Je suis nerveuse - et du coup, je suis arrivée beaucoup trop en avance. Il fait glacial mais j'attends l'arrivée de Tiago à l'extérieur du café, comme convenu par message, me dandinant d'un pied à l'autre pour ne pas rester statique et risquer de me transformer en stalagmite. Je suis emmitouflée dans une longue veste en laine bien épaisse d'un blanc éclatant, qui m'arrive jusqu'aux genoux. Des bottines à talons fourrées gris perle, une grosse écharpe et des gants assortis viennent compléter l'ensemble - mais j'ai froid malgré mes couches. J'aurais dû mettre un bonnet aussi ; mais j'ai relevé mes cheveux en une queue de cheval haute et je ne voulais pas le défaire, mauvaise idée. Et en parlant de mauvaise idée, je ne suis toujours pas sûre si c'en est une ou non, de revoir Tiago ; et pourtant, c'est moi qui ai initié cette rencontre.

J'ai hésité beaucoup, longtemps, avant de lui envoyer un message pour lui proposer un café et discuter - mais après mûre réflexion, je crois que j'ai réussi à me convaincre que c'est la bonne chose à faire, la réaction la plus mature à avoir. Terrae n'est pas si grande que ça, on va être amené à se recroiser, alors c'est bien mieux de se confronter à la situation comme deux adultes et mettre les choses à plat, plutôt que de s'ignorer en se fixant de loin comme on l'a fait au bal. Avec les conséquences nulles et mesquines que ça a eu, de mon côté... J'ai également envie de m'excuser de ce qui s'est passé entre nous, de ce que Tori lui a fait, de ce que beaucoup de gens ont dit alors que je n'ai jamais voulu ça... Et puis dans le fond, je crois que j'ai aussi besoin de cette discussion pour avancer et tourner complètement la page. Parce que si je pensais l'avoir déjà fait, j'ai compris à Noël que ce n'était pas tout à fait vrai - et que, peut-être, les sentiments que j'ai pu avoir pour lui étaient plus ancrés que je n'avais bien voulu l'admettre.

Mais c'est aussi pour ça que j'ai peur que cette rencontre soit une mauvaise idée ; je ne sais pas si je suis prête à le revoir, être près de lui et lui parler, sans que ça me fasse mal au coeur. Mais on va vite le savoir, parce que je le vois arriver au loin. Et ma première réaction est de sourire en trottinant vers lui, les joues rougies par la froid mais peut-être pas seulement. Arrivée à sa hauteur, je retiens l'impulsion de le toucher - même une simple étreinte, ce serait déjà de trop - alors je me contente d'un coucou de la main, souriant toujours.

"Coucou !! Tu vas bien ? Ca te dérange pas qu'on aille directement à l'intérieur ? Je pensais peut-être faire un tour ou quoi, mais en fait j'ai trop trop froid woah !!"

Je n'ajoute pas que j'ai soigneusement vérifié avant de proposer cet endroit pour se retrouver - Tori a terminé son service pour la journée, il n'y a plus que Jérémy, le patron. Qui s'en fout bien de Tiago et moi et de ce rendez-vous qui en ferait pourtant sourciller plus d'un.

Je sais pas ce que fous là. Si, techniquement, tout ça c'est juste parce que j'ai pas été capable de l'envoyer bouler quand Alyona m'a envoyé ce sms. Ce n'était pourtant pas les possibilités qui manquaient. Mais mon doigt a refusé systématiquement d'appuyer sur ce stupide bouton envoyer et je me suis retrouvé comme un con à accepter.

Et voilà, maintenant j'arrive avec mon blouson sur le dos près du lieu de rendez-vous, et j'aperçois déjà la miss plus loin qui attend. Dehors. Non mais elle ne pouvait pas rentrer ? Pourquoi est-ce qu'elle s'inflige ça ? Le froid j'veux dire. Pour le reste... c'est peut-être aussi l'une de mes sources de motivation à me bouger. Comprendre ce qui peut bien lui passer par la tête. Même si je me dis aussi que je devrais m'en foutre total.

Bref, de toute façon c'est trop tard et Alyona arrive vers moi, rayonnante comme à son habitude. Je déglutis un peu difficilement face à cette attitude beaucoup trop enjouée pour ce que j'ai comme derniers souvenirs, mais je retiens tout commentaire que risquerait de mettre un terme précocement à cette rencontre provoquée. Comment elle fait pour sourire comme ça ? Parce que moi, j'en suis incapable. J'essaie juste d'avoir l'air moins glacial que l'air ambiant, mais c'est déjà compliqué.

- "Salut. Bien sûr qu'on va à l'intérieur, regarde toi. T'as déjà doublé de volume et j'arrive quand même à te voir grelotter."

Si j'essaie bien de faire gaffe à ne pas pencher vers le cynisme, ma voix a du mal à suivre mes efforts à prononcer des mots qui pourraient paraitre sympas. Evidemment, je ne réponds pas à sa première question, enchainant bien plus facilement sur le reste.

- "J'vois même pas pourquoi t'as pas rentrée plus tôt. J'imagine que les Voyantes n'ont pas à se soucier de savoir si on va leur poser un lapin ou non."

C'est... compliqué. Mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit simple. Suffit que je la revois embrasser ce gars pour le comprendre. Pourtant, je suis encore là et de l'extérieur, on pourrait presque croire à un rendez vous tout à fait classique. Ce qui est déjà une belle victoire. Même si je ne peux m'empêcher d'attendre le moment où elle va m'annoncer un truc qui risque de me faire vriller. Pourquoi d'autre est-ce qu'elle m'aurait dit vouloir parler autour d'un café ?

Alors si je ne comprends toujours pas ce que je fais ici, ça n'empêche qu'on ne tarde pas à entrer dans ce café pour trouver une table où s'installer. C'est vrai qu'il fait quand même vachement meilleur à l'intérieur. L'ambiance y est super cosy, posée. Pas du tout mon mood du moment mais, j'imagine que c'est mieux que rien.

Tiago arrive, il me salue d'un ton un peu froid, et enchaîne par une remarque tout aussi froide. Ca aurait pu être une blague, mais il n'y a pas d'humour dans sa voix et pas l'ombre d'un sourire sur ses lèvres. Mon coeur se serre un peu et je hoche juste la tête en lui emboîtant le pas pour rentrer à l'intérieur, mon sourire s'effaçant un peu.

"On avait dit qu'on se retrouvait devant le café... Je voulais pas que tu penses que j'étais pas venue. Et j'ai pas regardé... Je voulais pas tricher."

C'est surtout que, même si j'avais vu qu'il me poserait un lapin, je serais venue quand même avec l'espoir de m'être trompée - mais depuis que je suis Etoile, il est rare que je me trompe... J'aurais été encore plus triste - en plus d'être vraiment pathétique - donc j'ai juste préféré ne pas savoir. Mais il est là, et même si lui n'a pas l'air d'en être très content, moi je le suis.

Il fait bon à l'intérieur, et il n'y a pas trop de monde, tant mieux. Tiago se dirige vers une table libre mais j'attrape doucement son poignet en secouant la tête. Un couple va venir s'installer juste à côté d'ici quelques minutes... Je l'attire vers une table plus loin, dans un coin, près de la baie vitrée.

"On sera plus tranquille ici."

J'enlève mes gants, mon écharpe et mon manteau, que je pose sur le dossier de la chaise - dessous, je porte une robe patineuse toute simple, blanche, avec une ceinture grise au niveau de la taille. Oui, je me suis pris la tête sur la tenue, je voulais être jolie mais pas en faire trop non plus ; qu'est-ce qu'on est sensé porter pour boire un café avec son ex, hein ? Je m'assieds et parcours distraitement la carte ; le serveur vient rapidement prendre notre commande - je demande un chocolat chaud, grosse surprise. Une fois à nouveau seuls, je relève le regard vers Tiago et lui adresse un petit sourire triste.

"Je sais que c'est un peu tard, mais... Je voulais m'excuser. Pour tout ce qui s'est passé... Pas seulement pour le malentendu entre nous et la façon dont les choses se sont terminées, mais aussi pour... Tori. Et tous les autres... Je sais que beaucoup de gens n'ont pas été très cools avec toi, et c'est injuste. C'était de ma faute autant que de la tienne, et je ne comprends pas pourquoi personne me croit quand j'essaye de le dire. J'ai jamais voulu... J'ai rien voulu de tout ça."

Je ne dis pas que je n'ai jamais voulu lui faire de mal - parce que si, au bal, j'ai embrassé Roman parce que je voulais lui faire mal. Et c'était nul. Et je déteste que ça m'ait fait autant de bien, sur le moment. Mais maintenant, ça me fait surtout beaucoup de peine, et je me sens coupable.

Je n'ai jamais été super stable comme gars mais là, tout est particulièrement agité en moi. Et les pensées multiples qui continuent à me traverser l'esprit de toutes parts n'aident pas. Pourtant, maintenant que je suis là, je compte bien faire mon maximum pour aller jusqu'au bout. Je ne comprends même pas pourquoi je suis à ce point agité. Mais j'ai bien d'autres choses à gérer avant de me poser de telles questions. Comme ma respiration pour commencer. Je sais que c'est la première étape pour empêcher mes émotions chaotiques de me submerger.

Dans ces conditions, je ne fais pas bien gaffe à l'endroit où on va, laissant mes pieds me guider comme bon leur semble. Je suis un peu étonné par ce geste d'Alyona pour nous entrainer ailleurs, mais je crois que ça me permet au moins de reporter mon attention sur mon environnement. Depuis quand je suis aussi stressé pour un rendez-vous avec une fille ? Parce qu'il ne s'agit pas vraiment de ceux dont j'ai l'habitude sûrement.

Je hoche simplement la tête sans chercher plus d'explications et la suis jusqu'à une table qu'elle préfère. Je retire mon blouson et j'ai du mal à ne pas remarquer la tenue d'Alyona. On va dire que c'est une simple habitude. Pourtant, moi aussi j'ai mis un certain soin à me préparer. Une simple habitude...

Quelle galère. D'habitude, je ne suis pas franchement du genre à laisser s'écouler les minutes de silence. Mais là, à part pour demander un café, je n'arrive pas à dire grand chose. Je crois que j'ai déjà beaucoup trop de choses à gérer avec moi-même pour réussir à prendre la moindre autre initiative. Et je me rends compte que j'arrive malgré tout à m'énerver moi-même. Parce que cette passivité là, ça ne me ressemble pas. Sauf que je n'arrive pas à me bouger suffisamment pour la surpasser.

Finalement, c'est Alyona qui rompt le silence. Je relève les yeux vers elle quand elle reprend la parole. Au moins, elle ne compte pas tourner autour du pot ou prétendre une quelconque volonté de prendre de mes nouvelles, ce qui est plutôt une bonne chose. Et heureusement parce que la suite me laisse beaucoup plus dubitatif. En même temps, est-ce que je dois en être surpris ? Non. Ce qui ne m'empêche pas de me caler plus au fond de mon siège et de prendre une grande inspiration pour mettre un peu d'ordre dans ce que je peux répondre.

- "T'as pas besoin de t'excuser pour les autres. Ce qu'ils font et disent ne regarde qu'eux. Si tu commences à te prendre la tête pour des choses que tu n'as pas faites, tu vas juste réussir à te pourrir la vie pour rien."

Je ne suis même pas agacé. Pourtant, ce genre d'excuses, ça a le don de me gonfler. Mais là, j'ai juste l'impression d'être... je sais pas. Vidé de toute cette colère qui m'anime normalement.

- "J'sais pas quoi te dire. On a mal géré, et c'qui devait arrivé est arrivé. C'est... dommage. Mais c'est comme ça. T'as même pas besoin de t'excuser pour quoi que ce soit en fait. J't'en veux pas. Et puis... bien sûr que c'est à toi de m'en vouloir. Franchement, c'est pas très compliqué de comprendre pourquoi personne ne te tient pour responsable."

Parce qu'elle n'a pas grand chose à se reprocher. Je sais. J'ai eu le temps de faire le point avec moi-même depuis.

- "J'voulais pas..."

Pas quoi au juste ? Pas que ça se termine comme ça, ouais, c'est clair. Pas qu'elle le prenne comme une trahison. Pas qu'on aboutisse à ce semblant de relation merdique qu'il y a entre nous depuis.

- "Enfin, j'ai pas l'habitude du genre de relation que tu cherchais et, j'ai pas su gérer. Bien sûr que j'aurais dû m'assurer de... certaines choses. J'le fais d'habitude. Et pas cette fois. A partir de là, c'est pas difficile de comprendre que je suis le principal responsable."

C'est moi qui ne fais pas les choses normalement, je le sais. Je connais les normes sociales en matière de relations charnelles entre deux personnes.

Si tous les mots ne viennent pas toujours facilement, il y a longtemps que je suis d'accord avec moi-même sur ce que je pense de cette histoire. Et globalement, bien sûr que je suis assez d'accord avec l'avis général. Ca me fait juste chier que tout le monde se soit soudainement senti pousser des vocations de super héros. Et pour le coup, ça m'a peut-être empêché de réfléchir à la façon dont Alyona pouvait elle aussi se positionner face à toute cette agitation que ça a créé.

Tiago n'a vraiment pas l'air à l'aise d'être ici. Il regarde un peu ailleurs, ne dit rien - il est tellement différent de la personne que j'ai appris à connaître cet été. Et je ne peux m'empêcher de me demander si c'est seulement parce qu'il est ici, avec moi ; ou s'il a changé depuis ces derniers mois. Je crois que moi, j'ai changé. Je soupire en hochant la tête quand il me dit que je n'ai pas à m'excuser de ce que font les autres.

"Tu as sans doute raison... Mais je me sens quand même un peu responsable. J'aurais du savoir que... Tori ne réagirait pas très bien. C'était pas très malin de ma part d'aller pleurer chez elle."

Elle est très protectrice envers moi ; j'aurais dû rentrer chez moi, pleurer un bon coup, seule - et puis lui expliquer seulement une fois calmée et avec les idées un peu plus claires. Elle n'aurait pas été ravie, c'est sûr, mais je sais que c'est de me voir aussi dévastée qui l'a vraiment fait sortir de ses gonds. Et les autres... Les autres, ils me voient juste comme la gentille petite Alyona, trop bête et naïve pour faire quoi que ce soit de mal, alors forcément que c'est de la faute du grand méchant Feu, si les choses se sont mal passées. Et c'est d'ailleurs plus ou moins ce que Tiago me dit maintenant, avec ses mots à lui. Et même si je devrais avoir l'habitude, à force, ça me blesse. Je relève les yeux vers lui et le regarde pendant un moment sans rien dire, les lèvres pincées et un creux entre les sourcils. J'attends que le serveur ait amené nos boissons et soit reparti avant de lui répondre.

"Arrête de dire ça. Pourquoi ce serait juste de ta faute de ne pas avoir été clair sur tes attentes ? Je ne l'ai pas été non plus, que je sache. J'aurais pu te poser la question. J'aurais pu écouter les gens qui m'ont dit de me méfier de toi. J'aurais pu utiliser un peu ma magie pour anticiper les choses. Mais je n'ai rien fait de tout ça, j'ai préféré me mettre des oeillères et juste voir ce que j'avais envie de voir, m'imaginer quelque chose qui n'existait pas au lieu d'affronter la réalité en face. Alors bien sûr que c'est aussi de ma faute."

Je baisse les yeux vers ma tasse et observe un instant mes doigts blanchir alors que je les serre autour de la porcelaine trop chaude.

"J'en ai marre que tout le monde réagisse comme ça. Je sais bien que je suis naïve et pas très... Pas très futée, mais c'est pas une excuse. Au contraire, c'est justement à cause de ça que je finis toujours par me retrouver dans ce genre de situation. Alors ça ne m'aide vraiment pas qu'on me materne et qu'on me dise que je n'ai rien à me reprocher. Je ne suis plus un bébé, et j'aimerais qu'on me laisse prendre mes responsabilités comme une adulte. Tant mieux si tu me pardonnes, mais ne dis pas que je n'ai pas à m'excuser, s'il te plaît."

Je crois que c'est important pour moi, qu'il me laisse partager cette faute avec lui. Je souffle un coup pour évacuer la contrariété qui était montée en moi ; mais ça va mieux, maintenant que j'ai laissé sortir ce poids qui me pèse depuis plusieurs mois. Je desserre mes doigts de ma tasse et bois une gorgée, avant de retrouver le regard de Tiago. Je lui souris avant de poursuivre plus doucement ;

"Je ne t'en veux pas non plus, tu sais. Mais je suis d'accord que c'est... Dommage, tout ça. J'ai bien eu le temps de comprendre que tu n'es certainement pas... La bonne personne pour quelqu'un comme moi. Mais je t'aimais beaucoup quand même. Et... Je crois que c'est toujours le cas. En tout cas, tu me manques."

Et ça, je viens seulement de m'en rendre compte à l'instant. Mais de l'avoir juste là, en face de moi, je prends conscience que j'ai envie d'étendre la main pour la poser sur la sienne, le toucher, le faire sourire, et rire. Peut-être que j'aurais mieux fait de ne pas lui dire, en fait, la spontanéité n'a pas toujours que du bon... Alors je renchéris sur quelque chose qu'il a dit et qui me laisse un peu perplexe.

"Pourquoi tu n'as pas mis les choses au clair avec moi, si c'est quelque chose que tu fais d'habitude ?"

Ouah. C'est moi ou Alyona a l'air un peu énervée? Ok, on est loin de la voix qui monte dans les décibels ou du poing qui s'écrase sur la table, mais ce regard qu'elle me lance en affirmant vouloir assumer sa part de responsabilité, je crois bien que c'est la première fois que je le vois. Elle peut donc être plus que cette gentille fille qui sourit tout le temps en disant oui à tout ?

Etrangement, ça me fait du bien de la voir comme ça. Je sens mon visage qui se décrispe enfin, et j'arrive même à amorcer un sourire à la fin de ses explications. Des explications que je comprends très bien. Parce que j'ai horreur que les gens me prennent en pitié (sûrement une des raisons pour lesquelles je m'arrange pour qu'ils n'aient surtout pas envie d'en avoir à mon égard).

- "Ok. Dans ce cas, j'accepte que tu sois aussi coupable que moi. Et, j'accepte aussi tes excuses pour... quoi ? Ne pas avoir vu autre chose que ce qui te faisais plaisir ?"

C'est une vraie question. Si je refuse d'entendre ses excuses pour les réactions des autres, je peux prendre celles qui concernent ce qu'elle juge avoir à se reprocher. Est-ce qu'on peut s'excuser de ne pas avoir été très malin ?

Je ne me pose pas plus longtemps la question, parce que le reste de ce qu'a à dire Alyona mais laisse bien plus abasourdi. Ok. Je ne m'attendais clairement pas à ça. Et... je crois que ça fait bizarre à entendre. Parce que ça me ramène des mois en arrière. Quand tout allait bien encore. Avant que je ne mette en place cette barrière affective qui me permettait de faire comme si cette pseudo rupture ne m'avait rien fait. De continuer, comme si de rien n'était.

Alors à sa question, je ne sais plus comment répondre. Parce que je n'aurais jamais eu ce que je cherchais autrement. C'est sûrement la première réponse qui serait sortie en temps normal. Celle qui m'aurait permis de garder cette distance entre nous. Voir même de l'augmenter. Pourtant, après cette franchise peut-être excessive dont elle vient de faire preuve, je me dis que je lui dois bien une réponse honnête. Même si ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple à formuler. De toute façon, maintenant que je suis ici, autant jouer le jeu.

- "D'habitude, je ne mets pas non plus des mois avant d'embrasser une fille qui me plait. Mais, j'aimais bien aussi cette dynamique qu'il y avait entre nous. C'était fun, et tranquille, et... différent. Je cherchais pas juste à ce qu'on couche ensemble et puis c'est tout. Quoi qu'en pensent certains. Alors que les nanas que je fréquente c'est... enfin c'est clair dès le départ que ce ne sera jamais rien de plus que physique. Du coup, c'est plus simple à aborder."

C'est vrai. Tout est vrai. Je n'allais sûrement pas me faire chier à patienter des mois juste pour coucher avec une meuf, aussi belle soit-elle. Non, il y avait ce petit truc qui faisait que j'aimais bien passer ce temps avec elle, même si rien de concret n'en sortait. Parce que c'est agréable aussi.

- "Nan... en vrai... je savais bien que... t'accepterais pas."

Bien sûr. Il y avait ça aussi. Au fond, je l'ai toujours su. Elle n'est pas ce genre de fille. Elle est de celles qui ont modèle idéalisé des relations amoureuses, impliquant deux personnes qui n'ont d'yeux que l'une pour l'autre. Et je n'avais pas envie de mettre un terme à ce qu'il y avait entre nous. Alors c'était la solution la plus simple. Ne pas aborder le sujet.

- "Je suis désolé. J'aurais dû y réfléchir un peu plus."

Ouais bah, maintenant que j'en suis arrivé là, je n'ai plus d'autre choix hein. Voilà pourquoi je déteste laisser passer ce genre d'émotion. Je me sens forcément terriblement con après.

Je m'énerve un peu quand Tiago me dit que je ne suis pas responsable de ce qui est arrivé entre nous ; parce que déjà, c'est faux, et aussi parce que j'aimerais bien que quelqu'un me prenne au sérieux, pour une fois. Et quand ma tirade est terminée, j'ai l'impression que c'est finalement le cas - du moins, il accepte mes excuses, et qu'on se partage la faute. Et pour la première fois depuis qu'il est arrivé, il me sourit un peu. C'est un drôle de moment pour décider de se dérider, mais je ne me vexe pas pour autant - parce qu'il n'a pas l'air de se moquer de moi, il a juste l'air... Plus à l'aise ? J'imagine que c'est un mode de communication qu'il maîtrise mieux que ce à quoi moi je suis habituée. Je hausse une épaule à sa question en buvant une autre gorgée de mon chocolat chaud.

"J'avais tellement envie de tomber amoureuse et de vivre une belle histoire, que j'ai décidé que c'était ce qui était en train de se passer. Alors qu'au final, on ne se connaissait pas si bien que ça tous les deux. Et que, surtout, je n'avais même pas pris la peine de te demander ton avis sur la question... Je suis un peu têtue parfois."

Et surtout, je suis très douée pour me raconter de jolies histoires au lieu de vraiment regarder ce qui se trouve juste sous mon nez. Parce que quand je repense à tout ça, ça semble tellement évident qu'on n'était pas sur la même longueur d'ondes, lui et moi... La plupart de nos conversations étaient assez superficielles, et bien souvent, on laissait nos corps s'exprimer pour nous. Très mauvaise base pour une relation sérieuse (même si l'aspect physique est important, hein, mais il faut qu'il y ait plus que ça quand même !).

Et finalement, après lui avoir expliqué mes raisons, je demande à Tiago pourquoi lui n'a pas été totalement honnête avec moi non plus. Il semble hésiter un moment avant de me répondre, et j'écoute ses mots avec attention, hochant un peu la tête. Je crois que ça me rassure de savoir que je n'ai pas tout inventé non plus - que même si ce n'était pas de façon très conventionnelle, il avait de l'affection pour moi. Que j'étais quand même un peu plus qu'un simple joli petit cul à ajouter à sa collection.

"Je vois... Mais oui, tu as raison, je ne crois pas que j'aurais accepté. Je ne juge pas hein, certains couples sont heureux comme ça, mais... Je ne pense pas être capable de m'épanouir dans une relation qui ne soit pas exclusive."

Je tourne la tête pour regarder au travers de la baie vitrée, perds un peu mon regard sur le paysage couvert de givre au dehors. Je pose mon menton sur ma main et soupire un peu.

"J'ai beaucoup d'amour à donner, et je pense que je mérite quelqu'un qui m'aime aussi en retour - moi, et juste moi. Et puis j'aimerais... Une famille. Des enfants. De la stabilité."

Finalement, je reporte mon regard vers Tiago et lui souris.

"On aurait sans doute dû avoir cette conversation quand on s'est rencontré, plutôt que maintenant... Mais c'est pas grave, on ne peut pas revenir en arrière hein. Tout ça m'aura au moins appris à faire un peu plus attention, à l'avenir. Mais ça ne t'intéresse pas, toi, d'avoir une relation plus... Je sais pas, traditionnelle ?"

Ou alors c'est juste que ça ne l'intéressait pas de vivre ça avec moi ?

On ne se connaissait pas si bien. Pourtant, ça faisait déjà plusieurs mois qu'on se tournait autour, passant du temps ensemble, avant que les choses ne se concrétisent. Même si je crois que je vois ce qu'elle veut dire, je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai rarement aussi bien connu une personne avant de coucher avec. Manifestement, ce n'est pas ce qui mène à la réussite.

- "Faut dire qu'avec le nombre de gens relous qui m'ont direct balancé à chaque fois qu'ils nous voyaient ensemble, je pensais que mon avis sur la question était déjà très clair. Ou, c'était peut-être plus simple de me dire que tu savais."

C'est bizarre comme le temps peut atténuer certaines choses. Des choses que je n'aurais jamais reconnu il y a plusieurs mois, passent désormais la barrière de mes lèvres sans la moindre difficulté.

Et puis, Alyona m'explique ce qu'elle attend réellement d'un couple. Des éléments dont je me doutais pas mal pour la plupart. Mais que j'occultais totalement. Peut-être que je voulais voir s'il y avait une vraie possibilité pour que ça marche vraiment entre nous. Sans être vraiment prêt à changer mes habitudes pour autant. Mauvais choix.

Cela dit, je ne m'attendais pas à tout non plus. Forcément, le sujet de la famille ne me laisse pas totalement insensible. A cet instant, je me sens encore plus bête. C'est vrai, on aurait sûrement dû en parler avant. Il n'empêche que si j'avais fait un peu plus gaffe, je ne lui aurais pas fait perdre tout ce temps pour rien. Juste parce que j'étais incapable de savoir, moi, ce que je voulais.

- "C'est pas vraiment le genre de discussion qu'on a en début de relation en général. Même un mec bien pourrait prendre peur en entendant ce genre de discours trop tôt ! Quoi que... J'imagine que je suis mal placé pour le savoir !"

Déridé par cette conversation qui se passe beaucoup plus sereinement que je ne me l'étais imaginé en venant, j'arrive à reprendre une voix plus enjouée. Je ne dirais pas que c'est une blague non plus, je le pense, mais... ouais, c'est un peu plus posé qu'au début en tout cas.

D'ailleurs quand elle me retourne la question, c'est un peu bizarre. Parce qu'en réalité, je comprends totalement ces envies qu'elle vient de m'exposer. Et dans le fond, c'est quelque chose que j'aimerais trouver aussi. Mais bon, je sais que ça n'aurait pas l'air très crédible.

- "Je ne sais pas trop. Dans l'idée, ça me plairait bien. Enfin je crois. C'est pas le genre de relation que j'ai vraiment expérimenté. Je ne suis pas sûr d'arriver à passer le cap un jour."

Pourtant, je me suis posé la question plus d'une fois. J'ai toujours vécu entouré de toute ma famille, que ce soit mes frères et soeurs ou mes cousins, mes oncles et même des degrés plus éloignés. La famille nombreuse, c'était l'un de mes objectifs quand j'étais encore en Colombie. Un objectif qui me paraissait dans la lignée logique de mon évolution. Je ne me posais pas trop de questions à ce sujet. Mais il faut admettre que je me voyais avoir des gamins déjà à vingt cinq ans alors... oui, bon techniquement, ok, c'est le cas, mais ce n'est pas ce que j'imaginais non plus.

- "Mais y a plein de gars qui partagent ce genre d'ambitions. Même s'ils ne sont pas toujours tous assez dégourdis pour aborder une jolie fille."

Nan mais je n'allais pas tomber dans le mélodramatique non plus hein ! En plus, elle m'a déjà prouvé très bien se débrouiller avec les hommes.

Je hoche la tête avec un petit sourire, sans rien ajouter - effectivement, beaucoup de personnes ne se sont pas gênées pour me mettre en garde contre Tiago et ses habitudes. C'était sans doute un peu légitime qu'il se dise que je savais dans quoi je m'embarquais... Et ça aurait sans doute été le cas si je ne m'étais pas mis des oeillères hein, soyons honnête. On en revient toujours au même point : on aurait dû se parler. Mais même si c'est un peu tard, au moins maintenant on se parle - et ça me fait beaucoup de bien. A lui aussi, je crois, il s'est déridé depuis tout à l'heure mine de rien.

Je hausse légèrement les épaules avec une petite moue quand le Colombien souligne qu'aborder le sujet des enfants trop tôt, ça peut carrément faire fuir un mec. Nathan a fui en apprenant ma grossesse, malgré nos deux années de relation, alors bon... Je pense qu'un homme qui part en courant à la simple mention de fonder une famille ne sera jamais un homme pour moi - mes erreurs avec Tiago m'auront au moins appris que ça ne sert à rien de se voiler la face en glissant certaines choses sous le tapis en espérant qu'elles changent.

"Oh, tu sais... Même après plusieurs années, il y en a qui s'enfuient encore en courant quand il s'agit de bébés. C'est important pour moi, je crois que je préfère en parler trop tôt que trop tard... Ca ne veut pas dire que je veux des enfants là tout de suite hein, mais au moins que ce soit clair que c'est mon objectif à moyen terme."

Et quand je lui retourne la question, sa réponse me surprend un peu. Qu'il pense à ça, qu'il en ait envie même - et ce en dépit de son mode de vie qui rend le concept de "fonder une famille stable" impossible. A moins qu'il rencontre quelqu'un qui accepte une relation ouverte (mais est-ce que c'est un environnement sain pour élever des enfants ? Voilà une autre question difficile...). J'ai l'impression de découvrir une nouvelle facette de Tiago, et je lui souris doucement.

"T'es pas si vieux, t'as encore le temps d'y réfléchir et de décider de ce que tu veux ! Pour moi c'était facile, je rêve du prince charmant et d'être maman depuis que je suis toute petite... J'ai pas vraiment d'autres ambitions que celle-là, à vrai dire. Mais je comprends que ce ne soit pas aussi évident pour tout le monde."

Le Colombien allège finalement l'atmosphère avec une petite blague - qui a quand même un gros fond de vérité, mais bon. Je soupire un peu avant de boire une gorgée de ma tasse, pensive.

"Plein, je ne sais pas... Ca doit exister, effectivement, mais je ne sais pas où ils se cachent, hein ! Et puis j'ai la mauvaise habitude de m'intéresser aux mauvaises personnes aussi, alors bon. Tu... n'étais pas le premier, ahah. Mais le dernier, j'espère."

Je crois que toute cette histoire m'aura suffisamment fait grandir pour me poser les bonnes questions avant de m'engager dans une relation, la prochaine fois. Et c'est une très bonne chose, même si le prix à payer était plus douloureux que je ne l'avais anticipé.

Plus j'écoute Alyona me parler et plus je me rends compte que c'était vraiment un foirage total. J'ai pensé plus d'une fois que les choses auraient pu être différentes. Que j'aurais peut-être pu agir différemment avec elle. Manifestement, y penser et faire en sorte de, sont deux choses bien distinctes.

Mais si je suis probablement passé à côté de quelque chose qui aurait pu être cool, je suis au moins un peu rassuré de voir qu'elle ne m'en veut plus. Que c'est derrière nous. Parce que dans le fond, je l'ai toujours bien aimé. Et ce silence radio depuis, ça me faisait chier.

- "T'as forcément d'autres ambitions. Tu crois pas que c'est un peu réducteur de les limiter à une vie de famille pleine de gamins ? T'as même ouvert un institut de soins. Je n'crois pas que si tu avais qu'un seul but dans la vie tu te serai donné la peine de construire tout ça."

J'ai bien eu le temps de remarquer qu'elle est de ces gens qui pensent aux autres avant tout. Ces gens que je ne comprends décidément pas. Et que son opinion d'elle-même est loin d'être glorieux. Pourtant, elle en serait tout à fait légitime.

- "J'sais pas s'il y a vraiment des mauvaises personnes... enfin, si, statistiquement, ok, il y a des gars auxquels il ne vaut mieux pas s'intéresser, mais, ça peut matcher avec quelqu'un dont il ne faudrait pas s'intéresser et inversement. Je crois que les relations sont bien plus complexes. Et puis, y a aussi une grande part de chance, et de timing."

C'est mauvais, ouais, je m'en rends très bien compte tout seul. Mais eh, c'est pas facile à formuler ok ?!

- "T'es super jolie, sympa, sociable, un peu timide quand même, forcément que tu plais à la majorité des mecs. Franchement... au début j'étais persuadé que tu avais masse d'ex."

Je souris parce que, ouais, il m'a fallu un certain temps pour accepter qu'elle n'était pas ce genre de fille qui savait seulement comment se comporter pour plaire, et qui en profitait. Avant, je ne pensais même pas que c'était possible d'être naturellement comme elle l'est.

- "D'ailleurs, j'comprends toujours pas pourquoi ce n'est pas le cas. Mais bon, c'est comme pour tout, c'est à force de se planter qu'on fini par réussir."

Est-ce que c'est censé être encourageant ? Mdr j'en sais rien. Cette conversation vient définitivement de m'échapper (pour peu que j'ai réellement eu un semblant de contrôle dessus).

Quand Tiago mentionne que je dois forcément avoir d'autres ambitions dans la vie que de devenir maman, je hausse un peu les épaules, prenant quand même le temps d'y réfléchir. C'est vrai que j'ai accompli pas mal de choses depuis que je suis ici, quand j'y pense ; ouvrir mon institut de beauté et diriger le club de danse, par exemple. Et j'ai aussi rencontré des amis formidables, qui rendent ma vie plus belle. J'ai beau ne pas avoir de mari ni d'enfant pour le moment, je ne suis pas pour autant malheureuse et seule, au contraire.

"Mmh, j'avais jamais envisagé les choses de cette façon, mais tu as peut-être raison, il y a d'autres choses qui sont importantes aussi... Disons plutôt que fonder une famille, c'est mon objectif de vie, alors. Mais c'est pas non plus mon genre de rester à me morfondre chez moi en attendant que ça arrive, hein !! Je m'épanouis comme je peux en attendant, et c'est vrai que ça marche pas trop mal pour le moment, hihi !"

J'ai quand même l'impression que ma vie n'est pas tout à fait complète, que c'est une phase en attendant de passer à l'étape supérieure. Mais une phase chouette quand même, et pour le moment ça me suffit. Je n'ai pas du tout perdu espoir d'avoir ma petite famille un jour, mais j'ai accepté l'idée que ça prenne du temps... Et je pense que ce sera bénéfique pour tout le monde que j'apprenne à être heureuse par moi-même avant d'être heureuse à plusieurs.

Je lâche un petit rire à la réflexion suivante de Tiago - oui, non, il y a définitivement des mauvaises personnes !! Ou plutôt, des mauvais match ; il n'y a qu'à regarder nous deux ! Mais si dans notre cas, c'était assez évident depuis le départ, j'ai bien conscience que parfois c'est plus flou et qu'il faut essayer pour le savoir...

"Oui, c'est vrai. Il ne faut pas juger un livre à sa couverture, comme on dit ! Mais bon après, tomber dans les bras du premier venu, c'est pas une super bonne idée non plus... C'est marrant de t'entendre parler de chance et de timing, t'as pas l'air du genre de personne à croire au destin hihi !"

J'y ai cru pendant longtemps, mais c'est devenu bien plus difficile en tant que Voyante. Avoir accès à tous ces fils, ces futurs possibles qui fluctuent et varient sans cesse... J'ai bien été forcée d'accepter que presque rien n'est dû au hasard, mais plutôt aux conséquences de chaque action et décision qu'on prend, même les plus infimes.

Je rougis un peu en baissant les yeux aux compliments de Tiago - non mais pourquoi il dit des trucs comme ça au milieu d'une conversation, aussi ?! Ca me touche encore plus parce que je sais qu'il n'essaye pas juste de me draguer, cette fois, mais qu'il est sincère. Je relève les yeux vers lui et hausse une épaule avec un demi-sourire, quand il m'avoue être surpris que je ne me traîne pas une ribambelle d'ex-copains.

"Il n'y en a eu qu'un, en fait... Qui m'a trompée pendant trois ans et puis qui est parti du jour au lendemain en apprenant que j'étais enceinte. Tu vois, y'a pire que toi hein ! Après ça, j'ai juste... Plus eu envie, pendant longtemps. Mais je suis prête maintenant !"

Je souris, avant de terminer le contenu de ma tasse. C'est un peu étrange d'aborder ce sujet avec Tiago, mais je ne suis pas spécialement mal à l'aise - parce que je suis presque sûre qu'il ne va pas commencer à poser des questions indiscrètes. Et même s'il en pose... Ce n'est pas - plus - un secret.

C'est vrai, ça fait un peu bizarre d'avoir cette conversation avec Alyona. Faut dire que ces derniers mois, aligner trois mots était déjà compliqué, et avant, eh bien... ce n'était pas le genre de sujets. Mais c'est cool. C'est cool de constater qu'elle accepte encore de me parler de ces choses personnelles après ce qui s'est passé. Parce que malgré tout, je l'aime bien. Et ouais, j'ai bien eu l'occasion de me rendre compte que ça me faisait chier cette distance. Même si j'en suis responsable.

- "Eh, j'étais pas le premier venu ! Puis j'ai dû être hyper patient !"

Si je fais mine de m'insurger à cette réponse, ça n'a rien de sérieux. Evidemment. Parce qu'elle a raison.

- "Mais, c'est vrai. C'est pas tant que je crois au destin, plus que, parfois, on peut rencontrer la bonne personne, mais, pas au bon moment. Des fois c'est trop tôt. On n'est pas prêt pour ça. Ou, trop tard. On vit tous des choses qui nous font évoluer. C'est plus ça pour moi la chance, croiser la bonne personne, au bon moment."

Et en même temps, je crois que des fois, il n'y a juste pas de bon moment. Mais je ne risque pas de trop tenter l'introspection non plus. Pas maintenant. Je préfère largement profiter de cet instant improbable avec Alyona. Et de ce que j'apprends. Ouais, je ne m'attendais pas à ça. Et si ses mots me renvoient des flashs horribles de ma réaction face à Elisha qui se pointe dans ma piaule avec un ventre de femme enceinte, je ne risque pas de me mettre en lice pour la place du pire mec.

- "Ouah. J'suis désolé, j'voulais pas que tu penses que je t'ai trompé."

Bien sûr que c'est comme ça qu'elle l'a pris. Et après ce qu'elle a vécu, forcément que ça a dû être hyper dur. Je pourrais presque parier que cette expérience passée est liée à son Vide (mais je sais qu'on ne fait pas de pari sur quelque chose d'aussi sensible), donc à son arrivée ici. Pas étonnant qu'elle ait réagi aussi vivement ce jour là.

- "J'ai jamais eu de... vraie, copine. J'ai aucune idée de ce que ça fait que de vivre ça. Je sais que je ne réagis pas toujours comme il faut, mais... enfin j'sais pas trop ce que tu attendais en me proposant de venir aujourd'hui, mais, j'suis content de voir que t'as l'air d'aller bien."

Je n'insiste pas sur cette grossesse. Avec ce qu'elle vient de me dire, je n'ai pas de mal à comprendre que l'issue n'a pas dû être joyeuse. Pas la peine d'insister dessus. Je suis déjà assez étonné (et un peu satisfait aussi) qu'elle m'en ai parlé.

Je souris un peu quand Tiago mentionne qu'il n'était pas "le premier venu" non plus - non, bien évidemment que non, sinon je ne penserais pas encore à lui six mois après qu'on ait arrêté de se fréquenter, hein... Je hausse un sourcil en penchant légèrement la tête sur le côté quand il reprend la parole ; non mais c'est qu'il s'est déjà sérieusement penché sur la question, en fait...

"Mmh, je vois ce que tu veux dire... Mais j'aime pas trop cette idée, je t'avoue. Je trouve ça un peu trop triste et terrifiant de me dire que j'ai déjà potentiellement croisé l'amour de ma vie, mais que j'ai raté le coche à cause d'une histoire de mauvais timing !!"

Si ça se trouve c'était lui, mais ça n'a pas marché parce qu'on s'est rencontré trop tôt ou trop tard ?! Non, je préfère carrément me dire qu'il n'était pas la bonne personne et puis voilà, et que mon vrai prince charmant m'attend toujours quelque part... Ecoutez, j'évolue mais je suis toujours un peu naïve et romantique hein, ça ne changera jamais je crois ! J'esquisse une petite moue à la réflexion de Tiago, haussant une épaule.

"Non, non, t'inquiète ! ... Enfin, si, c'est un peu comme ça que je l'ai vécu de mon côté, mais c'est pas grave. Maintenant je sais que toi, tu voyais pas du tout les choses de cette manière, et que t'as pas... Cherché à me faire du mal exprès non plus, donc c'est plus facile à accepter."

Nathan c'était différent, il me disait qu'il m'aimait et qu'il voulait faire sa vie avec moi, alors qu'il me trompait tout le temps et que je faisais semblant de ne rien voir... Je crois que je n'aurais jamais eu la force de partir si lui ne l'avait pas fait, donc dans le fond je lui suis un peu reconnaissante d'avoir été aussi lâche ? Mais dans tous les cas, la pilule est quand même beaucoup plus facile à avaler en ce qui concerne la situation avec Tiago. Je suis un peu soulagée qu'il ne me pose pas de questions sur ma grossesse - ce n'est plus un grand secret, mais c'est pas pour autant que c'est facile ni agréable d'en parler non plus... Par habitude, je joue avec la bague à mon petit doigt, avant de finalement hocher la tête.

"Bien, je ne sais pas, peut-être pas encore tout à fait, mais mieux en tout cas. Et je ne sais pas trop à quoi je m'attendais non plus, je t'avoue, je voulais juste... Mettre les choses à plat ? Tourner la page proprement ? Mais en tout cas, je suis contente qu'on ait eu cette discussion."

Elle m'a fait du bien - et à lui aussi, je crois. Je ne suis pas sûre d'être capable de devenir vraiment amie avec lui, mais au moins pouvoir se dire bonjour et se sourire quand on se croise dans les couloirs, plutôt que d'avoir une boule dans la gorge... C'est un gros progrès.

Evidemment qu'elle n'aime pas cette idée. Elle est bien trop optimiste pour partager ma façon de penser. Et je n'ai aucune intention de la faire déprimer. Alors je n'insiste pas. D'autant plus que je suis persuadé qu'on ne le sait que trop bien quand on a foiré ce genre d'évènement.

Je suis un peu soulagé quand Alyona m'explique accepter un peu mieux la façon dont tout s'est arrêté entre nous maintenant. Qu'elle m'en veuille, je pourrais le comprendre et faire avec, mais je n'ai sûrement pas envie qu'elle continue à souffrir pour cette histoire. C'était déjà bien assez dur de la voir en pleurs dans ma chambre ce jour là. Comme quoi, il y a des choses qui changent.

Malgré tout je ne m'en sens toujours pas si bien. Encore moins en sachant comment s'est terminée son unique expérience préalable. En fait, je ne sais même pas quoi ajouter. C'est vrai que le malaise du début est passé. Et je suis plutôt content d'entendre ce qu'elle a à me dire. Mais ce genre de conversation, ce n'est définitivement pas ce à quoi je suis habitué. Même avec cette tentative d'explication.

- "Genre t'arrivais pas à tourner la page sans ça ?"

Oook peut-être qu'il y a toujours ce flash désagréable de ce foutu bal de noël qui est toujours là. Non mais c'est bon, c'est passé, juste... j'ai du mal à l'entendre dire qu'elle avait besoin de me parler, de ce genre de rendez-vous, pour vraiment passer à autre chose et avoir l'esprit tranquille.

Non ok, j'l'ai encore un peu mauvaise.

La remarque de Tiago est de nouveau un peu sèche, et je hausse un sourcil - quoi, j'ai dit quelque chose de mal ? Je réfléchis tout de même à sa question ; besoin, je ne sais pas, j'aurais sans doute bien fini par tourner la page malgré tout, mais c'est plus facile comme ça. Et surtout, ça me permet de pouvoir repenser aux moments qu'on a partagés sans que ça me fasse aussi mal au coeur qu'avant.

"Disons que... Avoir ta version de l'histoire aussi et ta perspective, ça rend tout ça plus facile à accepter. J'ai beaucoup ressassé en me demandant pourquoi, ce que j'ai fait de mal, comment j'aurais pu éviter que ça finisse comme ça... Et c'était fatigant, en plus de ne servir à rien. Au moins maintenant, je sais..."

Je sais que je n'aurais rien pu faire de plus, parce qu'il n'était juste pas prêt à m'offrir la relation dont j'avais envie et besoin. Et je trouve toujours ça un peu triste et dommage, mais au moins je n'ai plus besoin de me torturer l'esprit avec ça...

Je baisse les yeux vers ma tasse vide - est-ce que je recommande quelque chose à boire ou pas ? J'ai l'impression qu'on a un peu fait le tour du sujet, et je ne vois pas bien de quoi d'autre on pourrait discuter... Parler de la pluie et du beau temps me semble un peu plat, après tout ce qu'on vient de se dire. Je finis par me racler un peu la gorge en relevant les yeux vers le Colombien, un léger sourire aux lèvres.

"Est-ce que... Tu as des questions aussi ? C'est surtout moi qui t'en ai posées là, mais s'il y a quelque chose que tu as envie de savoir..."

C'est le moment, c'est l'instant - je ne pense pas qu'on aura encore l'occasion d'avoir une conversation aussi ouverte tous les deux ; même si on se dit bonjour quand on se croise et qu'on échange des banalités, ce ne sera sans doute plus jamais pareil que maintenant... Alors autant en profiter. Sinon, je pense que je vais rentrer pour digérer un peu tout ça... J'ai beau être contente d'avoir eu cette discussion, et que cette entrevue se soit bien déroulée surtout, mais ça a quand même remué pas mal de choses et j'ai besoin d'un bon bain chaud et de faire ma petite routine beauté pour me réconforter. Et de faire un gâteau, j'ai envie d'un gâteau.