour le manger. Ça réconforte.

Ce n'est plus un inconnu ? C'est vrai que tu as son prénom ainsi que ses goûts, mais ça ne fait pas tout, non ? Est-ce que ça veut dire que ce n'est plus du tout un inconnu ? Aéna... Tu réfléchis fort, perdue avec ce qu'il vient de te dire. Tu essayes de voir si tu peux lui faire confiance ou non. Il reste toujours un monstre bizarre et peut être méchant. Mais il a raison, c'est pas un total inconnu... Est-ce que tu penses que tu peux dire ton prénom ? Si c'est que le prénom, ça doit le faire, non ? Ton papa a dis non mais il a l'air gentil. Et Camil est si triste....

- Aéna...

Ce n'est qu'un souffle à peine audible, comme si tu franchissais une limite interdite. Mais il a l'air gentil, un vrai gentil. Parce contre, tu ne veux pas de lui comme ami ! Il te fait toujours peur et puis, ça reste un vilain monstre ! Les monsieurs comme lui, ça ne peut pas devenir de bons amis, c'est sûr ! En tout cas, du haut de tes dix ans, tu en es persuadée. Voilà, c'est ça, tu ne seras pas son amie parce que tu l'as décidé !

Bon, il te propose des cookies alors tu en prends d'autres, les dévorant un à un. Si les méchants médecins te voyaient, ils seraient colère. Après tout, tu suivais un "régime" à base de plus de chocolat et là, tu dévores clairement les cookies qui sont super non et au chocolat. Le goût est si agréable et ça a au moins le mérite de te détendre un petit peu. Ce n'est pas énorme, mais c'est déjà un bon début.

- V-v-vous et-êtes d-d-des monstres !

Tu ne bégayes pas sur le dernier mot que tu cries presque en fait. Tu y a mis un peu de peur et de colère dans ton "monstres", mais tu le penses tellement ! Alors même si tu acceptes plus ou moins de parler à Camil, tu ne le trouves toujours pas normal. Mais, au moins, ta petite tête est hors de la couverture maintenant, par erreur. Et tu as plein de miettes de cookies et de chocolat autour des lèvres, petite gourmande.

La petite gobe les cookies à une vitesse folle ! J'espère qu'elle ne va pas se faire mal au ventre... Mais ça me fait plaisir de voir qu'elle les apprécie. Au moins je suis sûr qu'ils ne partiront pas à la poubelle ! Pendant qu'elle les grignote, je tente de la convaincre de me donner son prénom et... victoire ! J'y arrive, par je ne sais quel miracle. Elle s'appelle donc Aéna.

- Enchanté Aéna. Bienvenue à Terrae. Je dis avec un sourire.

Enfin, même si pour l'instant j'ai l'impression qu'elle n'a aucune envie d'être là. Est-ce que c'est sa famille qui l'a envoyée ici ? Je ne vais pas commencer à la questionner, sinon je vais perdre le peu de confiance que j'ai gagné... La suite me prend complètement au dépourvu.

- D-Des monstres ?!

Je suis sous le choc. Elle croit qu'on est des monstres ? Ou est-ce qu'elle nous traite de monstres ? Je pensais que les Masters ne ramenaient que les personnes volontaires. Elle n'aurait pas pu être enlevée quand même ?! Impossible, je dois me faire des films. Je vois mal Aaron, Huo ou Nikkou faire ça ! Ok, ils sont un peu bourrus ou alors c'est des énergumènes, au choix. Mais ils n'enlèveraient pas une petite fille contre son gré. Alors pourquoi elle dit ça ?

- Mais enfin... Pourquoi tu dis ça ? Terrae c'est chouette il y a plein de choses à découvrir, on se serre les coudes... Dehors, tu as même une grande prairie, une forêt et un champ de fleurs, c'est super chouette de se balader...

Ça me rend triste qu'elle voit Terrae comme un repère de monstres... En attendant, sa tête est sortie de la couette sous le coup de l'émotion, mais tout ce que je vois c'est une petite bouche pincée et pleine de miettes, une longue frange et des cheveux noirs... Je tends la main et lui enlève les miettes autour de la bouche.

- Tu en as partout, ton lit doit en être truffé aussi... Tu veux un coup de main pour nettoyer ?

Oh non, tu as l'habitude de beaucoup manger de sucré ou plus précisément de chocolat. Tu pourrais t'enfiler un pot de pâte à tartiner de 1 kg sans avoir de foie. L'habitude peut-être. Les médecins ne seraient vraiment pas contents de ce qu'elle vient de faire. Mais le souci, c’est que tu as bien l’intention de continuer ainsi. Tu vas très bien, ce sont des menteurs eux aussi ! Ils ont dis que tu avais un peu de poids en trop et que ce n’était pas bien, mais tu ne vois pas le problème toi. La preuve, tu t’aimes bien. Bon, sauf la cicatrice de ton opération, mais ce n’est pas de ta faute, c’es ta maman qui t’a toujours dis qu’elle était moche.

Oh, il te souhaite la bienvenue maintenant ? Mais c'est faux, ce n'est pas vrai, tu n’es pas la bienvenue ici car tout le monde est bizarre. Tout le monde fait peur. Toi, tu veux juste ton papa et ta sœur, ce qu'on t'interdit. Ça fait mal, si mal. Et voilà que les larmes te remontent encore aux yeux. Tes jolis yeux bleus qui sont plus rouge qu’autre chose dernièrement. Tu ne sais pas pourquoi, mais ça fait très mal de ne pas avoir les gens qu’on aime avec soit… Tu renifles, retenant tes larmes alors que la boîte à cookies est maintenant vide.

- Je veux mon papa ! Je veux Heinas !

Et voilà que tu viens de lui crier dessus, vraiment. Personne ne veut te rendre ta famille ici et toi, c’est la seule chose que tu veux. Certes, tu es ici car tu as accepté, mais toi, tu avais compris que ton papa venait avec toi alors que non, on t’a dis après qu’il ne venait pas. Ou alors tu n’avais pas compris. C’est peut-être plus la deuxième option. Dans tout les cas, on refuse que tu lui parles. C’est faux, mais c’est comme ça que tu le comprends. Si tu veux lui parler, il te faut demander à quelqu’un sauf que ça, tu ne sais pas faire, tu n’y arrives pas. La preuve, même à l’école, tu n’arrivais pas à demander à la maîtresse d’aller aux toilettes, ce qui a entrainé quelques accidents assez humiliant pour toi.

Et le voilà qu’il veut te toucher. Tu te recules autant que tu peu pour éviter le contact, remontant rapidement la couette sur ton visage pour qu’il n’y arrive pas. Il ne faut pas que le monstre te touche ou alors tu vas devenir toi aussi un monstre. Tu es sûre que ça fonctionne comme ça, vu que tout le monde ici en est un. Alors tu vas éviter tout contact avec lui. Et puis, tu es une grande fille alors tu frotte toi-même ta bouche sous la couette pour enlever les miettes. Ton lit, tu le nettoieras toute seule, comme une grande, que ça lui plaise ou non d’abord !

- N-n-non. J-je s-suis gr-gr-grand-d-de.

Oui, c’est ainsi que tu ripostes, ne voulant pas qu’un monstre t’aider, surtout pas pour ton lit. Il pourrait y mettre des trucs comme Heinas faisait pour te taquiner, mais lui, ça serait méchant !

Je pensais qu'en lui souhaitant la bienvenue, ça aiderait Aéna à se sentir mieux... Mais elle se met à pleurer ?! Oh non... Je suis pas Sensitif mais je sens les larmes monter à mon tour.

- Aaaah... Pardon, ne pleure pas ! Je suis désolé... Tu peux pas les appeler, ton papa et, euh, Heinas ?

C'est étonnant qu'on ne la laisse pas garder le contact avec sa famille... Une image de mon père avec sa ceinture à la main passe devant mes yeux. Je fronce les sourcils.

- Ton papa, il te fait pas de mal au moins ? Si il t'a fait du mal il faut que tu le dises ! C'est super important parce que c'est pas normal. Je t'aiderais si tu veux. Je dis d'un ton inquiet.

Hors de question que quelqu'un d'autre subisse ce que j'ai subit sans que j'intervienne !
Je tends la main pour lui enlever les miettes et essuyer ses larmes, mais la petite se réfugie à nouveau derrière sa couverture. Même si ça me fend le cœur, je laisse retomber ma main sans la toucher... J'ai envie de l'aider, mais je ne sais pas comment. Et la boîte de cookies qui est vide maintenant...

- Je suis désolé... Ça doit être dur d'être là toute seule, et je comprends que tu ne ne sois pas heureuse. J'aimerais t'aider, mais si tu ne me laisses pas faire, ça va être difficile. Et je ne veux pas non plus te laisser toute seule.

J'essaie d'expliquer à Aéna pourquoi j'insiste. Elle est encore petite, et elle ne devrait pas rester seule comme ça. Mais si je le lui dis comme ça, je suis sûr qu'elle va se braquer.

- Si tu es d'accord, je peux t'aider sur ce que tu veux. Tu as juste à me dire quoi, c'est toi qui décide. Et si tu veux que je m'en aille...

Ça me rendrait triste...

- Je m'en irais.

Les appeler ? Si, tu en as le droit. Enfin non, pas pour Heinas. Elle, personne ne veut que tu la vois parce qu’elle fait un dodo éternel. Mais sinon, tu pourrais parler à ton papa, mais tu n’as pas de téléphone et oser demander à quelqu’un, c’est si compliqué pour toi. Autant te faire courir un marathon serait plus simple que de demander à un inconnu de l’aide pour appeler ton papa… Pourtant, ils ont dis que tu pouvais, mais c’est si compliqué pour toi. En plus, tu ne comprends pas vraiment tout sur ce qui se passe.

- P-p-papa est g-gent-t-til !

D’où est-ce qu’il dit qu’il est méchant, ton papa ? Pour toi, c’est le plus fort des adultes, celui qui pourrait arracher la lune pour toi ! Bon, ça serait inutile, mais c’est comme ça que tu vois ton papa. Et ta sœur, ça serait encore mieux ! Elle, elle est juste parfaite ! C’est une déesse, c’est sûr ! Elle est si belle et si gentille que personne ne peut être mieux qu’elle, c’est certain. Ta sœur, c’est la meilleure des femmes adultes et c’est la plus adorable.

- J-je veux ton-ton t-télé-ph-phone.

Pour appeler ton papa. Tu as son numéro, il est dans ta valise. Tu sais quand même lire à ton âge donc il t’a fais une gentille petite lettre où il a marqué en gros que tu pouvais l’appeler quelque soit l’heure, même la nuit. Tu es sûre que si tu appelles, tu auras ton papa de l’autre côté et c’est ce dont tu as le plus besoin, encore plus que de chocolat, c’est pour dire ! Camil a l’air d’être gentil et si c’est un vrai gentil monstre, il va bien vouloir, pas vrai ? Il a l’air triste et ça, tu ne comprends pas trop. C’est toi qui es méchante en fait ? Oh… C’est toi qui le rends triste ? Alors ça veut dire que tu es un monstre aussi ? Tu regardes autour de toi. Ta sœur t’a dis que si quelqu’un est triste, il faut donner un mouchoir, mais il n’y en a pas. Tu peux rien donner…

- P-p-pard-don…

La protestation de la jeune fille me rassure un peu. Elle a l'air déterminée quand elle me dit ça. Et aussi absolument outrée que je puis ne serait-ce que suggérer que son papa puisse être méchant. Du coup, je retrouve un semblant de sourire.

- D'accord, d'accord. Je te crois. Pardon d'avoir dit ça.

Au moins elle ne pleure plus... Je suis rassuré. Je lui propose mon aide, parce qu'être seule ici c'est dur. Enfin, normalement. Moi je me suis senti bien tout de suite... Mais j'aime rencontrer des gens, et surtout, j'ai échappé à l'ambiance écrasante du deuil et de mon début de brun-out/dépression. Mais quand on est un enfant, ce n'est pas pareil. Je lui explique donc que c'est elle qui décide de ce que je peux faire pour l'aider, et que si elle ne veut pas me voir, je m'en irai. Alors quand elle exige mon téléphone, je ne m'en offusque pas et je le sors.

- Tiens, tu veux appeler ton papa, c'est ça ? J'ai un forfait international donc tu peux avec mon téléphone. Tu connais son numéro par cœur ?

J'ai dû avoir l'air plus triste que je le voulais en lui promettant de m'en aller si c'est ce qu'elle veut, parce qu'elle s'excuse ensuite.

- Ne t'excuse pas... Des fois je peux être un peu trop insistant alors tu as le droit de m'envoyer ch- Ouh j'ai failli dire un gros mot. De m'envoyer bouler.

On a échappé à la catastrophe.

- C'est juste que je suis triste que tu ne te sentes pas bien ici... Alors j'ai envie de t'aider à te sentir un petit peu mieux. J'explique. Mais ce n'est pas de ta faute.

Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. J'ai un faible pour deux choses : les enfants, et les animaux. Le jour où je n'aimerais pas un enfant, il neigera en été.

Il te croit ? Heureusement parce que c’est la vérité. Les fois où ton papa était méchant, c’était parce que tu avais été vilaine alors il te punissait dans ta chambre. Jamais il n’a levé la main sur toi ou ta sœur, pas une seule fois. Il est trop gentil pour ça, ton papa. Enfin, c’est ce que tu penses, mais tu as raison, ce n’est pas un violent adulte. Peut-être même qu’il est trop mou d’ailleurs, mais ça, tu ne peux pas t’en rendre compte, tu vois encore le monde avec des yeux d’enfant innocente. Tu ne peux donc pas voir ton papa autrement qu’en homme super-héros !

Il te donne son téléphone ? Vraiment ? Tu commences vraiment à croire que Camil, c’est un gentil monstre. Et puis, peut-être que ce n’est même pas un monstre en fait. Tu hésites encore parce que tu as encore peur de lui et de cet endroit qu’est Terrae, mais il a vraiment l’air d’essayer de faire de son mieux pour t’aider et ça, c’est sûr, on ne le fait pas quand on est un méchant. Ce n’est pas pour autant que tu vas lui faire confiance ou qu’il va devenir ton ami, loin de là, mais tu te détends un peit peu et ça fait beaucoup de bien à ton corps. Oh, le numéro ?

- Oui ! Je l’ai appris par cœur et il est dans ma valise !

Sous l’excitation d’appeler ton père, tu n’as même pas bégayé. Là, tu n’as vraiment qu’une idée en tête, appeler ton papa pour lui demander de venir. Tu es sûre qu’il va venir te chercher si tu lui demander. Il n’y a aucune raison qu’il refuse ça. C’est ton papa, il ne peut pas rester loin de toi. Enfin, plutôt l’inverse, toi loin de lui. Et puis, Heinas, il faut que tu restes à la maison pour son réveil. Peut-être qu’un dodo éternel, ça a quand même une fin. Comme les gens qui sont dans des lits d’hôpitaux, à dormir.

Toujours sous l’excitation, tu as montré ta valise juste à côté du lit et surtout, la couverture est tombée complètement, dévoilant une jolie robe blanche avec des coquelicots rouges dessus ainsi qu’un petit corps un peu rondouillet qui ne va pas aller en s’arrangeant si tu continues de t’empiffrer de chocolat. Ça, c’est un détail sans importance pour le moment. Et on voit aussi les miettes de cookies tombées sur ta robe. Il va falloir nettoyer le lit, effectivement, mais elle le fera après.

- T-t-tu es un-un g-gent-t-til mons-s-stre.

Ce n’est pas parfait, mais tu ne veux pas qu’il aille mal. Il veut bien te donner son téléphone alors ça veut dire qu’il est gentil. Donc il ne doit pas être triste et à ta manière, tu essaies de le rendre moins triste.

Encore une fois j'ai l'impression d'avoir fait le bon choix ! Vous avez parfois l'impression d'être dans un de ces simulateurs de vie où, quand vous discutez avec un personnage, vous devez faire un choix entre plusieurs options de dialogue ? Moi oui... Mais plus le temps passer et plus je me rends compte que ça doit venir de mon envie de plaire coûte que coûte aux gens...

Toujours étant que je me décide à lui tendre le téléphone et je vois un peu de vie revenir dans la jeune fille. Elle se détend et se redresse. Et quand je lui demande pour le numéro de son père, elle pointe sa valise. Son geste fait tomber la couverture et je vois enfin mon interlocutrice en entier ! Elle est adorable dans sa petite robe avec des coquelicots... C'est une petite fille en bonne santé, un peu potelée comme devraient l'être les enfants. Comme je ne l'ai jamais été malgré les quantités astronomiques que je mangeais.

- Trop forte !! Est-ce qu'on le cherche dans ta valise ou est-ce que tu me le dictes ?

J'ai déverrouillé mon écran, laissant voir en fond le portrait que j'avais dessiné de Katsu en février. Comme je n'ai pas de photo d'elle, j'ai mis ça. J'ouvre l'application d'appel et me tiens prêt à ce qu'elle me dicte le numéro. Mais à la place elle perd un peu sa confiance en elle et se remet à bégayer... Un gentil... "monstre" ? Voilà plusieurs fois qu'elle utilise ce terme. Je ne comprends pas vraiment pourquoi... Est-ce que c'est parce qu'on est des inconnus pour elle, ou parce qu'on a des pouvoirs ? Il me semble qu'une femme que j'ai croisé à diverses fêtes en a une peu bleue aussi, des pouvoirs. La grande, avec le Vitiligo. Mais revenons à nos moutons !

- Ah, euh... Merci ? Je suis un peu désolé que tu penses que je suis un monstre, mais bon... Au moins je suis gentil. Je dis avec un sourire.

Je ne peux pas me sentir insulté par une petite qui vient d'arriver. Ce serait ridicule. Donc je me tiens juste prêt à taper le numéro de téléphone.

- Une fois que j'ai entré le numéro, je te donnerais le téléphone. Tu peux parler autant que tu veux avec ton papa ensuite.