C’est un sentiment de déroute qui me réveille, comme celui d’une chute. Et la chute aussitôt. Je viens, sérieusement, de tomber du lit. Comme une loque. Bouger beaucoup, surtout quand je fais des cauchemars, c’est habituel. Je ne sais pas combien de fois je me suis réveillée complètement à côté de mon futon. Le problème c’est que là, c’est des lits, pas des futons et en glisser c’est un peu plus sérieux. Et j’ai mal au coude. Par chance à en juger par les ronflements et les respirations qui m’entourent je n’ai réveillé personne. Tant mieux. Par contre, je ne peux pas rester là.

Un petit tour aux toilettes pour me débarrasser du malaise induit par mon cauchemar (et du contenu de mon estomac au passage) et pleurer un peu plus discrètement, puis, sachant que revenir me coucher ne va pas m’aider (même s’il est 2h du matin), je décide de me diriger vers la cuisine pour un chocolat. Alors que j’y vais, une porte s’ouvre, et une petite silouhette en sort, et se fige en m’apercevant. Je sais, j’ai pleuré, j’ai les yeux rouges et encore quelques traces de larmes sur les joues. Et le nez qui coule. Mais quand même je fais pas si peur, si? J’essaie de sourire, je dis bien essayer parce que je n’ai pas la force de faire plus qu’un pauvre sourire, et m’accroupis à sa hauteur.

Eh. Toi non plus tu dors pas?

Je me demande si, comme moi, elle a fait un cauchemar ou si c’est juste parce qu’elle dort à demi qu’elle a la mine ainsi chiffonnée.

J’allais me faire un chocolat chaud à la cafétariat, ça t’intéresse?

L’idée à l’air de la ravir. Mon sourire-grimace se fait plus naturel en voyant ça. Une raison de plus de lui avoir proposé, tiens. Au moins ça détournera mon esprit des images de mon cauchemar. Je hoche doucement la tête à sa question, me demandant brièvement si c’est la fatigue ou la timidité qui la fait bégayer. En soit on s’en fiche. Je la suis, l’arrêtant en repassant devant mon dortoir d’un Attend. chuchoté.

Tu peux tenir la porte entrouverte une minute?

Juste histoire que la lumière du couloir n’éclaire que mon lit, vu comment je suis placée, et me permette, sans réveiller les autres, d’attraper dans mon placard, sans faire de bruit (des années à vivre avec une personne ayant des horaires de nuit) une petite boite en plastique, et tant que j’y suis de m’essuyer aussi furtivement que possible le nez et les yeux. Une fois dans le couloir, la porte refermée, je montre mon “butin” à l’enfant.

Guimauves et huiles essentielles. De quoi améliorer le chocolat, et nous faire passer une bonne nuit. Je te suis.

Bien sur que je peux aller seule à la cafétéria. Mais c’est une môme, et ça à l’air de lui faire plaisir d’être la “grande”, “celle qui sait”. Qui serai-je pour la priver de ce petit plaisir?

Alors, dis moi, qu’est-ce qui t’empêche de dormir? C’est ce filou? Je demande en montrant la peluche. Ce n’est pourtant pas un renard farceur, on dirait…?

Si elle veut m’en parler, elle peut. Si elle ne veut pas, et préfère me parler de sa peluche, elle peut aussi…

Les guimauves c’est la vie, pas vrai ? J’ai un rire en la voyant excitée malgré le sommeil. Et pendant qu’elle me “guide” vers la cafétariat, je réponds doucement.

Est-ce que les films comptent? Si oui, j’aime beaucoup Ame et Yuki, les enfants loups. Ce sont deux enfants qui se transforment en loup, et leur maman qui les élève en leur faisant garder le secret de leur super pouvoir… Et bien sur les enfants qui font plein de bêtises…

Bon, on va pas s’attarder sur “maman elle est toute seule parce que papa est mort.” Surtout que je me doute vaguement que si elle est là cette môme c’est pas parce qu’on lui a piqué son nounours. D’ailleurs en parlant de nounours…

C’est juste que le tiens, tu le cache tellement bien que j’en vois à peine le bout de la queue! Tu sais, ici, les loups sont les messagers et les protecteurs de la montagne. On les appelle O-ka-mi, ça veut dire dieu formidables. Les renards, eux sont des esprits farceurs, mais aussi protecteurs des fermes et des rizières. Tu as donc un très bon protecteur.

En lui parlant, on a atteint la cafétéria. Bien sur, la partie cuisine est fermée à cette heure, mais il y a une zone avec bouilloires, distributeurs automatiques, micro-onde et petite vaisselle, bref tout ce qu’il faut pour une petite cuisine de débrouille. Et quitte à être à deux, autant faire travailler la puce. Je sors de ma boite le sachet de mini guimauve et après réflexion, trois flacons d’huiles essentielles, que je tends à Aena.

Tiens, tu peux les sentir et me dire celui que tu préfère, s’il te plait? Oh, et je ne me suis pas présentée.

Mains jointes, je m’incline légèrement devant elle, presque comme une grande personne.

Je m’appelle Katsumi Katara. Tu peux m’appeler Katara, si tu veux. Je suis japonaise, et toi?

Je me contente d’un hochement de tête quand elle demande à voir le film. Je pense que ça doit pouvoir se faire, c’est un classique d’animation, après tout. Et je souris quand elle me montre le nounours, saluant la peluche d’un signe de tête un peu trop révérencieux pour être honnête. Mais c’est une peluche qui compte pour l’enfant, et c’est peu cher payer que de lui faire sentir un certain respect. C’est amusant de voir qu’elle ne bégaie pas avec sa peluche. Et ça la rend plus compréhensible, parce que là faut l’avouer, je n’ai pas très bien saisi.

Aéna André, c’est ça? Puis-je t’appeler Aéna-chan? Chan signifie… dans le contexte présent on pourrait le traduire par “choupette”, ou un nom gentil pour une petite fille. Je ne suis jamais allée en Espagne, à ma grande honte. Est-ce que c’est vrai qu’il y fait toujours beau?

Bon, je mitonne un peu sur la honte de n’être jamais allée en Espagne. J’ai jamais eu l’argent ni le temps de me poser la question de “où partir si je devais partir à l’étranger”, et même là je n’y réfléchis pas tellement. Doucement, je pousse à nouveau les flacons vert la petite, avant de manipuler le distributeur de boissons pour y demander deux briquettes de lait. Je met une cuillère de chocolat dans chaque tasse, et y rajoute un peu d’eau bouillante, en remuant doucement pour mélanger. En même temps, je fais chauffer le lait au micro-onde, et attend la décision de la choupette.

Bon c'est… pas tout à fait ça. Mais bon. C'est compliqué, je le conçois. Tout autant que les verbes irréguliers en anglais. Enfin, bref. Je la reprends ou pas…

Chan est mieux pour une fille de ton âge où plus jeune. Et kun pour un garçon. Mon filleul s'était vraiment vexé le jour où une touriste l'avait appelé chan. La camomille donc ? Très bon choix. Elle est réputée pour chasser les cauchemars et aider aux rêves agréables. Et aussi pour éviter les maux de ventre. Je ne t'en mets qu'une goutte, comme tu es plus petite que moi, alors attention à ne pas confondre nos tasses ou tu risque d'avoir la nausée. Tu veux laquelle ?

C'est pas pour rien que j'ai pris deux tasses de couleurs différentes. Je met donc une goutte pour elle, 2 pour moi, rajoute une demi cuillerée de miel pour adoucir parce que l'huile essentielle c'est toujours un poil plus amer, et verse le lait en remuant, tout en continuant de parler.

La lavande, celle juste à ta main droite, on en prend une goutte sous la langue quand on a peur de parler. Mais c'est amer alors il vaut mieux la garder pour les choses importantes. Et si tu t'en tamponne les tempes, les os dur à côté de tes sourcils, elle aide l'esprit a s'apaiser. On peut en prendre avec la camomille quand on a des maux de tête, ou en mettre un peu sur un mouchoir pour détendre l'esprit avant de dormir. Par contre il ne faut pas respirer trop fort le mouchoir où ça donne la nausée. Et la fleur d'oranger chasse les microbes, et détend le corps et la respiration. Elle aussi, elle peut être respirée, avec de ll'eucalyptus, par exemple, pour protéger du rhume.

En vrai on s'en fiche de tout ça. Je rajoute quelques minichamallow dans les tasses, et les remet au micro-onde. Je parle parce que je n'ai pas envie du silence, de laisser à mon cauchemar le temps de me revenir, à mes pensées noires celui de me hanter.

Pourquoi tu ne dormais pas, toi ? C'est laquelle qui t'aiderai le plus tu pense ?

La camomile, hein? Des cauchemars, donc? Ce n'est pas particulièrement étonnant, les enfants sont plus sensibles aux cauchemars que les adultes. Surtout que je devine qu'elle est seule ici (sinon, si elle avait ses parents avec elle elle ne dormirait pas dans un dortoir pour enfants, et n'aurait peut-être pas suivi une inconnue comme ça) et que ça doit lui faire un sacré bouleversement. Je sors la tasse bleue, et la pose sur une assiette avec une touillette en bois avant d’attraper des essuie-mains pour l'entourer avec, qu'elle ne se brûle pas les mains.

Attention à ne pas te brûler. Ca ne t'aiderai définitivement pas à dormir.

Mon ton est grave, mais c'est un clin d'oeil et un sourire qui ornent mon visage. Je récupère ma propre tasse, et touille consciencieusement ma boisson avant de répondre. Elle a posé une question, je serais impolie de ne pas le faire non? Je prends juste le temps de choisir mes mots. Répondre, oui, me décharger de mes émotions négatives sur une gamine, non!

La lavande, je dirais. Les cauchemars, c'est quand ton cerveau s'embrouille en triant les souvenirs et les émotions de la journée. Ne me demande pas comment le mien en est arrivé à me faire poursuivre par un clown pieds nu qui voulait que je lui rende ses chaussures. Que je n'avais même pas.

Ca, c'est un mensonge. C'est un rêve idiot, oui, que j'ai fait il n'y a pas longtemps, mais ce n'est pas un cauchemar. Mais je me dit que c'est... Plus acceptable à raconter à une enfant que de lui expliquer que ma mère m'accusait de la mort de mon frère et voulait absolument me faire ouvrir une urne ou je savais qu'il y avait mon frère... Bref. Je pince mes lèvres en une moue boudeuse.

Bref, le cauchemar il est fini, mais je sais que si je reste dans mon lit, mon cerveau va rester bloqué sur le clown, et comment il faisait peur, et... Et si tu pense trop à des mauvaises choses, tu as plus de chances de refaire un cauchemar. Alors comme la lavande elle apaise les idées, je pense en mettre un peu sur mes manches de pyjama pour garder que les souvenirs de ce chocolat en charmante compagnie, et peut-être que je rêverai que je prends le goûter avec un beau prince, qu'est-ce que t'en dit?

A cet âge on est déjà branché prince-princesse? Je ne sais plus trop. Et non, je n'ai pas du tout essayé de lui donner une explication sur les cauchemars, pour l'aider à rationaliser, à chasser la crainte. Est-ce que je devrais lui demander de raconter un peu plus?

C'est l'inconvénient de mentir, même un tout petit peu. Ça vous retombe dessus. Est-ce que j'ai peur des clowns ? Non. Même pas. Hmmm. Que dire.

Normalement non. Mais celui ci, oui. Peut être parce que son maquillage était très moche. Tu sais les rêves c'est bizarre, des fois.

Elle semble passer à autre chose et j'éclate de rire. Vraiment. Moi, la prostituée, une princesse ? Si seulement elle savait. Je lui ebourriffe les cheveux quand j'entends son marmonnement, et comprend son raisonnement. Oui je suis belle, merci. Après tout mon corps est mon fond de commerce, il faut bien que j'en prenne soin.

Toutes les filles sont des princesses. Même celles qui ne portent que des haillons ou vivent dans de sordides taudis. Elles sont toujours des princesses. C'est notre privilège. Ton père ne te l'a jamais dit ? Mon père me le disait, quand j'avais ton âge.

Je m'interromps. Idiote que je suis. Est-ce qu'elle a encore son père ? Elle est seule ici loin de lui et moi je lui fais y penser ! Bon euh... Changer de sujet ? Difficile.

Je suis désolée. Je n'aurais peut être pas du amener ce sujet.

Je caresse a nouveau les boucles brunes, lui offrant un peu de tendresse si elle a besoin d'une épaule pour pleurer.

Bien visiblement le père de la puce partage mon opinion... Enfin je crois, si la langue, la répétition par un tiers et le contexte n'ont pas altéré le sens de ses propos. Pendant qu'elle semble réfléchir à ça, avec le probable sérieux d'une enfant de son âge, je souffle doucement sur ma tasse de chocolat. L'exclamation me surprend. Comment elle en est arrivée à là ? Surtout qu'elle n'a même pas bafouillé, comme un cri du cœur. Et les larmes qui coulent. Bon.

Avant tout on va s'assurer de manœuvrer sans risque. Je repose ma tasse de chocolat et pousse celle d'Aéna un peu plus loin pour éviter qu'une de nous ne se brûle. Je n'ai le temps de faire que ça qu'elle s'excuse déjà. En bafouillant de plus belle.

Viens par la.

J'aimerai dire que je prends la petite sur mes genoux mais en fait elle est trop lourde et moi pas dans la meilleure des positions pour. Je me contente donc de l'enlacer et de l'attirer vers moi. Pleure. Ordre oh combien étrange pour une japonaise, entraînée depuis l'enfance à ne montrer aucune autre émotion qu'un sourire poli. Mais c'est quelque chose que j'ai appris d'un client, et effectivement dire au fils d'Hitomi de pleurer l'aidait à se calmer... En même temps je lui caresse le dos et c'est seulement une fois qu'elle s'est un peu calmée que je pose la question, en tendant un mouchoir en papier.

Pourquoi tu ne serais pas une princesse ?

Avant d'essayer de la consoler autant savoir quel est le problème ça m'évitera de parler à côté.