Je vois le sourire d'Aéna se faner un instant avant qu'elle ne réponde à mon exigence. Mais elle est comme depuis le début de notre rencontre absolument adorable et acquiesce sans autre forme de problème. Je souris et, d'un geste venu naturellement, lui caresse les cheveux.

C'est gentil, merci Aéna.

Comment est-ce que je peux m'attacher à un enfant ? J'ai trop du mal avec eux d'habitude. Genre, ça parle, ça court, ça crie, ça fait des caprices et quand ça éternue, ça sait pas se moucher... Mais Aéna est tellement calme et douce que, bah... ça passe.
D'ailleurs la revoilà qui passe ses bras autour de mes hanches, à défaut de pouvoir les passer autre part. Cette fois je lui rends son câlin un peu moins maladroitement. Vu la différence de taille, ça fait un peu câlin ours, mais je me souviens que les câlins de Mama étaient pareils, et c'était les meilleurs câlins ! Et je ne dis pas ça parce que c'est les seuls câlins que j'ai eu dans mon enfance. Je la vois lever la tête vers moi et aperçois son regard hésitant à travers sa longue frange. Intriguée, j'incline la tête de côté pour l'encourager. Sa question sort très hachée. Je commence à comprendre que plus elle bégaye, moins elle ose dire ce qu'elle dit. Je la comprends néanmoins et prends un temps pour réfléchir.

C'est une bonne question... Je ne sais pas trop. Pour mon Vitiligo, c'est sûr, la magie ne peut rien. J'ai des pouvoirs de guérisseuse même si je les utilise jamais... Mais on m'a dit que ce pouvoir peut pas vraiment guérir les maladies génétiques comme ça. Ni les cancers par exemple.

Tout en parlant, mon cerveau réfléchit. Je me suis un peu habituée à l'idée des pouvoirs, au moins ça ne m'horrifie plus.

Par contre... Pour les maladies comme les douleurs aux articulations... Peut-être que ça peut soulager un peu ? Comme une sorte de médicament ?

Comment expliquer ça à une enfant de l'âge d'Aéna... D'ailleurs, elle n'a pas l'air très à l'aise avec l'idée des pouvoirs et de la magie non plus.

Elle te rend ton câlin, agrandissant ton sourire encore plus. Oh, il n’en faut pas beaucoup pour le voir celui-là, quand tu oublies involontairement le reste. Le cadre de la forêt aide beaucoup à la perte de mémoire passagère. Si seulement c’était possible de manière définitive ça t’enlèverait cette douleur qui te fait si mal et qui te fait pleurer tout les soirs quand tu es dans ton lit… En fait non, tu veux pas oublier Heinas, tu refuses de l’oublier ! Elle est trop importante pour toi. Et si en grandissant tu l’oubliais ? Sans comprendre pourquoi, des larmes montent à tes yeux. Tu ne veux pas ! Maintenant, tu ne veux plus grandir ! Plus jamais !

Tu passes ta main sur tes yeux pour les essuyer. Faut pas penser à ça quand il y a d’autres gens parce que tu ne veux pas parler d’elle à des inconnus, ça serait mal de le faire et tu veux absolument bien faire toi. La psychologue a dis que c’était bien d’en parler, mais tu refuses. C’est trop douloureux, trop important pour toi. C’est comme si on t’enlever le coeur à chaque fois, qu’on te le piétinait et qu’on y mettait de l’acide. Ça fait si mal…

Mais Tori est un gentil monstre alors tu te dis qu’elle ne va pas dire quelque chose de méchant, surtout que tu as essuyé tes larmes pour cacher que t’es triste. C’est pas de sa faute si tu es toute triste tout le temps, mais de la faute d’ici. Bah oui, t’étais moins triste avec ton papa d’abord ! Enfin bref, ce n’est qu’un détail qui n’a aucune importance maintenant.

- C-c-c-c’est nul-l-l-le la m-m-magie !

Si ça peut même pas soigner ta nouvelle amie, tu trouves ça encore plus inutile qu’avant. Ça ne fait que faire peur et rien d’autres, ça mérite pas d’exister d’abord ! Enfin, si parce que Tori dit que ça peut soigner les autres, mais pour des trucs différents.

- T-t-t-tu p-peux t-t-te guér-r-rir ?

Ça serait trop bien si c’était ainsi que ça fonctionnait, mais tu en doutes, ça serait trop simple et ça a pas l’air d’être très simple comme truc quand même ce qui est quand même triste. Du coup, la magie, ce n’est peut-être pas si mal que ça ? Enfin, tu as du doute maintenant ce qui est nouveau. Tu fais un petit sourire timide à Tori, n’osant pas lui demander plus de choses. Ça fait déjà beaucoup quand même, tu ne veux pas qu’elle en ait marre de toi et qu’elle t’abandonne ici, toute seule.

On dirait que la mission câlin a réussi. Le sourire de la petite s'élargit encore, me réchauffant le cœur au passage. Non, vraiment elle est adorable. Et puis... Son sourire s'efface. Un peu inquiète, je l'observe du coin de l’œil et ai la confirmation que quelque chose a dû lui passer par la tête quand elle essuie ses yeux. Je m'accroupis pour me mettre à sa hauteur et pouvoir la voir un peu mieux.

Aéna..? Tout va bien, tu as mal quelque part ?

Non, parce que si c'est le cas, autant moi ça sert à rien que j'aille à l'infirmerie, autant là on y va illico. Hors de question de la laisser tomber malade ou avoir mal.

La petite est très intéressée par mon Vitiligo alors je fais de mon mieux pour lui expliquer ça et la magie. Je lui explique donc que la magie ne peut pas soigner mon Vitiligo. Mais qu'elle pourrait peut-être aider sur des effets secondaires de ma maladie de peau. Aéna semble en colère contre cette magie "nulle" qui ne m'aide pas. C'est très gentil à elle de s'en inquiéter et ça me touche mais une enfant ne devrait même pas penser à ça !

Mais non, ce n'est pas nul... C'est juste... Différent, tu vois ? Elle aide, c'est un peu comme une béquille ou une cane qui te supporte quand tu t'es fait mal. Eh bien la magie elle t'aide à guérir du Vide que tu ressens. Elle remplacera rien, c'est sûr, parce que c'est pas son rôle. Mais par exemple, moi avant de venir ici, je tapais beaucoup sur d'autres gens. C'était un peu mon métier, j'étais une sorte de gladiatrice.

Encore une fois, difficile d'expliquer ça pour qu'elle puisse en saisir le sens.

Et maintenant, j'ai des pouvoirs pour guérir. Donc au lieu de casser les gens, je les répare. Et en les réparant, je me répare un peu moi-même.

Je ne sais pas si une métaphore comme ça est la bonne solution pour expliquer ça à Aéna... D'ailleurs, elle pose déjà une autre question.

Je crois que je peux..? Je n'ai jamais essayé, parce que j'ai un peu peur de mes pouvoirs moi aussi.

Peut-être que je devrais essayer ? Je pourrais peut-être atténuer mon Vitiligo ?

Tori est gentille, elle te demande si tu as mal quelque part. Tu crois que tu peux lui en parler ? Tu n’en as pas envie, mais tu ne veux pas qu’elle t’emmène chez le médecin. Tu ne veux voir personne pour ça parce qu’ils vont dire comme la dernière fois. Et puis, si ton papa l’apprend, il va s’inquiéter alors c’est non. Il ne faut pas, il faut qu’il soit content que tu ailles bien. C’est faux, mais tu veux que ça soit ça.

- ç-ç-ça v-va.

Vraiment, tu ne diras rien de plus. Tu lui fais même un sourire en passant à autre chose, à la suite de la conversation. Voilà qui est mieux, avec un si beau sourire. Enfin, en théorie.

Tori tapait sur les gens ? Mais elle est gentille, elle ne peut pas taper sur les gens. Elle ment ? Tu es un peu en mode incompréhension parce que tu la trouve vraiment gentille pour un monstre et que tu doutes qu’elle puisse être méchante. La magie peut changer les gens ? Mais tu ne veux pas changer, toi. Tu es obligée d’avoir ça ? C’est sûr de sûr ? Tu n’en veux pas… Tu n’as pas envie de devenir un monstre à ton tour. Et si ton papa ne t’aime plus à cause de ça ?

- V-v-veux p-pas chang-g-ger ! V-v-v-veux p-p-pas oubl-blier.

Tu n’as pas vraiment compris le principe, tu mélanges tout dans ta petite tête d’enfant. Tu n’y mets pas du tien, certes, mais même si tu faisais l’inverse, tu n’arriverais pas à tout comprendre. C’est beaucoup trop de théorie pour toi et ce n’est pas ton truc. Tu n’arrives pas à saisir comment elle peut se réparer en réparant les autres. Et puis, elle n’a pas l’air cassé.

- T-tu es f-f-fiss-ssurée ? T-t-tu es u-une p-p-p-poupée ?

Elle est peut-être une poupée de porcelaine après tout, ce n’est pas impossible et tu te dis que c’est super bien, une poupée vivante. Toi, tu veux que ce soit ta peluche qui soit vivante, mais tu doutes que ça fonctionne aussi pour les peluches. Ça serait trop bien, mais la tienne n’a jamais bougé… Et si elle le faisait quand tu n’étais pas là ? Oh non, ça te rendrait trop triste. Tu vas lui parler en face à face ce soir pour savoir s’il bouge ou s’il veut bien te parler. Peut-être qu’il voudra bien.

- F-f-faut ess-ss-ssayer ! Faut te soigner !

Tu le dis avec assez de force et de conviction pour ne pas bégayer pour une fois, parce que tu ne veux pas qu’elle soit malade !

Au ton d'Aéna, je comprends qu'elle ne dira rien même si je vois bien que quelque chose la rend triste. Je décide de respecter son choix et passe à autre chose. J'essaie de lui expliquer que la magie n'est pas quelque chose de mauvais, mais c'est difficile puisque j'ai moi-même du mal à m'en convaincre. Et comme je le pensais il est difficile d'expliquer à une enfant en quoi c'est bénéfique. Aéna se rebiffe presque immédiatement.

Tu ne vas pas changer, et surtout pas oublier. Je n'ai pas oublié mon passé, Aéna. La magie aide juste. Le reste c'est comme si tu n'en avais pas, tu vas grandir comme une petite fille normale.

J'essaie de la rassurer du mieux que je peux, mais utiliser une métaphore était une mauvaise idée.

Non, je ne suis pas fissurée, ne t'en fais pas. Mais la magie me permet d'avancer dans ma vie et de me sentir mieux. Mais je suis bien une humaine, je te rassure. Dis-je avec un sourire rassurant.

Si j'étais une poupée de porcelaine, je ne posséderais pas 75kg de muscles. Je me serais cassée au premier coup. Une poupée catcheuse ou championne de MMA, ça n'existe pas. Elles sont mamans, médecins, vétérinaire ou danseuses... Elles sont fines et délicates avec des peau parfaites et surtout pas tachées comme moi.

Pendant que je me dis ça, Aéna insiste sur le fait que je dois essayer de me soigner. J'hésite... Je ne suis qu'une Initiée et je n'ai jamais utilisé mon pouvoir. Ça me fait peur de faire ça sans supervision de quelqu'un. Mais j'ai aussi compris que l'enfant est têtue. Elle ne laissera pas tomber. J'ai quelque égratignures sur les mains de ma dernière séance avec un sac de frappe... Je décide de tester là dessus.

Je ne suis pas sûre de pouvoir soigner ma maladie mais je peux faire ça... Je crois.

Malgré mon inexpérience et mon inquiétude, je mets ma main au dessus de l'autre et une légère lumière apparaît. Les égratignures se refermèrent tout doucement, jusqu'à ce qu'il se reste que quelques fines cicatrices blanches. Ça me fait bizarre d'utiliser ces pouvoirs inconnus à mes yeux. Mais la sensation n'est pas désagréable : c'est un léger picotement, à peine une chatouille.

Et voilà, plus de bobo... Qu'est-ce que tu en pense ?

J'espère que ça a pu la rassurer un peu.

- S-s-si j-j-je gr-grandis, j-j-je v-v-vais oubl-bl-blier Heinas ! J-j-j-je v-veux r-rest-t-ter enf-f-fant !

Voilà, maintenant, tu refuses complètement de grandir, mais tu as raison, grandir, c’est oublier. Plus tu seras grande et plus tu oublieras ta sœur. D’ici dix ans, qu’auras-tu comme souvenir d’elle ? Une sœur aimante et encore ? Peut-être que tu ne garderas que son visage mort comme souvenir et rien d’autres. C’est déjà une chose qui te hante alors c’est faisable. Tu penses que tu seras capable de te souvenir de sa manière de te caresser les cheveux ? De sa manière de t’habiller comme une poupée ? De sa manière de te consoler ? De sa manière de te câliner ? Non, tu vas forcément oublier tout ça, l’oublier elle. Tu refuses !

Et voilà que tu as des larmes qui montent aux yeux. Tu serres ton carnet de dessin dans tes bras pour retenir fort tes larmes. Tu ne veux pas pleurer maintenant ! Tu ne veux pas du tout inquiéter Tori parce que Tori est un gentil monstre alors elle n’a pas à s’inquiéter pour toi. Toi, tu vas retenir fort tes larmes et tu viens même frotter tes yeux pour les faire disparaître. Voilà, plus de larmes, zéro. Ce n’est pas totalement vrai, mais c’est toujours mieux que ça.

Maintenant, après un tout petit instant, tu es redevenue la petite fille souriante. Enfin, avec un peu moins de facilité, mais tu ne veux pas l’inquiéter. Tu l’aime bien, elle. Tu ne veux pas te fâcher avec elle. Ton papa serait triste de savoir ça, que tu t’es fâchée avec quelqu’un de gentil… En plus, elle t’a écouté et elle essaye même de se soigner. Ce n’est pas sa maladie, juste quelques égratignures, mais c’est trop bien. Peut-être qu’elle pourra aller mieux après, avec l’habitude ?

Des étoiles viennent dans tes yeux quand tu vois que la magie, ce n’est peut-être pas si mal que ça en fait. Elle est toute soignée. Elle n’a plus de blessures et c’est trop bien ! Tu crois que ça peut être une bonne chose de faire ça partout ? Tu aimerais pouvoir soigner les gens toi aussi. Tu veux trop soigner, oui !

- M-m-moi auss-ss-ssi j-j-je p-peux f-f-f-faire ç-ç-ça ?

Tu crois que tu pourrais soigner le cœur de ton papa ? Peut-être qu’en pratiquant beaucoup, comme pour les langues, tu pourras le soigner et le faire sourire comme avant ? Si la magie permet de faire ça, ça serait trop trop bien ! Ton papa serait heureux alors tu le serais aussi. Et puis, lui, tu veux qu’il soit le plus heureux des hommes même si tu n’es pas sûre de savoir comme on fait pour rentre un papa heureux. Des câlins, des bonnes notes, des sourires, de l’amour, c’est un bon début, non ? Est-ce qu’il faut d’autres choses ?

On dirait bien que je n'ai pas du tout réussi à la rassurer. Aéna proteste à nouveau : elle ne veut pas grandir, pas oublier. Elle veut rester une enfant. Est-ce que j'ai moi-même un jour eu une pensée similaire ? Je fouille dans ma mémoire, à la recherche d'un quelconque événement semblable. Mais non. Rien. Je crois que je ne me suis pas rendu compte du moment où j'ai abandonné mon enfance. À moins que je n'ai jamais eu conscience d'avoir été enfant ? Je n'en sais rien. En tout cas je n'ai pas l'impression d'avoir eu cette innocence de l'enfant.

Je remarque qu'Aéna lutte à nouveau contre les larmes. Elle a l'air de faire de son mieux pour les contenir, je pense qu'elle ne doit pas vouloir que je la vois pleurer. Alors je fais comme si de rien n'était.

D'accord, d'accord. Tu as le temps de toute façon. Et puis, être un enfant c'est bien. Pas besoin de s'inquiéter de quoi que ce soit, les adultes gèrent tout. Dis-je avec un clin d'œil.

Ce n'est pas comme ça que je m'en souviens, pourtant. Après tout mes parents biologiques n'ont rien géré du tout vu qu'ils m'ont laissée comme un déchet devant la porte d'une autre. Mais je me doute que pour une enfant qui a eu une vie "normale" entre gros guillemets, c'est ce qui se passe.

Puis la conversation changea, passant à la magie. Aéna semble aussi réticente que moi, et quand je vois comme j'en ai bavé, je préfère la rassurer. Quoi de mieux qu'une démonstration ? Je ne suis qu'Initiée alors je ne risque pas de faire grand chose d'impressionnant, mais si elle a peur c'est peut-être mieux. Je sais qu'elle aimerait que je me guérisse, mais ma maladie va rester là, même les Masters Guérisseurs ne pourraient pas m'enlever ça. On me l'a bien fait comprendre. Non pas que j'ai envie d'enlever mes taches, elles ne me dérangent plus depuis longtemps. Du coup, je décide de guérir quelques égratignures sur ma main. L'effet est celui que j'attendais : ma main guérit et Aéna semble plus enthousiaste ! Je souris.

Ah ça ! Ça va dépendre de quels pouvoirs tu vas avoir. Mais il y a d'autres pouvoirs très chouettes ! Par exemple ma meilleure amie, elle peut voir l'avenir. Et je connais quelqu'un qui peut faire pousser des plantes.

Je m'étire avec un sourire.

Je sais aussi que certains peuvent se changer en animaux. Tu imagines, passer ta journée comme un chat ? Manger, dormir, et des câlins. Le rêve.

Je me force vraiment à trouver les points positifs des pouvoirs, pour elle.

Elle a raison, tu n'es pas obligée de grandir maintenant, ça peut bien attendre quelques mois et pourquoi pas quelques années ? Ça serait bien d'attendre encore longtemps parce que toi, tu veux garder Heinas encore longtemps même ça fait très mal de la garder dans ton cœur. Tu crois qu'oublier te ferait ne plus avoir mal du tout ? Tu te sens si vide parfois que même tes dessins le sont ce qui est triste parce que toi, tu ne veux pas que ça rendent triste, tes dessins. Aller, il te faut du progrès ! Beaucoup de progrès !

Tori a eu raison de te montrer sa magie qui est juste magnifique ! Elle guérit et ça, ça te fait rêver parce que ça serait trop bien de faire rêver les autres en les guérissant. Déjà, tu le peux grâce aux câlins, mais c'est encore mieux comme ça, non ? Tout ce que tu pourrais faire en faisant partir les blessures des autres, ça serait si bien ! Tu crois que tu serais capable de grandes choses ? Pas au début, tu t'en doutes, tu n'es pas idiote. Ça doit être comme les cours, il faut apprendre pour savoir faire.

- Veux guérir ! V-v-v-veux guér-r-r-rir le c-c-c-coeur d-de m-m-m-mon p-p-papa !

Ça serait si bien si tu le rendais de nouveau heureux et non plus triste. Tu voudrais trop être capable d'une telle prouesse. C'est d'ailleurs pour ça que tu es aussi sage qu'il te l'a demandé, pour pas que tu le rende triste. Tu l'as vu pleurer et tu ne veux plus revoir ça. Toi, tu veux revoir son sourire et sa joie de vivre. Tu te dis qu'en faisant comme il faut, tu vas pouvoir être assez forte pour que ça revienne, mais si en plus, tu peux le guérir, ça serait parfait !

- T-t-t-toi, tu p-p-peux p-pas t-t-te ch-changer en an-n-nim-mal ?

Mais guérir, c'est déjà bien impressionnant, tu ne juges absolument pas. À choisir, toi aussi tu préfères guérir les gens, c'est bien bien mieux. Tu crois que tu serais capable de la soigner elle-aussi ? Parce que toi, tu l'aimes bien et que c'est ton amie maintenant. Une amie monstre, mais une amie tout de même. Elle est gentille, la dame qui a des tâches. Tu vas faire un très très beau dessin pour la présenter à ton papa !

Je crois que j'ai apaisé Aéna en lui affirmant qu'elle n'a pas à grandir tout de suite. Je vois ses épaules se détendre un peu, et c'est une chouette récompense en soi. J'ai été obligée de grandir sans profiter de mon enfance : à 10 ans je courais les rues pour les gars des gangs du coin. À 15 ans j'avais pigé comment éviter de me faire trouer la peau quand ça chauffait trop. À 17 ans j'ai commencé à cogner tellement fort que mes adversaires ne revenaient plus après leur défaite. À 20 ans j'ai perdu ma mère, la seule personne que je considérais comme ma famille. Si Aéna peut garder un peu de son innocence encore quelques années, ça me ferait plaisir. C'est bête, mais en quelque sorte, ça me permettrais de vivre une enfance par procuration.

Puis je montre mon pouvoir à Aéna et d'un seul coup, je vois un champ de possibilités s'ouvrir devant ses yeux. Elle a l'air soudain pleine d'entrain et ça me fait sourire. Elle veut guérir, elle aussi. Quand elle dit vouloir guérir le cœur de son papa, je me doute que son père n'est pas malade. Il a dû se passer une tragédie, déjà pour qu'Aéna soit là, et ensuite pour briser le cœur de son père. Ça me rend un instant triste. J'en viens à espérer qu'Aéna devienne guérisseuse. Mais je ne peux pas non plus l'encourager : si elle l'est, elle ne pourra pas guérir la peine de son père. Et ça serait un désastre pour le moral de la petite fille. Alors j'essaie de lui présenter d'autres pouvoirs sympas.

Moi, non ! Mon truc c'est de guérir. Mais d'autres, qu'on appelle Morphes, peuvent se changer en animaux ou changer leur apparence. Et j'ai une amie (ahem, oui un amie) qui peut soulever des choses super super lourdes, et faire pousser des plantes comme ça !

Je claque des doigts, une petite lame d'air s'envole au dessus de nos tête.

Oups, désolée.

Ça aurait pu toucher quelqu'un. Heureusement nous sommes loin dans la forêt, alors il n'y a personne dans le coin. La seule qui fait les frais de cet accident est une feuille, qui tombe près de nous coupée en deux.

Ce qui est sûr, c’est qu’elle a parfaitement réussi à te redonner le sourire, un sourire sincère et enfantin qui ne fait que penser à toutes les possibilités que ça pourrait donner de soigner et même de faire tout ce dont elle parle. Tu imagines, tu deviens un animal ? Ou alors tu changes d’apparence ? Tu crois que tu pourrais être Heinas et refaire sourire ton papa si tu fais ça ? Voui, tu es sûre que ça lui ferait trop plaisir de la revoir ! C’est une bonne idée que de travailler dur pour en être capable. Bon, tu te doutes que ça va être long, comme les cours que tu as actuellement, mais tu veux tellement montrer que tu peux aider ton papa !

- V-v-v-veux êtr-tr-tre com-m-me Heinas !

Tu serais vraiment si heureuse de revoir ton papa joyeux. Il te manque beaucoup et depuis le dodo éternel de ta sœur, tu ne l’as plus revu. Tu crois que ça serait différent si c’était toi qui faisait un dodo éternel ? C’est vrai que cette pensée t’a déjà traversé l’esprit quand tu étais tellement triste que même le chocolat ou ton loup ne faisait aucun effet sur tes larmes. Ce n’est pas que tu veux mourir, pas du tout même, c’est juste que tu te dis qu’il serait peut-être un peu moins triste si vous pouviez échanger les choses.

- T-t-t-tu p-p-peux f-fair-r-re re-v-v-ven-n-nir l-l-les...

Tu ne sais pas vraiment comment finir ta phrase. On t’a dis qu’elle était morte et qu’elle ne dormait pas éternellement, mais c’est encore très compliqué pour toi d’arriver à le réaliser ou même à en parler puisque les larmes sont de nouveaux présentes et coulent sur tes petites joues. Avec force, tu les effaces de tes mains. Et puis, il faut pas penser à ça, surtout que Tori a réussi à couper une feuille en deux. Tu lèves ta petite tête vers elle et bah… C’est vrai qu’elle fait peur en fait...

Le sourire qui fleurit sur le visage d'Aéna est une récompense incroyable. C'est un vrai sourire d'enfant, fasciné par toutes les possibilité qu'impliquent les différents pouvoirs. J'aimerais pouvoir penser de la même façon mais ils m'inquiètent plus qu'autre chose... Maintenant ça va mieux, je n'en ai plus une peur panique comme au début. Mais je ne suis toujours pas à l'aise. Je vois les rouages dans la tête d'Aéna qui tournent alors qu'elle réfléchit à ce que je lui ai dit à propos du pouvoir de Morphe. Malgré son bégaiement, je comprends qu'elle aimerait être comme une certaine Heinas ? Sûrement une personne de sa famille, je pense... Je ne sais pas si je peux poser des questions à son sujet... Mais la curiosité l'emporte.

Qui est Heinas ? Demandé-je d'un ton doux.

Je ne veux pas lui forcer la main, alors je ne la bombarde pas. Chaque chose en son temps, j'ai l'impression que c'est une petite fille assez discrète et qui fait beaucoup d'efforts pour s'intégrer. Je ne veux pas foutre ses efforts en l'air. Finalement, elle le lance un petit regard et formule une question, la question fatidique. Même si elle ne la finit pas, je comprends ce qu'elle veut dire, et ça se confirme quand les larmes montent dans ses yeux et débordent sur ses joues. Je baisse les yeux, le cœur serré.

Je ne sais pas... Je crois que non. J'aimerais bien, mais...

Je n'ose pas aller plus loin. Les pensées se bousculent. Déjà, je ne suis pas sûre que le résultat serait très beau à voir. Il faut voir l'état physique des zombies dans les films et séries... Et en parlant de zombies, ce n'est pas sûr que "l'âme" reviendrait dans le corps une fois ramené à la vie... Et sur quelqu'un qui est mort depuis quelques année, comme Mama... Une image horrible passe dans mon esprit et j'adresse une excuse silencieuse aux potentiels télépathe du coin.

En fait je crois que je ne voudrais pas le faire même si je pouvais. Conclus-je.

La feuille que j'ai malencontreusement coupée en deux tombe doucement près de nous. Je vois bien que j'ai fait peur à Aéna. Je fourre mes mains dans mes poches et me tasse pour me faire moins menaçante.

Pardon pour la feuille... J'apprends encore à utiliser mes pouvoirs...

- Ma… m-m-m-ma s-s-s-soeur-r-r.

À ton ton, il n’y a aucun doute sur l’état dans lequel elle est, c’est certain. Ton visage aussi n’est plus joyeux, mais triste alors que tu passes de nouveau tes mains dans tes yeux pour enlever les larmes avant qu’elles ne tombent sur tes joues. Effectivement, elle est morte et rien que ça, ça fait mal, très mal. Morte d’une overdose, chose que tu n’as pas compris. Ce qui est sûr, c’est que tu as passé des heures aux pieds de ta sœur, à attendre qu’elle se réveille ou que ton papa rentre du travail pour qu’il t’aide à la réveiller. Ça, ça fait vraiment mal. Pour toi, elle est partie dans son sommeil parce qu’elle était malade ou quelque chose comme ça…

Tori ne sait pas si elle peut ramener les gens morts à la vie… C’est bizarre, mais ça doit être parce que c’est un pouvoir étrange qui est dur à contrôler. Enfin, c’est comme ça que tu le comprends, jusqu’à ce qu’elle dise qu’elle ne voudrait pas le faire. Tu as une vague de colère qui te prend parce que toi, tu le ferais à coup sûr avant de passer à l’émotion suivante qui est la déception. Pourquoi elle ne voudrait pas le faire ? Elle ne veut pas rendre les gens avec le sourire ? Pourtant, elle est gentille alors tu ne comprends pas. Elle ne devrait pas être comme ça, elle devrait être contente, non ?

- P-p-p-p-pour-r-rquoi ? T-t-t-tu aim-m-m-m-mes p-pas les g-g-g-g-gens ?

Tu essayes de comprendre parce que tu trouves qu’elle est trop gentille même si en fait, elle fait un peu peur. Si c’est un méchant monstre, elle t’aurait déjà fait du mal, tu en es sûre ! Toi, tu l’aimes bien et pour preuve, tu vas la dessiner pour le montrer à ton papa alors tu comptes bien être du genre à faire preuve d’un gros courage en murmurant, de peur qu’elle le prenne mal ou qu’elle trouve que tu devrais pas dire ça ou parce qu’elle est peut-être triste que tu ai eu peur d’elle, t’en sais rien.

- M-m-m-moi, j-je t-t-t-te trouv-v-ve tr-trop fort-t-te !

Toi, tu sais pas couper de feuilles en deux ni ne sais soigner des gens alors évidemment que Tori fait un peu peur, mais elle est aussi gentille parce qu’elle peut soigner les gens et ça, c’est que les gens bien qui peuvent le faire, tu en es sûre ! Voilà, c’est décidé, Tori est définitivement dans la case des gentils monstres ! Et avec un petit cœur sur le i en plus.

Au ton que prend Aéna, je comprends immédiatement que sa soeur est morte. C'est sûrement la cause de son Vide et donc de sa venue à Terrae, seule. On n'accueille pas les adultes de plus de 35 ans, il paraît, et je suppose que même si son père a ressenti un Vide, il est trop âgé pour intégrer Terrae. Je suppose que c'est pour le mieux, Aéna pourra peut-être guérir comme il faut, loin de son papa. Si un de mes enfants décédait, je voudrais couver l'autre pour éviter qu'il n'arrive la même chose. C'est sûrement la même chose pour le père de la petite fille. Je baisse les yeux.

Je suis désolée. Ma maman aussi elle est m- elle est partie. Dis-je doucement.

Je me reprends en pleine phrase, de peur que le mot "morte" soit trop violent pour l'enfant. Je sais que j'ai mis beaucoup de temps à arriver à le prononcer. Même encore maintenant il me serre la gorge. D'ailleurs, la conversation continue sur le thème de la mort, ce qui n'aide pas à égayer l'atmosphère. Je réponds à sa question sur l'idée de faire revivre les morts, et je vois bien que ma réponse la met en colère. Je n'ai pas envie de lui expliquer tout ça, mais je ne veux pas qu'elle pense que je n'aime pas assez ma maman pour ne pas avoir envie de la revoir. Alors je choisis mes mots avec attention.

Bien sûr que si j'aime les gens. Mais on ne sait pas comment reviendraient les gens qu'on ressusciterait. Tu sais il y a plein de personnes qui pensent qu'un humain est constitué de trois choses : l'âme, l'esprit et le physique. Je sais pas si je pourrais faire revivre les gens avec mon pouvoir déjà. Mais si on se dit que oui, est-ce que tout reviendrait ? L'âme, l'esprit et le physique ? Parce que si c'est pour avoir juste une personne vivante mais qui parle pas, qui rit pas, qui joue pas... Ce n'est pas très agréable tu ne penses pas ?

Hors de question de parler de l'état du corps en fonction du temps qu'il a passé dans le sol. Et il y a aussi le problème de la crémation... Non vraiment, je n'ai pas envie d'essayer.

C'est pour ça que j'ai pas envie d'essayer. Je préfère laisser les gens en paix. Parce que dans ma culture, les bruxos, les sorciers, c'est toujours des gens méchants... Et je ne veux pas être quelqu'un de méchant.

Nous passons ensuite à une discussion sur les différents pouvoirs, et j'essaie de lui faire voir le bon côté des choses. Difficile quand on sait que j'ai moi-même encore peur des pouvoirs... Du coup je ne parle que des personnes que j'ai appris à connaître, ces gens que j'apprécie beaucoup. Comme ça c'est en quelque sorte un pouvoir positif. Malheureusement, je termine mes explications avec une démonstration un peu effrayante. Je m'excuse donc logiquement. Je m'attends à ce qu'Aéna ne veuille pas rester près de moi, mais à ma grande surprise, l'enfant me lance qu'elle me trouve géniale. Je ne peux m'empêcher de rougir un peu.

Oh... Merci, c'est vraiment gentil. Je ne sais pas faire grand chose encore tu sais, mais je vais travailler dur.

Aussi dur que pour maîtriser la lecture et l'écriture. Parce que quand on maîtrise quelque chose en fait, ça devient moins dangereux. Le contrôle, c'est bien. Je lève les yeux vers la cîme des arbres qui a commencé à s'assombrir. Ça me rappelle Sama.

On dirait qu'il va pleuvoir. On devrait rentrer, pour que ton cahier ne soit pas mouillé. Tu veux bien ?

Je préfère proposer que la forcer, mais ce serait chouette qu'elle rentre avec moi.

Oh, elle aussi elle a perdu quelqu’un ? C’est sa maman qu’elle a perdu ? C’est dur de perdre sa maman ? Parce que la tienne, tu l’aimes pas vraiment, mais tu te dis que tu aurais vraiment très très mal si tu perdais ton papa alors peut-être que pour Tori, c’est la même chose avec sa maman. Sans ton papa, tu serais vraiment, mais genre vraiment, dans le mal, au fin fond du vide que ton cœur peut créer. Parce que là, tout ce que toi tu souhaites, c’est rendre ton papa heureux, c’est ton but alors tu te dis que sans ton précieux papa, tu serais toute seule et surtout, tu serais toute triste. Est-ce que tu ferais comme Heinas pour dormir éternellement sans ton papa ? Voui parce que la vie sans ton papa et sans ta sœur, c’est pas une vie que tu veux vivre !

Mais du coup, tu viens faire un câlin à Tori avec plein d’amour parce que tu veux pas qu’elle pleure parce qu’elle est triste. Voui, il faut pas qu’elle soit triste par ta faute ou juste tout court ! Un câlin, ça rassure, ça fait du bien alors tu la serres super fort dans tes bras ! Enfin, avec la force d’une enfant de dix ans ce qui n’est pas non plus grand-chose vu que tu n’es pas du tout musclé, mais plutôt rondouillarde. En tout cas, c’est le geste qui compte, non ? Tu espères qu’elle va pas mal le prendre parce que c’est vraiment un geste qui vient de ton petit cœur. Tu finis quand même par reculer quand elle reprend parole, pour écouter et comprendre ce qu’elle te dit.

- A-a-a-alors… C-c-c-c’est m-m-mal ?

Si Heinas revient, mais qu’elle ne rit plus, qu’elle ne joue plus, qu’elle ne te brosse plus les cheveux, ça ne serait pas vraiment Heinas, pas vrai ? Alors si c’est pas vraiment elle, ça veut dire qu’on peut pas la faire revenir en entier ? Parce que le corps, c’est bien, mais c’est mieux si on ramène tout ensemble. Du coup, tu es toute triste maintenant. Enfin, un peu parce que tu te dis qu’en fait, faut pas faire revenir les gens partis. Tu demanderas à Sylvia ce qu’elle en pense. Tu crois qu’elle te dirait que c’est possible ? Hm… Tu en doutes parce qu’elle dit que des trucs vrais et gentils, elle dit pas de trucs mal ou en tout cas, c’est ce que tu crois. Mais si la magie existe, il doit bien y avoir un truc pour ramener les âmes, les esprits avec les corps, non ? T’es curieuse maintenant, mais pas sûr qu’on te réponde sur ce genre de sujets…

Et puis Tori a l’air contente que tu lui dises qu’elle est trop forte. Comme quoi, tu as raison, c’est une vraie de vraie ! Il y a donc bien des gentils monstres comme Aylan et Tori. Et puis, tu veux devenir aussi fort qu’eux plus tard ! Même si Tori fait un peu peur, tu l’aimes beaucoup et tu veux vraiment être forte comme elle. Et puis, si tu le deviens, tu pourras protéger les autres et donc protéger ton papa et puis, tu pourras aussi faire sourire les autres, t’en es sûre ! Tu veux tous les faire sourire comme si tout le monde était heureux ! Au moins un petit peu, c’est ça le mieux, non ?

Bon, maintenant il faut redescendre un peu sur terre quand même Aéna et aussi regarder le ciel. Effectivement, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose de rentrer avant que la pluie n’arrive… Toi, tu te serais faite avoir comme une idiote et tu aurais couru jusqu’au bâtiment le plus proche pour t’abriter et c’est vrai que ça pourrait mouiller ton cahier. Tu imagines, perdre les beaux dessins que tu fais pour ton papa ? Non, ça serait horrible ! Alors tu vérifies que tu as tout, que tu n’oublies rien parce que tu ne veux pas perdre ton matériel et embêter Tomoe à cause de ça.

- Voui ! T-t-tu aim-m-mes p-p-p-pas l-la pl-pl-pluie ?

J'ai le droit à un câlin quand Aéna apprend pour Mama. Étonnamment, ça fait du bien. Tellement que je me retrouve à lui frotter maladroitement le dos. Je n'ai vraiment pas l'habitude du contact physique, ni des enfants... Mais je suis touchée par son geste, ça c'est sûr. Je suppose que mes explications sont trop compliquées pour une enfant de l'âge d'Aéna... Mais elle comprend l'essentiel : je ne pense pas que ce soit une bonne idée de ressusciter les morts.

Je pense que c'est mal, et surtout que c'est dangereux. Dis-je du ton le plus doux que je peux.

Même si c'est extrêmement tentant, je ne peux que le constater quand je regarde dans mon coeur. Si seulement je pouvais retrouver Mama juste quelques instants, juste pour lui offrir son tissu et lui dire à quel point je suis désolée de ce qu'il s'est passé ce jour-là. De ne pas l'avoir protégée, de ne pas avoir été là. Mais non ! Si c'est pour me retrouver avec une enveloppe vide devant moi, ça ne sert à rien, et ça ne me rendra pas heureuse. Je décide de changer la conversation, pour que ni elle ni moi ne nous laissions glisser dans la déprime du moment.

Je lui parle des pouvoirs, de ceux qu'ont mes amies. Je suis un peu enthousiasmée à l'idée de parler d'elles, parce que c'est les premières vraies amies que j'ai. Du coup, mes pouvoirs échappent à mon contrôle et une lame d'air par et va découper une feuille en deux. Bien sûr, je me suis légèrement fait peur toute seule avec ça, et je pense que j'ai aussi fait un peu peur à Aéna. Pourtant au contraire, la petite me complimente ce qui me fait plaisir. Ça me donne envie de m'intéresser un peu plus à mes pouvoirs, juste histoire de ne pas décapiter quelqu'un par inadvertance quand je suis contente. Et puis, si je dois vivre avec ça, autant que j'apprenne à cohabiter avec et à les utiliser comme il faut. En attendant...

La forêt commence à s'obscurcir : des nuages ont caché le petit soleil dont on profitait encore. Je propose à Aéna de rentrer et l'observe rassembler méticuleusement ses affaires. Elle n'oublie rien, ce qui m'étonne pour une enfant de son âge. Elle est très soigneuse avec ses affaires, tout mon contraire à son âge. Heureusement que Mama ne me ramenait que des choses déjà utilisées. Au moins si je les cassais ou si je les perdais ce n'était pas trop grave. Une fois qu'Aéna a tout, je me mets en route avec elle, et elle me pose une question.

C'est pas que j'aime pas ça... En fait, ça dépend du type de pluie je pense. De là d'où je viens, il pleut presque toujours avec des grosses gouttes tièdes. C'est plutôt agréable comme pluie. Mais ici quand il pleut, les gouttes sont froides et toutes petites... On dirait qu'elle pique la peau. Alors je n'aime pas trop.

Et encore, heureusement que je n'ai pas de lunettes, je crois que je supporterais pas de me retrouver avec des verres pleins de gouttes d'eau.