J8 après le Centre, 27 décembre.

Les missions ont été un carnage. Si Misao s’était attendu à des blessés, à des concussions, à des traumas crâniens, il ne s’était pas attendu à autant de blessures par balles et surtout pas à ce développement étrange avec les pouvoirs de certains Terraens. Il a été appelé très rapidement par sa soeur après l’arrivée des premiers blessés à l’hôpital, et a prêté main forte. Littéralement. S’il n’avait jamais fait d’études de médecine, il en avait fait en biologie ; et au vu de la crise, c’était bien suffisant pour enfiler un masque, des gants, une blouse et aider à panser les blessures, déplacer les blessés, faire les analyses, déplacer le matériel, déplacer les lits,…

Bref, putain, c’était un carnage. Le soir, il avait l’impression d’avoir encore du sang sur les mains. Ce sang n’avait cependant pas la même signification qu’auparavant ; cette fois, ce n’était pas parce qu’il avait fait du mal à des personnes, mais bien parce qu’il avait participé à leurs soins.

Quelque chose en lui s’est allégé, ce jour-là. Et puis après sont venus les cauchemars.

Mais il y est retourné tous les jours, et fait sa part, à sa manière. Les infirmiers et Guérisseurs, même dans la panique, lui expliquent où il peut aider et ce qu’il peut faire en attendant le retour des examens sanguins. Ces injections que Nicolas a ramené… il inspire. Il va lui falloir du temps pour décoder leurs secrets, mais il ne peut malheureusement pas accélérer les traitements des données. Le reste du temps, il le passe évidemment à son ordinateur, à détailler encore et encore et encore les vidéos d’horreur, les formules, les recherches. Il y a trop à trier, alors quand il n’y a plus besoin d’aide à l’hôpital, il cesse d’y retourner à part pour échanger avec les quelques médecins sur place. Pourtant, même l’hôpital lui fait une pause de tous ces chiffres, formules et mots qui s’entrechoquent sous son crâne.

Maintenant, certains blessés se portent mieux et il peut prendre le temps de les rencontrer, les questionner sur leur état de santé, les effets sur leurs pouvoirs. Il utilise les outils qu’ils ont construit au laboratoire pour étudier le taux de magie ainsi que la forme qu’elle prend — un petit quelque chose de Mitsuki, qu’ils pourront sans doute développer encore avec le temps, puisqu’il ne fonctionne que très près du corps, comme un scanner.

Dans tous les cas, aujourd’hui, il est autorisé à rencontrer officiellement Luna, qu’il a déjà pu croiser au bar une fois ou deux, ou lors de la fête pour la Masterisation d’Alice. Ils ne se sont jamais vraiment parlé, sans doute pas le moment. Misao toque à la porte de la petite chambre et attend qu’on l’y autorise pour y mettre les pieds. Lunettes de lecture, planche avec ses feuilles clipsées dessus, il s’approche du lit. Elle est en bien mauvais état.

—Bonjour Luna, je m’appelle Misao. Je suis le chercheur en pouvoirs de Terrae, on m’a chargé de te faire quelques examens et surveiller l’évolution de ta magie suite à l’injection que tu as reçue durant ta mission. Comment tu te sens, aujourd’hui ?

Pas la meilleure question à poser à une blessée, mais Misao n’attend pas de réassurance, juste la vérité vraie.

__–Les potos, vous voulez que je vous dise, la morphine c’est le pied. Sans déconner, ça déchire tellement bien, je comprends ceux qui prennent de l’héroïne, y’a pas à dire. Je suis encore un peu trop éclatée et j’ai encore un peu beaucoup trop mal partout pour faire quelque chose de mes journées… L’ambiance là, jusqu’à aujourd’hui, c’était plutôt, euh… Bah, attendre sur le dos, jouer à des jeux mobiles qui demandent qu’une seule main, voilà quoi. Et puis la cicatrisation s’est bien achevée et j’ai pu quitter la chambre stérile où je passais mon temps à me faire chier et pas pouvoir bouger. J’ai pu retrouver mon ordi, faire un câlin à Pricie… m’asseoir, aussi. Me lever. Le luxe quoi. Par contre, me lever, c’est avec de l’aide et direction le fauteuil direct. Délire, dès que je me sentirai assez bien pour pouvoir bouger et garder les yeux ouverts plus d’une heure d’affilée, j’irai voir les potos et on ira faire une course dans les couloirs.
__–Et alors que j’étais en train de mater tout ce que j’ai loupé sur Internet pendant que j’étais occupée à buter des gens, me faire opérer et chier dans un tube, voilà qu’un mec entre et m’interrompt.
__–Misao… Sa tête et son nom me disent un truc… Je le fixe sans rien dire un peu trop longtemps pour que ça ne devienne pas gênant…
__–« Ah, c’est toi le frère de Hideko ? Je te rassure, je l’ai jamais baisée, j’en ai même jamais spécialement eu envie… Enfin, parce qu’elle est mariée hein, c’est tout, donc pas de malaise entre nous, tranquille. »
__–J’imagine que ça vaut pour un « oui je vais bien ».
__–Non mais, comprenez-moi. Quand quelqu’un que je connais pas viens me voir, c’est ou parce que j’ai niqué quelqu’un qu’il connaît, voire de sa famille, ou parce que c’est un novice. (Je sais pas, je dois les attirer.) À force, réflexe conditionné. Ou alors c’est peut-être juste que je suis complètement conne, allez savoir.
__–« Nan attends repars pas, j’serai sage promis. C’est rapport aux pouvoirs Eau, c’est ça ? J’ai pas encore trop testé je t’avoue, j’avais moyen envie de niquer le matos qui me maintenait un peu en vie. Du coup c’est quoi le plan, je pisse dans une éprouvette et après j’essaie d’en remplir une autre d’un truc qui pourrait se boire ? »

Misao cligne des yeux, mais ne les baisse par sur sa planche de notes pour autant. Il continue à fixer la Titanide avec une pointe de surprise, de lassitude et de soulagement. Si elle est en mesure de dire quelque chose d’aussi stupide… eh bien, elle doit aller relativement correctement, à défaut d’aller bien. Il hausse ensuite un sourcil. C’est tout. Pas de malaise entre nous, tranquille.

—Pourquoi, si elle n’avait pas été mariée, tu aurais eu envie de la baiser ? répond-il en reprenant les mêmes mots, sur un ton très neutre et détaché.

Il commence à tourner les pages de son bloc de feuilles, s’approchant du lit sans la regarder, puis il relève les yeux vers Luna et acquiesce lentement. Evidemment que c’est pour les pouvoirs d’Eau. Il sent que ça va être compliqué de la faire obtempérer, il aimerait pouvoir aller vite et faire les choses sans trop discuter ; mais elle semble souffrir du manque de contact social… ou alors elle est vraiment juste très étrange. On aurait pu le prévenir, quand même.

—Ils t’ont donné trop de morphine ?

Le chercheur se penche vers les poches de produits à côté du lit… oui, elle est sous morphine, ça explique. Il contient un soupir et souffle simplement leeenntement.

—On n’a pas besoin de prélèvement, ils sont déjà faits quotidiennement par les médecins. Qu’on puisse voir l’évolution. Il semble qu’il y ait une anomalie qui modifie les gènes de tes pouvoirs, d’où l’ajout d’affinité Eau. Est-ce que tu veux bien m’expliquer ce dont tu te rappelles avant le changement de tes pouvoirs ? Je ne t’embêterai pas trop longtemps. J’aimerais ensuite te faire tester légèrement tes pouvoirs si tu te sens d’attaque, j’ai l’autorisation des médecins et des Masters. Si c’est douloureux, on s’arrête directement, donc doucement.

Evidemment, ils ont déjà quelques pistes, mais il veut vérifier si tout concorde entre les différentes personnes touchées.

—D’abord, ce dont tu te rappelles. Le test ensuite, répète-t-il, conscient qu’une meuf shootée à la morphine sera pas en mesure de se rappeler de tout.

__–Hmm, il pose une question piège.
__–J’essaie de me gratter le menton pour faire mine que je réfléchis, oublie que je n’ai plus de main droite, fais de même avec mon bras gauche, oublie que j’ai un saturomètre sur le doigt, du coup je me le prends dans la tronche, surtout que comme je suis complètement. Éclatée. Mais genre. Complètement. Éclatée. Je. Je crois qu’il a fini dans mon œil.
__–Attendez on reprend, c’est n’importe quoi là.
__–Ah oui ! Baiser Hideko.
__–Bien sûr que j’aurais eu envie. En plus elle a genre… pas un écart d’âge démesuré avec moi ? C’est quoi, deux ans, trois ans, quelque chose comme ça ? Je sais plus. Pas trop, quoi. Après, hmm, en fait, je crois que grâce à la perte totale du peu, du très peu d’inhibition qu’il me restait grâce – ou cause – de la morphine, j’ai compris pourquoi je pourrai pas baiser Hideko. Ou Alice, parce qu’on m’a déjà posé la question. Et pourquoi avec Ariana j’ai eu pas du mal mais, genre, ça faisait bizarre. En fait c’est parce que je respecte trop ces meufs pour les laisser se taper quelqu’un comme moi.
__–C’est pas la joie dit comme ça, hein ?
__–Ouais, ben on va changer de sujet.
__–La morphine, donc.
__–« Trop ? Non. Non pas du tout. J’ai très mal docteur. Ouïe ouïe ouïe. Je peux le faire plus fort si c’est pas assez convaincant. »
__–Ah bordel.
__–Non mais du coup le mec là… lui… je sais pas qui c’est au final, il veut que je lui parle de trucs et tout. Ben allez ! Je tapote mes jambes, ce qui pourrait sembler un peu con vu l’état dans lequel elles sont, mais la nature est bien faite : j’ai la jambe droite flinguée. Du coup elle, j’ai pas pu la taper avec ma paume.
__–« Okay ! Maman Luna va te raconter une histoire, tu veux t’asseoir sur mes jambes ? Si tu finis de niquer la droite, je pourrai finir mon cosplay d’Edward Elric. »
__–Ou alors, demander des conseils à Aaron sur comment devenir à moitié aveugle, histoire d’être à moitié complètement bousillée et à moitié correcte. À défaut de faire de moi quelqu’un de fonctionnel, ça, euh… Je sais pas. C’était juste rigolo dans ma tête.
__–Quoi, oui ça fait trente secondes que je me marre toute seule bêtement, après avoir pensé à ça. Pourquoi il me regarde, lui ?
__–Ah oui ! Son histoire.
__–« Hé ben avant le changement de pouvoir, j’étais, euh… Ah mais c’est vrai qu’au final j’ai jamais fait de rapport… Merde, attends. On était dans le bunker. On se faisait salement allumer, armes conventionnelles hein. Et ah oui, à un moment on a passé une ligne blanche au sol et pouf, plus de pouvoirs, mon équipement qui pèse dix tonnes, Mitsuki super vénère, Tiago il l’a bien pris parce que t’façons il est Feu, ses pouvoirs servent à que dalle… Il est même marionnettiste, genre vraiment laisse tomber tu peux rien faire avec. Même en situation de combat, autant tirer sur l’ennemi, tu vois c’que j’veux dire ? Plutôt que de lui faire prendre des poses en mode, « donnez-moi un P ! Donnez-moi un I ! Donnez-moi un L ! Donnez-moi un A ! Enfin t’as compris l’idée. (Oui, c’est bite en portugais.) Et alors, les fléchettes… Oui, c’est ça, des fléchettes qui sortent des murs et qui injectent des trucs. Pareil, c’était débile ça, quitte à nous lancer des trucs dessus, autant que ce soit des balles, non ? Ben je sais pas. Mais on avait pas nos pouvoirs alors, euh… Ben ça faisait rien quoi. Et c’est après, quand Mitsuki a niqué la machine là, que je me suis rendue compte que c’était chaud. Après, mon gars… J’étais tellement dézinguée, j’ai pu utiliser mon titanisme un peu, mais c’est tout. Puis me voilà ici ! Je lève le bras et ce qui reste de l’autre avec un grand sourire de meuf défoncée. Et la suite tu la connais. T’as à manger ? J’ai une de ces dalles. Et soif aussi. J’imagine que c’est trop tôt pour l’alcool ? Ah oui ! Promis après j’arrête de parler. Comment tu t’appeeeeeelllleeeeees ? C’est pour t’envoyer un mot d’excuse pour quand je serai redescendue. »

Hmm. Misao et presque déçu qu’elle ne réponde pas à sa question, mais elle a sûrement compris que d’1) il se foutait de se gueule et de 2) irait le raconter à sa frangine pour se foutre de sa gueule à elle. Dans tous les cas, si, peut-être trop de morphine. En tout cas, elle est complètement défoncée. Il plisse les yeux et soupire… fort.

—Pas la peine. Je ne suis pas médecin, donc ce n’est pas moi qu’il faudra amadouer. Et j’te conseille d’y mettre plus d’emphase si tu veux convaincre quelqu’un.

Il sourit en coin et finalement, va tirer une chaise…. et regrette instantanément. Woah mais vraiment, elle est complètement chéper.

—… Non, ça ira.

La fatigue est intense ici. Est-ce qu’il est trop tard pour s’enfuir ? Oui, sans doute, elle a déjà commencé à parler. Bon, il se laisse tomber sur sa chaise et essaie de suivre ses digressions. “Il est Feu, ses pouvoirs servent à que dalle” c’est vrai. Devrait-il être vexé ? Non, vraiment, c’est très réaliste. Pila…? Non, il ne connait pas ce mot. Sûrement un truc obscène. Misao se pince l’arête du nez.

—Recentrons-nous. J’ai compris.

Non, il a pas compris. C’est pas grave, venons-en au fait. Les fléchettes, on y arrive. … Ok, son récit n’a servi à absolument rien.

—Il faudra voir avec ton médecin. (Il se dédouane complètement, ouais. Et répond finalement, même s’il l’a DEJA dit. Elle a de la chance d’être effectivement défoncée.) Misao. Misao Honda. Pas besoin de mot d’excuse. S’il te plaît.

Ca risque d’être pire.

Il prend quelques notes sans entrain sur son calepin. Puis reprend len.te.ment. Vu qu’elle a l’air de rien capter à ce qu’il dit.

—Merci pour les informations que tu m’as données. Est-ce que tu te sens en capacité de tester un petit peu tes pouvoirs ? De ce qu’on m’a transmis comme information, tu as hérité de l’élément Eau actuellement, mais tu es toujours Terre Titan. J’aimerais donc que tu utilises chacun de ces pouvoirs, pour voir comment est ta maîtrise. Ce n’est pas grave si c’est brouillon, je sais que sous morphine c’est plus difficile à tester. Essaie par exemple de… remplir ton verre d’un fond d’eau. Puis de faire pousser une fleur. Et pour le titanisme… je n’ai pas d’idée, par contre.

__–« Ah. Amadouer. C’est rigolo comme mot. C’est rigolo parce que… J’ai oublié. Ah pardon, je t’ai interrompu. »
__–J’viens de penser à voix haute, là, non ? Ouais, j’viens de faire et dire beaucoup de trucs que je vais instantanément regretter. En plus il est pas médecin, la galère, ça veut dire que c’est pas son quotidien les gens complètement perchés leur mère, donc qu’il va s’en foutre et passer à autre chose un peu moins facilement.
__–Quoique, c’est un Terraen, après tout.
__–« Misaaaaaoooooo… Hondaaaaa… Comme les voituuuuures… Hé mais attends, comme ma moto en fait ! Tu t’y connais ? J’pourrais en parler longtemps et… aaahh mais comme la directriiiice… Je comprends mieuuuuux… »
__–Il l’a pas déjà dit, ça ? Je sais plus.
__–« Tu voudras faire un tour une fois ? Pour dire à ta sœur que t’as chevauché une Honda. Oh mais non attends, je peux plus conduire. J’agite mon moignon bêtement. Boh c’est pas grave, tu pourras demander à Nana de t’emmener, je lui ai prêtée… Ah merde mais, elle est encore en vie elle ? Oui, elle est encore en vie, ça je me souviens l’avoir vu. Elle a perdu un membre, elle ? Ah non, je me souviens pas de ça. Ceci dit, je me souviens plus de ce que j’ai mangé à midi ou… Merde attends, c’est quoi ton prénom, déjà…? Dis rien, ça va me revenir. T’as une tête de Charles, quand-même… Nan… Oui pardon, je reste concentrée. »
__–Très très fort, hein.
__–« Tester mes pouvoirs ? Euh, ouais, okay. Ça existe ça, tiens, l’affinité bière ? Ah bah non, sinon Kaiko le serait déjà. Mais ça aurait été plus pratique, nan ?  Concentrée ! Je. Suis. Concentrée. Arrête de me regarder comme ça tu me fais peur. Steuplé. »
__–Alors je mate avec attention le verre d’eau. Je le pointe. Non, mauvais bras. Je le pointe du gauche. Et. Rien du tout.
__–« C’est pas grave. T’as… Oh bah non c’est vrai attends. »
__–Ah mais meeeerde c’est vrai, j’ai plus ma salade. Normalement elle est dans ma poche de veste. Sur mon torse. Sauf que j’ai pas ma veste. Sur le coup j’ai pas compris, j’ai palpé longtemps quoi, en mode oh hé oh elle est où ma poche c’est quoi l’embrouille là, sauf que c’était juste mon sein. Puis j’ai compris.
__–« C’est pas grave. »
__–Alors je pointe du doigt… Non, l’autre j’ai dit, bordel j’vais y arriver un jour, des fleurs qu’on m’a apporté. Et. Rien du tout. Je sens même pas la vie dans la plante.
__–« Boooooon. Ben c’est pas grave hein ! Attends. »
__–Un truc pour montrer ma force… Hmm… Et qui n’impliquerait pas de défoncer du matériel médical… Oh bah, une cuiller en métal, j’peux plier ça entre deux doigts… Je crois ? Oui ? Non ? Ok. Bah non. Pourtant j’ai forcé, mais…
__–« Putaaiiiiiin. Normalement même sans titanisme j’y arrive. C’est trop pourri doc. Non pas doc, c’est vrai. Infirmier ? Je sais pas. J’ai mal derrière mes yeux. Comment tu t’… Ah oui c’est vrai, comme ma moto. Elle va mieux Mitsuki ? Et Tiago ? J’aurais dû commencer par là… »
__–En vrai ça me fout un coup. J’ai l’impression de redescendre d’un bad trip de pas possible. Avant je crois que j’avais juste l’air enjoué débile d’une nana défoncée, mais là… Je sais pas, sur la dernière réplique ma voix elle était… Un peu vide. Comme ce que je regarde, là. Comme ce qu’il y a dans ma tête.
__–Merde, mes pouvoirs.
__–Je fais comment, sans mes pouvoirs ?
__–Attendez, mais.
__–Attendez.
__–Je suis qui, sans mes pouvoirs ?
__–Moi il y a deux ans et demi ?
__–C’est ça le plan là ?
__–« J’ai perdu mes pouvoirs ? »
__–Là par contre je rigole plus.
__–Pourquoi mon bras droit il me gratte ? Pourquoi j’ai mal ?

Woah putain, il est déjà fatigué. Le voilà qui se retient de soupirer très fort lorsqu’elle l’interrompt… encore… pour dire des conneries, mais des conneries pas finies. Oui, elle ne finit même pas ses phrases ; c’est certainement ça le pire. Ou alors c’est leur contenu ? Bon. Bref. Voilà. Il ne répond même pas quand elle parle des motos et des voitures, constate qu’il ne tirera pas grand-chose de plus d’elle. Il la laissera faire sa démo de pouvoirs — si tant est qu’elle ne défonce pas la moitié de sa chambre lors de l’opération — et sortira ensuite.

—Non merci.

C’est tout ce qu’il dit, il n’a pas vraiment écouté le reste. Il ne sait pas qui est Nana, et vraiment, elle radote tellement fort qu’il est tenté de se lever et quitter la pièce immédiatement, persuadé que cette mascarade n’a que trop duré. Il ne sait pas non plus qui est Kaiko, mais se contente de plisser les yeux. Oui, il sait qu’il fait peur, merci, c’est bien pour cette raison qu’il la fusille du regard de cette manière. Particulièrement depuis qu’elle est en train de se malaxer le sein d’un air duper.

Il est. FATIGUE.

Cela étant, au moins, Luna essaie. Il l’observe faire, un air de réprobation sur le visage. Donc, le pouvoir de Terre est HS. Le pouvoir de Titanisme aussi, visiblement. Misao commence à griffonner quelque chose sur son calepin, quand l’apocalypse se produit sous le crâne de la blessée. Merde, il va pas pouvoir se casser maintenant, va aussi falloir qu’il la rassure. Il inspire un peu pour rassembler son courage et lâche len.te.ment :

—Mitsuki et Tiago vont bien, ils sont encore hospitalisés pour leurs blessures mais ne sont pas en danger. Comme toi et Nicolas, ils ont des dérèglements de leurs pouvoirs suite à des injections ou les radiations reçues lors du dysfonctionnement de la machine. On pense que c’est réversible et que ça ne durera pas ; Nicolas a réussi à retrouver ses pouvoirs au bout de quelques jours. Ce n’est qu’une question de temps. Je te remercie pour la démonstration… Il semble que tu aies encore besoin de repos, alors ne force pas. Ne panique pas encore, ok ? On est sur le coup.

Misao indique alors son calepin, l’air de dire : “c’est pour ça que je recueille des données”.

__–On pense que c’est réversible et que ça ne durera pas. Okay. J’imagine que. C’est pas le pire, du coup. Enfin, je crois.
__–Je hoche la tête, l’air un peu perdue dans le vide quand il m’informe pour Mitsuki et Tiago. Leurs blessures, pas en danger. Ok. Je passe la main qui me reste sur le visage… J’crois que j’ai besoin d’un verre d’eau, de pioncer un coup ça on est d’accord… Puis peut-être de dire aux toubibs de se calmer, sur la morphine. Ce serait une idée, ça.
__–Nico a chopé la même merde que moi ? Huh. Oh putain con.
__–« C’est pas à cause de ce que j’ai fait à son cristal, si…? »
__–Ouais attends non, ça a pas de sens, c’est pas la première fois qu’on fait péter un cristal et ça a jamais produit ça. Quand je faisais des expériences avec les miens et de la poudre… Posez pas de questions. Après là, mon cerveau est pas exaaactement en mode réflexion. Il finit de parler et semble sur le départ. Je suis quand-même un peu rassurée, ouais, on va dire.
__–« Okay. Pas paniquer tout de suite. Ça j’peux faire. Ah et, euh… Juste pour que je sache qui remercier, comment tu t’appelles ? »

Plus tard, en février.

__–Il s’en est passé des trucs. J’ai recruté Hua au bar dès que j’ai pu aligner deux mots sans que l’un d’eux soit sexuel – on est passé à un tous les trois mots, un quota bien plus acceptable –, j’ai pris des nouvelles de mes potes, Misao – du coup je connais son prénom maintenant, un aide-soignant me l’a dit plus tard – est revenu me faire passer des tests… Et je crois bien qu’il me déteste, mais passons. Je suis sorti de l’hosto aussi, j’ai retrouvé ma sœur, mon chien, ma weed, le bar…
__–Par contre, et ça me mine un peu ça. Mes pouvoirs déconnent encore et je peux pas marcher sans canne. Youpi, hein. Après, pour la canne, ça va, je commence à avoir l’habitude des prothèses. Et comme ça, je peux faire des imitations de Gregory House. D’ailleurs, pour le premier rendez-vous post-hôpital en salle d’entraînement avec Misao, je me suis pointée canne en avant avec ma voix la plus grave possible en mode « C’est un lupus, donnez-lui dix grammes de cortisone et faites une biopsie. » et nan j’ai aucune idée de ce que je raconte mais dans la série non plus. J’ai même mis à peu près les mêmes fringues que le personnage que dans la série pour avoir un cosplay encore plus ressemblant. Écoutez, on s’amuse comme on peut.
__–Quoi, j’introduis la suite du RP comme je veux et je vous emmerde.
__–Bon enfin du coup me voilà.
__–« Salut docteur, – ouais je crois on sera jamais de la vie assez proches pour que je l’appelle par son prénom –, prête pour les tests. »

Luna semble perdue et sous le choc, l’annonce ne lui a pas vraiment fait du bien, semble-t-il. C’est attristant de la voir ainsi, même si lui n’apprécie pas sa magie plus que ça, Misao peut comprendre qu’elle soit importante pour d’autres. Pour la rassurer, il secoue lentement la tête.

—Non, il a reçu une injection au cours de sa propre mission. On ne pense pas que ce genre de radiations aient un impact à distance via la présence d’un cristal.

Ne pas paniquer, ouais. Quand elle lui redemande une énième fois son nom, Misao conclut simplement :

—Bon repos Luna, à plus tard.

Et il sort, parce qu’il va pas se répéter quinze fois non plus.



Entre temps, du côté de Misao, ça a été un véritable soulagement de pouvoir cesser les visites à l’hôpital et plutôt se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : ses recherches au labo. Récemment, Katsuyo est même venue proposer son aide auprès de l’équipe de chercheurs, il a ainsi pu rappeler Todaï et rencontrer un des responsables de la section de sa nouvelle protégée. Si tout va bien, elle pourra reprendre les cours à la rentrée. L’avantage de porter le même nom que sa soeur, c’est qu’il jouit de la même autorité qu’elle dans le milieu — beaucoup s’imaginent probablement qu’il est son mari, mais qu’importe, au Japon ce type de questions ne se posent pas aussi frontalement, et il a réussi à les éviter au mieux.

Depuis, quelques progrès ont pu être faits concernant les données recueillies, notamment sur le pauvre Feu Morphe décédé lors de la mission. Nicolas force aussi pour reprendre le boulot, mais Misao est tellement sur son dos qu’il a dû décider de faire certaines recherches de son côté, parce qu’il ne le voit pas aussi souvent au laboratoire. TANT MIEUX.

Concernant l’évolution des pouvoirs dysfonctionnels de l’équipe Destruction (un nom qui leur convient bien, étant donné qu’ils ont détruit la moitié de la base à eux tout seul), eh bien, c’est une autre paire de manches. C’est justement la Destructrice en cheffe, à savoir Luna — c’est elle qui a lancé la grenade ayant grillé leurs caméras, empêchant les chercheurs d’avoir accès à des données visuelles importantes pour comprendre le fonctionnement de la machine anti-pouvoirs du Centre… et qui les a cramés eux aussi et fait s’effondrer leur couloir — avec qui il a rendez-vous aujourd’hui. Autant dire qu’il y va en traînant des pieds. Il essaie encore de se convaincre qu’il ne va pas avoir envie de l’étrangler quand elle arrive et dit… encore des conneries. Misao lui lance un regard un peu vide, contient un soupir et essaie de sourire.

—Bonjour Luna.

Sobre. Professionnel. Efficace. (Ennuyeux.)

—L’hôpital te manque ?

Non il va pas ajouter qu’il peut l’y renvoyer ; il est fatigué, pas vénère.

—Ca avance comment, tes pouvoirs ? Tu les as re-testés de ton côté ces derniers temps ? (Il désigne sa jambe.) Et… ta jambe, tu te sens comment ?

La canne, c’est pas ouf.

__–Woooouaaaaaoooooouuuuuuh, il est enthousiaste ce matin.
__–« Me manquer, j’irais pas jusque là, après la bouffe était pas mal, je veux dire, pour un hôpital. J’ai pu mater quelques petits culs aussi, on a des infirmières et des infirmiers vraiment… Hm, quelque chose me dit que je devrais fermer ma gueule instantanément, non ? Ouais. Ouais hein. »
__–Question suivante. Avant de vraiment le pousser à bout. Mes pouvoirs. Ma jambe. Oh mais, est-ce que ce serait de l’empathie de sa part ? Waaah. Peut-être qu’il est pas si de mauvaise humeur que ça.
__–« Hm, ouais, j’ai testé. Maintenant, j’arrive à faire sortir un autre type de liquide de moi, c’est fou. Tu veux que je te montre ? Que pour l’eau, hein, j’te rassure. En vrai, c’est presque pratique. J’ai soif ? J’inonde la pièce et des fois, j’arrive à mettre un fond dans mon verre. Ouais la maîtrise c’est pas trop ça, donc pt’êt que j’vais pas te montrer, sauf si tu veux faire une partie de t-shirts mouillés. »
__–Comment il va faire pour croire que je suis pas défoncée, là ? Aucune idée.
__–« Après le titanisme, ben, comme c’est encore pas toujours super fonctionnel, j’essaie de pas trop m’y fier. Du coup j’ai pas trop testé, nan. Et pour la Terre, ça va à peu près, mais j’ai tué trop de mes plantes d’amour pour pousser les tests à fond. »
__–Waw, j’ai réussi à dire trois phrases sans être absolument navrante ? Ah, c’est peut-être parce qu’on touche à ce qui est, mine de rien, devenu une part super importante de ma vie et j’ai l’impression d’avoir perdu énormément, vaaachement plus que ma jambe, en fait. Et pour elle, bah J’ai une canne. J’pense que ça en dit assez long.
__–…
__–Ah mais il attend une réponse à l’oral ? Euh ok. Il me semblait que mon monologue intérieur était suffisant. Alors ok, il peut pas le lire… mais bon, soit.
__–« C’pas terrible. Elle fonctionne à peu près. Techniquement, les muscles sont réparés et tout, mais j’pense que y’a pas que ça qu’est niqué. »
__–Enfin breeeeeeeeeeef.
__–« Alors, tu veux tester quoi ? Y’a des sondes anales prévues, j’espère ? »
__–Non parce qu’il faudrait pas qu’il puisse avoir de l’empathie pour moi, quand-même.

S’il est aussi enthousiaste, c’est à dire très peu, c’est probablement parce qu’il est face à la personne la moins enthousiasmante de la terre à ses yeux. Quoique, Tiago est à peu près au même niveau, mais pas du tout pour les mêmes raisons. Autant dire que ce boulot lui plaît de moins en moins, et qu’il a hâte de retourner à ses analyses passionnantes (et qui paraîtraient tout à fait ennuyeuses à n’importe qui d’autre) dans son laboratoire, sans parler à personne d’autre qu’à ses collègues. Il pourrait faire un effort avec Luna, mais elle-même ne faisait aucun effort pour être moins scandaleusement pathétique à ses yeux.

—Ouais…

Ouais.

Elle se met à lui expliquer comment évoluent ses pouvoirs, et Misao a juste envie de se masser les tempes toujours plus fort. Il arrive à lâcher un rire défait, qui en réalité n’est qu’un souffle du nez… il est exaspéré à ce point, ouais, ça l’empêche de la trouver vraiment marrante. Alors qu’elle est vraiment marrante. Luna, c’est clairement le genre de personne où, plus elle en fait des caisses, moins Misao a envie de montrer d’expression faciale, pour lui éviter de la reconnaissance et donc la satisfaction de se donner en spectacle. Une honte cuisante, en revanche, pourquoi pas.

Cela étant dit, vous constaterez aussi aisément que moi que Misao, tout à fait pris par ses questionnements internes, alors qu’il détaille cette meuf étrange avec une canne, ne l’écoute en réalité pas du tout. Ou plutôt, si, il l’écoute ; mais il est tellement abasourdi et atterré qu’il ne fait que répéter en boucle certaines parties de phrases, telles que “que pour l’eau, hein…” “j’inonde la pièce, mais comment ça j’inonde la pièce…” et “… elle vient de parler de t-shirt mouillé ? en plein hiver ?” (il n’y a pas que ça l’inquiète dans cette phrase, mais voilà).

Il pourrait certainement lui dire “ok”, mais il se contente de prendre des notes en levant de temps à autre un regard vide vers elle. Enfin, vide de vie, mais rempli de jugement.

—Je vois.

C’est tout, ouais. Il ressentirait bien un poil d’empathie, là, quand elle lui parle avec cette tête là de son titanisme aussi dysfonctionnel que le reste de son corps, ce qu’elle lui confirme sans peine.

Et puis quand elle arrête de parler, et a prononcé le mot “anal” de trop, un long, long, long silence s’étend entre eux.

—Dis. Tu penses vraiment qu’au cul, tout le temps, ou c’est juste pour essayer de voir à point tu peux me mettre à l’aise ? Je veux dire. Ca me questionne sur ta santé mentale, quand même, et c’est aussi très désagréable.

Il fait claquer son calepin en le refermant, visiblement troublé.

—J’aimerais que t’arrêtes, on n’est pas potes.

Et si elle continue, c’est clair qu’ils le seront jamais ptdr.

—Et je suis pas intéressé.

Ouais, il l’a vraiment pas écoutée ptdr.

__–Waaaouuuuuh la bonne ambiance ici… Heureusement que je détends l’atmosphère avec mes p’tites vannes hein, sinon… Enfin… Je sais pas si je suis pas en train de le faire passer du statut de string serré à celui de string XXS sur un cul XXL. Hm.
__–Ah bah hé ! Il rigole ! C’est bien que j’avais raison. Puis, ça a même pas trop l’air de le faire chier ce que je raconte, il arrête pas de répéter des trucs et d’en noter d’autres, j’imagine que ça doit l’aider pas mal pour ses recherches de je sais pas quoi, là. Quoi, comment ça, on voit bien que je suis pas solaire ? Ben ouais et alors ?
__–… Par coooooooontre.
__–…
__–Y’a un blanc, j’vous cache pas. Dans ma tête aussi, je, enfin, y’a trop de trucs qui se bousculent. J’veux dire, je me doutais assez bien qu’il avait pas trop trop de respect pour moi, j’ai l’habitude et puis t’façons moi non plus (pour moi, pas pour lui, lui j’l’aime bien), alors, puis, oui d’accord j’y pense beaucoup, mais à quel moment il a pu croire que, enfin, j’ai été assez explicite, non ? Peut-être trop explicite, mais rien à voir.
__–Enfin. Comment on reprend une discussion après ça…
__–« Euuuuuuuuh, intéressé, je veux dire… moi non plus… Enfin, T’es beau gosse, je dis pas, mais… T’es trop vieux pour moi, déjà, même si t’es bien conservé hein, attention ! Me fais pas dire c’que j’ai pas dit. Puis bon après, je conçois que ça te dérange pas tellement, vu que tu te tapes… Ah ben non je sais pas. Après comme y’a presque pas pas de gens de ton âge, ça te laisse pas masse de râteliers auxquels bouffer. Mais tu peux me le dire, hein ! Puis comme ça on risque pas d’être à une personne interposée de coucher ensemble. »
__–(En tout cas, c’est pas comme ça qu’on reprend une discussion.)
__–Mais merde aussi, il m’a surpris j’ai paniqué.

Visiblement, le cerveau déjà fort peu actif de Luna semble s’être arrêté après la question qu’il vient de lui poser. Il peut comprendre, lui-même n’imaginait pas que prononcer de tels mots était possible à peine quelques instants auparavant, mais le voilà dans une situation quelque peu gênante. Et si jusqu’ici, la Terre lui paraissait surtout pathétique, et assez terrifiante à la fois, cette fois, elle atteint clairement le summum du malaise. Il souffle fort du nez, est tenté de regarder un point au dessus de l’épaule de Luna d’un air vide, mais s’il ne s’autorise pas une répartie immédiate, il risque surtout d’avoir envie de l’étrangler. Les remarques sur son âge, il a l’habitude, bien qu’il ne sache pas trop comment elle parviendrait à être au courant. Evidemment, ça pique toujours un peu de lui rappeler qu’il n’a qu’une potentialité faible de trouver quelqu’un, mais ce n’est pas non plus sa priorité du moment, étant donné qu’il a foiré sa dernière relation en date. Qu’elle continue sur sa lancée sans comprendre pourquoi il lui pose la question, ou le fait qu’elle soit complètement incohérente, ça, ça le hérisse. Il siffle :

—Ok, on va reprendre. Tu n’as visiblement pas compris ce que je t’ai dit, mais c’est sûrement parce que je n’ai pas été assez clair dès le départ. (Ou parce qu’elle est vraiment neuneu.) Arrête avec tes remarques de cul toutes les deux phrases, tu es le malaise incarné. Je sais pas pourquoi je suis encore là, à t’écouter débiter tes inepties. On en a rien à foutre de qui je me tape, et j’en ai surtout rien à foutre de qui, toi, tu te tapes. Je suis là pour faire mon boulot, pas pour t’écouter me demander si je vais te mettre une sonde anale. C’est complètement inapproprié.

Est-ce qu’il a vraiment écouté ce qu’elle a dit ? Oui, mais il n’arrive même pas à y mettre de sens. Il ne comprend pas cette notion de “personne interposée”, mais au fond, une partie de lui se sent soulagée qu’elle ne soit pas en train de le draguer, mais qu’elle ne soit, au final, qu’une cassos de plus parmi tant d’autres. Ce qui l’inquiète, c’est davantage la pensée qu’elle est certes comme ça avec lui, mais qu’elle peut aussi l’être avec d’autres.

__–Non mais pourquoi il cherche, c’est bien moi qui suis neuneu hein. Ç’est connu, ça, en plus, il me semble.
__–« Oui bah euh… Désolée hein, mais aussi, tu me fais flipper alors je panique et je dis n’importe quoi. J’ai jamais été super à l’aise avec les toubibs. Ou assimilé. »
__–Parce qu’il me semble qu’il est pas vraiment toubib. Non mais en plus c’est vrai, il faut se figurer que j’ai jamais passé d’examens médicaux de ma vie, sauf genre, super jeune et qu’à part des profs (que je voyais pas super souvent non plus), des flics (que forcément je respectais pas trop) et des chefs de gangs (et j’avais le droit d’être avec eux en grosse partie parce que j’étais la petite mariolle), j’ai jamais vraiment été confrontée à des personnes avec, genre. De l’autorité. Je suis passée de chômeuse à patronne sans passer par aucune case, typiquement.
__–On pourrait dire, mais enfin Luna, comment tes parents t’ont éduquée ? Oui bah écoutez, finir à Terrae parce qu’on a roulé sans protection à 250 km/h en ville sur une moto pleine de coke et avoir une éducation super stricte, c’est pas vraiment compatible.
__–Puis je sais pas, ça marche d’habitude. Je dis des trucs idiots, on me prend pour une idiote, du coup je suis pas trop dangereuse ou bien méchante et voilà, ça passe.
__–« Non bah euh écoute, juré je vais fermer ma gueule. »
__–C’est encore le mieux que je puisse lui promettre.
__–Ça faisait un moment que je m’étais pas sentie aussi nulle. C’est mérité, je dis pas. Et du coup voilà, ce qui a commencé pitoyable finit encore plus pitoyable. Youpi.

La pauvre Luna semble figée sur place alors qu’elle observe Misao la démonter verbalement, avant de prendre un air un peu dépité. Serait-elle blessée ? Sûrement, possible, probable en fait. Et en même temps, c’est amplement mérité. Après sa tirade, Misao reprend une inspiration, qui l’aide aussi à ne pas fusiller immédiatement du regard la brésilienne. Paniquer c’est une chose, faire des remarques sexuelles constamment… c’est autre chose. Son air de dépit lui fait quelque chose, bien sûr, il se sent un peu coupable, s’en veut un peu,… et en même temps, cela l’apaise. Bien, elle semble avoir compris.

—Pas besoin de la fermer, contente-toi de dire des mots qui sont utiles à notre problème actuel ou qui soient pas complètement insultants. Je n’ai pas de problème avec la discussion, mais n’en fais pas trop.

Non mais c’est dingue. On lui dit qu’elle a des paroles inappropriées parce qu’elle parle de cul, et elle comprend qu’il faut juste qu’elle ferme sa gueule ? Parler comme un être humain décent, ce n’est pas possible ? Misao a un petit claquement agacé de la langue ; il méprise ceux qui surinterprètent ses propos ou se dédouanent en utilisant des excuses bidon. La panique, c’est ok, ça arrive. Mais quand on te dit stop, tu t’arrêtes.

Sinon, peut-être qu’elle devrait effectivement fermer sa gueule, ou se contenter d’en dire le moins possible, si elle ne peut pas s’empêcher d’agir ainsi.

—Bon. Du coup, je t’ai pas écoutée jusqu’au bout tout à l’heure. (Il reprend son calepin.) Tu me disais que ta maîtrise était aléatoire, c’est ça ? Je veux bien que tu me montres.

Ca lui demandera pas de parler, au moins.