Je l'écoute me répondre. J'ai la sale sensation qu'il se défausse d'une responsabilité qu'il a déjà maintenant. Mais je ne dis rien, pas comme ça, parce que j'ai pas tous les éléments, et que j'suis pas parents je sais pas comment ça peut être difficile ok. Je hoche la tête, et enchaîne rapidement.

Et tu crois pas qu'elle t'en voudrait justement de pas être là quand c'est facile justement ? Parce que si même quand c'est facile t'es pas là, et que c'est maintenant, tu peux encore le changer. Après peut-être que ça te fait rien qu'elle t'en veuille, c'est le cas ?

Et je hausse les épaules.

Et puis aussi. Y a une différence entre en vouloir à ses parents parce qu'ils ont merdés. Et pace qu'ils ont merdé mais qu'on sait qu'ils ont fait de leur mieux. Genre. C'est pas la même chose. J'pense pouvoir parler d'expérience.

C'est pas du tout évident ce que je lui demande. Et il est courageux, il continue de me répondre sincèrement, il continue de tenir le coup et de réfléchir, de chercher. Je m'efforce de ne pas juger ses réponses, de simplement accueillir ce qu'il me dit. Comme tout à l'heure en fait. J'opine du chef, sourit parfois. Je comprends la majorité de ce qu'il veut dire. Vraiment.

Hmmm. Bah au final dans tout ça, j'entends que t'as quand même envie d'être là pour elle. Même si tu sais pas comment. Et j'pense, si j'peux me permettre, que c'est surtout de ça dont elle a besoin.

Il me propose à boire, et je sors de la discussion sérieuse aussi tranquillement que j'y suis entrée. Je lui souris et tout en tirant une chaise pour m'asseoir confortablement dessus je réponds.

J'vais commencer par de l'eau, ça me fera pas de mal après la séance. Merci.

Je chipe un biscuit et le cale entre mes lèvres le temps de me caler sur la chaise, un pied sous les fesses, et finit par croquer avant de lever le visage vers le Feu.

Et sinon, j'imagine que tu m'as pas invitée pour parler de ta fille. T'avais un truc important à me dire ?

C'est à moitié une vanne. Genre. Ouais t'as capté on sait jamais quoi.

Ok, ça devient de plus en plus difficile. Parce que réfléchir à toutes ces choses, déjà, ce n'est pas dans mes habitudes, et surtout, je ne suis pas sûr d'avoir toutes les réponses. Mais il y a quand même certaines choses dont je suis sûr.

- "Franchement... Je sais pas. J'ai aucune idée de ce que sera notre relation plus tard. Je sais juste qu'à sa naissance, ça aurait été la pire idée que ce soit moi qui m'en occupe. Et aujourd'hui... Elle est bien mieux dans ce cadre classique que lui offrent ses parents. Ils me laissent la chance de la voir encore régulièrement alors je la saisie. Pour le reste, on verra bien ce que ça donnera dans le futur."

Je sais bien que notre situation n'est pas très typique, propice aux conflits plus tard. Je sais que ce n'est pas moi qui en est la charge, pas moi qu'elle considère comme son père. Pourtant, ça ne m'empêche pas de la voir toujours comme ma fille et de l'aimer comme telle. La famille, c'est important, quelle qu'en soit la forme. Même si ça doit être difficile dans quelques années, ça ne me fait pas peur.

Mais je dois admettre être un peu content quand je sens le sujet tourner. Non pas que ça me gêne de parler de Shana (plus maintenant en tout cas), mais, ouais, autre chose c'est bien aussi. Surtout qu'au final, je suis plutôt d'accord avec elle. Je ne vais pas faire des tas de plans sur le futur. Je préfère largement consacrer mon énergie à ce que je peux faire dans le présent.

Je laisse le mégot de ma clope dans le cendrier, sur le rebord de la fenêtre que je ferme au passage, avant d'aller servir un verre d'eau pour Elwynn. Et puis un deuxième aussi en fait, pour moi. Parler, ça donne soif.

- "Ahah ouais, t'as raison. C'est plutôt mauvais comme technique de drague hein. Presqu'autant que d'inviter direct la meuf dans ma chambre !"

Oui bon, j'avais pas mieux hein, j'attrape ce qui me vient, et faut croire qu'avec Elwynn, ce terrain me parait toujours le plus accessible. Parce que ouais, bien sûr que c'est pas pour ça que je lui ai proposé de venir, mais en même temps, si j'arrivais à mettre facilement des mots sur ce qui me préoccupe, j'en serai pas là hein ! Pff quelle galère.

- "Mais, p't'être que j'ai un peu menti, c'était pas forcément pour tester mes modes d'approches sur les femmes mariées que je t'ai invitée ici, alors, j'ai pas de grande déclaration en stock."

Bah oui, bien sûr, parce que elle, elle s'attendait à ce que je lui en fasse peut-être ? Je crois que je n'ai jamais eu autant l'impression de naviguer à l'aveugle.

- "Tout à l'heure, t'avais l'air de dire bien connaitre les faces les plus merdiques de l'humanité pour les avoir côtoyés d'assez près. Ne pas avoir de grands espoirs quant au futur ; l'amour, le bonheur, tous ces trucs hollywoodiens qu'on ne voit que dans les films et qui n'arrivent jamais vraiment... Et que t'as en fait réussi à trouver." Je ne sais pas où je vais hein. Mais bon, maintenant qu'elle a accepté de venir jusqu'ici, je ne vais pas continuer à prendre des détours. Pas trop. "En fait... J'sais pas trop, mais, en ce moment, j'me pose pas mal de questions  un peu... bizarres." Je laisse échapper un demi rire en même temps que je prononce ce mot, comme pour le faire sonner moins ridicule. Non mais bien sûr que ça l'est ! "Et, tes réponses ont bizarrement un peu fait écho à tout ça alors, je crois que, j'avais surtout envie de continuer à passer un peu de temps avec toi. Parler un peu."

Ptn si on m'avait dit que je fournirai une prestation aussi minable un jour...

- "Enfin, si ça te parait trop chiant que tu préfères me sauter dessus à la place, tu peux aussi bien sûr !"

J'écoute sa réponse, très sérieuse de nouveau. Ce qu'il dit me parait sincère, il a réellement envie de la voir grandir malgré tout. Il y a une forme d'implication dans sa vie qu'il veut assumer je crois. Même s'il se sent pas capable, et peut-être pour le mieux, de s'occuper d'elle comme un père, il peut rester dans sa vie. Je finis par avoir un léger sourire.

Elle sera pas la première de Terrae a considérer avoir plus de deux parents. Je pense que tu peux faire des choses bien pour elle, même sans être son père à elle. Tu peux avoir une place précieuse, et importante. Fais attention à elle.

C'est pas vraiment un ordre, ni un conseil. Ca ressemble plus à un souhait. J'la connais pas sa gamine, mais j'en ai vu suffisamment, je l'ai été trop longtemps, pour pas avoir envie que tout ça s'arrête. Les gamins devraient tous pouvoir grandir tranquillement, comme des enfants. Qu'on leur foute la paix. Et les adultes qui entourent les enfants, devraient juste oeuvrer pour qu'ils aillent bien. Y a plein de façons de faire, mais être présent au mieux, et leur donner de l'amour, pour de vrai, ça me paraît être un bon départ.

Il finit sa clope tranquillement et me sert un verre d'eau. Je le remercie, avant de voir son air taquin. Ca me fait sourire, plein de malice alors que j'attrape mon verre.

Ah ça. Vraiment pas ouf.

Je pose ma tête sur ma main, sans le lâcher des yeux, et ajoute avec un rire.

Enfin la dernière fois c'était pas beaucoup plus sophistiqué.

Sûrement parce qu'on était bourrés, mais est-ce que je dois le préciser pour la vanne ? Non. Il me répond avec humour et ça me fait ricaner. Je ne réponds rien, j'attends qu'il continue, patiente. Des fois ça a du mal à sortir et faut juste attendre un peu. Je repose mon verre et garde mon regard posé sur lui. Je sais pas s'il sait mais s'il est sincère, il peut me faire confiance. Je vais pas l'décalquer s'il essaie de bien faire, contrairement à ce que tout le monde croit. Putain j'suis Eau eh rappelez-vous.

Il démarre par le fait que j'ai dit avoir vu deux/trois merdes dans ma vie, et ça me fait sourire, jaune, triste à la fois. Ouais, on peut dire ça. Je hoche la tête doucement. Ouais, j'croyais en rien de tout ça et finalement. Je le vis. Même plus besoin d'y croire. Je me marre avec lui quand il dit se poser des questions bizarres, et je n'ajoute toujours rien. J'attends la suite. J'attends que ça vienne.

Et je pensais pas dire ça un jour, attention notez bien ce jour. Mais Tiago : est cute. Il est sincère, il se rend très vulnérable. Pour une fois il joue pas au gros bonhomme, et me dit simplement que notre discussion fait écho, lui parle. Et il me propose qu'on continue. Parce qu'il a confiance. Mon sourire devient plus doux. Avant de lâcher un rire bref et bruyant.

Bien sûr, ne t'en fais pas, en général je préviens avant.

Je lui envoie un clin d'oeil amusé, avant de me caler sur ma chaise, et de hocher la tête. En vrai, quoi de plus cute qu'une vraie déclaration ? J'serais pas mariée j'aurais pu accéder à beaucoup de demandes là. Mais le souci, c'est pas tant que j'suis mariée, c'est qu'il faudrait que j'appelle Mymy pour le prévenir et si ça se trouve il serait pas ok et flemme... Non j'déconne j'suis juste totalement sobre pour accepter de coucher avec un mec encore trop médiocre pour moi. Bah oui non mais il est cute et tout, la pente peut être remontée, mais pour l'instant c'est mort. Vous vous attendiez à quoi en fait, j'ai des putains de standards ok ?? Et vous devriez faire pareil.

Bien sûr, ne t'en fais pas, en général je préviens avant.

Je reprends assez vite, moins moqueuse qu'à l'instant.

D'accord, ça me va. Y a un truc en particulier que tu voulais me demander ? Ou tu veux que j'expose juste ce que ça m'fait tout ça ahaha ? Ca me va aussi c'est juste. Je sais pas par quoi commencer. Et je me doute de ce que tu peux traverser mais y a peut-être des choses qui diffèrent, et des choses sur moi qui sont pas importantes pour répondre à tes questions. Qui sont sûrement loin d'être bêtes. Tiens si tu veux, quand j'ai commencé à capter que j'ressentais de l'amour, ça m'a un peu bouleversée. Et j'faisais que pleurer, et dire que j'avais l'impression de prendre 20 ans d'émotions dans la gueule.

Je laisse apparaitre un léger sourire quand Elwynn me dit de faire attention à Shana. Bien sûr que je compte y faire attention. Mais c'est plus que, eh bien, c'est la première fois que j'en parle de la sorte. Je sais que je ne fais pas les choses de la façon la plus conventionnelle, qu'il y a beaucoup de choses à me reprocher dans notre situation actuelle. Alors je crois que, juste, ça me fait du bien de l'entendre approuver mes choix.

Mais eh, vous savez quoi ? Parler de ma fille, c'est bien plus simple que de parler de choses sérieusement emmerdantes. Pourtant, c'est comme si je sentais pouvoir en parler avec Elwynn. Comme si, pour une fois, j'avais l'impression d'avoir quelqu'un qui puisse faire plus qu'un "je comprends" dans le vent, sans vraiment être capable de comprendre en réalité. Et, quelqu'un avec qui je me sente suffisamment à l'aise pour essayer. Même si pour ce dernier point, ça doit encore être limite vu toutes les difficultés que j'ai à aligner trois mots.

Au milieu de tout le bordel que je peux raconter, je crois que j'arrive quand même à avancer. Péniblement, et Elwynn se montre hyper patiente (parce que ouais, je me rends bien compte qu'elle aurait eu trois fois le temps de me dire que je la gonfle) alors je continue à m'accrocher. Elle me vient même en aide en remarquant à quel point je rame.

- "Ouahou, toi qui ne fait que pleurer ? C'est dur à imaginer." Ces mots sonnent comme une simple constatation, parce que, ouais, ce n'est pas du tout l'image qu'elle renvoie. "Comment t'as fait pour l'accepter au final ? J'veux dire, accepter de ressentir tout ça, accepter... l'état émotionnel dans lequel ça te mettait ? Et pas juste, genre, tout rejeter en bloc et continuer comme avant ?"

Parce que bien sûr, d'un côté je comprends l'envie de s'ouvrir plus à certaines choses. Parfois, j'aimerais bien aussi arrêter de juste réagit comme un con seulement parce que je ne suis pas prêt à accepter tout ce que je risquerai de ressentir. Me fermer totalement, empêcher toute émotion de se manifester, ça a toujours été la méthode la plus efficace pour garder un parfait contrôle de soi. En tout cas, c'est comme ça qu'on me l'a enseigné.

La réaction de Tiago quand je lui dis avoir beaucoup pleuré me fait éclater de rire. Un rire franc, ma tête penche en arrière avant de revenir à la normale, et je souris en secouant la tête. Ouais je me doute qu'on me voit comme une grosse dure, en tout cas pas comme quelqu'un qui s'ouvre. Et c'est plutôt vrai en fait, je ne me livre pas à ceux que je ne connais pas, je me laisse aller uniquement avec les gens qui ont ma confiance, et puis malgré tout ce qu'on pourra dire, je suis convaincue que pleurer c'est super nécessaire pour être plus forte. Non vraiment je le pense.

Mais ses questions sont pertinentes, importantes, et surtout, complexes. Je porte mon verre à mes lèvres de nouveau, prends le temps de réfléchir à une vraie réponse.

J'crois que j'en avais envie.

Mes yeux cherchent dans le vide, à travers mes souvenirs.

Ouais. J'étais bien entourée. J'ai commencé par avoir très peur de perdre les gens autour de moi. Mon meilleur pote a manqué de mourir. Puis il m'a parlé de lui, pour de vrai, il m'a amenée voir sa vie d'avant. Là j'ai compris que j'voulais tirer un trait sur la mienne, d'avant. Et vivre en étant moi. Ca passait par ressentir des trucs. C'était super violent et j'avais très peur, j'étais perdue. Mais j'essayais de le vivre. J'ai dû pas mal refouler hein ! Ahaha. Mais encore une fois. Ceux qui m'entourent encore aujourd'hui m'ont énormément aidée.

Un sourire doux, de nouveau, illumine mon visage alors que je croise son regard de nouveau. Je revois la Elwynn du début de Terrae, puis celle qui a traversé toutes ces émotions-là.

J'me suis battue toute ma vie, alors me battre avec mes émotions quelque part, c'était flippant mais je savais que j'allais pas mourir. Alors j'l'ai fait. J'ai pas encore fini, je découvre encore des choses, j'ai l'impression d'avoir beaucoup de retard, mais c'est pas grave. C'était juste... Très dur au début, de dealer avec me réflexes d'avant, et tenter des nouvelles choses pour avancer. J'ai vécu énormément de premières fois, et c'est vraiment super flippant, mais je crois que je m'en sors bien.

Je repense à cette soirée chez les Williams, avec Jérémy, à parler de nous, enfin, à lâcher les vannes de ce qu'on ressentait. Je me rappelle comment j'avais peur, des milliers de questions que je lui ai posé, de ses réponses patientes et complètes, de ses mots si doux et précieux encore aujourd'hui, de son regard, de ses mains et de la douceur de ses baisers. Je me rappelle la patience d'Asb quand j'ai pleuré toutes les larmes de mon coeur en croyant le perdre, de tout ce que je lui ai dit quand j'ai compris qu'il avait lui aussi peur de me perdre.

Je te l'ai dit, j'étais convaincue avant Terrae que ressentir c'était la solution pour être plus forte. J'avais pas idée d'à quel point j'avais raison, malgré la difficulté.

C'est vrai, être bien entouré ça change beaucoup de choses. Encore faut-il en être capable. Pourtant avant, des amis, je savais m'en faire. Et sans difficulté en plus. Peut-être que je n'étais pas aussi souvent sur les nerfs non plus. Que la vie était plus simple. Je pensais que le temps effacerait certaines choses, mais visiblement, attendre n'est pas la bonne solution.

- "Eh bah, t'as l'air d'avoir vécu un vrai parcours du combattant. Mais... je crois que je ne suis pas si étonné que tu en sois sortie victorieuse."

Un léger sourire qui se dessine sur mes lèvres, c'est vrai que j'ai du mal à imaginer Elwynn baisser les bras. C'est presque écrit sur son front qu'elle gagnera quoi qu'elle fasse. Ou plutôt, dans son regard. Dans ce qu'elle renvoie. Pas le genre de fille à abandonner.

- "Est-ce que... Enfin, t'as dit avoir faillir perdre ton meilleur pote mais, est-ce que t'as déjà perdu quelqu'un de très proche ? Pas forcément dans le sens où il est mort, ou, un truc aussi définitif mais plus, dans le sens où... y a un truc qui a merdé à un moment et, tout s'est fini entre vous ?"

Les mots ont toujours autant de mal à sortir mais bizarrement, je commence à me faire à ce flou total dans lequel j'avance.

- "Je capte bien que t'as pas mal d'amis proches mais... t'as jamais eu peur de, j'sais pas, les blesser, ou faire un truc qui ferait tout foirer ? Ou même, que eux fassent une connerie impardonnable ?"

Je ne me posais pas trop ce genre de question avant. Peut-être parce que mon cercle d'amis était plus... stable ? Quelque chose comme ça ? Ou parce que depuis l'épisode avec Elisha j'ai pris conscience de ce que ça fait que de commettre l'irréparable. De tout perdre.

Et malgré la violence du choc à encaisser après son départ, le temps qu'il m'a fallu pour l'accepter, j'ai recommencé. Bien sûr, ce qu'il y avait avec Alyona n'avait strictement rien à voir, pourtant, c'est bien parce que ce n'était pas tout à fait pareil avec elle qu'avec les autres que la situation m'a autant échapper. Pour finir exactement pareil. Elle refuse encore de m'adresser la parole.

- "Un peu comme si... les seules personnes à qui tu pouvais faire du mal sont en réalité celles à qui tu ne voudrais jamais en faire ?"

Ok, peut-être qu'en fait cette discussion remue des trucs pas super cools.

Sa remarque me fait souffler du nez, sourire aux lèvres. Ouais. Bah écoute. J'continue ce combat mais on est bien partis.

Je suis plutôt fière de moi pour ça, ouais.

Sa question suivante me perturbe un peu au départ. Je vais pour répondre, mais il me précise que c'est pas forcément au sens, de mourir. Ah. Ok donc j'écoute ? Je réfléchis sérieusement.

Hmmm... Pas dans mes amis les plus proches. Pas comme ça. J'ai été très en désaccord avec l'ami que j'ai failli perdre. Mais on a réglé le souci très vite. Hm. Peut-être... qu'avec un pote il s'est un peu passé ça. Mais là j'crois que je suis plutôt très en oclère contre lui.

Ys. Pas besoin de développer plus.

Si ça me fait peur de faire une connerie hein ? Si j'ai peur de foirer. Ou que mes potes, ma famille, foire. C'est une bonne question. Je regarde dans ses yeux, je cherche d'où ça lui vient, cette question. Qu'est-ce qu'il a vécu pour que ça se débloque dans sa tête, cette crainte. Je prends de nouveau un petit temps avant de répondre.

Ouais, si j'y pense sérieusement, ça m'fait peur. De tout foirer moi. J'ai pas encore été confrontée à ça. Mais je le serai sûrement. Et ça m'fait flipper. Après, quelqu'un fasse un connerie et que ça foire tout. Soit c'est irréparable et tant pis, y a d'autres choses ui viendront. Ca sera triste, mais comme ça. Et sinon, j'me fais confiance pour passer outre à un moment. Regarde, j'te parle bien à coeur ouvert. Les choses avancent.

Ouais j'fais référence à quand il a tapé mes potes, again.

Toi, tu flippes ? Y a des gens que t'as peur de perdre comme ça ? Ou alors t'as peur que ça te blesses, à toi ?

Je pose la question pour aussi avoir l'idée de ce que je dois me demander. Pour lui répondre correctement. Dans les mots qui terminent sa question, je sens qu'il est pas serein. Pas stable. Que ça remue en vrai. Si j'étais vraiment proche de lui, j'pourrais instaurer un contact entre nous pour le rassurer. A la place, je soutiens son regard, sérieusement. Oh, c'est pas genre grave ou quoi, mais je le prends au sérieux quoi.

C'est pas les seules.

C'est une affirmation, rapide et concise. Mais je suis sûre de moi sur le coup.

Mais ça n'a rien à voir quand tu blesses les gens que t'aime j'pense. C'est pire. Et en même temps, les gens que j'aime, j'accepte qu'ils soient suffisamment proches et qu'ils puissent me blesser. J'suis ok avec ça. Mon meilleur ami dit des fois que c'est nous qui choisissons ce qui nous atteint. Et j'crois que je préfère donner ma confiance, quitte à pouvoir être déçue. Parce qu'au final, c'est pas si souvent que ça arrive tu vois. Et que les choses positives qu'ils ont à te donner c'est plus fort encore que ce qui peut te blesser. J'crois, j'pense.

Je ne sais toujours pas comment j'en arrive à lui parler de tout ça. Comment Elwynn en arrive à me répondre aussi précisément. Honnêtement. Mais on y arrive, alors je me concentre sur chacune de ses réponses. Elle aussi a rencontré plusieurs embûches sur son chemin, pas forcément toujours les mêmes que celles que je peux connaitre, pas forcément en y répondant de la même façon que celle que je pourrais envisager. Mais quand je la vois aussi sereine aujourd'hui, ça force un peu le respect.

D'ailleurs, elle ne se prive pas pour me faire remarquer que effectivement, cette discussion qu'on a aurait été inenvisageable il y a encore quelques temps. Ce qui me fait seulement un peu sourire. Ouais, les choses avancent.

- "Je sais pas si c'est tant que j'ai peur que ça me blesse... Bien sûr, c'est difficile de se relever quand on voit les gens à qui ont tient partir pour diverses raisons. Que ce soit directement de ma faute ou non, c'est vrai que les quelques rares amis que j'ai pu avoir ici eh bien, ils ne sont plus là."

A part Mitsuki et Elfie, peut-être Nana avec qui j'ai récemment développé ce genre de relation qui peut se rapprocher d'une amitié, eh bien, mon cercle d'amis initial a largement réduit.

- "Franchement, des fois j'ai l'impression que tout est tellement éphémère, que l'issue est forcément fatale... ça ne me donne juste de moins en moins envie de m'investir dans ces relations."

Ouah, ok, là je sens que je commence à glisser vers le fatalisme et c'était pas franchement le but initial !

- "Mais, ouais, dans tous les cas, je trouve ça un peu flippant cette proximité qu'on peut développer avec certaines personnes. Comme si on se donnait mutuellement la capacité de se faire souffrir comme personne ne pourrait le faire."

Et en même temps, je comprends les mots d'Elwynn. Ce choix qu'on fait à un moment. Toutes les bonnes choses qui peuvent aussi en découler en contrepartie. Je crois que je suis juste sur une mauvaise pente actuellement et que j'ai du mal à considérer le bon côté.

- "Merci d'avoir accepté de me parler de tout ça en tout cas. C'est cool."

J'écoute sa réponse, en souriant doucement moi aussi. La discussion est fluide, je me sens à l'aise, je crois que lui aussi, je ne juge plus, ne suis pas en train de le railler gratuitement et facilement dès qu'il fait un semblant d'erreur. Là y a pas d'erreur.

Hmm. Alors pourquoi est-ce que tu te poses la question, tu sais ?

Bien sûr c'est difficile de voir ses potes partir. Bien sûr ça tape. Mais faut faire gaffe aux amis qu'on a, jusqu'au bout. Même si ça peut faire mal, que je suis sûrement pas au bout de mes peines sur ça non plus, je sais, je suis persuadée, que si j'essaie de faire de mon mieux pour qu'ils soient heureux, ça ira. D'une façon ou d'une autre, ça ira.

Et il me dit qu'il désespère un peu de s'engager dans des relations amicales. Je fronce doucement les sourcils, et pose la question telle qu'elle me vient, sans jugement.

T'as déjà eu une relation, amicale ou pas, qui t'as importé vraiment beaucoup ? Qui potentiellement, aujourd'hui impacte encore la personne que tu es ?

Je m'explique après un petit blanc.

Parce que même si c'est éphémère, c'est trop important pour disparaitre. Et honnêtement sans ça. Sans ces relations qui t'apportent des trucs, qui te font avancer... Tu penses pas qu'on s'ferait carrément chier ?

C'est une vraie question de nouveau. Parce que moi, je vivais pas avant ça. Et je me marre gentiment à sa dernière remarque. Je souris, hausse les épaules.

Y a des potes qui m'ont dit un jour que ça faisait peur d'accepter les gens dans sa carapace parce que ça peut te blesser. Mais qu'il fallait faire de son mieux pour pas blesser l'autre. Et j'crois que je suis toujours d'accord avec ça. Je me rappelle aussi m'être dit que quelque part, pourquoi j'avais peur de laisser entrer. J'veux dire. Je sais me défendre. Y a que moi qui décide de si on me blesse ou pas. Donc je peux décider. Et il se trouve qu'en plus de savoir me défendre, je sais encaisser. Alors pourquoi je résiste ? Voilà, c'était ma réflexion à l'époque. Ahaha.

Ca me fait sourire de repenser à comment je le pensais avant. Et maintenant. Si défensive à l'époque. Si confiante aujourd'hui. Et en même temps, il a pu le voir par lui-même. Le combat de fierté des autres m'intéresse pas, je m'en fous de ce qu'on pense de moi, par contre je sais mettre des limites claires et violentes quand ça me plaît pas.

Je recule contre ma chaise et lui envoie un sourire sincère, avec les yeux aussi.

Merci de me faire confiance Tiago. Ca me fait très plaisir aussi.

Je suis à l'aise, tellement que je me permets un p'tit rire.

Ouah elles ont changé nos soirées j'te le dis !

Y a quelques années, on aurait pas été sobres une seconde et on aurait pas parlé on aurait fait. Les choses changent hein.

- "C'est vrai..." pourquoi je me pose ce genre de question ? "j'imagine que ça me fait plus chier que ça n'en a l'air."

Et il faut croire que cette conversation a de quoi me faire réfléchir. Parce que la question suivante d'Elwynn n'est pas non plus du genre si simple. Bien sûr que j'ai eu des amis. Quand j'étais encore en Colombie, j'étais très différent. Beaucoup plus ouvert. Beaucoup plus sociable. Et en même temps, je vivais dans un univers qui faisait que les amis qu'on avait, c'était comme la famille. On se confiait littéralement notre vie. Souvent.

- "J'en eu ouais, bien sûr. Mais de là à dire que ça m'impacte encore aujourd'hui... pour la moitié d'entre eux je ne suis même pas sûr qu'ils soient toujours vivants et les autres... ils ne seraient sûrement pas très heureux de savoir que moi, je le suis encore. C'est bien plus simple d'ignorer ce genre de souvenirs."

Tout comme j'ai aussi décidé d'oublier toutes les amitiés que j'ai pu créer ici avant de voir les personnes disparaitre. De toute façon, si j'ai bien suivi, on leur ôte aussi leurs souvenirs quand ils se barrent. Il n'y a pas de raison que je sois le seul à m'en bouffer les doigts.

Et en même temps, quand j'entends Elwynn parler, c'est comme s'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Parce que je comprends très bien ses mots, à vrai dire, c'est même tout à fait logique et cohérent. Pourtant, il y a comme une partie de moi qui me fait comprendre qu'en réalité, c'est bien plus complexe.

- "Eh bah, t'as vraiment des potes doués." Ce n'est pas dit méchamment, au contraire même. Il y a plus une pointe d'admiration dans ma voix. "Je crois qu'en fait, j'en ai juste marre de devoir me battre constamment, d'encaisser..."

Même si c'est vrai, si j'enlève ça, ma vie parait bien vide. En arrivant à Terrae, même si j'étais constamment en colère pour tout et rien, au moins, il y avait quelque chose qui me donnait cette motivation à avancer. Peut-être pas pour la bonne raison, mais je préfère cent fois être rongé par toute cette rage habituelle que de me retrouver dans cet état de passivité terrible. Va vraiment falloir que j'arrive à me reprendre en main.

Heureusement, Elwynn a toujours cette capacité de me sortir de cette amertume qui me retombe dessus sans que je ne lui ai rien demandé. Parce que ouais, sa remarque a de quoi m'arracher un nouveau sourire.

- "C'est clair. Et dire qu'on n'a même pas trente ans, ça craint. Dans pas longtemps j'te propose une camomille !"

Lol non, ok, je n'en suis pas encore là. Ce serait vraiment le début de la fin !

Je le laisse à sa conclusion en hochant simplement la tête. C'est le genre de choses dont je suis capable de reparler plus tard, l'air de rien en mode "Alors on est comment sur cette question maintenant ?", mais Tiago c'est pas le genre de gars qui résoud ces questions en quelques secondes. Non, il lui faudra du temps. Alors on va le lui laisser bien gentiment.

Il enchaîne sur ses amis, ça lui semble évident d'avoir eu des amis proches. Alors que ça l'est pas tellement. Surtout vu qu'apparemment, ça n'est pas permanent. Il a pas l'air de considérer que c'est des amis qui impactent toujours sa vie. Et il les ignore. Je penche un peu la tête sur le côté.

Hmhm. Du coup tu trouves vraiment que c'est des amitiés qui t'ont marqué fort, genre... A vie ? Je demande ça parce que, avant Terrae, j'ai pas eu énormément d'amis. En fait j'en ai eu deux.

Je soulève la manche de mon t-shirt au dessus de mon alliance, pour désigner les deux cercles noirs tatoués sur mon bras.

C'est pour eux ça. Quand je suis arrivée à Terrae je pensais qu'ils étaient morts. Mais c'est des amitiés qui m'ont marquée pour toujours, qui partiront jamais. Qu'ils soient vivants ou non, avec moi ou non. Je sais qu'ils compteront toujours.

Même si aujourd'hui j'ai les réponses, c'est pas ça l'important. L'important c'est qu'ils quitteront jamais mon âme et mon corps. Et c'est aussi pour cette raison que j'aimerais me tatouer quelque chose, un peu comme Nico, un truc significatif de mes amis de Terrae. De ma famille.

Je souris à sa remarque et j'acquiesce, aucun doute dans mon regard. Ouais, j'ai des potes incroyables. Vraiment. Je lâche seulement, pas trop fort, mais sans cesser de le regarder.

Yep, I know the struggle. Hmm. T'sais, aujourd'hui j'me bats plus. La solution elle est venue quand j'ai arrêté de me battre avec tout ça. Juste laisser la place aux autres. Kiffer.

Je me marre ouvertement à sa remarque, laisse partir ma tête en arrière. Je lui souris franchement répondant sur le même ton.

Arrête on a même pas passé l'étape des soirées films ça va trop vite entre nous !

Je me remets à rire. Et puis je hausse les épaules, et m'affale un peu sur la table, me rapprochant un peu de lui sans pour autant entrer dans sa zone privée.

Pourquoi tu fais pas ça genre... Là, j'ai pas l'impression que tu me laisses pas entrer dans ta coquille. Et t'as vu, ça s'passe bien, moi j'me sens bien, j'me marre. J'découvre des trucs de toi que j'aime bien. Et tout va bien non ? On s'fait pas chier. On s'péta pas. Tu crois pas ?

Je cherche son regard, avant de rajouter, un air un brin moqueur :

Genre ça m'donne presque envie d'être ta pote, l'enfer j'te jure.

Ok, je ne suis sûrement pas le mec le mieux placé pour parler amitiés. Mais franchement, qu'est-ce que j'en sais de si ça peut me marquer à vie ? J'espère bien que non. Parce que sinon y a de quoi se foutre en l'air. D'ailleurs, quand Elwynn me parle de ses propres expériences, je vois bien qu'on n'est clairement pas au même niveau sur ce sujet.

- "Ouais, ok, on n'a peut-être pas la même définition de l'amitié. Ca doit être un truc d'Eau ça, la loyauté, tous ces trucs."

C'est facile, ok. N'empêche, j'ai beau avoir un certain nombre de tatouages sur la peau, aucun ne leur est destiné. Pas directement en tout cas.

- "Quand j'ai accepté de venir ici, j'ai aussi accepté de laisser le passé loin derrière. Et les gens qui le composent avec. Alors non, forcément qu'ils ne peuvent pas me marquer à vie."

De toute façon, c'est bien assez la merde dans le présent pour ne pas aller remuer celle du passé en plus.

Vraiment, je suis loin d'avoir atteint le niveau de sérénité qu'affiche Elwynn en parlant de tout ça. Et même si je ne pense pas l'atteindre un jour, que je me rends bien compte qu'il y a des points sur lesquels on diffère largement, eh bien, je ne sais pas, je crois que ça me fait quand même du bien à entendre. Même si ce n'est que sur du court terme, c'est toujours ça en plus.

De quoi me détendre un peu plus en tout cas. Ce qui a des répercussions plutôt cool. Parce que ouais, bien sûr que c'est agréable ce moment, juste, simple, qu'on passe ensemble. Un peu bizarre peut-être, mais cool. Même cette nouvelle proximité qu'elle instaure est comme naturelle.

- "C'est vrai. Ca se passe même un peu trop bien, c'est presque flippant, j'ai pas l'habitude !"

Si je ne suis pas 100% sérieux en disant ça, dans le fond, ce n'est pas totalement faux. C'est bien parce qu'à la base, justement, on n'est pas vraiment potes, que j'arrive à lui parler comme ça. Et puis, aussi parce que, eh bien, c'est Elwynn, ouais.

- "Enfin, t'y habitues pas trop quand même hein, j'ai pas encore l'intention de me métamorphoser en gars sympa  avec qui on peut s'faire des soirées films en toute innocence !"

Peut-être que je me suis effectivement un peu trop habitué à cette image que je me suis créé depuis que je suis à Terrae. Cette image qui me défini facilement auprès des autres. Qui leur permet de ne pas trop en attendre de ma part.